Cour du Travail: Arrêt du 9 mars 2009 (Liège (Liège)). RG 34069/06

Datum :
09-03-2009
Taal :
Frans
Grootte :
8 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20090309-2
Rolnummer :
34069/06

Samenvatting :

Le recours judiciaire contre la décision de récupération d'allocations familiales indues, prise par l'institution compétente, doit être exercé, non dans le délai de trois mois prévu par l'article 23, alinéa 1er, de la charte de l'assuré social, mais, en l'absence de délai particulier dans les lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés, dans le délai de dix ans instauré, pour toutes les actions personnelles, par l'article 2262bis, alinéa 1er, du Code civil.Quant à l'action en récupération d'indu exercée par l'institution compétente, elle se prescrit par trois ans en exécution de l'article 120bis desdites lois coordonnées.

Arrest :

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Sécurité sociale des travailleurs salaries - ALLOCATIONS FAMILIALES - Montant des allocations - Allocations d'orphelin - Auteur survivant remarié puis séparé - Conditions du rétablissement du montant majoré - Résidences séparées - Modification législative - Application dans le temps - Exigence légale contraire à la Constitution - L. coord. 19 déc. 1939, art. 56bis, § 2, alinéa 3, ancien et nouveau - Forclusion du recours contre la décision émanant de l'institution de sécurité sociale - C.c., art. 2262bis - Prescription de l'action en répétition des prestations indûment payées - L. coord., art. 120bis.

COUR DU TRAVAIL DE LIEGE

ARRÊT

Audience publique du 9 mars 2009

R.G. : 34.069/06 9ème Chambre

EN CAUSE :

L'OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE DES ADMINISTRA-TIONS PROVINCIALES ET LOCALES (O.N.S.S.A.P.L)

APPELANT,

comparaissant par Maître Géraldine MASSART qui se substitue à Maître Vincent DELFOSSE, avocats,

CONTRE :

1.- S Chantal.

INTIMÉE,

comparaissant par Maître Dorothée GALOPIN qui se substitue à Maître Frédéric BOVY, avocats,

2.- N Laurent.

INTIME,

comparaissant par Maître Frédérique WETTINCK, avocat.

Vu en forme régulière les pièces du dossier de la procédure à l'audience de clôture des débats le 8 décembre 2008, notamment :

- le jugement attaqué, rendu contradictoirement le 17 mars 2006 par le Tribunal du travail de Liège, 12ème chambre (R.G. : 328.074 et 349.643), et notifié aux parties par plis judiciaires expédiés le 20 mars suivant;

- la requête formant appel de ce jugement, déposée le 18 avril 2006 au greffe de la Cour de céans et notifiée aux parties intimées par plis judiciaires envoyés le lendemain 19 avril;

- le dossier de la procédure du Tribunal du travail de Liège et le dossier de l'Auditorat général du travail contenant le dossier de l'Auditorat du travail de Liège et le dossier administratif de l'appelant, reçus au greffe de la Cour respectivement les 21 et 24 avril 2006;

- les conclusions de l'intimé et celles de l'intimée, reçues au greffe de la Cour respectivement les 9 juin 2006 et 27 mars 2007, ainsi que les conclusions de l'appelant, déposées à l'audience du 14 mai 2007;

- le dossier de l'intimé, déposé à cette audience, à laquelle les conseils des parties ont été entendus puis les débats clôturés;

- l'avis du Ministère public, lu et déposé à l'audience du 11 juin 2007, puis notifié aux avocats des parties qui n'y ont pas répliqué dans le délai qui leur avait été accordé;

- l'arrêt de la Cour de céans du 10 septembre 2007 qui, avant de statuer sur la recevabilité et le fondement de l'appel, rouvre les débats afin de permettre aux parties de répondre aux moyens soulevés d'office et aux questions posées par le Ministère public en son avis;

- les conclusions de l'appelant, reçues au greffe de la Cour le 14 mars 2008, et son dossier, déposé à l'audience du 8 décembre 2008;

Entendu les conseils des parties à cette audience, au cours de laquelle l'examen du litige a été repris ab initio en raison du changement intervenu dans la composition du siège qui avait antérieurement connu de la cause;

Vu l'avis écrit du Ministère public, lu et déposé à l'audience du 12 janvier 2009, puis notifié par lettres missives envoyées le 13 janvier aux conseils des parties, lesquels n'y ont pas répliqué dans le délai accordé, venu à expiration le 9 février 2009.

I. - RECEVABILITE DE L'APPEL

L'appel a été interjeté dans le délai fixé par l'article 1051, alinéa 1er, du Code judiciaire. Il a par ailleurs été régulièrement formé au regard des articles 1056 et 1057 du même code. Il est donc recevable.

II. - RAPPEL

1. - La législation

Le présent litige touche principalement à l'application de l'article 56bis des lois relatives aux allocations familiales pour travail-leurs salariés, coordonnées par arrêté royal du 19 décembre 1939.

Selon l'article 56bis, § 1er, alinéa 1er, l'enfant orphelin de père ou de mère bénéficie, aux conditions fixées par cette disposition, d'allocations familiales au montant majoré figurant à l'article 50bis desdites lois.

D'après l'article 56bis, § 2, alinéa 1er, les allocations prévues au § 1er sont toutefois accordées au taux ordinaire, indiqué à l'article 40, "lorsque le père survivant ou la mère survivante est engagé(e) dans les liens d'un mariage ou forme un ménage de fait avec une personne autre qu'un parent ou allié jusqu'au 3ème degré inclusivement ".

L'article 56bis, § 2, alinéa 3, dans sa version antérieure à sa modification par l'article 34 de la loi-programme du 27 décembre 2004, énonçait que "Le bénéfice du § 1er peut être invoqué à nouveau (...) si le mariage de l'auteur survivant, non établi en ménage, est suivi d'une séparation de corps ou d'une séparation de fait consacrée par une ordonnance judiciaire assignant une résidence séparée aux époux ".

Par son arrêt n° 159/2003 du 10 décembre 2003 (M.B., 17 févr. 2004, p. 9.726), la Cour d'arbitrage a décidé que cette disposition légale violait les articles 10 et 11 de la Constitution "en ce que, en cas de séparation de fait du parent survivant remarié, les allocations d'orphelin ne peuvent être rétablies qu'à dater d'une «ordonnance judiciaire assignant une résidence séparée aux époux»".

En vue de se conformer à cet arrêt (et de supprimer d'autres discriminations), le législateur a modifié l'article 56bis, § 2, alinéa 3, dans les termes suivants : "Le bénéfice du § 1er peut être invoqué à nouveau si l'auteur survivant ne cohabite plus avec le conjoint avec lequel un nouveau mariage a été contracté ou avec la personne avec laquelle un ménage de fait a été formé. La séparation de fait doit apparaître par la résidence principale séparée des personnes en cause (...) ". Le texte détermine ensuite le mode de preuve des résidences séparées, mais n'exige plus une ordonnance judiciaire.

Cette nouvelle version est entrée en vigueur le 1er octobre 1999. Les motifs de cette rétroactivité ont été explicités au cours des travaux préparatoires de la loi-programme du 27 décembre 2004 (Doc. parl., ch., sess. 2004-2005, n° 1.437/001, p. 37).

2. - Les faits de la cause

Mme Chantal S. (intimée), mariée à M. Charles N., a eu deux enfants de cette union : Laurent N. (intimé), né le 6 janvier 1976, et Arnaud N., né le 27 février 1981. Elle a divorcé le 21 janvier 1985. Son ex-mari est décédé le 6 novembre 1994.

Elle s'est remariée avec M. Yvan S. le 23 décembre 1989. Elle s'en est séparée au milieu de l'année 1994. Elle en divorcera le 12 juillet 2003.

Le 8 décembre 1994, elle a introduit auprès de l'O.N.S.S.A.P.L. un formulaire de demande d'allocations familiales d'orphelin au bénéfice de ses deux enfants, étudiants. Elle a joint à sa demande la copie d'une décision du juge de paix de Herstal du 7 septembre 1994 assignant des résidences séparées à elle-même et à M. Yvan S.; ce jugement disposait que cette mesure prenait fin de plein droit à une date fixée, à la suite d'une erreur chronologique, au 15 mars 1994.

En application de l'article 56bis, § 2, alinéa 3, tel que libellé à l'époque, Mme Chantal S. a perçu au profit de ses enfants des allocations évaluées au montant prévu pour les orphelins. Puis M. Laurent N. a perçu directement les siennes à partir de novembre 1996, ayant à ce moment quitté le toit maternel tout en poursuivant ses études.

Le 13 octobre 1999, à la suite d'une demande adressée par l'O.N.S.S.A.P.L., Mme Chantal S. lui a transmis, par le truchement de son avocat, la copie d'un jugement rectificatif rendu par le juge de paix de Herstal le 17 février 1995. Ce jugement, corrigeant le précédent du 7 septembre 1994, fixait au 15 mars 1995 (au lieu du 15 mars 1994) le terme des mesures provisoires, dont les résidences séparées des époux. L'O.N.S.S.A.P.L. en a conclu que, depuis le 1er avril 1995, en l'absence d'ordonnance judiciaire assignant des résidences séparées aux conjoints, seules les allocations familiales ordinaires, et non plus les allocations d'orphelin, étaient dues.

Le 5 novembre 1999, l'O.N.S.S.A.P.L. a envoyé à Mme Chantal S., par pli simple, une lettre lui notifiant un indu d'allocations de 12.720,58 euro afférent à la période comprise entre le mois d'avril 1995 et le mois d'août 1999. Elle attirait aussi son attention sur le fait suivant : "(...) les prestations familiales se prescrivent par trois ans et il vous appartient de vous manifester dans cette période si vous ne voulez pas perdre définitivement le droit aux prestations familiales pour la période visée (art. 120 [des lois coordonnées]) ".

A la même date du 5 novembre 1999, l'O.N.S.S.A.P.L. a pareillement adressé à M. Laurent N. une lettre d'un contenu analogue, relativement à un indu de 6.653,54 euro correspondant à la période comprise entre le mois de novembre 1996 et le mois d'août 1999.

Le 21 mars 2002, l'O.N.S.S.A.P.L. a adressé à Mme Chantal S. un courrier recommandé à la poste, l'invitant à majorer ses remboursements à raison de 125 euro par mois, puis précisant : "Le présent recommandé interrompt la prescription prévue à l'article 120bis des lois coordonnées (...) ".

3. - La procédure judiciaire

Le 7 novembre 2002, Mme Chantal S. a déposé une requête au greffe du Tribunal du travail de Liège, motivée comme suit : "(Je) conteste les sommes réclamées, mon dossier, pour moi, étant correct ".

Le 25 avril 2003, l'O.N.S.S.A.P.L. a formé, par conclusions, une demande reconventionnelle tendant à la condamnation de Mme Chantal S. à lui rembourser "la somme de 12.720,58 euro , à majorer des intérêts depuis le 05/11/1999, date de la mise en demeure".

Le 17 mai 2005, l'O.N.S.S.A.P.L. a déposé au greffe du Tribunal du travail de Liège une requête tendant à la condamnation de M. Laurent N. à lui rembourser "la somme de 6.653,54 euro , de laquelle il convient de déduire une somme de 21,72 euro correspondant à deux retenues de 10 % sur les allocations familiales dont il bénéficiait, et la somme de 163,39 euro correspondant à un remboursement effectué par Monsieur N. ".

4. - Le jugement attaqué

Le jugement actuellement déféré à la Cour, rendu le 17 mars 2006, joint les causes. Dans le cours de sa motivation, il " constate que l'article 56bis, § 2, des lois coordonnées, dans son ancienne mouture, invoqué par l'O.N.S.S.A.P.L. à l'appui de sa demande de récupération d'indu, ne peut être appliqué, car contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution ".

Cela étant, dans son dispositif, ce jugement dit recevable et fondée l'action principale de Mme Chantal S., "annule la décision administrative querellée", dit recevable mais non fondée la demande reconventionnelle de l'O.N.S.S.A.P.L. et condamne ce dernier aux dépens liquidés au montant de 107,09 euro représentant l'indemnité de procédure.

D'autre part, dans le cours de sa motivation, le même jugement décide que "Monsieur Laurent N. pouvait bien prétendre au bénéfice des allocations familiales au taux majoré d'orphelin durant la période litigieuse" et que "l'action de l'O.N.S.S.A.P.L. à son encontre est non fondée". En son dispositif, il décide de rouvrir les débats afin de permettre aux parties de s'expliquer à propos des remboursements déjà effectués par l'intéressé.

III. - OBJET DE L'APPEL

L'O.N.S.S.A.P.L. conteste le jugement déféré en ce qu'il déclare fondée l'action principale de Mme Chantal S. et non fondées sa propre demande reconventionnelle contre celle-ci et sa demande principale contre M. Laurent N. .

Il soutient qu'il y a lieu d'appliquer en l'espèce, à la lettre, la disposition de l'article 56bis, § 2, alinéa 3, dans sa version ancienne, comme il l'a fait lui-même dans sa décision du 5 novembre 1999.

En ordre principal, il sollicite la condamnation de Mme Chantal S. au remboursement de la "somme de 12.720,58 euro , à majorer des intérêts depuis le 5 novembre 1999, date de la mise en demeure (...) ", et la condamnation de M. Laurent N. à la restitution de la "somme de 6.653,54 euro , dont à déduire les sommes déjà remboursées, à majorer des intérêts depuis le 5 novembre 1999, date de la mise en demeure (...) ".

Subsidiairement, l'O.N.S.S.A.P.L. demande qu'une question préjudicielle, dont il propose le libellé, soit posée à la Cour constitutionnelle.

IV. - SUR LA PRESCRIPTION DES ACTIONS

En son avis écrit du 11 juin 2007, le Ministère public a soulevé d'office le moyen pris de la prescription des différentes actions. Les parties ont été invitées à débattre de cette fin de non-recevoir.

1. - La prescription de l'action principale de Mme Chantal S.

Comme il ressort de la brève motivation de la requête déposée par Mme Chantal S. le 7 novembre 2002, développée par ses conclusions subséquentes, son action représente un recours dirigé à la fois contre les deux notifications de l'O.N.S.S.A.P.L., l'une du 5 novembre 1999 et l'autre du 21 mars 2002.

Il est à noter que seule la première de ces notifications contient véritablement une décision administrative, émanant d'une institution de sécurité sociale, au sens de l'article 2, alinéa 1er, 8°, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer "la charte" de l'assuré social. La seconde notification, quant à elle, porte simplement sur les modalités d'exécution de cette décision.

Aux termes de l'article 23, alinéa 1er, de la susdite loi, "Sans préjudice des délais plus favorables résultant des législations spécifiques, les recours contre les décisions prises par les institutions de sécurité sociale compétentes en matière d'octroi, de paiement ou de récupération de prestations, doivent, à peine de déchéance, être introduites dans les trois mois de leur notification ou de la prise de connaissance de la décision par l'assuré social en cas d'absence de notification ".

Cette disposition vise à élargir les droits des assurés sociaux, auxquels la plupart des lois organisant la sécurité sociale accordaient auparavant un délai de recours limité à un mois. Le délai triennal précité est dès lors un délai minimum, imposé sous réserve de l'application d'un délai plus long (cf. B. Graulich et P. Palsterman, "La charte de l'assuré social ", C.D.S., 1998, pp. 261-279).

Or il se trouve qu'en matière d'allocations familiales pour travailleurs salariés, les lois coordonnées ne prévoient aucun délai de recours, en manière telle qu'il échet de se référer au délai de dix ans prévu, pour toutes les actions personnelles, par l'article 2262bis, alinéa 1er, du Code civil (cf. C. Livoti, "La charte de l'assuré social et son application par les institutions de sécurité sociale", R.B.S.S. 1999, pp. 526-529). Il suit que l'action de Mme Chantal S. introduite avant l'expiration de ce délai à compter de la notification de la décision contestée du 5 novembre 1999, a été diligentée en temps utile.

Par ailleurs, contrairement à ce que l'O.N.S.S.A.P.L. indique dans la motivation de cette décision, il n'y a pas lieu d'appliquer à l'action de Mme Chantal S. l'article 120 des lois coordonnées. Celui-ci énonce que "Les actions dont disposent les personnes à qui les allocations familiales (...) sont dues ou doivent être versées, doivent être intentées dans les trois ans ", délai porté à cinq ans depuis le 1er janvier 2002. Or l'action de Mme Chantal S. n'est pas une action en paiement d'allocations qui lui sont dues ou doivent lui être versées, puisque l'intéressée a déjà effectivement perçu les allocations litigieuses. Son action consiste en réalité dans un recours contre une décision revenant à nier que ces allocations lui sont dues ou doivent lui être versées. A dire vrai, c'est l'O.N.S.S.A.P.L. qui exerce une action en récupération d'allocations indûment octroyées, soumise à l'article 120bis desdites lois. Il serait au demeurant incohérent d'appliquer conjointement les articles 120 et 120bis.

De tout quoi il ressort que l'action examinée n'est pas prescrite.

2. - La prescription de l'action reconventionnelle de l'O.N.S.S.A.P.L.

Comme annoncé ci-dessus, la demande reconvention-nelle de l'O.N.S.S.A.P.L. contre Mme Chantal S. correspond à une action telle que visée par l'article 120bis.

Aux termes de l'alinéa 1er de cet article, dans sa version applicable en l'espèce, "L'action en répétition des prestations payées indûment se prescrit par cinq ans à partir de la date à laquelle le paiement a été effectué". D'après l'alinéa 2, "Outre les causes prévues au Code civil, la prescription est interrompue par la réclamation des paiements indus notifiée au débiteur par lettre recommandée à la poste".

En l'espèce, la prescription quinquennale a été inter-rompue par la lettre, recommandée à la poste, envoyée le 21 mars 2002 à Mme Chantal S. par l'O.N.S.S.A.P.L.. Partant, l'action de ce dernier est prescrite pour les allocations litigieuses payées avant le 1er avril 1997.

3. - La prescription de l'action principale de l'O.N.S.S.A.P.L.

Les mêmes dispositions de l'article 120bis régissent l'action principale diligentée le 17 mai 2005 contre M. Laurent N. par l'O.N.S.S.A.P.L. .

Toutefois celui-ci démontre avoir interrompu la prescription quinquennale par envois recommandés à la poste des 29 mai 2000 et 21 mars 2002, dont il produit les copies. En conséquence, son action n'est pas prescrite.

V. - SUR LE FONDEMENT DES ACTIONS ET DE L'APPEL

Au cours de la période litigieuse allant du 1er avril 1995 au 31 août 1999, MM. Laurent et Arnaud N. étaient orphelins de père, tandis que leur mère, Mme Chantal S., et son second mari, M. Yvan S., qu'elle avait épousé le 23 décembre 1989, avaient des résidences séparées. Cette dernière circonstance n'est pas contestée. Elle est d'ailleurs démontrée de la manière prévue par la nouvelle disposition de l'article 56bis, § 2, alinéa 3, des lois coordonnées.

Mais, la période litigieuse étant tout entière antérieure au 1er octobre 1999, date à partir de laquelle la nouvelle disposition a été mise en vigueur, il y a lieu d'appliquer la disposition ancienne. Celle-ci requérait, pour que ces enfants orphelins pussent bénéficier des allocations d'orphelin, que les résidences séparées de leur mère et de son second mari leur fussent assignées par une ordonnance judiciaire.

C'est avec raison que le Tribunal a écarté cette dernière exigence légale puisqu'il résulte de l'arrêt de la Cour d'arbitrage n° 159/2003 du 10 décembre 2003 qu'elle viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Cette constatation est pareillement vraie pour la période antérieure au 1er octobre 1999.

L'O.N.S.S.A.P.L. argumente que, ce faisant, les premiers juges méconnaîtraient le prescrit du nouvel article 56bis, § 2, alinéa 3, ou encore celui de la loi-programme du 27 décembre 2004 qui met ce prescrit en vigueur à compter du 1er octobre 1999. Subsidiaire-ment, l'O.N.S.S.A.P.L. demande que la Cour constitutionnelle soit interrogée sur l'existence d'une éventuelle discrimination, contraire auxdits articles de la charte fondamentale, entre les orphelins dont l'auteur survivant s'est remarié, selon que celui-ci est séparé de son nouveau conjoint avant le 1er octobre 1999 ou pendant la période prenant cours à cette date.

En réalité, les premiers juges sont parfaitement respectueux des dispositions légales que l'O.N.S.S.A.P.L. prétend être transgressées. En effet, c'est bien l'article 56bis, § 2, alinéa 3, ancien qu'ils appliquent à une période antérieure au 1er octobre 1999. Ils ne prétendent nullement aller à l'encontre des limites de la rétroactivité assignée à la disposition légale nouvelle. Simplement, ils observent qu'à l'évidence, ce texte ancien contient une exigence contraire à la Constitution et ils en écartent légitimement l'application. Il suit que le moyen de l'O.N.S.S.A.P.L. est sans pertinence. Il suit aussi que la question préjudicielle qu'il souhaite voir soumettre à la Cour constitution-nelle est sans objet; c'est si vrai, du reste, que le jugement contesté implique que les enfants orphelins sont traités de manière égale lorsque leur auteur survivant s'est séparé de son nouveau conjoint avant ou après le 1er octobre 1999.

Il est enfin loisible de souligner de manière superfétatoire qu'à supposer l'ancienne version de l'article 56bis, § 2, alinéa 3, applicable en sa totalité dans la présente cause, l'O.N.S.S.A.P.L. en fait une interprétation et une application excessives et, donc, critiquables dans cet excès même. En effet, un jugement du magistrat cantonal du 7 septembre 1994 a bel et bien assigné aux époux des résidences séparées, comme le prévoyait ladite version. Certes, cette mesure a été limitée dans le temps parce que la séparation prévue par l'article 223 du Code civil est conçue comme normalement provisoire, les époux devant en principe décider définitivement s'ils se réconcilient ou s'ils divorcent. Mais il est très fréquent qu'ils prolongent cette séparation au-delà du terme fixé sans diligenter une nouvelle procédure, convenant ainsi de prolonger les effets de la décision judiciaire originaire. Cette situation, in casu, devait être prise en compte par l'O.N.S.S.A.P.L. aussi longtemps qu'il restait avéré que Mme Chantal S. et M. Yvan S. conservaient des résidences séparées.

Des développements qui précèdent, il découle que l'appel est non fondé, que l'action originaire de Mme Chantal S. est fondée, que la demande formée reconventionnellement contre elle par l'O.N.S.S.A.P.L. est non fondée pour la partie non prescrite et, enfin, que l'action de ce dernier contre M. Laurent N. est également non fondée.

VI. - EFFET DEVOLUTIF DE L'APPEL

En ses conclusions, M. Laurent N. demande à la Cour de renvoyer la cause au Tribunal afin que celui-ci statue sur l'objet de la réouverture des débats qu'il a ordonnée.

En réalité, c'est la Cour qui est désormais saisie de cet objet à la suite de l'effet dévolutif de l'appel, conformément à l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire.

PAR CES MOTIFS,

Vu la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, notamment son article 24,

LA COUR, après en avoir délibéré et statuant contradic-toirement,

Vu le dernier avis écrit, largement conforme en sa conclusion, de Monsieur Philippe LAURENT, Premier avocat général,

REÇOIT l'appel, le déclare NON FONDE,

Confirme le jugement déféré du 17 mars 2006 en ce que celui-ci :

1) reçoit les actions, sous la réserve que la demande reconventionnelle de l'O.N.S.S.A.P.L. contre Mme Chantal S est prescrite pour les allocations familiales litigieuses payées avant le 1er avril 1997,

2) déclare fondée l'action principale de Mme Chantal S et annule la décision administrative contestée,

3) déclare non fondée, pour sa partie non prescrite, la demande reconventionnelle de l'O.N.S.S.A.P.L. contre Mme Chantal S;

4) déclare non fondée l'action principale de l'O.N.S.S.A.P.L. contre M. Laurent N,

A la suite de l'effet dévolutif de l'appel, rouvre les débats en application des articles 774 et 775 du Code judiciaire afin que les parties s'expliquent à propos des retenues effectuées sur les allocations familiales de M. Laurent N et des remboursements effectués par ce dernier,

Invite à ce sujet les parties à échanger entre elles et à déposer en original au greffe de la Cour de céans :

- leurs observations écrites pour le 30 mai 2009 au plus tard,

- leurs éventuelles observations écrites en réplique pour le 30 septembre 2009 au plus tard,

Fixe les plaidoiries, pour une durée totale de trente minutes, à l'audience tenue par la chambre de céans le lundi 14 septembre 2009 à 15 heures en l'extension du palais de justice de Liège, rue Saint-Gilles, 90 C (2ème étage, salle I),

Réserve à statuer sur les dépens des deux instances.

AINSI ARRÊTÉ par la NEUVIEME CHAMBRE de la COUR DU TRAVAIL DE LIEGE, composée de :

M. Jean-Claude GERMAIN, Conseiller présidant la chambre,

M. Alfred KREEMER, Conseiller social au titre d'employeur,

M. Jean MORDAN, Conseiller social au titre de travailleur salarié,

qui ont entendu les débats de la cause,

assistés de Mme Monique SCHUMACHER, Greffier,

lesquels signent ci-dessous :

ET PRONONCE en langue française et en audience publique, en l'extension du palais de justice de Liège, située à Liège, rue Saint-Gilles, 90 C,

le LUNDI NEUF MARS DEUX MILLE NEUF,

par M. GERMAIN, assisté de Mme SCHUMACHER, qui signent ci-des-sous :