Cour constitutionnelle (Cour d'Arbitrage): Arrêt du 21 janvier 2016 (Belgique). RG 9/2016

Date :
21-01-2016
Langue :
Allemand Français Néerlandais
Taille :
5 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20160121-3
Numéro de rôle :
9/2016

Résumé :

La Cour dit pour droit : L'article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Arrêt :

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La Cour constitutionnelle,

composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et T. Giet, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 3 décembre 2014 en cause de Gino De Graeve contre la ville de Bruges, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 9 décembre 2014, le Tribunal du travail de Gand, division Bruges, a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le plafond de la rémunération de base servant au calcul de l'indemnité due à la victime d'un accident du travail 1° est fixé, dans cet article, à 24.332,08 euros (pour un accident survenu à partir du 1er juillet 2007), 2° le plafond de rémunération n'est pas lié aux fluctuations de l'indice des prix à la consommation mais peut uniquement être modifié par le Roi, à l'occasion d'une revalorisation générale des traitements dans le secteur public et dans la mesure de cette revalorisation, et 3° le plafond de rémunération pris en considération est celui qui est en vigueur à la date de consolidation de l'incapacité de travail ou à la date à laquelle l'incapacité de travail présente un caractère de permanence, tandis que le plafond de la rémunération de base servant au calcul de l'indemnité due à la victime d'un accident du travail dans le secteur privé 1° est fixé à 37.545,92 euros (pour un accident survenu en 2009), 2° le plafond de rémunération est lié aux fluctuations de l'indice des prix à la consommation, de la manière déterminée par le Roi, et 3° le plafond de rémunération pris en considération est celui qui est en vigueur au moment de l'accident ? ».

(...)

III. En droit

(...)

B.1. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public (ci-après : la loi du 3 juillet 1967), qui dispose :

« La rente pour incapacité de travail permanente est établie sur la base de la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l'accident ou de la constatation de la maladie professionnelle. Elle est proportionnelle au pourcentage d'incapacité de travail reconnue à la victime.

Lorsque la rémunération annuelle dépasse 24.332,08 euros, elle n'est prise en considération pour la fixation de la rente qu'à concurrence de cette somme. Le montant de ce plafond est celui en vigueur à la date de consolidation de l'incapacité de travail ou à la date à laquelle l'incapacité de travail présente un caractère de permanence.

A l'occasion d'une revalorisation générale des traitements dans le secteur public et dans la mesure de cette revalorisation, le Roi peut modifier ce montant ».

Pour répondre à la question préjudicielle, la Cour doit comparer le régime de la rente pour incapacité de travail permanente perçue par les victimes d'un accident du travail employées dans le secteur public avec le régime applicable aux victimes d'un accident du travail dans le secteur privé tel qu'il est prévu par l'article 39, alinéa 1er, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, qui, dans la version applicable au litige devant le juge a quo, dispose :

« Lorsque le salaire annuel dépasse le montant mentionné ci-après, ce salaire, en ce qui concerne la fixation des indemnités et des rentes, n'est pris en compte qu'à concurrence de ce montant :

[...]

à 36.809,73 EUR à partir du 01-01-2010;

à 37.545,92 EUR à partir du 01-01-2011;

[...]

Les montants de ces rémunérations sont liés aux fluctuations de l'indice des prix à la consommation suivant les modalités fixées par le Roi.

Le Roi peut modifier ces montants, après avis du Conseil national du Travail.

Les montants des rémunérations visés aux alinéas 1er et 3, qui sont pris en considération pour la fixation des indemnités et rentes, sont exclusivement ceux d'application à la date de l'accident ».

B.2. Le juge a quo demande à la Cour si la disposition en cause est compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination dans la mesure où, pour fixer l'indemnité relative à un accident du travail concernant un travailleur employé dans le secteur public, comme en l'espèce :

- il faut prendre en considération un plafond de rémunération de 24.332,08 euros sur une base annuelle (pour un accident survenu à partir du 1er juillet 2007), tandis que le plafond applicable à un travailleur dans le secteur privé s'élèverait à 37.545,92 euros (accident survenu en 2009 - consolidation intervenue le 29 février 2011);

- le premier plafond cité n'est pas indexé, contrairement au second;

- le premier plafond cité est basé sur le montant en vigueur à la date de consolidation de l'incapacité de travail ou à la date à laquelle l'incapacité de travail présente un caractère de permanence, tandis que dans le secteur privé, le plafond est celui qui est d'application à la date du l'accident du travail.

B.3. Les travaux préparatoires font apparaître que la loi du 3 juillet 1967 a pour but d'assurer le personnel des services publics « contre les conséquences des accidents sur le chemin ou sur le lieu du travail et des maladies professionnelles. L'objectif poursuivi est de leur donner le bénéfice d'un régime comparable à celui qui est déjà applicable dans le secteur privé ». Cependant, « le Gouvernement n'a pas jugé possible ni souhaitable de soumettre les agents des services publics aux mêmes dispositions que les ouvriers et les employés du secteur privé. Le statut des fonctionnaires comporte des particularités dont il convient de tenir compte et qui justifient, dans certains cas, l'adoption de règles propres » (Doc. parl., Chambre, 1964-1965, n° 1023/1, pp. 3 et 4; dans le même sens : Doc. parl., Sénat, 1966-1967, n° 242, pp. 2-3).

Les travaux préparatoires indiquent en outre :

« Il n'est donc nullement question d'une extension pure et simple du régime du secteur privé au secteur public. » (Doc. parl., Chambre, 1966-1967, n° 339/6, p. 2)

B.4. Il ressort par conséquent des travaux préparatoires de la loi du 3 juillet 1967 que le législateur voulait prévoir, pour les travailleurs du secteur privé et pour les travailleurs du secteur public, des systèmes comparables en ce qui concerne l'indemnisation des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle mais qu'il ne souhaitait pas une simple extension du régime du secteur privé au secteur public, eu égard aux caractéristiques propres de chaque secteur, en particulier au fait que le statut des agents de l'Etat est généralement de nature réglementaire, alors que l'emploi dans le secteur privé est de nature contractuelle.

B.5. La Cour a jugé à plusieurs reprises que les différences objectives entre les deux catégories de travailleurs justifiaient que ces catégories soient soumises à des systèmes différents et qu'il était admissible qu'une comparaison en détail des deux systèmes fasse apparaître des différences de traitement, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, sous la réserve que chaque règle doit être conforme à la logique du système auquel elle appartient.

B.6. La logique propre des deux systèmes en matière d'accidents du travail justifie que des différences existent entre le secteur public et le secteur privé, notamment en ce qui concerne les règles de procédure, le niveau et les modalités d'indemnisation.

Il relève de la compétence du législateur de décider, dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution, si une plus grande équivalence est souhaitable et de déterminer à quel moment et de quelle manière une plus grande uniformité entre les deux réglementations doit se traduire par des mesures concrètes.

B.7.1. Selon la disposition en cause, la rente allouée pour indemniser les victimes d'un accident du travail dans le secteur public en cas d'incapacité de travail permanente est établie sur la base de la rémunération annuelle à laquelle la victime a droit au moment de l'accident.

Par ailleurs, l'article 18, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 13 juillet 1970 relatif à la réparation, en faveur de certains membres du personnel des services ou établissements publics du secteur local, des dommages résultant des accidents du travail et des accidents survenus sur le chemin du travail dispose :

« Pour la fixation du montant des rentes en cas d' incapacité permanente ou de décès, il faut entendre par rémunération annuelle tout traitement, salaire ou indemnité tenant lieu de traitement ou de salaire acquis par la victime au moment de l'accident, augmenté des allocations et indemnités ne couvrant pas de charges réelles et dues en raison du contrat de louage de service ou du statut légal ou réglementaire. Pour la détermination de cette rémunération, il n'est cependant pas tenu compte des diminutions de rémunération résultant de l'âge de la victime ».

B.7.2. En ce qui concerne le secteur privé, conformément aux articles 22 et 23 de la loi du 10 avril 1971, c'est la « rémunération de base » qui est prise en compte pour calculer le montant de l'indemnité journalière octroyée à la victime d'un accident du travail ayant causé une incapacité temporaire de travail. Conformément à l'article 24 de cette loi, c'est également cette « rémunération de base » qui est prise en compte pour calculer le montant de l'allocation annuelle qui remplace l'indemnité journalière à dater du jour où l'incapacité présente un caractère de permanence.

L'article 34, alinéas 1er et 2, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail dispose :

« On entend par rémunération de base, la rémunération à laquelle le travailleur a droit pour l'année qui a précédé l'accident, en raison de la fonction exercée dans l'entreprise au moment de l'accident.

La période de référence n'est complète que si le travailleur a effectué durant toute l'année des prestations en tant que travailleur à temps plein ».

B.7.3. Comme dans le secteur privé, la rente allouée à la victime frappée d'une incapacité de travail permanente à la suite d'un accident du travail dans le secteur public est fixée en fonction de la capacité de gain de la victime et il est prévu un plafond au montant des revenus qui constitue la base pour établir la rente octroyée pour une incapacité de travail permanente.

Le fait que le montant de ce plafond diffère selon qu'il s'agit d'un travailleur du secteur public ou du secteur privé s'explique par les différences qui existent entre la capacité de gain des deux catégories de personnes, dont les composantes - pensions et indemnités extra-légales prises notamment en considération - sont favorables tantôt au secteur public, tantôt au secteur privé.

Par ailleurs, il faut tenir compte du caractère en principe forfaitaire de l'indemnité accordée en cas d'accident du travail et du fait que la législation sur les accidents du travail dans le secteur privé (article 49 de la loi du 10 avril 1971) impose à l'employeur une obligation que la législation sur les accidents du travail dans le secteur public ne prévoit pas, à savoir celle de souscrire une assurance qui, si elle oblige l'employeur privé au paiement de primes, ne lui impose que des obligations limitées à l'égard du travailleur, lequel peut agir directement contre l'assureur. L'autorité publique, en revanche, reste tenue de rétribuer l'agent, conformément aux dispositions qui lui sont applicables et de lui octroyer les rentes et indemnités prévues par la loi du 3 juillet 1967.

B.8. En ce qui concerne l'éventuelle adaptation du plafond, l'article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 dispose que le Roi est habilité à modifier ce montant à l'occasion d'une revalorisation générale des traitements dans le secteur public et dans la mesure de cette revalorisation.

Dans le secteur privé, le plafond pour fixer la rente allouée en cas d'incapacité de travail permanente est actualisé annuellement selon l'indice des prix à la consommation, en proportion de la rémunération de base indexée elle aussi.

En revanche, dans le secteur public, le plafond est en principe fixé - sous la réserve d'une adaptation de celui-ci à l'occasion d'une revalorisation générale - en proportion de la rémunération annuelle non indexée.

Les deux systèmes reposent dès lors sur une logique interne propre.

B.9. Le fait de baser, dans le secteur public, le plafond précité de la rente, en cas d'incapacité de travail permanente, sur le montant qui est en vigueur au moment de la consolidation de l'incapacité de travail ou à la date à laquelle l'incapacité de travail présente un caractère de permanence, alors que, dans le secteur privé, on se réfère pour cela à la date de l'accident du travail, relève du caractère propre de chacun des systèmes respectifs, sans que cela soit incompatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination, compte tenu de la circonstance que les systèmes respectifs sont en faveur tantôt d'un secteur, tantôt de l'autre.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit :

L'article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 janvier 2016.

Le greffier,

P.-Y. Dutilleux

Le président,

A. Alen