Cour de cassation: Arrêt du 4 décembre 2014 (Belgique). RG C.13.0617.F
- Sectie :
- Rechtspraak
- Bron :
- Justel F-20141204-6
- Rolnummer :
- C.13.0617.F
Samenvatting :
Lorsqu'une police d'assurance souscrite par l'association des copropriétaires d'un immeuble couvre tous dégâts des eaux survenant dans cet immeuble, chaque copropriétaire a, en cas de sinistre, la qualité d'assuré pour ce qui concerne son lot; il ne l'a en revanche pas à l'égard du lot sinistré de chaque autre copropriétaire (1). (1) Voir Cass. 5 novembre 2012, RG C.10.0514.F, Pas. 2014, n° 590; Cass. 25 avril 2013, RG C.11.0745.F, Pas. 2013, n° 257.
Arrest :
N° C.13.0617.F
AXA BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi à Watermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
AG INSURANCE, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Émile Jacqmain, 53,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 4 mars 2013 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
Articles 3 et 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre
Décisions et motifs critiqués
1. L'arrêt dit fondé l'appel [de la défenderesse] et, par réformation du jugement entrepris, dit la demande originaire recevable et fondée dans la mesure qu'il précise, condamne [la demanderesse] à payer à [la défenderesse] une somme de 6.014,14 euros en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis les dates des décaissements jusqu'à ce jour et ensuite des intérêts moratoires jusqu'au parfait paiement, ainsi qu'aux dépens des deux instances [de la défenderesse], liquidés à 2.195,21 euros, lui délaissant ses propres dépens des deux instances.
2. L'arrêt fonde cette décision sur les motifs selon lesquels :
« Il n'est pas douteux qu'en principe, [la défenderesse] est subrogée dans les droits de ses assurés contre les tiers responsables des dommages, en application de l'article 41 de la loi du 25 juin 1992.
Il n'est pas davantage douteux qu'en pareille situation, elle peut exercer l'action directe de son assuré contre l'assureur de la responsabilité civile du responsable.
Pour s'opposer au recours subrogatoire [de la défenderesse], [la demanderesse] fait valoir que ses assurés ne sont pas des tiers mais des assurés [de la défenderesse].
Dans le lexique situé in fine des conditions générales applicables aux sinistres en cause, il se lit :
- que le terme ‘assuré' vise notamment les copropriétaires si le contrat est souscrit par l'association des copropriétaires (ce qui est le cas) ;
- que le terme ‘tiers' est défini comme toute personne autre que les assurés, étant précisé que, si le contrat est souscrit par une association de copropriétaires, ceux-ci sont considérés comme tiers les uns vis-à-vis des autres ».
3. L'arrêt en conclut qu'« il en résulte que [la défenderesse], qui a indemnisé un copropriétaire victime d'un dégât des eaux dont la responsabilité incombe à un autre copropriétaire, est autorisée à exercer un recours subrogatoire contre ce copropriétaire, qui a la qualité de tiers par rapport au copropriétaire dans les droits desquels [la défenderesse] est subrogée » et que, « dès lors, [la défenderesse] est également autorisée à agir, par la voie de l'action directe, contre l'assureur de la responsabilité civile de ce responsable ».
Griefs
1. L'article 3 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre prévoit que, sauf lorsque la possibilité d'y déroger par des conventions particulières résulte de leur rédaction même, les dispositions de cette loi sont impératives.
Dès lors, l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, énonçant que « l'assureur qui a payé l'indemnité est subrogé, jusqu'à concurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l'assuré ou du bénéficiaire contre les tiers responsables du dommage », est impératif, puisqu'il ne prévoit pas que l'on puisse y déroger.
Partant, l'assureur ne peut être subrogé que dans les droits et actions de l'assuré ou du bénéficiaire contre les tiers et la clause assouplissant, à son avantage, les règles de la subrogation, est nulle.
Il serait en effet manifestement contraire à l'économie du contrat d'assurance, contrat aléatoire, qu'après réalisation du risque, l'assureur prétende obtenir, à charge de son propre assuré, remboursement de ce qu'il s'était engagé à payer en cas de sinistre.
2. En l'espèce, dans les motifs repris au moyen et tenus ici pour intégralement reproduits, l'arrêt constate qu'en vertu des conditions générales [de la défenderesse], le terme « tiers » « est défini comme toute personne autre que les assurés, étant précisé que, si le contrat est souscrit par une association de copropriétaires, ceux-ci sont considérés comme tiers les uns vis-à-vis des autres », et considère qu'« il en résulte que [la défenderesse], qui a indemnisé un copropriétaire victime d'un dégât des eaux dont la responsabilité incombe à un autre copropriétaire, est autorisée à exercer un recours subrogatoire contre ce copropriétaire, qui a la qualité de tiers par rapport au copropriétaire dans les droits desquels [la défenderesse] est subrogée ».
Ce faisant, l'arrêt décide qu'un assuré peut être considéré comme un tiers par rapport à un autre assuré en vertu des conditions générales de la police d'assurance [de la défenderesse], permettant ainsi à l'assureur du premier assuré de modifier contractuellement et à son avantage la prescription de l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
3. En conséquence, l'arrêt méconnaît le caractère impératif de l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (violation des articles 3 et 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre).
Second moyen
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution ;
- article 45 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
Décisions et motifs critiqués
1. L'arrêt dit fondé l'appel [de la défenderesse] et, par réformation du jugement entrepris, dit la demande originaire recevable et fondée dans la mesure qu'il précise, condamne [la demanderesse] à payer à [la défenderesse] une somme de 6.014,14 euros en principal, à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis les dates des décaissements jusqu'à ce jour et ensuite des intérêts moratoires jusqu'au parfait paiement, ainsi qu'aux dépens des deux instances [de la défenderesse], liquidés à 2.195,21 euros, lui délaissant ses propres dépens des deux instances.
2. L'arrêt fonde cette décision sur les motifs selon lesquels :
« Certes aussi, la police Top Habitation offerte par [la défenderesse] comportait divers volets, et notamment, outre une garantie contre les dégâts des eaux, une garantie responsabilité civile Immeuble.
Toutefois, ce n'est pas en vertu de cette garantie que [la défenderesse] a fourni sa prestation, mais dans le cadre du volet ‘dégâts des eaux' en vertu duquel elle assurait les propriétaires victimes des sinistres en cause.
De surcroît, la convention UPEA relative à l'application de l'article 45 de la loi du 25 juin 1992, qui règle entre assureurs la répartition de la charge des sinistres en cas de pluralité d'assurances, prévoit qu'une garantie de responsabilité extracontractuelle comprise dans un contrat d'assurance de choses (telle celle de [la défenderesse]) a un caractère supplétif par rapport à une assurance RC (telle celle [de la demanderesse]) ».
3. L'arrêt considère dès lors, en substance, que [la demanderesse] était en toutes hypothèses tenue de prendre en charge le sinistre en vertu de la répartition de la charge des sinistres entre assureurs en cas de pluralité d'assurances que prévoit l'article 45 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
Griefs
Première branche
1. Il est constant que des motifs contradictoires se détruisent réciproquement et ne peuvent, ni l'un ni l'autre, servir de fondement à une décision (Cass., 24 avril 2010, Pas., 2010, I, 1278 ; C. Parmentier, Comprendre la technique de cassation, Larcier, 2011, n° 85, p. 80).
2. En l'espèce, pour faire application à la cause de la « convention UPEA relative à l'application de l'article 45 de la loi du 25 juin 1992 », l'arrêt considère, d'une part, que c'est « en exécution de contrats d'assurances ‘Top Habitation' [que la défenderesse a] indemnisé trois assurés (...) pour trois dégâts des eaux distincts », « dans le cadre du volet ‘dégât des eaux' et non ‘garantie RC Immeuble' » et, d'autre part, déclare que c'est en vertu d'une « garantie de responsabilité extracontractuelle comprise dans un contrat d'assurance de chose » que l'indemnisation a eu lieu par [la défenderesse].
De la sorte, l'arrêt recèle une contradiction manifeste dans ses motifs, conduisant à laisser incertain, si, aux yeux de la cour d'appel, la réparation du sinistre par [la défenderesse] avait été effectuée ou non en vertu d'une garantie de responsabilité extracontractuelle.
3. En conséquence, l'arrêt repose sur des motifs contradictoires et n'est partant pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
Seconde branche
1. Aux termes de l'article 45, spécialement § 1er, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, si un même intérêt est assuré contre le même risque auprès de plusieurs assureurs, l'assuré peut, en cas de sinistre, demander l'indemnisation à chaque assureur, dans les limites des obligations de chacun d'eux, et à concurrence de l'indemnité à laquelle il a droit.
Il en découle qu'il faut, pour que l'article 45 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre soit d'application, que coexistent plusieurs contrats d'assurance couvrant non seulement le même intérêt assurable, mais aussi qu'ils le couvrent contre un même risque et pendant une même période.
Cet article vise en effet à organiser la situation résultant d'un excès de couverture qui peut résulter, notamment, de la conclusion d'une pluralité de contrats souscrits auprès de deux ou de plusieurs assureurs afin de protéger un intérêt unique d'un seul et même risque.
2. En l'espèce, par les motifs repris au moyen et tenus ici pour intégralement reproduits, l'arrêt décide que « la convention UPEA relative à l'application de l'article 45 de la loi du 25 juin 1992, qui règle entre assureurs la répartition de la charge des sinistres en cas de pluralité d'assurances, prévoit qu'une garantie de responsabilité extracontractuelle comprise dans un contrat d'assurance de choses (telle celle de [la défenderesse]) a un caractère supplétif par rapport à une assurance de la responsabilité civile (telle celle [de la demanderesse]) ».
Or, il ressort des constatations de l'arrêt que les contrats d'assurance souscrits auprès [de la demanderesse] et [de la défenderesse] couvrent des intérêts distincts, à savoir, d'une part, l'assurance de leur responsabilité civile par les copropriétaires responsables du sinistre et, d'autre part, l'assurance de l'immeuble contre les dégâts des eaux par les associations des copropriétaires.
Dès lors, l'article 45 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre n'avait pas vocation à régir la répartition de la prise en charge du sinistre entre [la défenderesse] et [la demanderesse].
3. En conséquence, l'arrêt n'est pas légalement justifié au regard de l'article 45 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, dont il est fait application à une situation que celui-ci ne régit pas (violation de l'article 45 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre).
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Aux termes de l'article 41, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, applicable au litige, l'assureur qui a payé l'indemnité est subrogé, jusqu'à concurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l'assuré ou du bénéficiaire contre les tiers responsables du dommage.
Au sens de cette disposition, lorsqu'une police d'assurance souscrite par l'association des copropriétaires d'un immeuble couvre tous dégâts des eaux survenant dans cet immeuble, chaque copropriétaire a, en cas de sinistre, la qualité d'assuré pour ce qui concerne son lot ; il ne l'a en revanche pas à l'égard du lot sinistré de chaque autre copropriétaire.
La clause contractuelle d'une telle police, qui stipule que le terme « assuré » vise notamment les copropriétaires et qu'ils sont considérés comme « tiers » les uns vis-à-vis des autres, n'a dès lors pas pour effet d'étendre le recours subrogatoire de l'assureur.
Le moyen, qui est tout entier fondé sur le soutènement contraire, manque en droit.
Sur le second moyen :
Quant aux deux branches réunies :
L'arrêt considère que « [la défenderesse], qui a indemnisé un copropriétaire victime d'un dégât des eaux dont la responsabilité incombe à un autre copropriétaire, est autorisée à exercer un recours subrogatoire contre ce copropriétaire, qui a la qualité de tiers par rapport au copropriétaire dans les droits desquels [la défenderesse] est subrogée » et que, « dès lors, [la défenderesse] est également autorisée à agir, par la voie de l'action directe, contre l'assureur de la responsabilité civile de ce responsable ».
Ces considérations, vainement critiquées par le premier moyen, suffisent à fonder la décision de condamner la demanderesse au paiement de la somme de 6.014,14 euros.
Le moyen, en chacune de ses branches, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent quatre-vingts euros vingt-six centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, le conseiller Didier Batselé, le président de section Albert Fettweis, les conseillers Michel Lemal et
Marie-Claire Ernotte, et prononcé en audience publique du quatre décembre deux mille quatorze par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia
De Wadripont.
P. De Wadripont M.-Cl. Ernotte M. Lemal
A. Fettweis D. Batselé Chr. Storck