Cour d'appel: Arrêt du 15 mars 2018 (Mons (Mons)). RG 2017/RG/234 ( 16ème chambre)

Datum :
15-03-2018
Taal :
Frans
Grootte :
4 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20180315-1
Rolnummer :
2017/RG/234 ( 16ème chambre)

Samenvatting :

1. Le délai de prescription applicable à l'enrichissement sans cause est de 10 ans. 2. Il prend cours au moment où toutes les conditions d'application de l'action sont réunies.

Arrest :

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EN CAUSE DE :

Monsieur B.B., domicilié à 7900 LEUZE-EN-HAINAUT,

partie appelante, représentée par Maître Isabelle STEVENS, avocate à 5000 NAMUR, Rue Pépin, 26 ;

CONTRE :

Madame E.S., domiciliée à 7900 LEUZE-EN-HAINAUT,

partie intimée, représentée par Maître Louise VAN MALLEGHEM, avocate à 7911 FRASNES-LEZ-BUISSENAL, route d'Hacquegnies, 3 ;

** ** **

La cour, après en avoir délibéré, prononce l'arrêt suivant :

Vu, produites en forme régulière, les pièces de procédure requises par la loi et notamment :

- la copie, certifiée conforme, du jugement prononcé contradictoirement le 27 octobre 2016 par la 5e chambre du Tribunal de première instance du Hainaut, division Tournai, non signifié selon les déclarations concordantes des parties ;

- la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 8 mars 2017, par Monsieur B.B. ;

- les conclusions de synthèse de Monsieur B.B., déposées au greffe de la cour le 9 juin 2017 ;

- les conclusions de synthèse de Madame E.S., déposées au greffe de la cour le 26 juin 2017 ;

Vu les dossiers de pièces déposés par les parties ;

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience du 6 février 2018, à laquelle les débats ont été déclarés clos et la cause a été prise en délibéré.

I. Recevabilité de l'appel

L'appel, régulier en la forme et interjeté dans le délai légal, est recevable.

II. Antécédents et objet actuel du litige

Les parties ont cohabité pendant plus de 25 ans dans un immeuble situé à 7906 GALLAIX, rue XXXXX, appartenant à Madame E.S..

Le 10 septembre 2015, Monsieur B.B. a cité Madame E.S. à comparaître devant le premier juge. Par conclusions déposées le 30 juin 2016, il a sollicité la condamnation de Madame E.S. à lui payer la somme de 63.632 euros à titre provisionnel, à majorer des intérêts moratoires à partir du 10 octobre 2009 jusqu'au jour du parfait paiement pour les dépenses qu'il a investies dans le bien appartenant à Madame E.S. et la somme de 150.000 euros à titre provisionnel à majorer des intérêts moratoires à partir du 10 octobre 2009 jusqu'au parfait paiement, pour sa main-d'œuvre.

Le jugement entrepris a déclaré la demande partiellement recevable pour la période postérieure au 10 septembre 2005 mais non fondée.

L'appel vise à entendre condamner Madame E.S. à payer à Monsieur B.B., les sommes de 74.617,47 euros et de 10.800 euros, à majorer des intérêts moratoires à dater de la mise en demeure du 14 octobre 2009 jusqu'à parfait paiement.

III. Fondement de l'appel

III.1. Les faits pertinents de la cause

L'appelant fonde sa demande sur la théorie de l'enrichissement sans cause.

Les parties ont cohabité pendant plus de 25 ans, elles ont retenu de leur union deux enfants et se sont séparées dans le courant du mois d'octobre 2007.

Le 29 mars 1999, l'intimée avait acheté pour le prix de 31.240,78 euros, un terrain situé à 7906 GALLAIX, sur lequel elle a fait construire une habitation au début des années 2000.

L'appelant expose, sans être contredit sur ce point, que l'intimée a financé seule le gros œuvre du bâtiment à concurrence de 150.000 euros et que lui-même a réalisé tous les travaux de plomberie, sanitaires, chauffage, électricité, isolation, plafonds en Gyproc, portes intérieures, chape isolante, carrelage, parquet, plafonnage, deux salles de bains, cinq placards, tapissage, peinture intérieure et extérieure, notamment, ainsi que tous les travaux extérieurs, à savoir le terrassement, les trottoirs, l'entrée de garage, la pelouse, et qu'il a exposé pour ce faire des dépenses à concurrence d'un montant de 74.617,47 euros, ce qui a apporté une plus-value à l'immeuble appartenant à l'intimée.

L'intimée a vendu l'immeuble en octobre 2009 pour le prix de 325.000 euros. A cette date, l'appelant a été contraint de quitter l'immeuble.

III.2. Quant à la prescription

L'appelant reproche au jugement entrepris d'avoir déclaré la demande partiellement recevable, au motif que les dépenses et coûts de main-d'œuvre réclamés par l'appelant, antérieurs au 10 septembre 2005, étaient prescrits.

Le délai de prescription applicable à l'action fondée sur le principe général du droit de l'enrichissement sans cause est de dix ans, en application de l'article 2262 bis § 1er, alinéa 1er du Code civil.

L'alinéa 2 de cette disposition vise en effet l'action en réparation d'un dommage fondé sur une responsabilité extracontractuelle. S'agissant d'une dérogation, il ne peut s'interpréter de manière extensive.

L'enrichissement sans cause a pour objectif d'accorder à l'appauvri une indemnisation destinée à compenser les conséquences dommageables d'un transfert de richesse injustifié et non d'une faute (Voyez notamment P. VAN OMMESLAGHE, DE PAGE, Traité de droit civil belge, tome II, Les obligations, volume 2, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 1138, n° 781 et p.1155, n°792).

Il résulte de l'article 2257 du Code civil que la prescription, qui est une défense opposée à une action tardive, prend cours en règle au moment de la naissance de l'action, c'est-à-dire lorsque l'action qu'elle sanctionne doit être exécutée. Elle ne peut prendre cours avant que cette action soit née et que ses conditions soient réunies. (Voyez Cass. 16 octobre 2017, C.16.0189.F. ; Cass. 29 septembre 2016, C.16.0018.F. ; Cass. 24 janvier 2013, C.11.0649.F. ; Cass. 3 octobre 2016, C.15.0101.F., www.juridat.be).

L'application du principe général du droit de l'enrichissement sans cause implique entre deux patrimoines un transfert de richesse qui donne naissance à l'obligation pour l'enrichi de restituer à l'appauvri l'enrichissement qu'il a obtenu sans cause au détriment de celui-ci (Voyez Cass. 22 juin 2017, C.10.0188.F., www.juridat.be)

L'enrichi est tenu par une obligation de restitution en faveur de l'appauvri, dès l'instant où toutes les conditions d'application de ce principe sont réunies (Voyez A.DELEU, E.MONTERO, et A. PÜTZ, L'enrichissement sans cause, in X., Obligations, Traité théorique et pratique, Wolters Kluwer, février 2017, II.4.3-16 ,80).

L'intimée, qui soulève une exception, ne prouve pas que les toutes les conditions de l'action étaient réunies avant la vente de l'immeuble en octobre 2009, date à laquelle, selon la thèse de l'appelant, l'obligation de restitution de l'intimée est née, un transfert de richesse injustifié s'étant définitivement opéré au profit de son patrimoine et, corrélativement, au détriment de celui de l'appelant.

En conséquence, la demande est recevable.

III.3. Quant au fondement de la demande

Le principe général du droit de l'enrichissement sans cause requiert la condition d'absence de cause de l'appauvrissement et de l'enrichissement.

Un transfert de patrimoine est sans cause lorsqu'il n'existe aucun motif juridique justifiant l'appauvrissement d'une partie et l'enrichissement de l'autre (Voyez Cass. 10 mai 2012, C.10.0707.N.).

L'intimée conteste le fondement de la demande au motif que l'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il trouve sa cause dans la volonté de l'appauvri.

Elle estime que l'appelant a amélioré l'immeuble afin que cela profite à la vie commune et familiale, dans une intention libérale et dans son intérêt personnel, celui de pouvoir occuper l'immeuble de façon durable.

L'appelant ne pouvait occuper l'immeuble de façon « durable » qu'avec l'accord de l'intimée, de sorte qu'en réalité, cette occupation était précaire.

L'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il trouve sa cause dans la volonté de l'appauvri, pour autant que celui-ci ait eu la volonté d'opérer un glissement de patrimoine définitif en faveur de l'enrichi (Voyez Cass. 23 octobre 2014, C.14.0207.F, www.juridat.be).

En l'espèce, l'appelant n'a pas eu la volonté de s'appauvrir au profit de l'intimée.

La relation affective des parties et leur cohabitation ne suffisent pas en soi à considérer que les apports de l'appelant ont été faits dans une intention libérale.

Au contraire, il apparaît de la pièce 3 du dossier de l'appelant que ce dernier a consigné, in tempore non suspecto, dans un cahier, les décaissements relatifs à l'immeuble litigieux, certains étant signés par l'intimée.

Si l'appelant avait fait les paiements invoqués dans une intention libérale en faveur de l'intimée, il ne les aurait pas consignés dans un cahier et n'aurait pas soumis celui-ci à la signature de l'intimée. Par ailleurs, cette dernière n'avait aucune raison d'y indiquer ses propres dépenses relatives à un immeuble qui lui appartenait, si les parties n'avaient eu aucune intention d'établir des comptes entre elles. Cette pièce établit dès lors l'absence d'intention libérale dans le chef de l'appelant.

C'est à raison que l'intimée souligne que ce cahier ne contient pas de reconnaissance de dette de sa part. Celui-ci contient le relevé daté des dépenses et la mention de celui qui les a exposées.

L'intimée reconnaît que lorsqu'une dépense indiquée au carnet est signée par une des deux parties, cela signifie que c'est cette dernière qui a exposé la dépense et que lorsque c'est signé par l'appelant (« ou simplement ses initiales B.B. »), cela signifie que la dépense est effectuée par ce dernier.

Ceci est confirmé par le contenu du courrier du conseil de l'appelant daté du 14 octobre 2009.

Il est ainsi établi que l'appelant a effectué des dépenses relatives aux travaux dans l'immeuble litigieux, à concurrence de la somme de 65.400,84 euros.

C'est en effet à raison que l'intimée fait remarquer qu'il n'y a ni signature ni initiales apposées à côté des mentions « acompte compromis de vente terrain », « premier paiement architecte », ainsi que pour les « enduits murs » et « bonbonne gaz », de sorte qu'il n'est pas établi que c'est l'appelant qui a effectué ces dépenses.

C'est également à raison que l'intimée souligne que doivent être déduites du relevé de dépenses de l'appelant, celles des 2 juin 2000, 26 juillet 2000, 27 juillet 2000 et 1er février 2001, qui ont été exposées par elle, sa signature étant apposée à côté de ces montants.

L'appelant sollicite également le paiement de la somme de 10.800 euros représentant une évaluation de sa main-d'œuvre. Cependant, concernant celle-ci, l'appelant n'établit pas son appauvrissement d'autant plus qu'il a occupé l'immeuble jusqu'en août 2019.

L'appelant dépose des extraits de compte attestant de dépenses qu'il a réalisées pendant la vie commune, au contraire de l'intimée.

L'intimée ne dépose aucune pièce quant aux dépenses qu'elle a effectuées durant la vie commune y compris concernant l'immeuble litigieux.

Elle a payé le terrain à concurrence de 35.240,78 euros et le gros œuvre à concurrence de 150.000 euros. Le « carnet rose » établit par ailleurs qu'elle a exposé en outre 9.216,63 euros de dépenses pour l'immeuble qui a été vendu en 2009 pour la somme de 325.000 euros.

Les dépenses exposées par l'appelant à concurrence de la somme de 65.400,84 euros, associées à sa main-d'œuvre ont conféré une plus-value importante au patrimoine immobilier de l'intimée.

L'intimée s'est enrichie alors que l'appelant s'est corrélativement appauvri sans cause à concurrence de la somme de 65.400,84 euros.

L'appelant peut donc prétendre à la restitution du montant le plus faible entre l'appauvrissement et l'enrichissement, soit la somme de 65.400,84 euros (Voyez notamment P. VAN OMMESLAGHE, DE PAGE, op.cit., p.1154, n°792).

En conséquence, l'appel est partiellement fondé.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant contradictoirement, dans les limites de sa saisine,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;

Dit l'appel recevable et partiellement fondé ;

Met à néant le jugement entrepris et réformant, dit la demande recevable et fondée dans la mesure suivante ;

Condamne Madame E.S. à payer à Monsieur B.B. la somme de 65.400,84 euros, augmentée des intérêts au taux légal de nature compensatoire à dater du 14 octobre 2009 jusqu'au présent arrêt et de nature moratoire ensuite jusqu'à parfait paiement ;

Condamne l'intimée aux frais et dépens de l'appelant dans les deux instances, liquidés selon l'état de l'appelant à 7.600 euros et lui délaisse ses propres frais et dépens.

Ainsi jugé, signé et ensuite prononcé en audience publique civile de la seizième chambre de la Cour d'appel de Mons, du quinze mars deux mille dix-huit par Madame Marie DESUTTER, Conseiller faisant fonction de président, et signé par Madame Caroline VANREUSEL, Greffier.

Caroline VANREUSEL Marie DESUTTER