Cour de cassation: Arrêt du 4 mai 2012 (Belgique). RG C.09.0519.F

Datum :
04-05-2012
Taal :
Frans Nederlands
Grootte :
12 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20120504-1
Rolnummer :
C.09.0519.F

Samenvatting :

La moins-value qui affecte les immeubles et les machines et installations incorporées à des immeubles est comprise dans le dommage dont le décret de la Région wallonne du 11 octobre 1985 organise un régime spécifique de réparation.

Arrest :

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N° C.09.0519.F

INTERCOMMUNALE TUSSENGEMEENTELIJKE MAATSCHAPPIJ DER VLAANDEREN VOOR WATERVOORZIENING, société coopérative dont le siège social est établi à Gand, Stropkaai, 14,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Paul Lefèbvre, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

1. A. B. et

2. F. T.,

3. RÉGION WALLONNE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre de l'Agriculture, de la Ruralité, de l'Environnement et du Tourisme, dont le cabinet est établi à Namur, chaussée de Louvain, 2,

défendeurs en cassation,

représentés par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 36, où il est fait élection de domicile.

La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 19 mars 2009 par le tribunal de première instance de Mons, statuant en degré d'appel.

Le conseiller Didier Batselé a fait rapport.

L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

Les moyens de cassation

La demanderesse présente trois moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

- articles 1382 et 1383 du Code civil ;

- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense ;

- principe dispositif.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué déboute la demanderesse de son appel et confirme ainsi le jugement entrepris en vertu duquel la demanderesse est tenue pour responsable des dommages subis par les deux premiers défendeurs, [par les] motifs suivants :

« L'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 organisant la réparation des dommages provoqués par des prises et des pompages d'eau souterraine est libellé comme suit :

‘L'exploitant d'une prise d'eau souterraine et le maître de l'ouvrage des travaux publics ou privés qui provoquent, par leur activité, l'abaissement de la nappe aquifère souterraine sont objectivement responsables :

a) des dommages de surface qui en résultent pour les immeubles et pour les machines et installations incorporées à des immeubles ;

b) des préjudices causés par non-occupation ou non-utilisation des immeubles sinistrés, lorsque la non-occupation et la non-utilisation ont pour cause les dégâts qui résultent de l'abaissement de la nappe aquifère ;

c) des frais de relogement et de déménagement des occupants des immeubles sinistrés.

Tout dommage visé à l'alinéa 1er est présumé être causé par un abaissement de la nappe aquifère provoqué par l'activité de l'exploitant d'une prise d'eau souterraine ou du maître de l'ouvrage de travaux publics ou privés, à moins que ceux-ci ne prouvent, soit que leur activité n'a pas provoqué l'abaissement de la nappe aquifère souterraine, soit que les dommages ne résultent pas de celui-ci'.

Le décret de 1985 introduit une double présomption de lien causal entre le dommage [visé par la loi sous les litterae a) à c)], l'abaissement du niveau de la nappe aquifère et les prises d'eau : jusqu'à preuve du contraire, sont présumés le lien de causalité entre les pompages litigieux et l'abaissement de la nappe aquifère, et le lien de causalité entre le dommage allégué et l'abaissement de la nappe aquifère.

L'affaire dite des ‘Cartonneries de Thulin' a donné à la jurisprudence l'occasion de définir l'exacte portée du décret du 11 octobre 1985, puisque [le] tribunal, autrement composé, y a décidé que ‘le décret dispose que le dommage est présumé être causé par un abaissement de la nappe aquifère provoqué par l'activité de l'exploitant d'une prise d'eau souterraine, à moins que celui-ci ne prouve que, soit son activité n'a pas provoqué l'abaissement de la nappe aquifère souterraine, soit les dommages ne résultent pas de celui-ci' (Civ. Mons, 26 septembre 1996, R.G. n° 91 941).

Pour échapper à la présomption de responsabilité qui pèse sur lui en vertu du décret, l'auteur d'un pompage d'eau souterraine doit donc prouver, soit que son activité n'a pas provoqué l'abaissement de la nappe aquifère, soit que les dommages ne résultent pas de l'abaissement de la nappe aquifère.

Il convient également de rappeler que l'article 1er, § 2, du décret du 11 octobre 1985 instaure une solidarité entre les responsables de l'abaissement de la nappe aquifère de sorte que, si deux ou plusieurs faits de pompage d'eau s'avèrent être en relation causale avec l'entièreté du dommage, chacun des preneurs ou pompeurs sera tenu à la réparation intégrale de celui-ci.

Le fait de pompage est, par contre, sans lien causal avec le dommage s'il est établi que, sans lui, le dommage se serait produit tel qu'il s'est réalisé in concreto.

En l'espèce, il y a lieu d'observer que les premiers dommages sont apparus dès 1982.

Les experts judiciaires ont conclu que, de 1964 à 1980, ‘l'ensemble des pompages dans la nappe de la craie et dans celle du landenien, durant cette période, est à l'origine de la baisse généralisée et continue de ces nappes avec pour conséquence un rabattement de la nappe des alluvions'.

Les experts ont précisé que, pour la période de 1980 à 1985, ‘les pompages de la [demanderesse] et les pompages durant les travaux de la dérivation ont provoqué une baisse du niveau des nappes du landenien et des alluvions avec des conséquences sur l'équilibre des couches de tourbe quand elles ont été dénoyées'.

Les experts relèvent que :

‘En résumé, entre 1964 et fin 1984, la nappe de craie a été exploitée à son plus haut régime. La baisse continue de 1969 à 1974 résulte d'une surexploitation liée à l'ensemble des pompages, y compris ceux de l'exhaure minière et des travaux d'hydraulique.

La baisse a été renforcée par la faiblesse générale de la réalimentation de 1971 à 1973 et de 1976 à 1977. Entre 1970 et 1980, la nappe des alluvions a obligatoirement fluctué en relation avec les pressions de celle du landenien sous-jacent qui ont été, elles-mêmes, très fortement diminuées sur une très longue durée (plus de dix années). Un dénoyage des alluvions elles-mêmes est observé en 1972 et en 1973. En conséquence, l'ensemble des pompages dans la nappe de la craie et dans celle du landenien, durant cette période, est à l'origine de la baisse généralisée et continue de ces nappes avec pour conséquence un rabattement de la nappe des alluvions. Les variations de niveau de la nappe des alluvions sont nettement accentuées par rapport à une situation sans pompages, ce qui a dû provoquer le dénoyage des couches de tourbe. Ce dénoyage n'a cependant pas été continu, les périodes de réalimentation naturelle directe assurant un maintien périodique de leur humidité, du moins à une certaine distance des exutoires superficiels'.

Il est donc établi, sans d'ailleurs que ce soit contesté par [la demanderesse], que les pompages réalisés par celle-ci entre 1964 et 1985 ont déséquilibré les couches de tourbe et entraîné des dommages en surface.

[La demanderesse] tente, par contre, de soustraire sa responsabilité pour la période s'étendant de 1986 à 1991 et de 1999 à 2001 au motif que les experts ont indiqué que les pompages de la [demanderesse] n'ont eu, durant ces périodes, aucune influence sur le niveau de la nappe des alluvions.

Certes, les experts ont observé qu'‘à partir de 1982, après la fin des travaux [du contournement de l'échangeur d'Hautrage et du tronçon Hautrage - Tertre], les débits induits par le niveau hydraulique de la dérivation ont provoqué un rabattement permanent de la nappe des alluvions tandis que les pompages de la [demanderesse] n'ont eu aucune influence sur le niveau de cette nappe durant les périodes s'étendant de 1986 à 1991 et de 1999 à 2001. Durant ces périodes, la [demanderesse] a pompé plus de 5.700 m3 par jour. Les débits pompés au puits P15 sont sans influence au niveau des terres [des deux premiers défendeurs], il faut donc les retirer du total. Dans ce cas, lorsque les débits pompés par la [demanderesse] ont dépassé 4.250 m3 par jour, ils ont eu leur part d'influence sur le niveau de la nappe superficielle avec ses conséquences sur la tourbe en p.c. par rapport au débit total. Lorsque les débits (hors P15) ont été inférieurs à 4.250 m3 par jour, la part d'influence de la [demanderesse] est de zéro p.c. En 1982, la construction du tronçon Hautrage - Tertre a occasionné un pompage moyen de 3.120 m3 par jour, soit 20 p.c. du débit pompé total. À la suite, le débit de la nappe des alluvions est estimé à partir de l'infiltration efficace moyenne interannuelle (322mm par an) dans les alluvions concernées au sud de la dérivation, soit +/- 4 km2. Le débit moyen est ainsi évalué à 1.288.000 m par an ou 3.529 m3 par jour. À partir de 1983, le drainage des alluvions par le réseau hydrographique est seul responsable (100 p.c.) de l'évolution de la nappe superficielle durant les périodes où la [demanderesse] est hors de cause'.

Les experts ont également exposé que les renseignements sur les puits de la [demanderesse] (...) montrent que les puits P2 à P11 sont crépinés dans la base du landenien et que le tableau des débits pompés mensuellement montre que les puits P2 à P4 ‘ont été arrêtés à partir de mars 1985'.

On lit cependant dans le rapport, pour la période de 1985 à 2001 : ‘en conséquence, durant cette période, l'infrastructure existante du réseau hydrographique a eu en permanence une influence sur le niveau de la nappe des alluvions, avec les conséquences qui en résultent sur cette nappe et sur l'équilibre des tourbes. Les débits pompés par la [demanderesse] ont provoqué un rabattement dans la nappe du landenien et corollairement dans celle des alluvions lorsqu'ils ont dépassé 5.700 m3 par jour. P15 n'ayant pas d'influence au niveau des terres concernées, seuls les débits de P1 et P2 (3.600 m3 par jour) sont à prendre en considération'.

En tout état de cause, à considérer même que, durant les périodes de 1986 à 1991 et 1999 à 2001, les pompages de [la demanderesse] n'auraient pas influencé la nappe des alluvions, il n'en reste pas moins que les importants pompages réalisés précédemment, en particulier par [la demanderesse], durant de nombreuses années, ont provoqué un dénoyage et l'assèchement des tourbes, et en ont modifié la structure et le comportement.

Cette situation doit être considérée comme ‘irréversible'.

Monsieur P. expose clairement que ‘le rétablissement supposé des conditions hydrologiques préexistantes et la remontée du sommet de la nappe n'ont pas permis aux tourbes de retrouver leurs propriétés hydrologiques initiales et leurs capacités d'emmagasinement. Il en résulte que, même pendant les années durant lesquelles la responsabilité de la [demanderesse] ne serait pas engagée directement du fait des pompages, les prairies ont continué de souffrir plus rapidement de la sécheresse, et leur rendement s'en est ressenti, en cas de déficit pluviométrique (car le potentiel d'alimentation par remontées capillaires au départ des tourbes sous-jacentes est diminué)'.

Cette constatation n'est pas sérieusement contredite par [la demanderesse].

C'est dès lors à tort que [la demanderesse] soutient que l'évolution du dommage entre 1986 et 1991 et entre 1999 et 2001 ne pourrait lui être imputée, cette évolution résultant aussi d'une situation antérieure dont elle porte une part importante de la responsabilité ».

Griefs

En vertu de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985, « l'exploitant d'une prise d'eau souterraine et le maître de l'ouvrage des travaux publics ou privés qui provoquent, par leur activité, l'abaissement de la nappe aquifère souterraine, sont objectivement responsables :

a) des dommages de surface qui en résultent pour les immeubles et pour les machines et installations incorporées à des immeubles ;

b) des préjudices causés par non-occupation ou non-utilisation des immeubles sinistrés, lorsque la non-occupation et la non-utilisation ont pour causes les dégâts qui résultent de l'abaissement de la nappe aquifère ;

c) des frais de relogement et de déménagement des occupants des immeubles sinistrés ».

Cet article entraîne la responsabilité de l'exploitant dès lors que (i) son activité de prise d'eau cause (ii) un abaissement de la nappe aquifère souterraine et (iii) que la preuve de l'existence de dommages visés par les points a), b) et c) de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 est apportée par celui qui réclame des dommages et intérêts.

La seule possibilité pour l'exploitant d'échapper à sa responsabilité est de prouver, soit (i) que son activité n'a pas provoqué l'abaissement de la nappe aquifère souterraine, soit (ii) que les dommages visés par les points a), b) et c) de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 ne résultent pas de cet abaissement.

L'existence d'une faute de l'exploitant n'est pas requise ni, d'ailleurs, l'existence d'un lien causal entre la prise d'eau et les dommages susvisés.

Pour retenir la responsabilité objective de la demanderesse sur la base de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985, le jugement attaqué devait, partant, se borner à constater l'existence de prises d'eau par la demanderesse, un abaissement de la nappe aquifère souterraine et l'existence de dommages réclamés par les deux premiers défendeurs ainsi que l'absence de preuve par la demanderesse que son activité n'a pas provoqué l'abaissement de la nappe aquifère souterraine et de lien causal entre ces abaissements et les dommages réclamés.

L'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 n'exclut pas, en tant que tel, l'application des articles 1382 et 1383 du Code civil pour autant que les parties n'en aient point exclu l'application et que le juge constate que les conditions légales desdits articles, c'est-à-dire l'existence d'une faute ou d'une négligence, d'un dommage et d'un lien causal entre les deux, sont présentes.

Au cas où le juge estime devoir faire application d'autres dispositions légales que celles qui sont invoquées par les parties, il doit, au préalable, prononcer une réouverture des débats afin de leur permettre de faire valoir leur points de vue respectifs, faute de quoi il violerait le principe général du droit qui impose le respect des droits de la défense ainsi que le principe dispositif.

Or, le jugement attaqué constate « qu'il est donc établi, sans d'ailleurs que ce soit contesté par [la demanderesse], que les pompages réalisés par celle-ci entre 1964 et 1985 ont déséquilibré les couches de tourbe et entraîné des dommages en surface ».

Ce faisant, le jugement attaqué constate un lien causal direct entre, d'une part, les prises d'eau réalisées par la demanderesse et, d'autre part, les dommages subis par les premiers défendeurs, et n'applique pas la responsabilité objective reprise à l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 mais bien celle des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Aucune des parties n'avait, toutefois, soulevé les articles 1382 et 1383 du Code civil et elles avaient, au contraire, exclusivement fait application dans le cadre du litige de la responsabilité objective de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985.

En outre, le jugement attaqué retient la responsabilité de la demanderesse sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil sans, pour autant, constater une faute ou une négligence de la demanderesse.

En retenant la responsabilité de la demanderesse sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, sans prononcer la réouverture des débats, le jugement attaqué méconnaît le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense ainsi que le principe dispositif.

En retenant la responsabilité de la demanderesse sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil sans constater une faute ou une négligence de la demanderesse, le jugement attaqué viole les articles 1382 et 1383 du Code civil.

Deuxième moyen

Dispositions légales violées

- article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955 ;

- articles 1315, 1382 et 1383 du Code civil ;

- article 870 du Code judiciaire ;

- article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 avant son abrogation par l'article 2, 6°, du décret du 27 mai 2004 relatif au livre II du Code de l'environnement constituant le Code de l'eau ;

- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué déboute la demanderesse de son appel et confirme le jugement entrepris en vertu duquel la demanderesse est condamnée à payer aux premiers défendeurs la somme de 65.137 euros à titre de moins-value sur les prairies, à augmenter des intérêts moratoires à dater du 1er janvier 1992 (date moyenne) et des intérêts judiciaires à dater du jour du jugement entrepris, aux motifs suivants :

« [La demanderesse] fait grief aux experts d'avoir opéré le calcul des indemnités relatives à la perte de rendement et à la moins-value des prairies sur la base d'une superficie de 56 hectares 92 ares, alors qu'elle relève que les acquisitions de terres ont été opérées par les [deux premiers défendeurs] de manière progressive ;

Certes, madame B. - S. mentionne, dans son rapport du 23 juillet 2000 [...], qu'en 1979, les [deux premiers défendeurs] ont débuté l'exploitation avec une superficie totale de 18 hectares 85 ares 70 centiares ;

Cette superficie est également reprise au tableau chronologique établi en page 2 des préliminaires [...] ;

Elle constitue cependant bien le point de départ de l'analyse de l'exploitation (laitière) des [deux premiers défendeurs] réalisée par l'expert W., qui précise que le plan de développement prévoyait, pour cette superficie, quarante vaches laitières ;

Diverses méthodes d'estimation des pertes ont en outre été utilisées, et pas seulement celle fondée sur la superficie ;

Ainsi, à titre d'exemple, le calcul de la perte par référence au surcroît par litre de lait produit engendre un résultat de 26.370.389 francs (653.704,87 euros) pour les années 1983 à 1999, montant nettement supérieur à l'indemnité moyenne retenue par les experts et le premier juge ;

Le calcul par estimation de la perte de production des prairies a, selon les dires de l'expert W., été expliqué à la réunion du 22 décembre 2003, sans que cela suscite de remarque de [la demanderesse] ;

Il ressort par ailleurs des annotations portées sur les tableaux annexés aux préliminaires que les modifications de superficies ont été prises en compte, année par année ;

L'estimation de la moins-value des terres a été réalisée par la méthode comparative explicitée en pages 18 et 19 des conclusions du rapport d'expertise ;

Cette méthode n'est nullement critiquable ;

La dévaluation porte bien sur l'ensemble des terres appartenant aux [deux premiers défendeurs], quelle que soit leur date, et leur prix d'acquisition ;

Les protestations de [la demanderesse] sur le mode de calcul des indemnités pour perte de rendement et moins-value des prairies sont dès lors non seulement tardives, mais également dénuées de fondement ;

Les sommes de 274.180 euros pour la perte de rendement et de 65.137 euros pour la moins-value des prairies sont parfaitement justifiées ».

Griefs

Première branche

Les dommages qui viennent en compte pour être indemnisés sur la base de la responsabilité objective de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 sont :

a) des dommages de surface qui en résultent pour les immeubles et pour les machines et installations incorporées à des immeubles ;

b) des préjudices causés par non-occupation ou non-utilisation des immeubles sinistrés, lorsque la non-occupation et la non-utilisation ont pour causes les dégâts qui résultent de l'abaissement de la nappe aquifère ;

c) des frais de relogement et de déménagement des occupants des immeubles sinistrés.

Les dommages, préjudices et frais indemnisables sans la preuve d'une faute commise par l'exploitant ni de lien causal direct entre les prises d'eau et les dommages subis sont énumérés de façon limitative par l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985.

Ces dommages ne comprennent pas les moins-values qui, partant, ne peuvent être indemnisées que sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour autant, bien entendu, que leurs conditions d'application soient réunies.

Or, le jugement attaqué, en confirmant le jugement entrepris, octroie aux premiers défendeurs une somme de 65.137 euros à titre de moins-value sur les prairies, à augmenter des intérêts moratoires à dater du 1er janvier 1992 (date moyenne) et des intérêts judiciaires à dater du jour du jugement entrepris.

Si, néanmoins, le jugement attaqué doit être interprété en ce sens qu'il applique les principes de la responsabilité objective de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 et non ceux des articles 1382 et 1383 du Code civil, il octroie des dommages non prévus par ledit article et en viole, ainsi, la portée (violation de l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985).

Deuxième branche

Un dommage subi pour cause de moins-value implique nécessairement une comparaison entre la valeur d'acquisition ou historique, d'une part, et la valeur influencée par l'activité objectivement ou subjectivement génératrice de responsabilité.

Les deux premiers défendeurs réclament des dommages tant pour la perte de rendement que pour la moins-value que leurs prairies subissent suite aux prises d'eau.

La demanderesse répond que (i) les prairies ont été acquises progressivement par les deux premiers défendeurs pendant les périodes litigieuses de prises d'eau, suite à quoi tant les pertes de rendement que les moins-values doivent être prises en compte année par année au fil des acquisitions, et que (ii) les moins-values subies par les prairies ne peuvent être évaluées qu'en comparant le prix d'acquisition des prairies à leur valeur actuelle.

En vue de pouvoir se défendre sur ce point, la demanderesse avait d'ailleurs demandé la production par les deux premiers défendeurs des actes d'achat des prairies : une moins-value subie sur une prairie ne peut, en effet, être établie qu'en comparant son prix d'achat à son prix actuel.

Or, le jugement attaqué se réfère, s'agissant tant du moyen tiré de l'acquisition progressive des terres appartenant aux premiers défendeurs que du moyen fondé sur la moins-value des prairies et sur la nécessaire comparaison, en vue d'évaluer la moins-value subie, entre la valeur historique des prairies et la valeur grevée des suites de l'activité visée, à la méthode comparative utilisée dans les conclusions du rapport d'expertise, aux pages 18 et 19.

Cette méthode ne constitue, toutefois, qu'une réponse au moyen fondé sur la circonstance que les prairies ont été acquises progressivement par les deux premiers défendeurs pendant les périodes litigieuses de prises d'eau, comme en témoigne le motif suivant du jugement attaqué : « la dévaluation porte bien sur l'ensemble des terres appartenant aux [deux premiers défendeurs], quelle que soit leur date, et leur prix d'acquisition ».

Quelle que soit la portée du jugement attaqué par rapport au type de responsabilité retenue, en se bornant à renvoyer aux pages 18 et 19 du rapport d'expertise, qui ne prend en compte que le moyen tiré de l'acquisition progressive des terres par les deux premiers défendeurs, le jugement attaqué ne répond pas au moyen soutenant qu'une moins-value ne peut être déterminée qu'en comparant la valeur d'acquisition à celle qui est grevée par l'activité de prise d'eau et n'est, partant, pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

En retenant l'existence d'une moins-value sur les prairies appartenant aux premiers défendeurs sans comparer la valeur d'acquisition de celles-ci avec la valeur grevée de l'activité de prise d'eau, le jugement attaqué viole les termes dommages, préjudices et frais dont question à l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 ainsi que le terme dommage repris aux articles 1382 et 1383 du Code civil.

Troisième branche

En règle, la charge de la preuve repose sur celui qui réclame l'exécution d'une obligation (article 1315 du Code civil) et allègue des faits (article 870 du Code judiciaire).

L'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 ne déroge pas à ces principes : la charge de la preuve de l'existence des dommages, préjudices et frais dont question à l'article 1er, § 1er, du décret du 11 octobre 1985 et des dommages visés aux articles 1382 et 1383 du Code civil repose en conséquence sur celui qui les allègue, en l'espèce les deux premiers défendeurs.

En vertu de l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, toute partie a le droit de contester devant le juge les moyens et prétentions de la partie adverse, fussent-ils fondés sur un rapport d'expertise.

La circonstance qu'une partie n'a fait part d'aucune observation à l'expert n'a pas pour conséquence de la priver ultérieurement du droit de soumettre à l'application des juges ses griefs concernant le rapport d'expertise.

Or, le jugement attaqué énonce que « les protestations de [la demanderesse] sur le mode de calcul des indemnités pour perte de rendement et moins-value des prairies sont dès lors non seulement tardives, mais également dénuées de fondement ».

En reprochant à la demanderesse de fonder ses protestations sur le mode de calcul des indemnités pour perte de rendement et moins-value des prairies, le jugement attaqué renverse la charge de la preuve et viole, partant, les articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire.

En reprochant à la demanderesse de formuler de façon tardive ses protestations sur le mode de calcul des indemnités pour perte de rendement et moins-value des prairies, le jugement attaqué viole l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et méconnaît le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Troisième moyen

Dispositions légales violées

- article 144 de la Constitution ;

- articles 17 et 18 du Code judiciaire ;

- articles 149 et 150 du décret du 18 décembre 2008 contenant le budget général des dépenses de la Région wallonne pour l'année budgétaire 2009.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué déboute la demanderesse de son appel et confirme le jugement entrepris en vertu duquel la demanderesse est condamnée à payer à la seconde défenderesse la somme de 115.614,51 euros à augmenter des intérêts moratoires à dater du 28 décembre 1993 et des intérêts judiciaires à dater du jour du jugement entrepris, aux motifs suivants :

« En ce qui concerne, enfin, la demande [de la troisième défenderesse], la seule critique véritable de [la demanderesse] concerne une somme de 1.160.565 francs correspondant à l'achat de nouvelles machines agricoles, qui, selon elle, serait sans relation causale avec les pompages incriminés ;

Contrairement à ce que soutient [la demanderesse], l'achat de matériel agricole est en relation causale avec le sinistre résultant des pompages ;

En page 15 de leurs conclusions, les experts soulignent les difficultés d'exploitation suscitées par la casse du matériel agricole et des coûts d'exploitation plus élevés que la normale ;

Pour l'estimation des pertes [...], les experts renvoient aux chiffres explicites dans les préliminaires II - partie agricole, qui mentionnent explicitement le surcoût résultant d'une plus grande consommation d'outils agricoles ;

En tout état de cause, ainsi que l'observe [la troisième défenderesse], la mission de cette dernière est de consentir une avance en équité sur un dommage à valoir ;

L'expertise a montré que le dommage des [deux premiers défendeurs] était très largement supérieur à l'avance consentie ;

Dans son rapport administratif avec les victimes, le secrétaire du Fonds a voulu que l'avance ne soit liquidée que sur la base de factures, justifiant que l'avance soit investie dans l'exploitation agricole, mais cela n'induit pas que le Fonds ne serait subrogé aux victimes bénéficiaires des avances que dans la mesure où la facture serait représentative à cent p.c. du dommage ;

Par son arrêt du 26 octobre 2007, vanté par [la troisième défenderesse], la Cour de cassation a dit pour droit que ‘le Fonds [d'avances] est, aux termes du paragraphe 3 de [l'article 9 du décret du 11 octobre 1985], subrogé aux droits et actions en justice de la personne lésée jusqu'à concurrence de l'avance liquidée et qu'il suit de ces dispositions que la subrogation du Fonds n'est pas subordonnée qu'à la condition que la personne lésée ait introduit la citation prévue à l'article 3 du décret' ;

Tel est bien le cas en l'espèce ».

Griefs

En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former. L'article 18 du Code judiciaire précise que l'intérêt doit être né et actuel.

Ces articles impliquent que le demandeur doit, en outre, avoir la capacité requise pour ester devant les tribunaux.

Cette capacité implique, pour les personnes morales, que seules les entités disposant de la personnalité morale ont la qualité requise pour ester devant les tribunaux. Elles seules sont détentrices de droits subjectifs dont la violation constitue une condition pour agir devant les cours et tribunaux en vertu de l'article 144 de la Constitution et l'intérêt requis par les articles 17 et 18 du Code judiciaire pour ester en justice.

Le Fonds wallon d'avances fut créé en vertu de l'article 8 du décret du 11 octobre 1985, qui précise que celui-ci dispose de la personnalité morale et fait partie des organismes d'intérêt public de la classe A dont question à l'article 1er de la loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes d'intérêt public.

En vertu de l'article 149 du décret du 18 décembre 2008, le Fonds wallon d'avances est supprimé. Ce même article précise que c'est la troisième défenderesse qui succède aux droits, obligations et missions du Fonds wallon d'avances.

En vertu de l'article 150 du décret du 18 décembre 2008, celui-ci entre en vigueur le 1er janvier 2009. La publication de ce décret au Moniteur belge n'eut, toutefois, lieu que le 9 avril 2009, soit après son entrée en vigueur. Dans la mesure, toutefois, où il entre en vigueur le 1er janvier 2009, il lui est conféré rétroactivement une force obligatoire.

Il s'ensuit que, lorsque le Fonds wallon d'avances comparut à l'audience du 19 février 2009 du tribunal de première instance de Mons, il n'avait plus de personnalité morale et, par conséquent, n'existait plus et, partant, ne disposait plus de la capacité requise pour ester en justice.

Cette situation demeura telle jusqu'au moment de la prononciation du jugement attaqué.

La circonstance que la troisième défenderesse succéda aux droits, obligations et missions du Fonds wallon d'avances ne remédie pas au fait que ce dernier, n'existant plus, ne disposait plus de la capacité pour ester devant les tribunaux et n'était pas présente et ne pouvait valablement l'être à l'audience du 19 février 2009.

Il s'ensuit également que la demanderesse ne pouvait invoquer la force obligatoire des articles 149 et 150 du décret du 18 décembre 2008 lors de l'audience du 19 février 2009 ni solliciter une réouverture des débats sur ce point, le jugement attaqué ayant été rendu le 19 mars 2009, soit avant la publication desdits articles au Moniteur belge, et n'a, par conséquent, d'autre possibilité que d'invoquer ce moyen, relevant de l'ordre public, pour la première fois devant la Cour.

En confirmant le jugement entrepris en ce qu'il condamne la demanderesse à payer au Fonds wallon d'avances la somme de 115.614,51 euros à augmenter des intérêts moratoires à dater du 28 décembre 1993 et des intérêts judiciaires à dater du jour du jugement entrepris, alors que ce dernier ne disposait plus de personnalité morale et ne pouvait, par conséquent, plus être détenteur de droits subjectifs et, partant, ne disposait plus de la capacité requise pour ester en justice, le jugement attaqué viole les articles 144 de la Constitution, 17 et 18 du Code judiciaire, 149 et 150 du décret du 18 décembre 2008.

La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Contrairement à ce qu'affirme le moyen, de ce que le jugement attaqué constate qu'il est établi que les pompages réalisés par la demanderesse ont déséquilibré les couches de tourbe et entraîné des dommages en surface, il ne se déduit pas que les juges d'appel ont appliqué les articles 1382 et 1383 du Code civil.

Le moyen manque en fait.

Sur le deuxième moyen :

Quant à la première branche :

En vertu de l'article 1er, § 1er, a), du décret de la Région wallonne du 11 octobre 1985 organisant la réparation des dommages provoqués par des prises et des pompages d'eau souterraine, l'exploitant d'une prise d'eau souterraine et le maître de l'ouvrage de travaux publics ou privés qui provoquent, par leur activité, l'abaissement de la nappe aquifère souterraine sont objectivement responsables des dommages de surface qui en résultent pour les immeubles et pour les machines et installations incorporées à des immeubles.

La moins-value qui affecte un bien visé par cette disposition est comprise dans le dommage dont le décret organise un régime spécifique de réparation.

Le moyen, qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.

Quant à la deuxième branche :

Il ressort de la réponse au premier moyen que le jugement attaqué ne fait pas application des articles 1382 et 1383 du Code civil.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.

L'article 1er, § 1er, a), du décret de la Région wallonne du 11 octobre 1985 n'impose pas une méthode spécifique d'évaluation du dommage susceptible d'être réparé conformément aux dispositions du décret.

Le jugement attaqué relève que l'estimation de la moins-value des terres a été réalisée par la méthode comparative explicitée aux pages 18 et 19 des conclusions du rapport d'expertise.

Par les motifs que le moyen reproduit, le jugement répond, en les contredisant, aux conclusions de la demanderesse et, sur la base d'une appréciation qui gît en fait, justifie légalement sa décision que cette méthode n'est nullement critiquable.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche :

Le jugement attaqué ne reproche pas « à la demanderesse de fonder ses protestations sur le mode de calcul des indemnités pour perte de rendement et moins-value des prairies » mais considère que « les protestations de [la demanderesse] sur le mode de calcul des indemnités pour perte de rendement et moins-value des prairies sont [...] dénuées de fondement ».

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait.

Pour le surplus, d'une part, s'agissant de la « perte de production des prairies », le moyen ne critique pas l'adoption par le jugement attaqué du « calcul par estimation ».

D'autre part, s'agissant de « la moins-value des prairies », il ressort de la réponse à la deuxième branche du moyen que le jugement attaqué justifie légalement sa décision que « la méthode comparative n'est nullement critiquable ».

Dès lors, dans la mesure où, en cette branche, il critique le motif que « les protestations de [la demanderesse] sur le mode de calcul des indemnités pour perte de rendement et moins-value des prairies sont [...] tardives », le moyen, qui ne saurait entraîner la cassation, est irrecevable à défaut d'intérêt.

Sur le troisième moyen :

En vertu de l'article 190 de la Constitution, aucune loi, aucun arrêté ou règlement d'administration générale, provinciale ou communale n'est obligatoire qu'après avoir été publié dans la forme déterminée par la loi.

L'article 56 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles dispose que les décrets sont obligatoires le dixième jour après celui de leur publication au Moniteur belge, à moins qu'ils n'aient fixé un autre délai.

Il suit de ces dispositions que, même si une portée rétroactive lui est attribuée, un décret n'a pas force obligatoire à défaut de publication, de sorte qu'il ne peut être reproché à un juge de violer ces dispositions, en ne les appliquant pas, alors qu'au jour où il statue, ce décret n'a pas encore été publié.

En tant qu'il invoque la violation des articles 149 et 150 du décret du 18 décembre 2008 contenant le budget général des dépenses de la Région wallonne pour l'année budgétaire 2009, publié au Moniteur belge le 9 avril 2009, soit après le jugement attaqué du 19 mars 2009, le moyen ne peut être accueilli.

En tant qu'il invoque la violation des autres dispositions visées, laquelle ne découlerait que de celle, vainement alléguée, des articles 149 et 150 précités, il est irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de mille cent quatre-vingt-six euros vingt centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent septante-deux euros trente-six centimes envers les parties défenderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Alain Simon, Mireille Delange et Michel Lemal, et prononcé en audience publique du quatre mai deux mille douze par le président Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.