Cour d'appel: Arrêt du 15 octobre 2002 (Bruxelles). RG 2001;AR;1064

Datum :
15-10-2002
Taal :
Frans
Grootte :
5 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20021015-1
Rolnummer :
2001;AR;1064

Samenvatting :

L'abus régulier par l'époux de boissons alcoolisées, pendant plusieurs années, alors même qu'il avait conscience que les médicaments qu'il prenait en aggravaient l'effet et lui faisait perdre le contrôle de ses actes, constitue dans son chef une injure gave à l'égard de son épouse, rendant la vie commune difficilement supportable.

Arrest :

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Vu les pièces de la procédure, en particulier :
- le jugement rendu contradictoirement par le tribunal de première instance de Bruxelles le 28 février 2001, signifié le 21 mars 2001;
- la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 20 avril 2001;
- les conclusions principales et additionnelles de l'intimée;
- les conclusions principales et additionnelles de l'appelant.
ANTECEDENTS - OBJET DE L'APPEL.
Les parties ont contracté mariage à ... le 14 septembre 1991; elles ont deux enfants communs, Aurélie, née le ../../1992, et Arnaud, né le ../../1994.
Le 13 février 1999 Madame X. a déposé une requête fondée sur l'article 223 du Code Civil entre les mains du juge de paix du second canton d'Anderlecht.
Par un jugement du 8 mars 1999 le magistrat cantonal a notamment :
- autorisé Monsieur Y. à résider séparément dans l'ancienne résidence conjugale et Madame X. dans une résidence à choisir dans les huit jours de la notification du dit jugement;
- maintenu l'exercice conjoint de l'autorité parentale à l'égard des enfants mineurs, confié l'hébergement principal des enfants à leur père et autorisé Madame X. à héberger les enfants selon des modalités à convenir de commun accord et au moins un week-end sur deux.
L'intimée a, par citation du 17 mars 1999, introduit une demande en divorce sur base de l'article 231 du Code civil.
L'appelant a, par conclusions déposées devant le premier juge le 21 novembre 2000, introduit une demande reconventionnelle visant à entendre prononcer le divorce aux torts exclusifs de la partie intimée sur base de l'article 231 du Code civil, et, à titre subsidiaire, à entendre ordonner des enquêtes en vue de démontrer cinq faits invoqués à l'appui de sa demande.
Par le jugement actuellement entrepris, le tribunal de première instance de Bruxelles a :
- déclaré la demande principale de l'intimée recevable et fondée et a prononcé le divorce aux torts de l'appelant;
- déclaré la demande reconventionnelle de l'appelant recevable et, avant dire droit, l'a admis à prouver par toutes voies de droit, témoignages compris, les cinq faits offerts à preuve.
- réservé l'ensemble des dépens.
L'appel principal limité vise la réformation du jugement entrepris en ce qu'il prononce le divorce aux torts de l'appelant.
L'appelant demande à la cour de déclarer la demande originaire en divorce de l'intimée non fondée, de l'en débouter et de la condamner aux dépens des deux instances.
L'intimée conclut au non fondement de l'appel et demande à la cour d'en débouter l'appelant et de le condamner aux dépens de l'appel.
L'appel introduit en forme régulière et dans le délai légal est recevable.
AU FOND.
La demande originaire en divorce introduite par Madame X. se fonde sur trois griefs :
- l'alcoolisme de l'appelant et les comportements qui en découlent;
- la violence physique et morale de l'appelant;
- l'exécution abusive du jugement prononcé le 8 mars 1999 par le juge de paix du 2ème canton d'Anderlecht.
Quant au grief d'alcoolisme :
Le procès-verbal dressé par la gendarmerie de ... le 31 août 1998 établit que ce jour à 22heures05 le sieur Y. fut intercepté au volant de sa voiture en état d'imprégnation alcoolique de 0,75 mg/l, que les verbalisants notèrent que son haleine sentait manifestement l'alcool et que son orientation dans le temps et l'espace était médiocre, et lui retirèrent son permis de conduire pour une durée de 6 heures.
Monsieur Y. déclara aux verbalisants qu'il prenait un médicament pour la tension le matin (Ternomin), qu'il avait bu 2 verres de bière à midi, 2 à 3 verres de bière de 25 cl entre 21 heures et 21heures30 et qu'il devait retrouver un ami dans un restaurant au moment où il avait été intercepté.
Dans une lettre adressée le 28 janvier 1999 à l'appelant, sa mère, Madame Z.-Y., lui écrit notamment :
" ton organisme ne supporte pas la bière; il faut bien l'admettre...
Il faut arrêter ça. Sans te culpabiliser - mais quand tu es sur la pente tu ne te rends pas compte et tu ne sais plus t'arrêter. (...)
Je ne voudrais pas voir le regard d'Aurélie si elle te voyait ainsi, ni les réactions d'Arnaud.(...)
(...) tu te rends bien compte maintenant de ce que tu risques (...) pas la peine en un soir de mettre ta vie sur le tapis et celle des autres.(...)
(...) Il est temps de garder le contrôle de ta vie, entièrement, comme de ta voiture et aller de temps en temps au spectacle (...) c'est aussi intéressant et convivial qu'au café ou devant la télé ".
Par lettres datées du même jour Madame Z. s'est adressée à Jean-Pierre D. et Henry, amis et compagnons de sortie de son fils, en ces termes :
" (...) les uns et les autres, à des degrés divers sans doute, vous ne savez vous arrêter à temps. Pour Francis en tout cas, la bière ou le vin l'empêche de mesurer le danger - car danger il y a (il y a des précédents) et vous êtes responsables - non seulement de vous - même mais l'un de l'autre - de ceux qui vous aiment et même des inconnus que vous pouvez croiser en voiture.
Car il y a la voiture
... sans ça une bonne biture de temps en temps, ce ne serait pas trop terrible.
Dans une attestation, non datée, établie ultérieurement et produite par l'appelant Madame Z., prend la défense de son fils, insiste sur ses qualités de père et sur l'amour qu'il témoigne à ses enfants, sur le harcèlement perpétuel dont il était la victime de la part de son épouse et écrit notamment :
" je reviens sur cette fameuse lettre dont on fait état : c'était un soir, à 11 heures.
Elle me téléphonait pour la seconde fois pour me dire qu'il n'était pas rentré. Prise de panique, car elle était si excitée, j'ai voulu marquer un grand coup et sermonner mon fils. Et j'y suis allée fort.
Je ne l'ai jamais vu dans l'état où elle me le décrivait et j'ai eu peur.
(...) Mais petit à petit à force d'être critiqué continuellement il a fini par se réfugier dans son bureau (...). Mais comment rester là à travailler et à y passer ses soirées, en plus dans un sous-sol sans avoir envie de changer parfois d'ambiance ?
Et pourquoi être amené à prendre des antidépresseurs s'il avait été heureux. Evidemment le moindre verre de bière n'était pas recommandé, mais où aller ? "
Monsieur Jean-Pierre D. atteste dans une lettre datée du 26 septembre 2000 qu'il ne faisait pas de sortie nocturnes avec l'appelant mais précise " il est vrai que, nous allions boire deux ou trois verres de bière après le travail, au café la Fermette ", et insiste également sur les qualités paternelles de Monsieur Y..
Dans une lettre adressée le 27 août 2000 au conseil de l'appelant Madame Z. insiste une nouvelle fois sur le harcèlement dont son fils était victime, sur l'amour qu'il porte à ses enfants et sur les circonstances qui l'ont amenée à écrire la lettre du 28 janvier 1999 et précise " dans ma lettre je parle d'allergie, je ne savais pas encore que c'est l'hypertension qui accentue l'effet de la bière ".
Le 31 mars 1999, alors que les parties avaient comparu le matin même à une audience de référé en vue du règlement des mesures provisoires pendant l'instance en divorce introduite par l'intimée, une dispute intervint entre les parties, à la résidence conjugale, vers 22 heures, au cours de laquelle l'appelant aurait insulté, menacé et empoigné l'intimée.
Suite à cette altercation l'intimée appela les services de police qui emmenèrent l'appelant en leurs bureaux à 23heuresl5 et le privèrent de liberté jusqu'au premier avril 1999 à 9heures.
Le procès-verbal dressé par la police d'... mentionne notamment :
- que lors de l'intervention l'appelant se rebella contre les forces publiques, les outragea et les menaça;
- que par mesure de sécurité vis-à-vis de l'épouse et afin " qu'il cuve sa boisson " l'intéressé a été maintenu en cellule la nuit durant;
- qu'entendu le premier avril à 8.15heures Monsieur Y. déclara qu'il se souvenait avoir eu une conversation agitée avec son épouse à propos de l'audience au Palais, mais qu'il ne se souvenait pas l'avoir insultée ou menacée, soutint ne pas avoir empoigné son épouse et reconnut " avoir bu quelques verres sans plus ".
Il résulte à tout le moins de cette enquête que l'appelant avait bu, le soir des faits, une quantité importante d'alcool au point que les verbalisants estimaient nécessaire de lui laisser " cuver sa boisson ".
Il ressort d'autre part du dossier répressif (numéro 43.59.103265/99) que le 15 octobre 1999 l'appelant, accompagné de son ami Thierry M., s'est présenté entre 22 et 23 heures dans le snack " Le M... " rue de ..., où se déroulait une soirée privée organisée par des membres de la CEE et des journalistes, qu'il en fut éjecté " manu militari ", qu'il y eut échange de coups et que l'appelant aurait été grièvement blessé à l'épaule.
Thierry M. confirme qu'ils étaient entrés dans un snack " où une soirée semblait être donnée et où il y avait beaucoup de monde " qu'ils y ont consommé et qu'il a vu son ami Francis Y. être emmené manu militari, jeté sans ménagement à la rue et être frappé. Monsieur P., responsable du dit snack déclara aux verbalisants que le soir des faits " deux personnes sont arrivées en état d'ébriété, le temps de vérifier leurs invitations ces derniers étaient en train de boire un verre et de harceler les dames présentes.
Une fois reconduite vers l'extérieur, l'une des personnes a tenté de me porter un coup, je me suis défendu et ai bloqué cette personne de mon poing ".
Sans que la cour ait, dans le cadre du présent litige, à se prononcer sur les circonstances et les causes réelles de l'altercation du 15 octobre 1999 et sans vouloir minimiser la gravité des faits dont Monsieur Y. aurait été victime, il convient néanmoins de considérer comme peu vraisemblable que l'appelant aurait été éjecté manu militari d'une soirée privée, organisée par des membres de la CEE, si - comme il le prétend - il se comportait de manière tout à fait correcte et n'avait pas été en état d'ébriété.
Enfin Madame Agnes B., habitant avenue ..., soit l'immeuble contigu à l'ancienne résidence conjugale, atteste avoir vu le 23 janvier 1999 le sieur Y. rentrer vers trois heures du matin, faisant beaucoup de bruit, réveillant presque tout le quartier et faisant " des choses bizarres " dans sa voiture. Elle précise qu'il arrive assez fréquemment que Monsieur Y. soit ivre ("dronken zijn van Mijnheer Y. gebeurt wel vaker").
Contrairement au soutènement de l'appelant cette déclaration est parfaitement précise en ce qui concerne les faits du 27 janvier 1999 et en ce qu'elle précise qu'il ne s'agissait pas d'un fait unique.
L'appelant reconnaît en conclusions qu'il a un caractère "bon vivant", qu'étant publiciste il lui arrive souvent d'amener ses clients au restaurant, mais conteste formellement s'être trouvé régulièrement en état d'ivresse et s'être montré violent.
Si les pièces produites par l'intimée n'établissent pas un état de dépendance alcoolique au sens médical du terme - ce qui est confirmé par une attestation du médecin traitant de l'appelant - il n'en reste pas moins que l'ensemble de ces pièces constituent des présomptions graves et concordantes de ce que Monsieur Y. abusait régulièrement de la boisson et se retrouvait alors dans un état dans lequel il se contrôlait difficilement.
Il résulte en effet de l'analyse des pièces produites par les parties qu'alors qu'il prenait des médicaments contre l'hypertension et des antidépresseurs (voir notamment la déclaration de l'appelant aux verbalisants le 30 août 1998 et les déclarations de sa mère) et qu'il savait ou devait savoir que ces médicaments accentuaient les effets de l'alcool, l'appelant consommait très régulièrement des boissons alcoolisées en grande quantité.
Il n'est nullement invraisemblable que Madame Z. ait été amenée à écrire sa lettre du 28 janvier 1999, parce qu'elle avait été impressionnée par la fureur et les angoisses de sa belle-fille par rapport à la consommation d'alcool de l'appelant.
Cet élément n'est toutefois pas pertinent, dès lors qu'il résulte clairement des divers écrits de Madame Z., qu'elle savait fort bien que son fils consommait régulièrement, avec ses amis, des boissons alcoolisées alors que son organisme ne le supportait pas. Les attestations écrites ultérieurement dans lesquelles Madame Z. prend la défense de son fils, explique ses difficultés conjugales et insiste sur ses qualités de père, ne réfutent en rien le fait de l'abus régulier de boisson par l'appelant.
Les diverses attestations des amis et connaissances de l'appelant concernant sa gentillesse, son calme et son amour à l'égard de ses enfants ne sont pas davantage de nature à infirmer son assiduité à la boisson.
L'abus régulier par l'appelant de boissons alcoolisées, au moins depuis 1998, alors même qu'il avait conscience que les médicaments qu'il prenait en aggravaient l'effet et lui faisaient perdre le contrôle de ses actes, constitue dans son chef une injure grave à l'égard de son épouse, rendant la vie commune difficilement supportable.
Quant aux autres griefs :
Les violences physiques qui auraient été commises par l'appelant à l'égard de son épouse le 30 mars 1999 ne peuvent - alors même qu'elles seraient dûment établies - être considérées comme une injure grave, dès lors qu'il s'agit d'un fait unique, relativement mineur, commis dans des conditions de tension particulière suite à la procédure judiciaire en cours.
Enfin il n'est nullement établi que l'appelant aurait " abusivement " exécuté le jugement cantonal du 8 mars 1999.
Il convient tout d'abord de relever que ce jugement autorise Madame X. à choisir une autre résidence dans les huit jours "de la notification" (et non du prononcé) de la décision.
Le 10 mars 1999 un accord intervint entre parties selon lequel l'appelant autorisait son épouse à rester à la résidence conjugale jusqu'au premier week-end d'avril; des disputes survinrent apparemment à nouveau entre parties et par lettre du 15 mars 1999 l'appelant écrivit à son épouse qu'à défaut de trouver le moindre moyen d'entente la décision du juge de paix devait être respectée.
Il n'est nullement contesté que l'intimée resta dans la résidence conjugale jusqu'au premier avril 1999, date à laquelle elle emménagea dans son nouvel appartement.
Le seul fait que l'appelant aurait écrit le 15 mars 1999 à son épouse qu'il désirait qu'elle déménage "immédiatement", sans toutefois exécuter ou faire exécuter cette décision, n'est pas gravement injurieux.
Seul le grief relatif à l'abus de boissons alcooliques est établi.
Il est toutefois suffisamment grave pour justifier le prononcé du divorce aux torts de l'appelant.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant contradictoirement,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 relative à l'emploi des langues en matière judiciaire;
Déclare l'appel recevable mais non fondé.
En déboute l'appelant.
Renvoie la cause pour le surplus devant le premier juge.
Condamne l'appelant aux dépens de l'appel liquidés dans son chef 185,92 euros (mise au rôle) + 223,10 euros (indemnité de procédure) et dans le chef de l'intimée à 223,10 euros (indemnité de procédure).
Ainsi jugé et prononcé en audience publique civile de la troisième chambre de la Cour d'Appel de Bruxelles, le 15-10-2002.