Cour d'appel: Arrêt du 10 septembre 1998 (Bruxelles). RG 98/AR/13

Datum :
10-09-1998
Taal :
Frans
Grootte :
5 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-19980910-1
Rolnummer :
98/AR/13

Samenvatting :

Si l'article 1445 du Code judiciaire permet à un créancier, sans autorisation préalable du juge des saisies, de pratiquer saisie-arrêt par huissier, à titre conservatoire, entre les mains de tiers de sommes ou effets que celui-ci doit à son débiteur, c'est à la double condition que - d'une part, ce créancier justifie, conformément à l'article 1413 du code judiciaire applicable à toute forme de saisie conservatoire, de la célérité, ce qui implique que cette saisie ne peut être pratiquée que si, à défaut de prendre les précautions voulues, le créancier peut réellement craindre un préjudice - d'autre part, le créancier justifie par un titre authentique ou simplement privé de sa créance. L'exigence de célérité doit subsister jusqu'au moment où le juge statue à la suite d'un débat introduit par la partie saisie en application de l'article 1420 du Code judiciaire. L'instrumentum (titre authentique ou privé) doit être régulier en la forme et opposable au saisi ; il doit constater une créance certaine, liquide et exigible ainsi que le prescrit l'article 1445 du code judiciaire. S'il est vrai qu'une simple contestation ne suffit pas à conférer à une créance justifiée en son principe un caractère d'incertitude, cette créance ne peut être considérée comme certaine que si elle se manifeste, au terme d'un examen sommaire, de manière apparente avec des éléments de certitude et que, justifiée sommairement et promptement, elle paraît réelle.

Arrest :

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Vu :
- la décision attaquée, prononcée le 6 novembre 1997 par le juge des saisies du tribunal de première instance de Bruxelles,
- l'exploit de signification de ce jugement en date du 20 février 1998,
- la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 5 janvier 1998;
Attendu que, se prévalant d'un contrat " de services " qu'elle avait conclu le 1er juin 1985, pour une durée indéterminée, avec l'a.s.b.l. ...Y...et que celle-ci résilia le 29 mars 1997 pour prétendues fautes graves, la s.c. ...X..., s'estimant créancière de diverses sommes au titre d'indemnité de rupture, d'indemnité de résiliation et d'arriérés de commissions, pratiqua le 1er avril 1997 une saisie-arrêt conservatoire en application de l'article 1445 du Code judiciaire sur les avoirs bancaires de son contractant auprès de la sa Générale de Banque; que, suite à la déclaration de tiers saisi de la s.a. Générale de Banque du 10 avril 1997 bloquant la totalité de ces avoirs, la s.c. ...X... informa la s.a. Générale de Banque officiellement, le 18 avril 1997, que cette saisie devait être limitée à un montant de 6.000.000 francs en portant uniquement sur les valeurs mobilières G-tresaury Sicav Belgolux -Cap LUF qui constituaient le fonds de réserve de l'a.s.b.l.;
Que, le 21 mai 1997, la s.c ...X... lança citation au fond contre cette a.s.b.l. - actuelle intimée - devant le tribunal de première instance de Nivelles pour faire consacrer ses droits par jugement;
Que, suite à des conclusions prises au fond par l'intimée, ...Z... administrateur délégué de la s.c. ...X... , cita l'intimée, à titre conservatoire, le 27 mars 1998, devant le tribunal du travail de Nivelles dans l'hypothèse où il serait admis que le contrat " de services " du 1er juin 1985 devrait être analysé en un contrat de travail en ce qu'il aurait travaillé de facto comme directeur agissant sous le contrôle permanent du conseil d'administration de l'intimée; que cette cause fut jointe à celle pendante devant le tribunal de première instance de Nivelles, les débats au fond étant fixés au 16 octobre 1998;
Attendu que l'intimée, qui conteste devoir quoi que ce soit à l'appelante ...X..., cita le 7 avril 1997 cette dernière en mainlevée de cette saisie-arrêt conservatoire avec paiement de dommages et intérêts évalués à 500.000 francs;
Attendu que, par la décision entreprise, le premier juge a fait droit à la demande en mainlevée de cette saisie conservatoire en condamnant l'appelante ...X... au paiement de 40.000 francs à titre de dommages et intérêts pour l'avoir pratiquée;
Attendu que l'appelante ...X... sollicite que, par réformation de cette décision, la Cour dise pour droit que cette saisie-arrêt conservatoire était justifiée et doit toujours être maintenue à concurrence de 6.000.000 francs ou de toute autre somme qu'elle estimerait appropriée; que l'appelante ...X... évalue actuellement sa créance à un montant minimum de 5.136.698 francs; qu'en ordre subsidiaire, l'appelante demande le maintien de cette saisie-arrêt conservatoire à concurrence d'un montant qui serait incontestablement dû de 1.410.813 francs au titre d'arriérés de commissions que l'intimée aurait admis devoir dans ses conclusions déposées devant le juge du fond;
Attendu que l'intimée - qui conteste devoir quoi que ce soit à l'appelante - conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire; qu'elle forme un appel incident pour obtenir que l'indemnité de 40.000 francs qui lui fut allouée par le premier juge soit portée à 500.000 francs et forme une demande incidente tendant à l'allocation de 250.000 francs à titre de dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire;
En droit :
Attendu que si l'article 1445 du Code judiciaire permet à un créancier, sans autorisation préalable du juge des saisies, de pratiquer saisie-arrêt par huissier, à titre conservatoire, entre les mains de tiers de sommes ou effets que celui-ci doit à son débiteur, c'est à la double condition que :
- d'une part, ce créancier justifie, conformément à l'article 1413 du Code judiciaire applicable à toute forme de saisie conservatoire, de la célérité, ce qui implique que cette saisie ne peut être pratiquée que si, à défaut de prendre les précautions voulues, le créancier puisse réellement craindre un préjudice (Stranart, Les conditions générales des saisies conservatoires, RDC 1985, p.742 et références citées); que cette exigence doit subsister jusqu'au moment où le juge statue à la suite d'un débat introduit par la partie saisie en application de l'article 1420 du Code judiciaire (RPDB, V° Saisies généralités, Complément VIII, n° 377);
- d'autre part, le saisissant justifie, par un titre authentique ou simplement privé, de sa créance; que cet instrumentum, régulier en la forme et opposable au saisi, doit constater une créance certaine, liquide et exigible ainsi que le prescrit l'article 1415 du Code judiciaire; que s'il est vrai qu'une simple contestation ne suffit pas à conférer à une créance justifiée en son principe un caractère d'incertitude, cette créance ne peut être considérée comme certaine que si elle se manifeste, au terme d'un examen sommaire, de manière apparente avec des éléments de certitude et que, justifiée sommairement et promptement, elle paraît réelle (RPDB, V° Saisies-généralités, Complément VIII, n° 391 et réf. citées);
Attendu que la circonstance que l'intimée ...X... est défenderesse dans la procédure en mainlevée de saisie conservatoire ne la dispense pas de la charge de la preuve quant à la situation qui requérait la célérité laquelle doit subsister au moment où le juge statue et quant au caractère certain, liquide et exigible de sa créance (RPDB, V° Saisies généralités, Complément VIII, n° 485);
En fait :
Quant à la célérité :
Attendu que les inquiétudes de l'appelante ...X... quant à la situation financière de l'intimée a.s.b.l. ...Y... sont justifiées dès lors que cette situation est de nature à mettre en péril le recouvrement de la créance dont elle se prévaut à l'égard de cette dernière;
Qu'en effet, dans sa lettre de rupture du 29 mars 1997, l'intimée faisait elle-même état de ce que " l'a.s.b.l. ...Y... se trouve en situation financière grave. Le compte d'exploitation est négatif et atteint plus de 5 millions d'après les dernières informations ... "; qu'auparavant, une note comptable dressée par l'intimée le 12 février 1997, annonçait que, suite à des diminutions de rentrées de plus de 3.900.000 francs, cette situation financière était préoccupante, se dégradant d'année en année (perte de 1.200.000 frs en 1995 et de 3.000.000 frs en 1996);
Que rien n'indique que la situation financière de l'intimée - qui ne produit pas un bilan ou une situation comptable au 31 décembre 1997 - se serait améliorée depuis lors;
Que l'appelante satisfait ainsi à la condition de célérité prévue par l'article 1413 du Code judiciaire;
Quant au caractère certain de la créance de l'appelante et son exigibilité :
Attendu que le titre visé à l'article 1445 du Code judiciaire est la source de droit dont se prévaut le créancier saisissant (Stranart, La saisie-arrêt, in Les voies conservatoires et d'exécution, Bilan et perspectives, Editions Jeune barreau, 1982, p. 94);
Que l'intimée fait justement observer que la seule production du contrat de services du 1er juin 1985 ne suffit pas pour constituer ce titre; que si ce contrat définit les droits et obligations des parties sous réserve de dispositions impératives d'autres lois qui seraient applicables, telle celle du 13 avril 1995 sur le contrat d'agence commerciale - il ne fixe pas ce qui serait incontestablement dû à l'appelante à la date de la rupture des relations contractuelles entre parties;
Que l'octroi des indemnités de rupture et d'éviction est conditionné par le non fondement des motifs graves invoqués par l'intimée; que la Cour n'a pas à préjuger de ce que décidera la juridiction de jugement à cet égard; qu'il lui suffit de constater qu'il y a contestation sérieuse des parties à ce propos - de même que, à titre subsidiaire, sur le calcul de ces indemnités;
Attendu qu'il est vrai que, à supposer même établis les motifs graves de rupture invoqués par l'intimée, encore celle-ci ne pourrait-elle échapper au paiement des commissions revenant à l'appelante pour son travail accompli jusqu'alors; que, l'article 3 du contrat de services du 1er juin 1985 reconnaissait à l'appelante une commission de 20 % hors TVA sur le chiffre d'affaires net consolidé constitué de l'ensemble des factures (revues, journées d'étude et séminaires) émises par l'intimée à l'adresse de sa clientèle;
Attendu que l'appelante verse aux débats un relevé de commissions, calculées sur cette base contractuelle, dues sur les factures clients de l'intimée du 30 septembre 1996 au 28 mars 1997, non payées à cette date; que ce relevé porte sur 1.952.999 francs (pièce 19 de la farde C du dossier de l'appelante);
Attendu cependant que ne peut être assimilé à un titre visé par l'article 1445 du Code judiciaire un relevé de commissions dressé unilatéralement par le saisissant; que ces commissions n'ont pas fait l'objet d'une facturation régulière à l'adresse de l'intimée, en telle sorte que l'appelante ne saurait tirer argument d'une absence de protestation; que la dernière facturation de commissions de l'appelante remonte au 8 mars 1997 et lui fut payée par l'intimée le 24 mars 1997;
Que, contrairement à ce qu'allègue l'appelante, l'intimée n'a pas reconnu, dans ses conclusions déposées devant le juge du fond, être débitrice, en tout ou partie, de commissions sur la base de ce relevé; qu'au contraire, elle y soutient qu'elle aurait trop rémunéré l'appelante, raison pour laquelle elle lui réclame reconventionnellement 1 franc à titre provisionnel au titre de paiement indu;
Attendu que même si divers éléments du dossier laissent penser qu'un solde de commissions resterait dû à l'appelante (mentions figurant au bilan de l'intimée au 31 décembre 1995 faisant état au passif d'une provision de 2.100.000 francs pour honoraires; importance des commissions payées les mois précédant la rupture; absence de contestation précise sur le relevé dressé par l'appelante), encore celle-ci reste-t-elle en défaut de démontrer le montant exact et l'exigibilité de sa créance de commissions à la date à laquelle elle pratiqua saisie-arrêt conservatoire le 1er avril 1997 alors qu'il n'y eut ni facturation, ni la moindre mise en demeure et que le paiement de ces commissions est fonction de l'encaissement des factures sur les quelles elles sont calculées (article 3 in fine de la convention de services);
Que la Cour partage ainsi l'analyse du premier juge selon laquelle l'appelante ne peut se considérer comme titulaire d'une créance certaine, liquide et exigible reposant sur un titre privé au sens de l'article 1445 du Code judiciaire le 1er avril 1997; qu'à ces considérations, s'ajoute la circonstance qu'un doute s'est installé quant au bénéficiaire de ces commissions, compte tenu de l'initiative procédurale prise par ...Z... ;
Qu'en tant que l'appelante sollicite, même pour un montant inférieur à 6.000.000 francs, le maintien de la saisie-arrêt conservatoire du 1er avril 1997, son appel principal n'est pas fondé;
Quant aux demandes d'indemnité :
Attendu que l'appelante avait des raisons légitimes de s'inquiéter de la situation financière de l'intimée; qu'apprenant que sa relation contractuelle avec l'intimée était résiliée sur le champ par cette dernière pour des motifs qu'elle conteste, elle a réagi aussitôt en pratiquant cette mesure conservatoire par crainte du pire;
Que, certes, l'appelante s'est méprise sur le caractère de certitude de sa créance découlant d'un titre privé au sens de l'article 1445 du Code judiciaire; que rien n'indique cependant qu'elle ait agi avec témérité, malice ou mauvaise foi et qu'elle ait ainsi cherché un moyen de pression pour obtenir ce qui ne lui serait pas dû; que la cour constate que l'appelante a, dès le 21 mai 1997, lancé citation au fond pour des montants supérieurs à cette saisie et qu'elle a veillé à diligenter cette procédure qui fut en état en moins d'un an;
Attendu que la trésorerie courante de l'intimée fut débloquée par la s.a. Générale de Banque dès le 18 avril 1998 - la saisie n'étant maintenue que sur les Sicav constituant un fonds de réserve à concurrence de 6.000.000 francs (comme le mentionnait, du reste, le dispositif de l'exploit de saisie arrêt conservatoire de l'huissier ...P... du 1er avril 1997); qu'à cette date du 18 avril 1998, l'intimée disposait à nouveau d'un disponible au C.C.P. et à la s.a. Générale de Banque de 745.061 francs, outre les rentrées perçues depuis le 28 mars 1998 et le surplus des Sicav (1.804.930 frs); qu'ainsi, l'appelante ...X... fait justement observer que si, en avril 1997, l'intimée avait voulu payer toutes ses dettes exigibles à fin mars 1997 s'élevant à 2.578.772 francs (outre les paiements reçus de la clientèle en avril 1997), elle aurait pu le faire si elle avait voulu utiliser le surplus des Sicav saisies; que si ces Sicav saisies constituent une réserve que l'intimée ne veut entamer, on voit mal en quoi la saisie conservatoire la rendant indisponible d'avril à novembre 1997 lui a causé un préjudice;
Que l'indemnité fixée par le premier juge pour réparer le préjudice subi par l'intimée ainsi perturbée dans sa trésorerie, doit être réduite de moitié et fixée à 20.000 francs que, dans cette mesure, l'appel principal est fondé;
Que l'appel incident n'est dès lors pas fondé, pas plus que la demande incidente tendant à obtenir des dommages et intérêts pour appel téméraire et vexatoire; que le seul fait d'introduire un recours qui s'avère - pour ce qui concerne le maintien de la saisie conservatoire - non fondé ne démontre pas un abus procédural dicté par la témérité ou la mauvaise foi et justifiant une indemnisation; qu'il convient, en outre, de relever que l'appel principal est partiellement justifié en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués par le premier juge;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant contradictoirement,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,
Reçoit les appels et la demande incidente de l'intimée;
Les déclare non fondés, sauf en tant que l'appel principal porte sur le montant des dommages et intérêts auxquels l'appelante au principal a été condamnée envers l'intimée;
Fixe le montant de ces dommages et intérêts à 20.000 francs à augmenter des intérêts judiciaires à dater du prononcé du présent arrêt jusqu'au jour du parfait payement;
Condamne l'appelante au principal aux dépens de l'instance d'appel liquidés à 7.500 + 2.050 + 16.400 francs en ce qui la concerne et à 16.400 francs en ce qui concerne l'intimée.