Cour constitutionnelle (Cour d'Arbitrage): Arrêt du 8 mars 2012 (Belgique). RG 43/2012

Datum :
08-03-2012
Taal :
Duits Frans Nederlands
Grootte :
4 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20120308-1
Rolnummer :
43/2012

Samenvatting :

La Cour dit pour droit : L'article 1022 du Code judiciaire, avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 février 2010, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une indemnité de procédure peut être mise à charge de la Région flamande lorsque l'inspecteur urbaniste succombe en son action en réparation intentée devant le tribunal civil sur la base de l'article 6.1.43 du Code flamand de l'aménagement du territoire.

Arrest :

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La Cour constitutionnelle,

composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 25 novembre 2011 en cause de l'inspecteur urbaniste régional compétent pour le territoire de la province de Flandre orientale contre Didier Heyndrickx, Wilfried Heyndrickx, Philippe Heyndrickx et Jessy Cordemans, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 décembre 2011, le Tribunal de première instance de Termonde a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 1022 du Code judiciaire (avant sa modification par la loi du 21 février 2010) viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le juge civil peut, en vertu de cet article, imposer une indemnité de procédure à la Région flamande, procédant ou agissant au nom de l'intérêt général, alors que, conformément à l'article 162bis du Code d'instruction criminelle, cette possibilité ne s'offre pas au juge pénal ? ».

Le 21 décembre 2011, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs L. Lavrysen et J. Spreutels ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate.

(...)

III. En droit

(...)

B.1. L'article 1022 du Code judiciaire disposait, avant sa modification par la loi du 21 février 2010 :

« L'indemnité de procédure est une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause.

Après avoir pris l'avis de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et de l'Orde van Vlaamse Balies, le Roi établit par arrêté délibéré en Conseil des ministres, les montants de base, minima et maxima de l'indemnité de procédure, en fonction notamment de la nature de l'affaire et de l'importance du litige.

A la demande d'une des parties, éventuellement formulée sur interpellation par le juge, celui-ci peut, par décision spécialement motivée, soit réduire l'indemnité soit l'augmenter, sans pour autant dépasser les montants maxima et minima prévus par le Roi. Dans son appréciation, le juge tient compte :

- de la capacité financière de la partie succombante, pour diminuer le montant de l'indemnité;

- de la complexité de l'affaire;

- des indemnités contractuelles convenues pour la partie qui obtient gain de cause;

- du caractère manifestement déraisonnable de la situation.

Si la partie succombante bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne, l'indemnité de procédure est fixée au minimum établi par le Roi, sauf en cas de situation manifestement déraisonnable. Le juge motive spécialement sa décision sur ce point.

Lorsque plusieurs parties bénéficient de l'indemnité de procédure à charge d'une même partie succombante, son montant est au maximum le double de l'indemnité de procédure maximale à laquelle peut prétendre le bénéficiaire qui est fondé à réclamer l'indemnité la plus élevée. Elle est répartie entre les parties par le juge.

Aucune partie ne peut être tenue au paiement d'une indemnité pour l'intervention de l'avocat d'une autre partie au-delà du montant de l'indemnité de procédure ».

B.2. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une indemnité de procédure peut être imposée à la Région flamande et plus précisément, ainsi qu'il ressort des données de l'affaire, lorsque l'inspecteur urbaniste succombe dans son action en réparation intentée devant le tribunal civil, sur pied de l'article 6.1.43 du Code flamand de l'aménagement du territoire.

Le juge a quo compare cette situation à celle qui découle de l'article 162bis du Code d'instruction criminelle.

B.3. L'article 162bis du Code d'instruction criminelle avant sa modification par la loi du 21 février 2010, disposait :

« Tout jugement de condamnation rendu contre le prévenu et les personnes civilement responsables de l'infraction les condamnera envers la partie civile à l'indemnité de procédure visée à l'article 1022 du Code judiciaire.

La partie civile qui aura lancé une citation directe et qui succombera sera condamnée envers le prévenu à l'indemnité visée à l'article 1022 du Code judiciaire. L'indemnité sera liquidée par le jugement ».

Il découle de cette disposition qu'aucune indemnité de procédure ne peut être exigée de la part de l'Etat belge lorsque le ministère public intente une action publique se soldant par un non-lieu ou un acquittement. Il en découle également qu'aucune indemnité de procédure ne peut être exigée de la part de la Région flamande lorsque, dans le cadre de la procédure pénale précitée, une action en réparation a été intentée par l'inspecteur urbaniste.

B.4. Selon le Conseil des ministres, l'intervention de l'inspecteur urbaniste devant le juge civil ne peut être comparée à l'intervention du même inspecteur devant le juge pénal. Dans la première hypothèse, l'inspecteur urbaniste intente son action en réparation par voie de citation, ce qui implique qu'il devient partie au procès. Dans la seconde hypothèse, il intente son action en réparation par pli ordinaire adressé au parquet, ce qui impliquerait qu'il n'est pas partie à la cause.

Il faut cependant ne pas confondre différence et non-comparabilité. Le mode d'introduction différent d'une action peut certes constituer un élément dans l'appréciation d'une différence de traitement, mais il ne suffit pas pour conclure à la non-comparabilité, sous peine de priver de sa substance le contrôle qui est exercé au regard du principe d'égalité et de non-discrimination.

Il faut par ailleurs déduire de la motivation du jugement de renvoi que l'intervention de l'inspecteur urbaniste devant le juge civil ne doit pas simplement être comparée à son intervention devant le juge pénal, mais à l'intervention devant le juge pénal en général, donc en premier lieu à l'intervention du ministère public. Le statut différent des inspecteurs urbanistes et des membres du ministère public ne peut pas davantage suffire pour conclure à la non-comparabilité.

B.5. Dans son arrêt n° 182/2008 du 18 décembre 2008 concernant les recours en annulation de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais liés à l'assistance d'un avocat, la Cour a jugé que les différences fondamentales entre le ministère public et la partie civile peuvent justifier la non-application, à charge de l'Etat, du système d'indemnisation forfaitaire prévu par la loi du 21 avril 2007. En traitant différemment le ministère public et la partie civile, le législateur n'a donc pas méconnu le principe d'égalité et de non-discrimination.

B.6. Dans son arrêt n° 83/2011 du 18 mai 2011, la Cour a répondu, dans le cadre d'une question préjudicielle, que l'article 1022 du Code judiciaire, avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 février 2010, violait les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une indemnité de procédure pouvait être mise à charge de l'Etat belge lorsque l'auditorat du travail succombait dans son action intentée sur pied de l'article 138bis, § 2, du Code judiciaire.

La Cour considérait en effet que le principe d'égalité et de non-discrimination exige que ces actions, qui sont intentées par un organe public au nom de l'intérêt général et en toute indépendance, soient traitées de la même manière que les actions pénales.

B.7. La loi du 21 février 2010 « modifiant les articles 1022 du Code judiciaire et 162bis du Code d'instruction criminelle et abrogeant l'article 6 de la loi du 2 août 2002 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales » a inséré dans l'article 1022 du Code judiciaire un alinéa 8 qui dispose :

« Aucune indemnité n'est due à charge de l'Etat :

1° lorsque le ministère public intervient par voie d'action dans les procédures civiles conformément à l'article 138bis, § 1er;

2° lorsque l'auditorat du travail intente une action devant les juridictions du travail conformément à l'article 138bis, § 2 ».

En vertu de l'article 6 de la loi du 21 février 2010, cette nouvelle disposition entrera en vigueur à une date que le Roi fixera.

Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que le législateur a voulu corriger une série d'imperfections de la loi du 21 avril 2007 précitée qui sont sources d'injustices (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2313/004, p. 4) et qu'il a voulu tenir compte de l'arrêt n° 182/2008 précité. Il a notamment prévu deux exonérations nouvelles « [a]fin de permettre au ministère public, qui défend l'intérêt général, d'exercer son action en toute indépendance sans tenir compte du risque financier lié au procès » (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2313/001, p. 6).

B.8. L'action en réparation qui est en cause dans la présente affaire est intentée par l'inspecteur urbaniste dans l'intérêt général, en vue de garantir le bon aménagement du territoire.

Si les membres du ministère public sont des magistrats de l'ordre judiciaire, les inspecteurs urbanistes sont en revanche des fonctionnaires qui relèvent du pouvoir exécutif, comme l'observe à juste titre le Conseil des ministres. Les travaux préparatoires de l'article 151 de la Constitution, qui garantit l'indépendance du ministère public dans l'exercice des recherches et poursuites individuelles, indiquent cependant :

« [...] le ministère public est indépendant lorsqu'il intente l'action pénale et, partant, lorsqu'il poursuit des délits, même si le ministère public n'exerce en l'occurrence [...] pas une fonction de juge mais plutôt une fonction de pouvoir exécutif et qu'il relève ainsi de l'autorité et du contrôle du ministre de la Justice. C'est la raison pour laquelle le paragraphe premier réfère à la possibilité pour le ministre de la Justice d'ordonner les poursuites pénales (article 274 Code d'instruction criminelle : le droit d'injonction positif), ainsi qu'à la compétence du ministre de la Justice d'arrêter les directives de la politique criminelle, en ce compris en matière de politique de recherche et de poursuite » (Doc. Parl., Chambre, 1997-1998, n° 1675/1, p. 4).

Le statut différent des inspecteurs urbanistes et des membres du ministère public ne peut dès lors suffire pour justifier la différence de traitement en cause.

Tout comme les membres du ministère public, les inspecteurs urbanistes doivent pouvoir exercer leur action en toute indépendance, sans tenir compte du risque financier lié au procès.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit :

L'article 1022 du Code judiciaire, avant l'entrée en vigueur de la loi du 21 février 2010, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une indemnité de procédure peut être mise à charge de la Région flamande lorsque l'inspecteur urbaniste succombe en son action en réparation intentée devant le tribunal civil sur la base de l'article 6.1.43 du Code flamand de l'aménagement du territoire.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 8 mars 2012.

Le greffier,

P.-Y. Dutilleux.

Le président,

M. Bossuyt.