Tribunal de première instance: Jugement du 2 février 2016 (Bruxelles). RG 12/14305/A

Datum :
02-02-2016
Taal :
Frans
Grootte :
15 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20160202-5
Rolnummer :
12/14305/A

Samenvatting :

Sommaire 1

Vonnis :

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En cette cause, tenue en délibéré le 12 janvier 2016, le tribunal rend le jugement suivant :

Vu les pièces de la procédure et notamment :

- le jugement dont appel, dont il n'est pas produit d'acte de signification, prononcé par la 8ème chambre du tribunal de police de Bruxelles le 22 octobre 2012 ;

(...)

Entendu les conseils des parties en leurs dires et moyens à l'audience publique du 12 janvier 2016.

***

I. Objet des appels

1. - L'action principale originaire, mue par citation du 9 décembre 2011 par M. R., tendait, par un jugement exécutoire par provision nonobstant tout recours et sans caution ni cantonnement, à entendre :

- dire pour droit que la Région flamande est responsable de l'accident survenu le 1er octobre 2007,

- condamner la Région flamande au paiement du montant de 1.096,49 euro (à titre de dommage matériel), de 2.047 euro (à titre de dommage vestimentaire) et de 1.525 euro (à titre de dommage moral), à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 1er octobre 2007 et des intérêts judiciaires,

- condamner la Région flamande aux dépens de l'instance, en ce compris l'indemnité de procédure évaluée, par voie de conclusions, à 990 euro .

Par un acte du 20 juillet 2012, M. G. est intervenu volontairement à la cause. Par voie de conclusions, il demandait au premier juge de condamner la Région flamande à lui payer le montant de 3.053 euro , à majorer des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 1er octobre 2007, et aux dépens.

Par un acte du 29 août 2012, M. M. est intervenu volontairement à la cause. Par voie de conclusions, il demandait au premier juge de condamner la Région flamande à lui payer un montant provisionnel de 10.000 euro sur un dommage évalué à 100.000 euro et demandait au premier juge de désigner un expert judiciaire afin d'évaluer son dommage corporel.

La Région flamande concluait à l'absence de fondement des demandes dirigées contre elle.

2. - Par jugement précité du 22 octobre 2012, le premier juge a déclaré les demandes recevables, mais non fondées. Il a délaissé à chacun des demandeurs leurs dépens.

3. - L'appel principal tend à la réformation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en tant qu'il a déclaré les actions recevables. M. R. demande au tribunal de dire son action originaire fondée.

4. - M. G. et M. M. forment un appel incident par voie de conclusions, par lequel ils demandent au tribunal de faire droit à leurs demandes en intervention originaires. M. G. évalue son indemnité de procédure à 715 euro .

5. - La Région flamande demande au tribunal :

- à titre principal, de confirmer le jugement entrepris et condamner les appelants aux dépens,

- à titre subsidiaire, de « déduire l'indemnisation de monsieur R. à maximalement 3.826,47 euro et n'attribuer les intérêts sur l'indemnité morale qu'à partir du 1 novembre 2007 » et de « déduire l'indemnisation de monsieur M. à maximalement 1000,00 EUR provisionnelle ».

6. - Les appels, réguliers en la forme, sont recevables (ce qui n'est pas contesté).

Le tribunal rappelle d'emblée que le pourvoi en cassation n'est pas suspensif de sorte qu'il n'y a pas lieu d'assortir le présent jugement du caractère exécutoire.

II. Les faits

7. - Les faits utiles à la solution du litige peuvent être résumés comme suit :

- Deux accidents de la circulation sont survenus le 1er octobre 2007, à hauteur du kilomètre 17.3 sur le Ring O de Bruxelles. Il n'est pas contesté (à tout le moins, pas contestable eu égard aux pièces produites) qu'à cet endroit, le jour des accidents, la bande de droite était en travaux et que le revêtement d'asphalte avait été enlevé, créant un dénivelé d'environ 7 cm sur une centaine de mètres, tant au début des travaux que tout le long de la bande.

- Vers 11h, M. M. circulait sur la bande de droite du ring, en direction de Zaventem, sur une moto suzuki appartenant à M. G., lorsqu'il a chuté.

- Cet accident a fait l'objet d'un dossier répressif classé sans suite.

- M. M., qui a été hospitalisé suite à l'accident, a déclaré par la suite à son assureur : « Je circulais à moto à une vitesse de +/- 60 km/h sur la bande de droite en suivant un camion ou une grosse camionnette étant gêné par la trainée d'eau que celui-ci déplaçais j'ai entrepris de le dépasser. Ayant amorcé ma manœuvre quelle ne fut pas ma stupéfaction de me trouver face à un dénivellement positif de +/- 7 cm du au ré asphaltage de la bande de circulation de gauche. La moto bien entendu n'as pas pu absorber l'obstacle et ce fut la chute. Ayant été désarçonné pas l'embardée j'ai glissé sur cet asphalte et j'ai terminé ma course en m'empalant sur un poteau planté dans le gazon de la berme centrale panneau supportant un signal A17 (gravillons) en aucun cas ces travaux n'étaient balisés avec une interdiction de dépassement (C35) ou avec des cônes entre les deux bandes de circulation ce qui aurait été nécessaire au vu des dangers et des conditions présentes. (...) ».

- Un témoin des faits, M. P. a résumé comme suit les événements : « Ce jour vers 11h00, je circule seul à bord de mon véhicule sur l'entité de Hoeilaart, Ring extérieur en direction de Bruxelles, sur la bande de circulation de droite. Une dénivellation est présente entre les deux bandes de circulation. Un motard a roulé sur cette dénivellation en dépassant un véhicule m'a-t-il dit. Sa moto a perdu l'adhérence et le pilote a chuté. Dans sa chute, le motard a percuté un poteau de signalisation situé dans l'accotement herbeux à gauche de la chaussée. Je n'ai pas vu l'accident proprement dit, j'ai juste vu le motard glisser sur la chaussée (...) ».

- Vers midi, M. R., qui circulait également à moto, a chuté environ au même endroit. Dans un courrier qu'il a remis quelques jours plus tard aux services de police, il a relaté l'accident comme suit : « Le lundi 1er octobre 2007 vers 12h je circulais sur le ring O de Bruxelles, venant de Waterloo et dans la direction de Zaventem (...). Soudainement, j'ai fait une chute à hauteur du kilomètre 17,3 (...). Ma moto est moi-même sommes partis dans une glissade sur la chaussée. Ce n'est qu'en me relevant que j'ai compris ce qui s'était passé. La chute a été causée par le défoncement de la bande de droite de la chaussée. En effet, alors qu'aucun panneau de signalisation n'indiquait de travaux et de dénivelés 300 m avant et à hauteur du défoncement, j'ai dû constater que la bande de droite était en voie de réfection. Cette bande avait été râclée et laissée en l'état en attente de recouvrement sur une distance de plusieurs centaines de mètres, présentant un dénivelé important et brutal tant dans le sens perpendiculaire à la circulation, que dans le sens longitudinal avec la bande de gauche ainsi que l'accotement. Signalisations routières présentes : A 300 m : panneau C39 « interdiction de dépasser pour les poids lourds » + Panneau C43 (70) vitesse limitée à 70 km/h » - Rappel 300 mètres plus loin : Panneau C35 « interdiction de dépasser » + C43 (70) « vitesse limitée à 70 km/h (...). Les policiers (...) ayant aussi constaté l'absence de signalisation routière faisant mention de travaux, ils m'ont déclaré que ‘normalement les travaux doivent être signalés 300 m avant ».

- Les services de police ont effectué les constatations suivantes (selon la traduction libre proposée par la Région flamande) : « En attendant le service dépannage, nous constatons qu'un autre motard tombe presqu'au même endroit et pour la même raison. Ce conducteur ne paraît pas être blessé et ne désire pas de constatations d'un service de police. (...) Nous constatons qu'effectivement les panneaux de signalisation nécessaires A13, A17, C43 (70 Km/h), C39 ainsi que les panneau d'indication de différence de niveau avec panonceau type G, ont été placés répétitivement et régulièrement le long de la route par le responsable des travaux ».

- L'inspecteur Van Ham, qui était un des deux policiers présents le jour des faits, a été entendu dans le cadre de l'accident de M. R.. Il a confirmé l'existence d'un dénivelé de 7 cm et a précisé que celui-ci était « signalé par des panneaux de signalisation oranges spécialement conçu à cet effet, ainsi que par des panneaux de signalisation A13, A17 ; et il y a aussi des panneaux de signalisation C43 qui limitaient la vitesse à 70km/h. La signalisation est clairement visible et installée de manière réglementaire, déjà avant l'inégalité et avant le début de l'endroit des travaux » (selon la traduction libre proposée par M. R.) . Il a, enfin, précisé que la nuit précédant l'accident, une des deux bandes avait été fermée à la circulation mais que toute la chaussée avait, dès le matin, été rouverte à la circulation.

III. Discussion

8. - Le présent litige a pour objet la réparation des conséquences dommageables de deux accidents de la circulation survenu sur le Ring O de Bruxelles le 1er octobre 2007.

9. - M. R., M. M. et M. G. imputent l'entière responsabilité de l'accident à la Région flamande pour avoir violé les articles 78.1.1 et 78.2 du Code de la route (signalisation des chantiers et des obstacles) ainsi que les articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil.

10. - La Région flamande conteste toute responsabilité dans son chef et reproche au contraire aux conducteurs R. et M. d'avoir méconnu l'article 10.1.1° du Code de la route (obligation d'adapter sa vitesse).

A. Les règles en matière de charge de la preuve

11. - Le tribunal rappelle que, lorsqu'une action en justice devant le juge civil est fondée sur une infraction à la loi pénale, il incombe au demandeur à l'action de prouver que les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis et, si le défendeur invoque une cause de justification non dépourvue de tout élément de nature à lui donner crédit, que cette cause de justification n'existe pas (Cass., 29 novembre 1974, Pas., 1975, I, p. 348 ; Cass., 4 décembre 1992, Pas., 1992, I, p.1338 ; Cass., 22 décembre 1995, Arr.Cass., II, p.1195 ; Cass., 30 septembre 2004, J.L.M.B., 2005, p. 1256 ; Cass., 11 juin 2010, Pas., n°1844). Les causes de justification sont, outre celles prévues par le Code pénal (par exemple articles 70 et 71), toutes les circonstances qui sont de nature à exclure l'infraction imputée à celui qui l'allègue (Cass., 31 octobre 1972, 23 janvier et 13 février 1973, Pas., 1973, I, p. 212, 503 et 559).

Il incombe en outre au demandeur en réparation d'établir l'existence d'un lien de causalité entre la faute et le dommage tel qu'il s'est réalisé. Ce lien suppose que, sans la faute, le dommage n'eût pu se produire tel qu'il s'est produit (Cass., 19 juin 1998, Pas., 1998, I, p.324 ; Cass., 1er avril 2004, Pas., n° 174 ; Cass., 26 juin 2008, Pas., n°406 ; Cass., 17 décembre 2009, R.G.A.R., 2010, 14.633).

B. Les règles applicables à la signalisation des chantiers et des obstacles

12. - Les règles de base en matière de signalisation étaient, avant leur abrogation par l'article 13 du décret de la Région flamande du 16 mai 2008 (entré en vigueur postérieurement aux faits de la présente cause), prescrites par les articles 13 et 14 de la loi du 16 mars 1968 relative à la police de la circulation routière.

L'article 13 dispose que le placement des signaux qui imposent une obligation ou qui marquent une interdiction incombe à l'autorité qui a pris la mesure et toute autre signalisation sur la voie publique incombe à l'autorité qui a la gestion de cette voie.

Les signaux A13 (cassis ou dos d'âne), A17 (projection de gravillon), A31 (travaux) ou A51 (danger non défini par un symbole spécial) sont des signaux de danger qui doivent, conformément à l'article 66.2 du Code de la route et sauf circonstances particulières, être placés à une distance approximative de 150 m de l'endroit dangereux.

Les signaux C35 (interdiction, à partir du signal, de dépasser par la gauche un véhicule attelé ou un véhicule à plus de deux roues), C39 (même interdiction mais pour les poids lourds uniquement) et C43 (interdiction de circuler, à partir du signal, à une vitesse supérieure à celle indiquée) sont des signaux d'interdiction qui sont placés en principe à droite de la chaussée et peuvent être annoncés par un signal identique complété par un panneau additionnel indiquant la distance approximative à laquelle commence l'interdiction (art. 68.1 et 68.2 du Code de la route).

13. - L'article 14 de la loi de 1968, relatif aux obstacles et chantiers, dispose que, par dérogation à l'article 13, la « signalisation des obstacles à la circulation incombe à celui qui a créé l'obstacle » et que, en « cas de carence de ce dernier, cette obligation est assumée par l'autorité qui a la gestion de la voie publique ».

L'article 14, alinéa 2 précise que la « signalisation des chantiers établis sur la voie publique incombe, dans les conditions déterminées par le Roi, à celui qui exécute les travaux ».

14. - Ces règles sont, en substance, reprises par le Code de la route, qui dispose, en son article 78.1.1., que la « signalisation des chantiers établis sur la voie publique incombe à celui qui exécute les travaux » mais que, s'il « doit être fait usage de signaux relatifs à la priorité, de signaux d'interdiction, de signaux d'obligation, de signaux relatifs à l'arrêt et au stationnement ou de marques longitudinales provisoires indiquant les bandes de circulation, cette signalisation ne peut être placée que moyennant autorisation » donnée par l'autorité compétente. Cette autorisation « détermine dans chaque cas la signalisation routière qui sera utilisée ».

L'article 78.2 du Code de la route prévoit que la signalisation des « obstacles » incombe soit « à l'autorité qui a la gestion de la voie publique s'il s'agit d'un obstacle qui n'est pas dû au fait d'un tiers », soit « à celui qui a créé l'obstacle » mais que, en « cas de carence de ce dernier, cette obligation est assumée par l'autorité qui a la gestion de la voie publique; les frais qui en résultent peuvent être récupérés par cette autorité à charge de la personne défaillante ».

15. - L'arrêté ministériel du 7 mai 1999, que vise M. R. dans ses conclusions, précise les obligations relatives à la signalisation des chantiers et des obstacles sur la voie publique.

En ce qui concerne la signalisation des chantiers, l'article 1.1 dispose qu'elle « doit être assurée avec le plus grand soin et maintenue, pendant toute la durée des travaux dans un état de propreté tel qu'elle reste identifiable par les usagers ».

L'article 1.2.1. prévoit que, en « vue de garantir la sécurité de la circulation, l'autorisation prévue à l'article 78.1.1. du règlement général sur la police de la circulation routière peut, outre les mesures imposées par le présent arrêté, prévoir une signalisation routière complémentaire » et que cette autorisation « doit se trouver sur le chantier, et doit être présentée à toute réquisition de l'autorité compétente ».

Les obligations relatives à la signalisation des chantiers et des obstacles sur la voie publique diffèrent selon la catégorie de chantier qui est concernée, celle-ci étant, conformément à l'article 1.11 de l'arrêté, déterminée par la vitesse maximale autorisée la plus élevée. Ainsi, relèvent de la 1ère catégorie, les chantiers établis sur autoroutes et sur les voies publiques où la vitesse maximale autorisée est supérieure à 90 km/h et de la 2ème catégorie, les chantiers établis sur les voies publiques où la vitesse maximale autorisée est supérieure à 50 km/h, et inférieure ou égale à 90 km/h.

M. R. affirme, sans être contesté sur ce point, que la vitesse maximale était, à l'endroit de l'accident, de « 90 km/h en temps normal » (ses conclusions, p. 10), de sorte que le chantier litigieux doit être classé parmi les chantiers de 2ème catégorie, visés à l'article 3 de l'arrêté ministériel.

Cette disposition distingue les chantiers « gênant fortement la circulation », soit ceux « qui, à un endroit quelconque, ont une largeur telle qu'au moins une bande ou la largeur d'une bande de circulation est soustraite au trafic sur la chaussée » (art. 3.1) et ceux « gênant peu la circulation », soit ceux « qui, à un endroit quelconque, ont une largeur telle que moins d'une bande ou moins de la largeur d'une bande de circulation est soustraite au trafic sur la chaussée, ainsi que ceux qui sont établis en dehors de la chaussée mais qui influencent la circulation sur celle-ci » (art. 3.2).

Contrairement à ce que semble soutenir M. R., le chantier litigieux doit être qualifié comme ne gênant que peu la circulation dès lors qu'aucune des deux bandes n'avait été soustraite au trafic sur la chaussée, de sorte que ce ne sont pas les obligations visées par l'article 3.1 mais celles visées par l'article 3.2 qui doivent être examinées afin de vérifier si la signalisation était, en l'espèce, régulière.

En ce qui concerne la signalisation à distance, l'article 3.2.1° impose qu'un signal A31 (travaux) soit placé à 300 m à partir de l'endroit où commence le chantier (et complété par un panneau additionnel) et qu'un autre signal A31 ou un signal de danger plus approprié soit placé à 150 m de ce dispositif. La disposition précise qu'un « signal C43 limitant la vitesse à 50 km/h peut être placé au-dessous du signal de danger, à moins que la disposition des lieux n'impose déjà avant une vitesse inférieure » .

L'article 3.2.2° dispose que la signalisation sur place au début du chantier prévoit un dispositif de l'annexe 4 au présent arrêté, à savoir une barrière avec lisse transversale, pourvue de bandes alternées rouges et blanches ou une barrière avec croisillon rouge et blanc, et que, si une partie du chantier au moins est aménagée sur la chaussée, un signal D1 dont la flèche est inclinée à environ 45° vers le sol est placé au-dessus du dispositif, son bord inférieur se trouve au moins à 1,50 m du sol et un feu jaune-orange clignotant est placé au-dessus de ce signal.

L'article 3.2.3° prévoit, enfin, la signalisation latérale requise, à savoir des bandes alternées rouges et blanches espacées au maximum de 30 m et pourvues d'un éclairage réalisé au moyen de lampes de couleur blanche ou jaunâtre.

En ce qui concerne la signalisation des obstacles, l'article 10 de l'arrêté ministériel dispose que, sans préjudice des articles 51 (véhicule en panne ou chargement tombé sur la voie publique) et 78.2 (précité) du Code de la route, « les mesures les plus appropriées doivent être prises pour garantir la sécurité de la circulation ».

C. Les règles applicables en matière de responsabilité extracontractuelle

16. - L'article 1382 du Code civil impose à tous un devoir général de prudence et implique, plus précisément, dans le chef de l'administration, l'obligation de n'établir et de n'ouvrir à la circulation que des voies suffisamment sûres (Cass., 21 octobre 1993, Pas., 1993, I., p. 848 ; Cass., 12 avril 1984, Pas., I., p. 1015).

17. - L'article 1384 alinéa 1er du Code civil institue une présomption irréfragable de responsabilité en ce qui concerne le dommage causé par les choses que l'on a sous sa garde, en raison du vice qui les affecte. Cette présomption est « inspirée par le souci d'assurer une protection plus efficace aux victimes des dommages causés par le fait » de ces choses, de sorte qu'elle « n'existe qu'en faveur des personnes directement victimes du dommage et ne peut être invoquée que par elles » (Cass., 14 février 2013, Pas., I, n°429).

Il appartient à la victime, pour triompher dans son action sur la base de cette disposition, de rapporter la preuve de la qualité de gardien de la partie dont elle poursuit la condamnation, de l'existence d'un vice et d'un lien causal entre ce vice et le dommage vanté.

Le gardien d'une chose est « celui qui use de cette chose pour son propre compte ou qui en jouit ou la conserve avec pouvoir de surveillance, de direction et de contrôle » (Cass., 20 mars 2003, R.C.J.B., 2006, p. 8 ; Cass., 13 septembre 2012, Pas., I, n°1647). Le gardien est ainsi, en règle, nonobstant l'existence d'une obligation conventionnelle se rapportant à la chose, « celui qui a le pouvoir de donner des instructions concernant l'utilisation qu'il convient de faire de la chose, en vue par exemple de la modifier, de la réparer ou de l'entretenir » (B. DUBUISSON, « La garde de la chose ... pour des prunes », note sous Cass., 20 mars 2003, R.C.J.B., 2006, p. 19). La garde se caractérise par un pouvoir de « direction intellectuelle » sur la chose (R.O. DALCQ, Traité de la responsabilité civile, t. I. Les causes de responsabilité, Les Novelles, Bruxelles, Larcier, 1959, n°2072) qui doit s'apprécier in abstracto et non in concreto. Il suffit, en effet, que le gardien ait eu, lors de la réalisation du dommage, la possibilité d'exercer son pouvoir de surveillance, de direction et de contrôle (Y. NINANE et J. VAN ZUYLEN, « Le vice dont répond le gardien ou le propriétaire sur le fondement des articles 1384, alinéa 1er, et 1386 du Code civil », in Les défauts de la chose. Responsabilités contractuelle et extracontractuelle, Limal, Anthémis, 2015, p. 232).

Une chose est affectée d'un vice si elle présente une caractéristique anormale qui la rend, en certaines circonstances, susceptible de causer un dommage (Cass., 27 mai 1982, J.T., 1983, p. 48 ; Cass., 19 septembre 1985, Pas., 1986, I, 54 ; Cass., 11 septembre 2008, Pas., 2008, p. 1916 ; Cass., 2 janvier 2009, Pas., 2009, p.2 ; Cass., 30 octobre 2009, R.G.A.R., 2010, n° 14640 ; Cass., 31 octobre 2013, Pas., I, n°2115 ; Cass., 17 janvier 2014, RG n° C.12.0510.F, www.juridat.be).

Cela étant, une chose qui ne comporte en soi aucune caractéristique anormale peut rendre vicieuse une autre chose, plus large, à la surface de laquelle elle est venue se poser ou à laquelle elle est venue s'incorporer. Il ne suffit pas, dans cette hypothèse, que soit ajouté à la chose un élément qui cause le dommage ; il est « requis que la chose, dans son ensemble, présente une caractéristique anormale » (Cass., 31 octobre 2013, Pas., I, n°2115). On parle alors de vice d'une « chose complexe ». En effet, le vice n'est pas exclusivement un élément permanent et inhérent à la chose existant ou survenu en dehors de toute intervention d'un tiers (N. ESTIENNE, « La responsabilité du fait des choses : Quelques développements récents », in La responsabilité civile : dernière évolutions et perspectives. Le premier Colloque du J.T., 2010, p. 770, n° 2, p. 772, n° 8 et nombreuses références citées).

Selon la conception traditionnelle, la caractéristique anormale est le défaut ou l'imperfection de la chose qui l'éloigne de son modèle ou, en d'autres termes, qui lui enlève ses qualités propres (Cass., 11 septembre 1980, Res et jur.imm., 1980, p. 327 ; Cass., 25 avril 2005, Pas., 2005, p. 924 : « la caractéristique anormale d'une chose ne peut être appréciée qu'à la lumière de la comparaison de choses d'une même catégorie et d'un même type au moment des faits, plus spécialement à la lumière du caractère préjudiciable de la chose en certaines circonstances »).

Une jurisprudence de plus en plus importante apprécie toutefois l'existence du vice en retenant un critère fonctionnel qui se réfère à la destination ou à l'usage normal de la chose, au regard des attentes légitimes du public en matière de sécurité (en ce sens, not. : Bruxelles, 17 juin 2008, R.G.A.R., 2009, n° 14513 ; Bruxelles, 26 novembre 2008, R.G.A.R., 2010, n° 14587 ; N. ESTIENNE, op. cit., p. 773, n° 9 et références citées ; Y. NINANE et J. VAN ZUYLEN, op. cit., p. 254).

Dans un arrêt du 11 mars 2010 (Pas., I, n°777), la Cour de cassation a laissé une place pour le critère des attentes légitimes, sans se départir de sa conception traditionnelle (Cass., 11 mars 2010, Pas., I, n°777 : « Le caractère anormal de la chose ne peut être apprécié qu'en effectuant une comparaison avec des choses du même genre et du même type afin de déterminer les qualités de la chose auxquelles la victime pouvait normalement s'attendre »). Si la destination de la chose vicieuse, ou de la chose sur laquelle elle se trouve ou à laquelle elle s'incorpore ne peut suffire à exclure l'existence d'un vice (voy. Cass., 18 juin 2012, Pas., I, p. 1402), le tribunal estime toutefois que le critère fonctionnel demeure pertinent lorsqu'il s'agit d'apprécier, de façon positive, l'existence du vice.

Dès lors qu'il s'agit d'un fait juridique, la preuve de l'existence du vice peut être rapportée par toutes voies de droit, en ce compris les présomptions (Cass., 18 mai 1984, J.T., 1984, p.708 ; Cass., 29 janvier 1987, J.T., 1987, p. 499). A cet égard, le comportement anormal de la chose ne suffit pas, en principe, à établir son vice dès lors qu'il n'en constitue tout au plus, le cas échéant, qu'une manifestation objective (Y. NINANE et J. VAN ZUYLEN, op. cit., p. 251). Le juge peut toutefois déduire l'existence d'un vice du comportement de la chose « lorsqu'il exclut toute autre cause que le vice » (Cass., 11 septembre 2008, Pas., I, p. 1916). Une fois l'existence du vice prouvée, son origine importe peu : « il peut être originel ou acquis, provenir de la vétusté, du défaut d'entretien ou de tout autre cause, comme le fait d'un tiers ou de la nature » (B. DUBUISSON, « Développements récents concernant les responsabilités du fait des choses (choses, animaux, bâtiments) », R.G.A.R., 1997, no 12729, no 32 et jurisprudence citée).

De son côté, le gardien ne peut renverser la présomption de responsabilité qui pèse sur lui en démontrant son ignorance invincible du défaut (B. DUBUISSON, « La garde de la chose ... pour des prunes », op. cit., p. 21). Il ne peut s'exonérer de sa responsabilité que s'il prouve que, non pas le vice, mais le dommage est dû à une cause étrangère : cas fortuit, force majeure, fait d'un tiers ou de la victime elle-même (J-L. FAGNART, « La responsabilité civile - chronique de jurisprudence 1985-1995 », in Les dossiers du Journal des Tribunaux, Bruxelles, 1997, p. 77 et s.). Il doit donc prouver que « même sans le vice dont est atteint la chose, le dommage se serait présenté tel qu'il a eu lieu » (Cass., 26 avril 2013, Pas., I, n°985).

Si le vice de la chose coexiste avec une faute de la victime qui est en lien causal avec le dommage, il convient de prononcer un partage de responsabilités (Cass., 30 septembre 2004, R.G.D.C., 2005, p.333 et obs. R. Marchetti ; Civ. Bruxelles, 24 mars 2005, C.R.A., 2008, p.67). Tel est, notamment, le cas lorsque l'obstacle que constitue la chose atteinte d'un vice était visible et prévisible pour la victime. En effet, « si cette prévisibilité ne fait pas disparaître le vice en tant que tel, elle peut avoir une influence sur l'appréciation de l'éventuelle faute commise par la victime et justifier un partage des responsabilités » (N. ESTIENNE, op. cit., p. 775, n° 20 et références citées sous n°138).

En l'absence de faute de la victime, le gardien est responsable envers celle-ci à concurrence de l'intégralité de son dommage mais possède « contre le tiers dont la faute a causé le vice, (...) un recours pour le montant total du dommage » (Cass., 14 février 2013, Pas., I, n°429).

D. Application des principes en l'espèce

18. - En l'espèce, il résulte des éléments du dossier et, notamment, de la déclaration de l'inspecteur Van Ham que, à l'endroit (à tout le moins à hauteur de l'endroit) où les deux accidents ont eu lieu, le revêtement de la bande de droite de la chaussée avait, en raison de travaux, été retiré, créant un dénivelé d'environ 7 cm tant dans le sens de la largeur (à partir du début des travaux) que dans le sens de la longueur (au niveau de la ligne de séparation des deux bandes de circulation).

19. - Il n'est pas contestable qu'il appartenait à celui qui exécutait les travaux de veiller à la signalisation du chantier litigieux.

Force est de constater que celle-ci n'a pas été faite régulièrement dès lors qu'il n'est pas (sérieusement) contesté qu'aucun panneau A31 n'avait été placé afin de signaler, a fortiori suffisamment à l'avance, les travaux en cours (outre, à titre surabondant, les autres obligations imposées par l'article 3.2° de l'arrêt ministériel du 7 mai 1999 dont le respect ne résulte d'aucun des éléments objectifs du dossier) .

20. - Eu égard à ce défaut de signalisation, il incombait à la Région flamande, autorité en charge de la voirie, de ne pas rouvrir (ou de veiller à ce que ne soit pas rouverte) la bande de droite à la circulation alors que, selon les déclarations non contestées de l'inspecteur Van Ham, elle était fermée la nuit précédant l'accident.

21. - Il en va d'autant plus ainsi que la présence d'un dénivelé de 7 cm sur une voie sur laquelle la vitesse maximale autorisée est de 90 km/h constitue un danger certain pour les usagers, particulièrement ceux circulant sur des véhicules à deux roues et crée, de la sorte, un obstacle à leur circulation (sur le fait qu'un chantier peut également comporter un obstacle, voy. notamment Bruxelles, 11 avril 1990, D. circ., 1991, p. 28).

La présence d'un tel obstacle rendait la Région flamande débitrice de l'obligation de signalisation prévue par l'article 78.2 du Code de la route, à savoir celle de pallier la carence de celui ayant créé l'obstacle (l'entrepreneur).

En effet, à défaut de laisser la bande de droite soustraite à la circulation pendant la durée des travaux, il incombait à tout le moins à la Région flamande de veiller à ce que l'obstacle précité soit annoncé de façon adéquate et suffisamment à l'avance et que les interdictions appropriées soient placées afin d'éviter qu'un usager n'arrive à une vitesse inadaptée eu égard à l'importance du dénivelé précité.

Le tribunal estime ainsi qu'une limitation de vitesse à 70 km/h était, dans les conditions précitées, manifestement inadaptée et aurait dû, à tout le moins, être réduite à 50 km/h.

De même, la nature du dénivelé et le fait qu'il existait également entre les deux bandes de circulation imposaient, sinon la fermeture de la bande de droite, à tout le moins la présence d'un panneau A13 et d'un panneau A51 placés, conformément à l'article 66.2 du Code de la route, 150 mètres avant le début du dénivelé , mais également d'un dispositif latéral entre les deux bandes de circulation. A cet égard, M. M., sans être contesté sur ce point, a expressément dénoncé l'absence de « cônes entre les deux bandes de circulation ce qui aurait été nécessaire au vu des dangers et des conditions présentes. (...) ».

22. - La Région flamande, en autorisant (ou en ne s'opposant pas à) la réouverture de la bande de droite alors que les travaux, n'étant pas régulièrement signalés, rendaient dangereuse la circulation sur cette bande de circulation, a commis une faute au sens de l'article 1382 du Code civil.

Elle a également commis une faute en ne palliant pas la carence de l'entrepreneur par le placement d'une signalisation adéquate, de nature à avertir les usagers de l'obstacle créé par les travaux de réfection de la bande de circulation litigieuse.

23. - La Région flamande conteste également, de manière implicite mais certaine, le lien causal entre les travaux litigieux et les deux accidents. Elle insiste ainsi sur le fait que les circonstances exactes de l'accident de M. R. (mais précise que ses arguments s'appliquent également à M. M.) ne sont pas connues et que cette situation résulte notamment du comportement de M. R. qui n'aurait pas souhaité que la police effectue d'autres constatations.

Le tribunal constate cependant qu'il résulte des explications circonstanciées de M. M. que sa chute a été causée par le fait que, circulant initialement sur la bande de droite, il a voulu dépasser par la gauche un camion ou une grosse camionnette et qu'il a été surpris par le dénivelé positif dû au réasphaltage de la bande de gauche. Selon lui, la moto n'ayant pu absorber l'obstacle, il a glissé sur la bande de gauche et a terminé sa course sur la berme centrale.

Cette déclaration est parfaitement compatible avec les traces de freinage reprises sur le plan établi par les policiers qui, même si celles-ci ne commencent pas exactement à la ligne de séparation entre les deux bandes de circulation , partent du milieu de la bande de gauche pour se diriger vers la gauche de celle-ci.

M. Pirson a confirmé avoir vu la moto de M. M. glisser sur la chaussée.

Enfin, les constatations des services de police permettent de considérer que ceux-ci se rallient à la version des faits proposée par M. M.. En effet, ils supposent que la chute de M. R. (dont ils n'ont pas vu la cause) est la même que celle qui a causé celle de M. M.. Dès lors qu'ils ne relèvent d'infraction dans le chef d'aucun des deux conducteurs, ils estimaient manifestement que ces accidents avaient été causés par les travaux et, plus spécifiquement, par le dénivelé litigieux.

A défaut de toute autre explication plausible (notamment de la Région flamande) permettant de comprendre l'accident , le tribunal estime, eu égard à la configuration des lieux, que la preuve du lien causal entre l'accident et le dénivelé litigieux est rapportée à suffisance de droit et, par conséquent, le lien causal entre cet accident et les fautes commises par la Région flamande sans lesquelles ce dernier ne se serait pas produit tel qu'il s'est réalisé.

Le tribunal constate que la Région flamande n'adresse pas, à l'égard de M. M., de grief distinct de ceux qu'elle formule à l'encontre de M. R. (ses conclusions, p. 3 : « Les arguments de concluante s'appliquent bien sûr à la fois contre monsieur R. et contre messieurs G. et M. »).

Pour l'essentiel, la Région flamande estime que M. M. n'aurait pas « adapté sa vitesse à la condition des lieux (travaux) ».

Le tribunal rappelle cependant qu'aucun signal A31 (travaux) n'avait été placé avant les travaux, de sorte qu'il ne peut être fait grief à M. M. de n'avoir pas adapté sa vitesse à ceux-ci.

En tout état de cause, la Région flamande reste en défaut de démontrer une vitesse inadaptée dans le chef de M. M., la seule survenance de l'accident ne suffisant pas à l'établir.

Il convient de rappeler à cet égard que la vitesse maximale autorisée était manifestement inadaptée à l'obstacle créé par les travaux (un dénivelé de 7 cm), ce qui ne peut être reproché à M. M. (à défaut pour lui de pouvoir raisonnablement deviner le type d'obstacle inadéquatement annoncé).

Il résulte des considérations qui précèdent que la Région flamande est exclusivement responsable du dommage subi par M. M. et M. G. en raison de l'accident.

24. - En ce qui concerne M. R., sa déclaration permet de considérer, sans le moindre doute possible, que sa chute a été causée par le dénivelé soudain et inattendu de la bande de droite de la chaussée.

Cette explication de l'accident est corroborée par les services de police qui, s'ils reconnaissent n'avoir pas vu la cause de la chute, ont relevé qu'alors qu'ils étaient sur place pour constater l'accident de M. M., un autre motard était tombé « presqu'au même endroit et pour la même raison ».

La Région flamande reste, à nouveau, en défaut de fournir une autre explication plausible de l'accident de M. R., aucun élément ne permettant de considérer qu'une vitesse inadaptée, du reste non établie, aurait à elle seule suffi à causer la chute de ce dernier.

Aucune faute n'étant établie dans le chef de M. R., il convient de considérer que les seules fautes en lien causal avec l'accident sont celles commises par la Région flamande (ci-avant, § 20-22), qui est également responsable de façon exclusive du dommage subi par M. R..

25. - A titre surabondant, le tribunal estime que les travaux litigieux ont, à défaut d'avoir été signalés de façon régulière, rendu la chaussée vicieuse (dans le même sens, en ce qui concerne des dénivellations, voy. Liège, 16 juin 2000, J.L.M.B., 2001/17, p. 747 ; Gand, 13 février 2002, R.G.A.R., 2003, p. 13690). En effet, un dénivelé de 7 cm situé sur une chaussée sur laquelle la vitesse maximale autorisée est de 70 km/h constitue une caractéristique anormale de cette chaussée qui la rend susceptible de causer un dommage notamment en ce que, n'ayant pas été annoncée adéquatement, elle est de nature à surprendre les attentes légitimes des usagers, particulièrement de ceux circulant sur des véhicules à deux roues.

Il résulte des considérations qui précèdent que ce vice a causé le dommage subi par M. M., M. G. et M. R..

La Région flamande estime que ce n'était pas elle mais l'entrepreneur qui était gardien de la « chose » lors des accidents, dès lors que l'entrepreneur « qui effectue les travaux n'a pas seulement la gestion effective de ce chantier, en plus il a un droit de garde, surveillance et charge » (ses conclusions, p. 10).

S'il est admis, dans un contrat d'entreprise, que l'entrepreneur de construction est en principe gardien du chantier, la garde d'une chaussée, qui malgré la réalisation de travaux, demeure accessible à la circulation « reste acquise à l'autorité publique responsable de la voirie » (N. ESTIENNE, « La responsabilité du fait des choses : quelques développements récents », J.T., 2010/41, n° 6417, p. 774 ; voy. dans le même sens, Cass., 15 novembre 2004, Pas., I, 1783).

Il en va particulièrement ainsi lorsque la réalisation ou la présence d'un chantier entraîne la présence d'un obstacle sur la voie publique, eu égard à l'obligation de l'autorité publique (et donc à sa capacité) de remédier à l'éventuelle carence de celui qui a créé ledit obstacle (dans le même sens, voy. Bruxelles, 11 avril 1990, D. circ., 1991, p. 28).

L'autorité publique demeure à tout le moins gardienne soit de la voirie elle-même (à l'exception du chantier), soit devient gardienne conjointe de la portion de la voie publique sur laquelle se déroule le chantier (sur la notion de garde conjointe, voy. B. DUBUISSON, V. CALLEWAERT, B. DE CONINCK et G. GATHEM, La responsabilité civile, Bruxelles, Éditions Larcier, 2009, p. 176).

A défaut pour la Région flamande de prouver que le dommage est dû à une cause étrangère, elle doit être tenue responsable de son indemnisation intégrale.

26. - La Région flamande ne peut se prévaloir des articles 38 et 39 du Cahier Général des Charges (CGC) d'application pour les travaux publics, repris en annexe de l'arrêté royal du 26 septembre 1996 établissant les règles générales d'exécution des marchés publics et des concessions de travaux publics, afin de décliner sa responsabilité, qu'elle soit retenue sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil ou sur la base de l'article 1384 du même code.

En effet, même à considérer que ces dispositions rendent l'entrepreneur responsable des dommages causés aux tiers par ses travaux, elles ne permettent pas de supprimer la responsabilité prévue par les articles 1382 et suivants du Code civil.

Une telle suppression n'est non seulement pas prévue explicitement par ces dispositions mais, quand bien même elle le serait, encore faudrait-il constater qu'elle serait illégale dès lors que, dans la hiérarchie des normes, le Code civil est supérieur à un arrêté royal, de sorte qu'il conviendrait, conformément à l'article 159 de la Constitution, d'écarter ces dispositions en ce qu'elles auraient vocation à avoir une telle portée.

27. - Le jugement entrepris sera, par conséquent, réformé en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes de M. R., M. et G..

E. Les dommages

1. Le dommage de M. G.

28. - Le dommage de M. G. n'est pas contesté et est établi par des pièces probantes.

Il sera donc fait droit à sa demande.

2. Le dommage de M. M.

29. - M. M. demande un montant provisionnel de 10.000 euro , sur un dommage évalué à 100.000 euro , et la désignation d'un expert médecin.

La Région flamande dénonce le fait qu'il n'y ait "aucune pièce avec une estimation des pourcentages d'invalidité" (ses conclusions, p. 13) et propose de réduire la somme provisionnelle à 1.000 euro .

30. - Le tribunal constate cependant qu'il résulte des pièces déposées par M. M. qu'il a, suite à l'accident, été hospitalisé jusqu'au 18 décembre 2007 et a subi une fracture des deux tibias, une fracture du plateau tibial externe droit, une fracture des deux péronés avec plaie cutanée mi-tibiale dans la portion antérieure, ce qui a nécessité un enclouage centro-médullaire des 2 tibias, une ostéosynthèse du plateau tibial externe et un parage des plaies cutanées.

Selon le docteur Defalque, le matériel d'ostéosynthèse du plateau tibial a pu être enlevé en janvier 2008 et le clou centro-médullaire tibial gauche a été dynamisé mais, à la date du 3 juillet 2008, le pied gauche présentait toujours deux problèmes.

M. M. a subi plusieurs opérations, notamment le 16 septembre 2008 et en septembre 2009.

Il résulte d'un courrier du 7 octobre 2008 de la Fédaration des mutalités socialistes du Brabant (FMSB) qu'il a été en incapacité de travail pendant un an et admis en période d'invalidité à partir du 1er octobre 2008.

Une attestation de la FMSB du 29 août 2012 confirme que M. M. est considéré comme étant invalide depuis le 1er octobre 2008 et toujours en incapacité de travail de plus de 66 %.

31. - Le tribunal estime que ces éléments permettent de justifier, à suffisance de droit, de retenir un montant provisionnel de 10.000 euro comme demandé.

Un expert-médecin sera désigné, selon la mission reprise en termes de dispositif.

3. Le dommage de M. R.

(...)

Par ces motifs,

Le tribunal,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935, sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement et en degré d'appel ;

Déclare les appels recevables et fondés dans la mesure précisée ci-après ;

Réforme le jugement entrepris, sauf en tant qu'il a déclaré les demandes recevables ;

Statuant à nouveau pour le surplus,

Déclare les demandes principales fondée dans la mesure précisée ci-après ;

Condamne la Région flamande à payer à M. G. (...)

Avant-dire droit,

Désigne en qualité d'expert judiciaire: (...)

Ainsi jugé et prononcé par la 77ème chambre du tribunal de première instance francophone de Bruxelles composée de M. J. Van Meerbeeck, juge, avec l'assistance de M. S. Van Neck, greffier, à l'audience publique du

Van Neck Van Meerbeeck