Tribunal du Travail: Jugement du 20 juin 2013 (Mons (La Louvière)). RG 11/103/A
- Sectie :
- Rechtspraak
- Bron :
- Justel F-20130620-2
- Rolnummer :
- 11/103/A
Samenvatting :
Une formation est dispensée par une ASBL non inscrite dans les dispositifs de formation professionnelle et qui n'est pas un organisme de formation créé, subventionné ou agréé par la communauté ou la Région wallonne. Cette formation ne peut s'inscrire dans le cadre de la convention d'immersion professionnelle à défaut de disposer d'un plan de formation convenu et agréé par la communauté ou la région wallonne, en fonction de ses compétences propres, agrément qu'elle n'a jamais sollicité et a fortiori, obtenu.
Vonnis :
JUGEMENT
PRONONCE A L'AUDIENCE PUBLIQUE DU 20 JUIN 2013
R. n° 11/103/A et 11/1685/A Rép. A.J. n° 13/
La 7e chambre du Tribunal du travail de Mons, section de La Louvière, après en avoir délibéré, a rendu le jugement suivant :
EN CAUSE DE : L'OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE, établissement public institué par l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, dont le siège est établi à 1060 Bruxelles, place Victor Horta, 11,
PARTIE DEMANDERESSE, représentée par Maître Mary-Line DERUMIER, Avocate à 7000 MONS, Rue des Archers, 2/14 ;
CONTRE : MADAME T., BCE n° xxx.xxx.xxx ;
PARTIE DEFENDERESSE, représentée par Maître Frédérique BERAUDO, Avocate à 7000 MONS, Rue des Marcottes, 30 ;
I. LA PROCEDURE
Le tribunal a fait application de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
Comparaissant comme dit ci-dessus, les parties ont été entendues à l'audience publique du 21 mars 2013.
Les parties n'ont pas pu être conciliées.
Monsieur P. LECUIVRE, Premier Substitut de l'Auditeur du travail, a rendu un avis écrit auquel les parties ont pu répliquer.
A l'issue des débats, la cause a été prise en délibéré.
Dans son délibéré, le tribunal a pris en considération les pièces inventoriées au dossier de la procédure, et notamment :
Dans la cause portant le n° de RG 11/103/A :
- la citation signifiée le 27 décembre 2010 et déposée au greffe le 12 janvier 2011;
- les conclusions pour la partie défenderesse faxées au greffe le 28 septembre 2012 et reçues par courrier le 02 octobre 2012 ;
- les conclusions pour la partie demanderesse faxées au greffe le 28 novembre 2012 et reçues par courrier le 29 novembre 2012;
- les conclusions additionnelles et de synthèse pour la partie défenderesse faxées au greffe le 20 décembre 2012 et reçues par courrier le 21 décembre 2012 ;
- les conclusions additionnelles et de synthèse pour la partie demanderesse faxées au greffe le 25 janvier 2013 ;
- l'avis écrit du Ministère Public reçu au greffe le 11 avril 2013 ;
- les pièces communiquées par la partie demanderesse.
Dans la cause portant le n° de RG 11/1685/A :
- la citation signifiée le 23 mai 2011 et déposée au greffe le 09 juin 2011;
- les conclusions pour la partie défenderesse faxées au greffe le 28 septembre 2012 et reçues par courrier le 02 octobre 2012 ;
- les conclusions pour la partie demanderesse reçues au greffe le 28 novembre 2012 et reçues par courrier le 29 novembre 2012;
- les conclusions additionnelles et de synthèse pour la partie défenderesse faxées au greffe le 20 décembre 2012 et reçues par courrier le 21 décembre 2012 ;
- les conclusions additionnelles et de synthèse pour la partie demanderesse faxées au greffe le 25 janvier 2013 ;
- l'avis écrit du Ministère Public reçu au greffe le 11 avril 2013 ;
- les pièces communiquées par la partie défenderesse.
II. L'OBJET DE LA DEMANDE
A. La demande principale
1. Dans l'affaire portant le numéro de rôle 11/103/A, la demande tend à la condamnation de Madame T. à payer à l'O.N.S.S. :
- la somme de 17.787,59 euro du chef d'arriérés de cotisations de sécurité sociale et accessoires (majorations, intérêts de retard au taux légal) selon extrait de compte arrêté au 21 octobre 2010 ;
- les intérêts de retard au taux légal à dater du 21 octobre 2010 jusqu'au jour du parfait paiement sur la somme de 11.779,30 euro ;
- les frais et dépens de l'instance.
2. Dans l'affaire portant le numéro de rôle général 11/1685/A, la demande tend à la condamnation de Madame T. à payer à l'O.N.S.S. :
- la somme de 2.712,99 euro du chef d'arriérés de cotisations de sécurité sociale et accessoires (majorations, intérêts de retard au taux légal) selon extrait de compte arrêté au 4 avril 2011 ;
- les intérêts de retard au taux légal à dater du 4 avril 2011 jusqu'au jour du parfait paiement sur la somme de 1.572,55 euro ;
- les frais et dépens de l'instance.
L'O.N.S.S. sollicite aussi l'exécution provisoire du jugement.
B. La demande reconventionnelle
3. Dans les deux affaires, Madame T. demande au tribunal, à titre principal, de déclarer la demande de l'O.N.S.S. non fondée.
A titre subsidiaire, elle demande de condamner l'O.N.S.S. au paiement de dommages et intérêts équivalents au montant de la demande de l'O.N.S.S., afin de compenser les deux dettes.
A titre infiniment subsidiaire, elle demande d'ordonner à l'O.N.S.S. d'établir un décompte des cotisations dues sur la base d'une occupation à temps partiel.
C. La jonction des causes
4. Les deux litiges concernent les mêmes parties et sont relatifs à la même problématique. Il y a lieu, sur la base de l'article 30 du Code judiciaire, de constater la connexité et de les joindre.
III. LES FAITS ET LES ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE
Madame T. exploite un salon de coiffure à Braine-Le-Comte, « B. », en tant qu'indépendante en personne physique.
1. Madame T. a occupé au moins quatre personnes, en qualité de « stagiaires », parmi lesquelles :
- Monsieur A., pour la période du 12 mars 2003 au 11 septembre 2004 ;
- Madame M., pour la période du 1er septembre 2005 au 31 août 2006.
2. Les stagiaires ont été engagés sur la base d'un « contrat individuel d'insertion socioprofessionnelle en entreprise » - produit partiellement en ce qui concerne Monsieur A. - conclu par l'intermédiaire de l'a.s.b.l. C.R.I.C.
3. Madame T. a déclaré que les stagiaires étaient occupés au sein du salon de coiffure à raison de 30 heures par semaine.
La convention prévoit que le stagiaire bénéficiera d'une formation théorique dispensée par l'a.s.b.l. C.R.I.C., à raison de 8 heures par semaine et qu'il effectuera un stage de pratique professionnelle en entreprise, à concurrence de 30 heures par semaine. Un horaire de la formation en entreprise figure sur le contrat.
Madame T. payait une somme de 85 euro par mois et par stagiaire à l'a.s.b.l. C.R.I.C. (complétée, certains mois, par un « chèque d'insertion » d'un montant de 115 euro ), ainsi qu'une « allocation de formation », de 1 euro par heure, remise de la main à la main aux stagiaires.
4. Madame M. et Monsieur A. ont bénéficié d'allocations de chômage pendant la durée de leur occupation auprès de Madame T.
5. Le 10 décembre 2008, l'O.N.S.S. a écrit à Madame T., par courrier recommandé, afin d'interrompre la prescription, sur la base de l'article 42 de la loi du 27 juin 1969, pour la période du 4e trimestre 2003 au 4e trimestre 2005.
6. Le 28 octobre 2009, l'O.N.S.S. a écrit à Madame T., par courrier recommandé, afin d'interrompre la prescription, sur la base de l'article 42 de la loi du 27 juin 1969, pour la période du 3e trimestre 2006 au 4e trimestre 2006.
7. Le 8 février 2010, Madame T. est contrôlée par l'inspection sociale, sur apostille de Monsieur l'Auditeur du travail.
8. Le 27 juillet 2010, l'O.N.S.S. a notifié à Madame T., une décision de régularisation d'office, conformément aux articles 22 et 22 bis de la loi du 27 juin 1969, en raison de l'occupation de Monsieur A. et Madame M., pour la période du 4e trimestre 2003 au 3e trimestre 2006.
9. Le 14 juin 2011, l'O.N.Em a notifié à Madame M. sa décision :
- de l'exclure du bénéfice des allocations de chômage pour la période du 1er septembre 2005 au 31 août 2006 ;
- de ne pas récupérer les allocations perçues indûment pour la période du 1er mai 2006 au 31 août 2006, vu les règles en matière de prescription ;
- de l'exclure du droit aux allocations à partir du 20 juin 2011 pendant une période de 6 semaines, parce qu'elle a omis, avant une activité incompatible avec le droit aux allocations, de noircir la case correspondante de sa carte de contrôle. Cette sanction est toutefois assortie d'un sursis complet.
IV. LA DISCUSSION
A. La requalification des contrats individuels d'insertion socioprofessionnelle en entreprise
1) Les principes
- L'assujettissement
5. La loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs s'applique « aux travailleurs et aux employeurs liés par un contrat de travail ». (article 1er, alinéa 1er de la loi)
L'alinéa 2 de l'article 1er assimile aux travailleurs les apprentis et permet au Roi d'étendre l'assimilation à d'autres catégories de personnes.
6. L'arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 contient plusieurs exclusions et extensions de la notion de travailleurs.
- La requalification du contrat
7. En application de l'article 1315 du Code civil et de l'article 870 du Code judiciaire, c'est à la partie qui invoque l'existence d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve. L'existence d'un contrat de travail suppose la réunion de trois conditions : l'exercice d'un travail, sous autorité et contre rémunération.
8. Lorsque la preuve d'un type de contrat est apportée conformément à l'article 1315, alinéa 2 du Code civil (par exemple, par la production d'un écrit) si l'autre partie considère que la qualification est inexacte, il lui appartient d'apporter la preuve de la volonté des parties de conclure un autre contrat ou, à tout le moins, la preuve du fait que la qualification conventionnelle ne correspond pas au vécu contractuel.
9. Ainsi, le juge n'est pas tenu par la qualification donnée par les parties à la convention qu'elles ont conclue.
Toutefois, lorsque les parties ont qualifié leur convention, le juge du fond ne peut y substituer une qualification différente lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d'exclure la qualification qui avait été donnée par les parties.
10. La loi relative à la nature des relations de travail (Titre XIII de la loi programme (I) du 27 décembre 2006) n'a pas modifié cette jurisprudence .
11. En ce qui concerne la qualification du contrat de stage, les instructions administratives de l'O.N.S.S. stipulent :
« Lorsque la finalité du contrat de stage est l'acquisition d'une expérience pratique dans le cadre d'une formation on peut difficilement parler de prestations de travail et les stagiaires ne doivent pas non plus être assujettis à la sécurité sociale des travailleurs salariés. Le fait que les prestations soient ou non imposées par le programme d'étude peut être un élément important pour déterminer s'il y a ou non assujettissement.
En revanche, lorsque le but d'un stage est plutôt d'accomplir des prestations de travail, ces prestations sont assujetties. »
- La convention d'immersion professionnelle
12. La loi-programme du 2 août 2002, en ses articles 104 à 109, a institué la « convention d'immersion professionnelle », afin de recouvrir toutes les formules d'apprentissage, de formation ou stage en entreprise « spontanées » qui ne s'inscrivent pas dans une réglementation existante et qui ne sont pas encadrées par un organisme dépendant agréé ou subventionné par la communauté ou la région compétente.
13. La loi impose plusieurs conditions de forme (contrat écrit antérieur au début du stage, mentions obligatoires) et de fond (indemnités minimums, agréation de l'organisme de formation ou, à tout le moins, plan de formation conclu entre l'organisme de formation et l'autorité compétente) qui doivent être remplies pour bénéficier du statut de convention d'immersion professionnelle.
14. Depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté royal du 11 février 2013 complétant l'arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969, les jeunes parties à une convention d'immersion professionnelle sont assujettis à la sécurité sociale des travailleurs salariés.
Lors de la période litigieuse, les conventions d'immersion professionnelle n'étaient pas visées par la loi du 27 juin 1969 ou par ses arrêtés royaux d'exécution.
2) Application
- La charge de la preuve repose sur l'O.N.S.S.
15. Par la décision du 22 juillet 2011, l'O.N.S.S. a assujetti d'office Monsieur A. et Madame M. en raison de leur occupation par Madame T., pour la période du 4e trimestre 2003 au 4e trimestre 2005, sur la base d'un régime de 30 heures par semaine.
16. Selon l'O.N.S.S., les conventions d'immersion professionnelle, conclues avec l'a.s.b.l. C.R.I.C., doivent être requalifiées en contrats de travail.
17. Il appartient à l'O.N.S.S. d'apporter la preuve de la volonté des parties de conclure un contrat de travail ou, à tout le moins, la preuve du fait que la qualification de « convention d'immersion professionnelle » ne correspond pas au vécu contractuel.
- La validité de la convention d'immersion professionnelle conclue par l'intermédiaire de l'a.s.b.l. C.R.I.C.
18. L'a.s.b.l. C.R.I.C. (non agréée par les autorités régionales compétentes), propose principalement à des coiffeurs mais également à d'autres employeurs, de prendre en stage des jeunes diplômés ou non, dans le cadre de conventions d'insertion socio-professionnelle en entreprise ou de stages de formation de pratique professionnelle en entreprise, conclus entre ces employeurs, les stagiaires et ladite a.s.b.l.
19. En l'espèce, seule la convention (non datée) liant Monsieur A. à Madame T. est produite en partie.
Madame T. déclare que la convention de Madame M. était identique.
20. Il s'agit de la convention « standard » proposée par l'a.s.b.l. C.R.I.C. Le but déclaré de la convention était de « concourir à l'acquisition des compétences nécessaires à sa qualification professionnelle » et prévoyait un « accueil » ou une formation pratique à dispenser au sein de l'entreprise et un « encadrement » ou une formation théorique à assurer au sein de l'a.s.b.l. (article 1er de la convention).
Madame T. a déclaré à l'inspection sociale, au sujet de la formation reçue par les stagiaires :
« En principe, [les stagiaires] devaient aller 1 fois par semaine, le lundi pour recevoir une formation théorique et pratique. Au départ, Monsieur X. [le gérant de l'a.s.b.l. C.R.I.C.] avait dit que les formations étaient obligatoires, mais en fin de compte, elles n'y allaient pas souvent. Toutes les excuses étaient bonnes pour ne pas y aller (pas de formateur, maladie, excuses diverses). A la fin, en 2006, plus aucune formation n'était organisée. En plus, je préférais envoyer mes stagiaires à mes propres formations qui elles étaient organisées par mes fournisseurs car cela était plus sérieux. »
21. En outre, aucun élément ne permet au tribunal d'avoir connaissance du contenu de la formation.
22. Le stagiaire, bien souvent chômeur, est invité à solliciter une dispense auprès du bureau de chômage compétent, afin de conserver ses allocations. Il perçoit, en plus de ses allocations, une indemnité de 1 euro /heure. Des montants mensuels de 85 à 100 euro sont facturés, à titre de frais de gestion, par l'a.s.b.l. à l'employeur. Aucune cotisation sociale n'est payée à l'O.N.S.S.
23. Ces faits ont été dénoncés à l'office de l'Auditeur du travail de Mons par un inspecteur de la Région wallonne chargé d'assurer la surveillance des décrets du 5 février 1998 du conseil régional wallon relatifs à la surveillance et au contrôle des législations relatives à la politique de l'emploi.
24. L'a.s.b.l. C.R.I.C. ne peut être inscrite dans aucun des dispositifs de formation professionnelle via un stage en entreprise, visés par les décrets et textes réglementaires applicables en Région wallonne.
25. Cette a.s.b.l. n'est pas davantage un organisme de formation créé, subventionné ou agréé par la communauté ou la Région wallonne.
26. La formation dispensée ne peut s'inscrire dans le cadre de la convention d'immersion professionnelle réglementée par les articles 104 à 112 de la loi-programme du 2 août 2002, à défaut de disposer d'un plan de formation convenu et agréé par la communauté ou la région wallonne, en fonction de ses compétences propres, agrément qu'elle n'a jamais sollicité et a fortiori, obtenu.
- La qualification des contrats litigieux
27. L'O.N.S.S. démontre que la relation juridique entre Madame T., d'une part, et Monsieur A. et Madame M., d'autre part, ne peut être qualifiée de convention d'immersion professionnelle, au sens de la loi-programme du 2 août 2002. Elle ne remplit pas non plus les conditions des autres types de conventions de stage, reconnus par les autorités compétentes.
28. L'O.N.S.S., ayant démontré que la qualification retenue par les parties n'est pas compatible avec la réalité du contrat, doit apporter la preuve de l'existence des éléments constitutifs d'un contrat de travail.
29. En l'espèce, il est incontestable que Madame T. exerçait une autorité sur Monsieur A. et Madame M. dans le cadre de leurs activités. Le lien de subordination existe dès qu'une personne peut exercer en fait son autorité sur les actes d'une autre personne. Que ce soit en qualité de « maître de stage » ou d'« employeur », Madame T. donnait des consignes, dirigeait les activités et contrôlait les prestations de ses « stagiaires ».
30. En ce qui concerne la nature du travail effectué, les réponses de Madame T. aux questions de l'inspection sociale sont éclairantes :
- « Que recherchiez-vous comme stagiaire ? Quelles qualifications ? compétences ? »
- « Je recherchais des stagiaires pour avoir une aide polyvalente au salon. Donc, les stagiaires devaient savoir un peu tout faire et avoir un diplôme en coiffure. » (question 13)
- « Quelles tâches confiez-vous à vos stagiaires ? »
- « tout sauf les coupes et finitions. » (question 14)
- « Comment était évalué le travail du stagiaire au salon ? Deviennent-ils suffisamment autonomes pour ne plus devoir être suivi en permanence ? »
- « Elles étaient déjà autonomes. La seule chose qui leur manquait était de l'expérience professionnelle. » (question 15)
31. Il ressort dès lors des déclarations de Madame T. que Monsieur A. et Madame M. effectuaient des prestations de travail. La finalité essentielle de l'engagement d'un « stagiaire » par Madame T. était de disposer d'un travailleur sachant effectuer l'ensemble des tâches habituellement confiées à un coiffeur.
32. La circonstance que Monsieur A. et Madame M. n'exécutaient pas l'intégralité des tâches accomplies par un coiffeur chevronné (par exemple, les coupes ou les finitions) ni qu'ils acquéraient également une formation pour certaines techniques spécialisées (lors de formations organisées par les fournisseurs de Madame T.) n'empêche qu'elle effectuait effectivement un travail.
33. Enfin, en ce qui concerne la rémunération perçue, il n'est pas contesté que Monsieur A. et Madame M. ont perçu (en plus de leurs indemnités de chômage), une indemnité de 1 euro de l'heure.
34. La circonstance qu'ils ont perçu des allocations de chômage ne fait pas obstacle à ce que l' « indemnité de stage » perçue, soit qualifiée de rémunération.
35. Premièrement, parce qu'un employeur peut être « subsidié » par les autorités publiques et que la rémunération du travailleur peut être en partie à charge de l'O.N.Em ou d'un autre organisme public (voir, par exemple le mécanisme de « l'article 60 », où le travailleur - dont le contrat s'inscrit dans le cadre de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail - perçoit sa rémunération à charge du c.p.a.s.).
36. Deuxièmement, parce qu'en l'espèce, Madame M. a été exclue a posteriori du bénéfice des allocations de chômage. La récupération des allocations étant prescrite, elles n'ont pas dû être remboursées mais cela n'empêche pas qu'en vertu d'une décision de l'O.N.Em (non contestée en justice, selon les informations fournies par Monsieur l'Auditeur), Madame M. n'avait pas droit aux allocations de chômage perçues.
37. En raison d'une erreur d'orthographe relative au nom de Monsieur A., sa situation n'a pu être dénoncée qu'en janvier 2013 par l'O.N.Em à Monsieur l'Auditeur du travail.
38. Cependant, en tout état de cause, le fait que Monsieur A. ait perçu des allocations de chômage auxquelles il n'avait pas droit - étant engagé dans les liens d'un contrat de travail au cours de la période d'indemnisation par l'O.N.Em - ne peut empêcher que l'indemnité de stage soit requalifiée en rémunération.
La prémisse du raisonnement est l'occupation de Monsieur A. dans les liens d'un contrat de travail. La conséquence de ce fait est que EW proméritait - ou aurait dû promériter - une rémunération. L'aboutissement du raisonnement est l'exclusion du droit aux allocations de chômage au cours de la période d'occupation. Partir de la circonstance que Monsieur A. bénéficiait d'indemnités de chômage pour en déduire qu'elle ne pouvait pas être occupé dans les liens d'un contrat de travail aboutit à des conséquences absurdes.
39. La rémunération n'est pas toujours payée par l'employeur, elle peut être à charge d'un tiers. En l'espèce, l'indemnité perçue doit être considérée comme de la rémunération, même si Monsieur A. et Madame M. étaient payés par l'a.s.b.l. C.R.I.C., plutôt que directement par Madame T.
40. Sur la base de l'ensemble des éléments précités, il ne peut être retenu que les parties au contrat n'avaient pas la volonté de qualifier celui-ci de contrat de travail. Les éléments constitutifs du contrat de travail sont présents et la circonstance que Monsieur A. et Madame M. avaient la volonté de continuer à se former en travaillant pour Madame T. peut également s'inscrire dans le cadre de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
41. Il résulte de ce qui précède, que c'est à bon droit que l'O.N.S.S. a considéré que Madame T., d'une part, et Monsieur A. et Madame M., d'autre part, étaient liés par un contrat de travail.
42. Par conséquent, il n'y a pas lieu d'examiner si les contrats litigieux pouvaient, le cas échéant, être qualifiés de mise à disposition de personnel.
B. La violation des principes généraux de bonne administration
1) Les principes
43. Les principes de bonne administration, parmi lesquels figurent les principes du droit à la sécurité juridique, le principe de confiance légitime, ainsi que le principe du raisonnable s'imposent à l'O.N.S.S. L'application de ces principes ne peut toutefois justifier de dérogation à la loi.
2) Application
44. En l'espèce, l'O.N.S.S. n'a été informé de ce que Madame T. avait eu recours à l'a.s.b.l. C.R.I.C., qu'à la lecture du rapport de l'inspection sociale du Hainaut du 26 avril 2010, qui ne lui est parvenu, que le 14 juin 2010, selon la date figurant sur le cachet dateur.
En outre, la Région wallonne n'a informé officiellement Monsieur l'Auditeur du travail de Mons que le 25 octobre 2007 que l'a.s.b.l. C.R.I.C. n'était pas un organisme de formation créé, subventionné ou agréé par la communauté ou la région compétente.
45. Même si au cours de la période litigieuse, les employeurs n'étaient pas tenus d'effectuer une déclaration immédiate à l'emploi pour les personnes liées par l'un des contrats ou l'une des conventions visés à l'article 4 de l'arrêté royal du 28 novembre 1969 et que l'article 4 dudit arrêté n'a été complété qu'en 2013 (par l'article 1er de l'arrêté royal du 11 février 2013), pour y inclure les conventions d'immersion professionnelle, l'O.N.S.S. n'était pas en mesure d'envisager la situation particulière de Monsieur A. et Madame M., en l'absence de toute déclaration trimestrielle et de tenue de tout document social.
46. II ne peut être déduit d'un contrôle opéré chez un coiffeur en 2005, qui n'a pas suscité apparemment de remarque particulière, que l'O.N.S.S. était informé du système mis en place par l'a.s.b.l. C.R.I.C.
47. Ni la certitude d'une attente légitime suscitée fautivement par l'O.N.S.S. ni la violation du principe du délai raisonnable ne peuvent être retenus dans la présente cause.
48. La demande de dommages et intérêts, formée à titre subsidiaire par Madame T., n'est pas fondée.
C. Régime de travail
- Les principes
49. Dans sa version en vigueur jusqu'au 15 avril 2012, l'article 22ter de la loi du 27 juin 1969 disposait :
« Sauf dans les cas d'impossibilité matérielle d'effectuer les prestations de travail à temps plein, cas constatés par les services d'inspection, les travailleurs à temps partiel sont présumés, à défaut d'inscription dans les documents visés aux articles 160, 162, 163 et 165 de la loi programme du 22 décembre 1989 ou d'utilisation des appareils visés à l'article 164 de la même loi, avoir effectué leur travail effectif normal conformément aux horaires de travail normaux des travailleurs concernés qui ont fait l'objet de mesures de publicité visées aux articles 157 à 159 de cette même loi.
A défaut de publicité des horaires de travail normaux des travailleurs concernés, les travailleurs à temps partiel seront présumés, sauf dans les cas d'impossibilité matérielle d'effectuer les prestations de travail à temps plein, cas constatés par les services d'inspection, avoir effectué leurs prestations dans le cadre d'un contrat de travail en qualité de travailleur à temps plein» (article 22 ter de la loi du 27 juin 1969)
50. Il s'agit d'une présomption réfragable dans le chef de l'employeur.
51. La preuve contraire consiste à démontrer que les travailleurs à temps partiel n'ont pas effectué de prestations à temps plein dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein.
52. La présomption selon laquelle les travailleurs à temps partiel sont présumés avoir effectué leurs prestations dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein s'applique dans tous les cas où les prescriptions en matière de publicité des horaires de travail n'ont pas été respectées et, dès lors, aussi à défaut d'horaire de travail normal pour un travail à temps partiel.
53. La présomption d'occupation à temps plein en vigueur en matière de cotisations sociales depuis le 1er janvier 2005 est réfragable mais, contrairement à celle qui était en vigueur auparavant, elle ne peut plus être renversée que par l'apport de la preuve que le personnel ne peut matériellement pas travailler à temps plein. Cette impossibilité matérielle d'effectuer les prestations de travail à temps plein doit être constatée par les services d'inspection mais le juge dispose à cet égard d'un pouvoir de contrôle. Il doit pouvoir apprécier si l'administration a usé de son pouvoir à bon escient. Le service d'inspection ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire pour décider de l'impossibilité matérielle.
- Application
54. Comme le souligne à juste titre Monsieur l'Auditeur du travail dans son avis, l'O.N.S.S. a régularisé les prestations effectives de Monsieur A. et Madame M., sur la base d'un horaire de 30 heures par semaine, correspondant à l'horaire mentionné sur le contrat, reprenant celui de la formation théorique et de la formation pratique. C'est donc à tort que Madame T. prétend que la régularisation aurait dû être opérée sur la base d'un temps partiel.
Pour le surplus, il résulte de la réponse par Madame T. à la question 19 du questionnaire de l'inspection sociale, que l'horaire de travail ne correspondait pas à celui de la convention de stage mais était à la carte. Il n'est donc pas possible de déterminer quel était l'horaire presté.
Madame T. ne démontre pas qu'il était matériellement impossible d'effectuer un temps plein ou, a fortiori, un horaire de 30 heures par semaine.
55. La demande d'établissement par l'O.N.S.S. d'un nouveau décompte des cotisations due, n'est pas fondée.
D. L'exécution provisoire
56. S'agissant de la demande d'exécution provisoire, l'effet suspensif des voies de recours ordinaires est le principe. L'exécution provisoire est l'exception, de sorte que cette demande doit être spécialement motivée pour que le tribunal puisse y faire droit. L'O.N.S.S. ne fait état d'aucun moyen particulier à l'appui de cette demande. Le tribunal ne peut dès lors pas y faire droit.
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
STATUANT APRES UN DEBAT CONTRADICTOIRE ;
Joint les causes portant les numéros de rôle 11/103/A et 11/1685/A ;
Déclare la demande principale recevable et fondée, dans la mesure précisée ci-après ;
Condamne Madame T. à payer à l'O.N.S.S. :
Procédure 63
- la somme de 17.787,59 euro du chef d'arriérés de cotisations de sécurité sociale et accessoires (majorations, intérêts de retard au taux légal) selon extrait de compte arrêté au 21 octobre 2010 ;
- les intérêts de retard au taux légal à dater du 21 octobre 2010 jusqu'au jour du parfait paiement sur la somme de 11.779,30 euro ;
Procédure 64
- la somme de 2.712,99 euro du chef d'arriérés de cotisations de sécurité sociale et accessoires (majorations, intérêts de retard au taux légal) selon extrait de compte arrêté au 4 avril 2011 ;
- les intérêts de retard au taux légal à dater du 4 avril 2011 jusqu'au jour du parfait paiement sur la somme de 1.572,55 euro ;
Déclare la demande reconventionnelle non fondée ;
Condamne Madame T. aux frais et dépens de l'instance, à savoir, d'une part, les frais de citation, liquidés à la somme de (2 x 216,10 =) 432,20 euro , et, d'autre part, l'indemnité de procédure, liquidée par l'O.N.S.S. à la somme de (2x 1.210 = ) 2.420 euro et fixée par le tribunal à la somme de 2.200 euro (correspondant à l'indemnité de procédure de base pour les litiges portant sur une somme de 20.000,01 à 40.000 euro ).
Ainsi jugé en langue française par la 7e chambre du tribunal du travail de Mons, section de La Louvière, composée de :
M. MESSIAEN, Juge, présidant la 7e chambre ;
J.-M. HANNOTEAU, Juge social à titre d'employeur ;
B. DI FERDINANDO, Juge social à titre de travailleur ouvrier ;
G. ARNOULD, Greffier.