Cour de cassation: Arrêt du 26 juin 2006 (Belgique). RG S050023F

Date :
26-06-2006
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
6 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20060626-5
Numéro de rôle :
S050023F

Résumé :

Est considéré comme licenciement abusif, le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec la conduite de l'ouvrier; n'a aucun lien avec la conduite de l'ouvrier le motif que l'ouvrier a refusé de renoncer au salaire garanti auquel il avait droit (1). (1) Voir Cass., 8 décembre 1986, RG 5353, n° 211.

Arrêt :

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N° S.05.0023.F
MARCEL CLOQUET, société privée à responsabilité limitée dont le siège social est établi à Ittre, rue de Fauquez, 45,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile,
contre
D. S.,
défendeur en cassation.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 septembre 2004 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Christian Storck a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt constate 1. que, le 1er juin 1993, le défendeur entra au service de la demanderesse en qualité de " manoeuvre plus apprentissage maçon " ;
2. que, le 11 février 1997, le défendeur adressa à la demanderesse un certificat médical pour la période du 11 au 17 février, prolongée du 18 au 21 février ;
3. que, le 18 février 1997, la demanderesse adressa au défendeur un courrier par lequel elle rappelait l'avertissement qu'elle ne paierait plus le salaire garanti en cas d'accident de travail (subi) chez un autre employeur et présentait deux solutions, et 4. que, le 24 février 1997, intervint le licenciement pour motif grave.
L'arrêt décide que le licenciement pour motif grave est intervenu à tort et confirme la décision du tribunal du travail en ce qu'il condamnait la demanderesse au paiement d'une indemnité de rupture.
Quant à l'indemnité pour licenciement abusif, l'arrêt décide que le licenciement " est abusif puisqu'il n'est pas fondé sur l'un des motifs visés à l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 ". L'arrêt confirme dès lors le jugement entrepris et alloue une indemnité pour licenciement abusif de 394.056 francs, actuellement 9.768,39 euros, à augmenter des intérêts moratoires légaux et judiciaires à dater de son exigibilité sur la partie nette du montant.
Cette décision est fondée sur les motifs suivants :
" a) Les premiers juges ont accordé (au défendeur) une indemnité pour rupture abusive sans aucune justification ;
L'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 prévoit que le licenciement est abusif s'il est donné pour un motif qui n'a aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou s'il n'est pas fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise ;
La charge de la preuve de la réalité des motifs invoqués et du lien entre ces motifs et le licenciement repose sur l'employeur ;
Il appartient aux juridictions du travail de vérifier l'exactitude des motifs invoqués et de déterminer les causes réelles du licenciement, c'est-à-dire de rechercher, sur la base des éléments en leur possession, le motif exact pour lequel le congé a été donné ;
b) La (demanderesse) relève que 'la matérialité des faits dénoncés est établie par les diverses (lettres) adressées aux diverses autorités administratives censées opérer un contrôle des travailleurs' et que le motif invoqué doit être 'considéré comme un motif valable de licenciement'. Elle précise que le motif invoqué 'est le fait que (le défendeur) travaillait en noir durant le week-end et faisait supporter les coûts à l'entreprise', ce qui 'rejoint et explicite celui invoqué dans la lettre de congé, à savoir :
effet non-concurrence " ;
La cour (du travail) relève que, dans sa lettre du 17 mars 1997 adressée à la C.S.C. du Brabant wallon, la (demanderesse) écrivait :
'Là je ne suis plus d'accord ; que l'ouvrier travaille pour un autre employeur n'est pas mon problème, mais que, pour la deuxième fois, se met sur maladie alors qu'il est blessé chez un autre, ça je ne tolère plus ; il en avait été averti, c'est tout bonnement une escroquerie ; d'où l'ouvrier avait le choix ...
soit il perdait ses jours de salaire garanti, allait au service social expliquer son cas et prenait une assurance individuelle accident, ou la deuxième solution, licenciement, pour motif grave (tentative d'escroquerie) avec effet de non-concurrence' ;
Le 19 février 2001, le gérant de la (demanderesse) écrivait à son avocat (lettre déposée au dossier de (celle-ci)) :
'Ce n'est pas parce que l'ouvrier travaille au noir que j'aurais donné son préavis pour faute grave ;
le fait de faire passer cela comme maladie, là je ne suis pas d'accord' ;
L'ensemble du dossier (correspondance de la (demanderesse) notamment) et des conclusions prises par la (demanderesse) devant les premiers juges et en appel permet de constater que le véritable motif pour lequel la (demanderesse) a licencié (le défendeur) n'est pas le prétendu travail en noir effectué pour un tiers mais bien son refus de renoncer au salaire garanti ;
Il a été exposé ci-dessus qu'en demandant le paiement de son salaire garanti, (le défendeur) réclamait l'exécution par la (demanderesse) de ses obligations légales ;
Le licenciement apparaît donc avoir été notifié en représailles à une revendication légitime ;
Il est abusif puisqu'il n'est pas fondé sur l'un des motifs visés à l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 ".
Griefs
Aux termes de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, est considéré comme abusif, pour l'application de cet article, le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.
Ainsi n'est pas abusif le licenciement effectué pour des motifs qui concernent le comportement de l'ouvrier.
Il n'est pas requis que ce comportement soit fautif.
Il appartient aux tribunaux du travail, saisis d'une demande en paiement d'une indemnité pour licenciement abusif, d'apprécier comme motif de licenciement le fait invoqué par l'employeur, tel que la revendication du travailleur à obtenir un avantage, fût-il légal, accompagné de toutes les circonstances invoquées par l'employeur et qui sont de nature à accorder à ce fait un caractère particulier.
Première branche
L'arrêt décide que " l'ensemble du dossier (correspondance de la (demanderesse) notamment) et des conclusions prises par la (demanderesse) devant les premiers juges et en appel permet de constater que le véritable motif pour lequel la (demanderesse) a licencié (le défendeur) n'est pas le prétendu travail en noir effectué pour un tiers, mais bien son refus de renoncer au salaire garanti ".
Conformément à l'article 149 de la Constitution, les tribunaux sont tenus de répondre à tous les moyens de défense pertinents, régulièrement soulevés devant eux par les parties.
Conformément aux articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil, le juge est tenu de respecter la foi due aux actes, de sorte qu'il ne peut décider qu'un acte contient une affirmation qui ne s'y trouve pas ou ne contient pas une affirmation qui y figure.
Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse avait allégué :
" Il n'a pas à travailler pour d'autres personnes que pour son employeur, de surcroît en noir, sans registre de commerce, sans assurance et en faisant supporter à son employeur les risques qu'il prend en travaillant chez d'autres ;
(...) Le fait de prester pour d'autres employeurs, en noir, durant le week-end et de faire supporter les conséquences des accidents survenus durant cette période de travail non régulière à l'employeur constitue une faute dans le chef de l'ouvrier ;
(...) (Le défendeur) reconnaît que le motif exposé par la (demanderesse) dans sa requête d'appel est le fait 'que le (défendeur) travaillait en noir durant le week-end et faisait supporter les coûts à l'entreprise' ;
(...) En réalité, les reproches qui lui ont été faits par la (demanderesse) se rapportent toujours à son comportement inacceptable en tant qu'il (impliquait) nécessairement une concurrence déloyale à l'égard de son employeur ;
(...) Le fait, pour l'entreprise, de devoir supporter le paiement du salaire garanti est un des effets pervers de la faute reprochée, savoir la concurrence (illégale) faite à l'entreprise par l'exercice d'un travail frauduleux et le fait d'en faire supporter les risques par la même entreprise ".
Ainsi, la demanderesse faisait valoir que le motif du licenciement était constitué par le fait que le défendeur réclamait le paiement du salaire garanti à charge de la demanderesse alors que l'incapacité de travail devant donner lieu au paiement de ce salaire garanti avait été causée par des travaux exécutés par le défendeur chez et pour une tierce personne.
Dans la mesure où il décide que le véritable motif pour lequel la demanderesse a licencié le défendeur est son refus de renoncer au salaire garanti, l'arrêt ne répond pas au moyen de défense développé par la demanderesse suivant lequel le motif du licenciement était le fait que le défendeur réclamait le paiement du salaire garanti avec la particularité que l'incapacité de travail donnant droit à ce salaire garanti avait été causée par une lésion qu'il avait encourue lors de l'exécution de travaux pour un tiers et dont, dès lors, il faisait supporter le coût à la demanderesse, et ne motive dès lors pas régulièrement sa décision (violation de l'article 149 de la Constitution). Ce faisant, l'arrêt ne prend pas en considération, lors de l'examen du droit à une indemnité pour licenciement abusif, le fait invoqué par l'employeur, justifiant le licenciement, accompagné de toutes les circonstances invoquées par lui (violation de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail).
Dès lors, l'arrêt n'a pu légalement condamner la demanderesse au paiement d'une indemnité pour licenciement abusif (violation de l'article 63 de ladite loi du 3 juillet 1978).
En outre, en décidant de la sorte, l'arrêt viole la foi due aux actes dont elle fait état, notamment la correspondance de la demanderesse et ses conclusions prises devant les premiers juges et en appel, puisqu'il ressort de ces actes que le motif du licenciement était bien le fait que le défendeur réclamait le paiement du salaire garanti avec la particularité que l'incapacité de travail donnant droit à ce salaire garanti avait été causée par une lésion qu'il avait encourue lors de l'exécution de travaux pour un tiers et que, dès lors, il faisait supporter les coûts à la demanderesse.
La correspondance de la demanderesse dont a fait état la cour du travail mentionne :
" Je vous avais prévenu que je ne paierais plus le salaire garanti en cas d'accident de travail effectué chez un autre employeur " (lettre du 18 février 1997) ;
" Là je ne suis plus d'accord ; que l'ouvrier travaille pour un autre employeur n'est pas mon problème, mais que pour la deuxième fois se met sur maladie alors qu'il est blessé chez un autre, ça je ne tolère plus ; il en avait été averti " (lettre du 17 mars 1997) ;
" Ce n'est pas parce que l'ouvrier travaille en noir que j'aurais donné son préavis pour faute grave ;
le fait de faire passer cela comme maladie, là je ne suis pas d'accord " (lettre du 19 février 2001) ;
Dans ses conclusions prises devant le premier juge, la demanderesse soutenait :
" (...) 'A la suite des travaux effectués, de manière non déclarée et pour son profit personnel, le (défendeur) a eu les genoux brûlés par le ciment de la chape ;
(...) En outre, le (défendeur) estima pouvoir en plus bénéficier du salaire garanti et introduisit un certificat médical ;
(...) Cela entraîna la colère (de la demanderesse) qui ne put admettre de voir l'entreprise désorganisée par le fait d'un ouvrier qui profitait de sa qualité d'ouvrier pour en quelque sorte se reposer d'un travail effectué au noir tout en touchant des indemnités légales ;
(...) La décision prise par (le défendeur) de maintenir son droit au salaire garanti alors que sa maladie était due à un travail frauduleux constitue la faute grave qui a justifié un licenciement sur-le-champ ".
De même, par ses conclusions devant la cour du travail, citées ci-avant et considérées ici comme entièrement reproduites, la demanderesse faisait valoir que le motif du licenciement était constitué par le fait que le défendeur réclamait le paiement du salaire garanti à charge de la demanderesse alors que l'incapacité de travail devant donner lieu au paiement de ce salaire garanti avait été causée par des travaux exécutés par le défendeur chez et pour une tierce personne.
Dans la mesure où il décide qu'il ressort de la correspondance de la demanderesse et de ses conclusions prises devant le premier juge et devant la cour du travail que le véritable motif pour lequel elle a licencié le défendeur est son refus de renoncer au salaire garanti, l'arrêt méconnaît la foi due à ces actes en leur donnant une interprétation inconciliable avec leurs termes et leur portée (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil). Dès lors, l'arrêt ne prend pas en considération, lors de l'examen du droit à une indemnité pour licenciement abusif, le fait invoqué par l'employeur, justifiant le licenciement, accompagné de toutes les circonstances invoquées par lui (violation de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail).
Partant, l'arrêt n'a pu légalement condamner la demanderesse au paiement d'une indemnité pour licenciement abusif (violation de l'article 63 de ladite loi du 3 juillet 1978).
Seconde branche
Il suffit, pour écarter le licenciement abusif au sens de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978, que le motif du licenciement de l'ouvrier se rapporte à son comportement, sans pour autant qu'il soit exigé que ce comportement soit contraire à la loi, voire fautif.
Lorsque l'employeur licencie l'ouvrier pour le motif qu'il refuse de renoncer au salaire garanti dû en cas d'incapacité de travail, il effectue ce licenciement pour un motif qui présente un lien avec le comportement du travailleur. Il en est d'autant plus (ainsi) lorsque l'employeur précise, comme en l'espèce, qu'il reproche à l'ouvrier de vouloir bénéficier du salaire garanti à sa charge pour une incapacité de travail causée par l'exécution de travaux chez un tiers.
L'arrêt, qui considère que le motif pour lequel la demanderesse a licencié le défendeur était son refus de renoncer au salaire garanti, n'a dès lors pu légalement conclure que le motif du licenciement ne présentait pas un lien avec le comportement du travailleur.
Partant, l'arrêt n'a pu légalement condamner la demanderesse au paiement d'une indemnité pour licenciement abusif (violation de l'article 63 de ladite loi du 3 juillet 1978).
La décision de la Cour
Quant à la première branche :
Examinant la réalité du motif grave de licenciement déduit par la demanderesse du refus du défendeur de renoncer à son salaire garanti, l'arrêt, qui rappelle qu'en vertu de l'article 52, ,§ 1er, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, ce salaire est dû en cas d'incapacité de travail résultant d'un accident autre qu'un accident du travail ou qu'un accident survenu sur le chemin du travail, considère que " la (demanderesse) n'établit pas que (le défendeur) a été victime d'un accident du travail qui aurait eu lieu alors (qu'il) travaillait pour un tiers " et qu' " en demandant le paiement (du) salaire garanti, (le défendeur) (a) invit(é) la (demanderesse) à exécuter ses obligations légales ".
Par ces motifs, joints à ceux que reproduit le moyen, par lesquels il décide " que le véritable motif pour lequel la (demanderesse) a licencié (le défendeur) n'est pas le prétendu travail en noir effectué pour un tiers mais bien son refus de renoncer au salaire garanti ", l'arrêt répond aux conclusions de la demanderesse visées au moyen.
En considérant que, dès lors qu'il n'avait pas été victime d'un accident du travail au service d'un tiers, de sorte que le salaire garanti lui était dû, et que, par suite, le véritable motif du licenciement du défendeur était son refus de renoncer à ce salaire, l'arrêt, qui ne dénie pas que la demanderesse avait déduit le caractère fautif de ce refus du fait que le salaire garanti n'aurait pas été dû en raison de l'origine de l'incapacité de travail pour lequel il était réclamé, ne donne ni des lettres de la demanderesse des 18 février, 17 mars 1997 et 19 février 2001 ni des conclusions de celle-ci une interprétation inconciliable avec leurs termes et ne viole partant pas la foi due à ces actes.
Pour le surplus, la violation prétendue de l'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 est exclusivement déduite de celle, vainement alléguée, des autres dispositions visées au moyen, en cette branche.
Quant à la seconde branche :
L'arrêt, qui, ainsi qu'il a été dit, tient pour le véritable motif du licenciement du défendeur son " refus de renoncer au salaire garanti ", considère " qu'en demandant le paiement de (ce) salaire ", le défendeur n'a fait
qu' " invite(r) la (demanderesse) à exécuter ses obligations légales " ou " réclame(r) l'exécution par (celle-ci) de (ces) obligations " et que " le licenciement apparaît donc avoir été notifié en représailles à une revendication légitime ".
Sur la base de ces énonciations, l'arrêt a pu légalement décider que le licenciement du défendeur n'avait aucun lien avec sa conduite.
En aucune de ses branches, le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme taxés à la somme de cent quatre-vingt-huit euros cinq centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Philippe Echement, les conseillers Christian Storck, Daniel Plas, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du vingt-six juin deux mille six par le président de section Philippe Echement, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.