Cour du Travail: Arrêt du 12 mai 2010 (Bruxelles). RG 2008/AB/51.483

Datum :
12-05-2010
Taal :
Frans
Grootte :
5 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20100512-1
Rolnummer :
2008/AB/51.483

Samenvatting :

L'exclusion du travailleur qui est ou devient chômeur en raison d'un licenciement pour un motif équitable eu égard à l'attitude fautive du travailleur, comme le prévoit l'article 52, § 1er, 2°, de l' AR du 25 novembre 1991, ne constitue pas une sanction mais une mesure qui est prise à l'égard d'un travailleur qui ne remplit pas les conditions d'octroi des allocations de chômage, à savoir être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté et n'avoir dès lors pas droit aux allocations. Il faut, au regard de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass. 18 février 2002, J.T.T. 2002, p. 445) considérer l'exclusion qui a été décidée sur base des articles 51 et suivants de l' AR du 25 novembre 1991 comme n'étant pas une sanction. Le principe général du droit de l'application de la peine la moins forte, consacré par l'article 2, al. 2 du code pénal et par l'article 15.1 du Pacte international du 19 décembre 1981, ne s'applique pas à une telle mesure .

Arrest :

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Rep.N°2010/

COUR DU TRAVAIL DE

BRUXELLES

ARRET

AUDIENCE PUBLIQUE DU 12 MAI 2010

8ème Chambre

SECURITE SOCIALE DES TRAVAILLEURS SALARIES - chômage

Notif. : Article 580,2°(b) du Code judiciaire

Arrêt contradictoire

Définitif

En cause de:

L'OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI,

dont le siège social est établi à 1000 BRUXELLES, Boulevard de l'Empereur, 7,

partie appelante, partie intimée sur appel incident, représentée par Maître M. DEPAS loco Me P. COURTIN, avocat à 1050 BRUXELLES, avenue Louise 137/1.

Contre :

Monsieur A. F. R.,

partie intimée, partie appelante sur appel incident, représentée par Monsieur DEGOLS Alain, délégué syndical, porteur de procuration.

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La Cour du travail, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:

I. La procédure

1. La procédure a été introduite par une requête envoyée au greffe du Tribunal du travail de Bruxelles, le 21 décembre 1998. Monsieur A. F. entendait par cette requête contester une décision de l'ONEM du 17 décembre 1998 qui l'excluait du bénéfice des allocations de chômage pour 39 semaines.

2. Par jugement prononcé le 3 octobre 2008, le Tribunal du travail a déclaré le recours recevable et partiellement fondé. La sanction d'exclusion a été ramenée de 39 à 11 semaines.

Le jugement a été notifié aux parties, le 14 octobre 2008.

3. L'ONEM a interjeté appel du jugement par une requête reçue au greffe, en temps utile, le 5 novembre 2008.

Les délais de procédure ont été fixés par une ordonnance du 22 janvier 2009.

Des conclusions ont été déposées pour Monsieur A. F. , le 22 juin 2009. Elles contiennent un appel incident.

Des conclusions ont été déposées pour l'ONEM, le 8 octobre 2009.

4. Les conseils des parties ont été entendus à l'audience du 10 février 2010. Monsieur M. PALUMBO, avocat général, a déposé un avis écrit au greffe, le 12 mars 2010. L'ONEM a déposé des conclusions en réplique, le 7 avril 2010. L'affaire a ensuite été prise en délibéré.

II. Les demandes dont la Cour est saisie

5. L'ONEM demande à la Cour du travail de rétablir la sanction d'exclusion de 39 semaines et subsidiairement de fixer la durée de l'exclusion à 28 semaines.

6. Monsieur A. F. demande à titre principal de réduire la sanction à 4 semaines d'exclusion, à titre subsidiaire de confirmer le jugement et, à titre plus subsidiaire, de fixer la sanction à 26 semaines d'exclusion.

III. Faits et antécédents

7. Les faits ont été résumés de manière claire et précise par le premier juge en pages 3 et 4 du jugement du 3 octobre 2008.

8. On retiendra de cet exposé :

- le 3 juillet 1998, Monsieur A. F. a démissionné de son emploi auprès de la société EXPRESS REPAS;

- le 7 juillet 1998, il a sollicité les allocations de chômage ;

- lors de son audition du 10 septembre 1998, il a confirmé à l'ONEM,

o avoir démissionné de son emploi pour des raisons de santé ;

o avoir travaillé les 3 et 4 juillet 1998 à l'Ambassade du Kenya pour la société SUCOTRADE qui avait promis de l'engager ;

- le 17 septembre 1998, Monsieur A. F. a été convoqué à un examen médical; il ne s'est pas présenté à cet examen ; il allègue ne pas avoir reçu la convocation ;

- le 17 décembre 1998, l'ONEM a pris la décision d'exclure Monsieur A. F. du droit aux allocations de chômage à partir du 21 décembre 1998 pour une période de 39 semaines, et ce en raison d'un abandon d'emploi convenable sans motif légitime ;

- par jugement du 23 mars 2006, le Tribunal du travail de Bruxelles a décidé que l'existence d'une relation de travail avec la société SUCOTRADE les 2 et 3 juillet 1998 n'est pas prouvée ;

9. Le jugement dont appel a confirmé l'abandon d'emploi sans motif légitime, en considérant, notamment, que Monsieur A. F. « n'établit pas les motifs médicaux qui auraient pu justifier que sa démission soit considérée comme ayant été remise pour des motifs légitimes ». De même, le Tribunal a estimé que Monsieur A. F. « ne peut être considéré comme ayant démissionné pour un motif légitime qui aurait été d'avoir retrouvé un nouvel emploi (au service de la société SUCOTRADE) ».

En ce qui concerne la sanction, le Tribunal a fait application des nouvelles dispositions en vigueur depuis le 1er août 2000.

Le Tribunal a considéré que la sanction devait être fixée entre 4 et 26 semaines d'exclusion et non entre 26 et 52 semaines comme le prévoyait l'arrêté royal en vigueur avant le 1er août 2000. Il a donc retenu une sanction de 11 semaines d'exclusion du droit aux allocations de chômage à partir du 21 décembre 1998.

IV. Discussion

10. La discussion ne concerne que la hauteur de la sanction. En effet, dans le cadre de son appel incident, Monsieur A. F. ne conteste pas l'abandon d'emploi sans motif légitime.

Dispositions légales pertinentes

11. Pour pouvoir bénéficier d'allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté (article 44 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991).

Selon l'article 51 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991,

« Le travailleur qui est ou devient chômeur par suite de circonstances dépendant de sa volonté peut être exclu du bénéfice des allocations conformément aux dispositions des articles 52 à 54.

Par « chômage par suite de circonstances dépendant de la volonté du travailleur »,il faut entendre :

1° l'abandon d'un emploi convenable sans motif légitime; (...) » ;

12. Dans sa version antérieure à l'arrêté royal du 29 juin 2000, l'article 52bis, § 1, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 précisait que :

« § 1. Le travailleur est exclu du bénéfice des allocations pendant 26 semaines au moins et 52 semaines au plus s'il est ou devient chômeur au sens de l'article 51, § 1er, alinéa 2, à la suite :

1° d'un abandon d'emploi; (...) ».

Depuis le 1er août 2000, soit depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 29 juin 2000, l'article 52bis, § 1, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 précise :

« Le travailleur peut être exclu du bénéfice des allocations pendant 4 semaines au moins et 52 semaines au plus s'il est ou s'il devient chômeur au sens de l'article 51, § 1er, alinéa 2, à la suite :

1° d'un abandon d'emploi; (...) ».

L'arrêté royal du 29 juin 2000 a, par ailleurs, introduit dans l'arrêté royal un article 53bis précisant :

« § 1er. Pour les événements visés à l'article 51, le directeur peut se limiter à donner un avertissement.

L'avertissement visé à l'alinéa précédent est notifié au chômeur.

§ 2. Pour les événements visés à l'article 51, le directeur peut assortir la décision d'exclusion d'un sursis partiel ou complet.

Le délai du sursis est exprimé en nombre de semaines.

§ 3. Le directeur ne peut faire application des mesures prévues aux §§ 1er et 2 si, dans les deux ans qui précèdent l'événement, il y a eu un événement qui a donné lieu à l'application de l'article 52 ou 52bis ».

13. Un chômeur peut aussi être exclu du bénéfice des allocations de chômage lorsqu'il n'a pas respecté certaines obligations administratives et/ou de contrôle. Ces hypothèses sont visées, sous le titre « sanctions administratives », aux articles 153 et suivants de l'arrêté royal.

Principes régissant l'application de la loi dans le temps

14. Lorsque, comme en l'espèce, la réglementation a changé entre la date à laquelle se sont produits les faits qui doivent être jugés et la date du jugement, se pose la question de savoir quelle réglementation le juge doit appliquer.

En l'espèce, se pose concrètement la question de savoir si la Cour doit se référer à la sanction de « 26 à 52 semaines » (ayant été en vigueur jusqu'au 1er août 2000) ou à la sanction de « 4 à 52 semaines » (ayant été d'application à partir du 1er août 2000).

15. En principe, la loi n'a pas d'effet rétroactif (voir article 2 du Code civil). Elle ne dispose que pour l'avenir. Ainsi, une loi nouvelle s'applique :

- aux situations qui naissent à partir de sa mise en vigueur,

- aux « effets futurs de situations nées sous le régime de la loi antérieure ou se prolongeant sous l'empire de la loi nouvelle » (Cass. 2 mai 1994, Pas. 1994, I, p. 434).

Par contre, lorsque la situation est née et a produit tous ses effets sous le régime d'une loi déterminée, il n'y a, en principe, pas lieu de lui appliquer la réglementation nouvelle ; il en est ainsi même si la décision administrative est prise après l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, car la décision « ne constitue pas un effet futur de la situation née avant... ».

C'est ce que la Cour de cassation a décidé dans un arrêt du 14 mars 2005 (Cass. 14 mars 2005, S.030040F).

16. En matière de sanctions, toutefois, on applique la loi nouvelle, dans tous les cas, si elle est plus favorable au « contrevenant ».

L'article 2 du Code pénal précise en ce sens, « si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l'infraction, la peine la moins forte sera appliquée ».

De même, selon l'article 15.1. du Pacte international des droits civils et politiques, approuvé par la loi belge du 15 mai 1981, « il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ».

Selon la Cour de cassation, l'application de la loi nouvelle plus douce est un principe général du droit (Cass. 14 mars 2005, S.030061.F). Il s'applique à toute sanction, même lorsque cette dernière ne constitue pas une peine au sens du droit pénal.

Application de ces principes en cas d'exclusion du bénéfice des allocations de chômage

17. La Cour de cassation fait une distinction entre les exclusions décidées sur base de l'article 52bis en raison de ce que le chômage n'est pas involontaire et les exclusions décidées sur base des articles 153 et suivants, en raison du comportement du chômeur.

Pour la Cour de cassation, l'exclusion décidée sur base de l'article 52bis n'est pas une sanction :

« l'exclusion du travailleur qui est ou devient chômeur en raison d'un licenciement pour un motif équitable eu égard à l'attitude fautive du travailleur, comme le prévoit l'article 52, § 1er, 2°, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, ne constitue pas une sanction mais une mesure qui est prise à l'égard d'un travailleur qui ne remplit pas les conditions d'octroi des allocations de chômage, à savoir être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté et n'avoir dès lors pas droit aux allocations »;

Elle en déduit que « le principe général du droit de l'application de la peine la moins forte, consacré par l'article 2, alinéa 2, du Code pénal et par l'article 15.1 du Pacte international du 19 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques, approuvé par la loi du 15 mai 1981, ne s'applique pas à une telle mesure » (Cass. 18 février 2002, Pas. 2002, I, p. 491 ; J.T.T. 2002, p. 445, note ; Chron. D.S. 2002, p. 378).

Par contre, même si elle n'est pas une peine au sens de l'article 2, alinéa 2, du Code pénal, la sanction décidée sur base des articles 153 ou 154 de l'arrêté royal est une sanction à laquelle s'applique le principe général du droit de l'application de la loi nouvelle plus douce (voy. Cass. 14 mars 2005, S.030061.F, Pas. 2002, p. 599 ; J.T.T. 2005, p. 224 ; Chron. D.S. 2005, p.520).

18. En l'espèce, l'exclusion a été décidée sur base des articles 51 et suivants de l'arrêté royal. Il faut donc, au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, considérer cette exclusion comme n'étant pas une sanction (malgré le fait qu'elle puisse être assortie d'un sursis...).

Le Tribunal ne pouvait donc pas faire application de la peine nouvelle moins forte.

Dans la mesure où les faits se sont entièrement produits avant le 1er août 2000, il était tenu de respecter la hauteur des exclusions en vigueur à l'époque, et ainsi fixer l'exclusion entre 26 et 52 semaines.

En l'espèce, toutefois, les circonstances justifient que l'on n'applique que le minimum de 26 semaines.

En effet même si la relation de travail avec la société SUCOTRADE n'a pas pu être démontrée, il n'est pas contesté que Monsieur A. F. a, à tout le moins, été en contact avec ce nouvel employeur potentiel au moment de sa démission de sorte que son intention n'était pas de devenir chômeur.

19. En conséquence, l'appel de l'ONEM est partiellement fondé.

Par ces motifs,

La Cour du Travail,

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, notamment l'article 24 ;

Statuant contradictoirement,

Après avoir pris connaissance de l'avis écrit non-conforme de Monsieur M. PALUMBO, avocat général, avis auquel l'ONEM a répliqué,

Déclare l'appel recevable et partiellement fondé,

Fixe la durée de l'exclusion du droit aux allocations de chômage, à 26 semaines à partir du 21 décembre 1998,

Réforme en conséquence le jugement dont appel,

Met les dépens à charge de l'ONEM.

Ainsi arrêté par :

J.-F. NEVEN Conseiller

Y. GAUTHY Conseiller social au titre employeur

P. LEVEQUE Conseiller social au titre de travailleur ouvrier

et assistés de R. BOUDENS Greffier délégué

R. BOUDENS P. LEVEQUE Y. GAUTHY J.-F. NEVEN

Monsieur P. LEVEQUE, Conseiller social à titre d'ouvrier, qui a assisté aux débats et participé au délibéré dans la cause, est dans l'impossibilité de signer le présent arrêt.

Conformément à l'article 785 du Code Judiciaire, l'arrêt est signé par Monsieur J.-F. NEVEN, Conseiller à la Cour du Travail, et Monsieur Y. GAUTHY, Conseiller social à titre de travailleur - employeur.

R . BOUDENS

L'arrêt est prononcé à l'audience publique de la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles, le 12 mai deux mille dix, où étaient présents :

J.-F. NEVEN Conseiller

R. BOUDENS Greffier délégué

R. BOUDENS J.-F. NEVEN