Cour d'appel: Arrêt du 2 janvier 2018 (Mons (Mons)). RG 2016/RG/630 ( 22ème chambre)
- Sectie :
- Rechtspraak
- Bron :
- Justel F-20180102-2
- Rolnummer :
- 2016/RG/630 ( 22ème chambre)
Samenvatting :
MODE DE CALCUL DE L'ACHAT D'UNE OFFICINE PHARMACEUTIQUE Le calcul de la valeur d'une offine pharmaceutiques ne s'apparente pas à la valeur de cession des parts de la pharmacie sous forme de société. En effet, en application de l'article 1 de l'arrêté royal du 13.04.1977 « fixant les règles permettant de déterminer la valeur de transmission des officines pharmaceutiques et de surveiller cette transmission » :« La valeur de transmission d'une officine ouverte au public ne peut être supérieure à la somme des valeurs des éléments suivants: 1° le mobilier et l'appareillage appréciés par un expert agréé; 2° le stock en produits relevant de la profession de pharmacien apprécié par un expert agréé; 3° 150 p.c. de la moyenne des bénéfices bruts réalisés au maximum au cours des cinq périodes imposables précédant celle de la transmission, telles que ces périodes sont définies en matière d'impôts sur les revenus ». Cette disposition d'ordre public et de stricte interprétation.
Arrest :
EN CAUSE DE :
Madame J.S., et
Monsieur L.F.,
Domiciliés ensemble à 6220 FLEURUS,
parties appelantes, représentées par leur conseil Maître PEETERS Patricia, avocat loco son confrère Maître VAN VLASSELAERE Pascal, avocat, dont le cabinet est établi à 6200 CHATELINEAU, Rue de la Vallée, 27/4 - (2ème étage) ;
CONTRE :
Madame C.M., domiciliée à 5640 ORET,
partie intimée, comparaissant personnellement, assistée de son conseil Maître ADAM Raphaël, avocat, dont le cabinet est établi à 5600 PHILIPPEVILLE, rue de la Reine, 8 ;
La Cour, après en avoir délibéré, prononce l'arrêt suivant :
Vu les pièces de la procédure, notamment :
- les copies certifiées conformes des jugements dont appel rendus les 6 février 2015 et 15 janvier 2016 par le Tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi ;
- la requête d'appel déposée par les consorts J.S. - L.F. au greffe de la Cour en date du 5 août 2016 ;
Antécédents - exposé des faits:
Par acte reçu par le notaire DELMARCHE de résidence à Ransart le 29.11.2010 et publié aux annexes du Moniteur Belge le 10.01.2011, Mme J.S. et M. L.F. constituaient la SPRL PHARMACIC.
A cette occasion Mme J.S. fit apport à la SPRL PHARMACIC de :
« L'ensemble des éléments incorporels et corporels de son activité de pharmacienne. L'apport comprend notamment toutes les immobilisations incorporelles, immobilisations corporelles, les stocks, les dettes à plus d'un an et tous les éléments liés à son activité de pharmacienne ».
Le 19.07.2011, Mme C.M. faisait une offre d'achat :
des parts sociales de la SPRL PHARMACIC pour la somme de 440.000 euro ;
de l'immeuble sis à Fleurus, rue de la Station, 24 pour la somme de 330.000 euro ;
Ladite offre comporte la mention suivante :
« Le bilan de clôture devra être établi au plus tard un mois et demi après la date de cession, il sera contrôlé par notre comptable dans le même délai de sa réception (il sera tenu compte de la majoration des actifs circulants hors stock et diminution des dettes du passif comptes 17 à 49). Un inventaire contradictoire sera établi à la date de cession pour préciser la valeur du stock à payer (périmés enlevés). ».
Un compromis de cession de parts sociales de la SPRL PHARMACIC est intervenu le 09.08.2011 entre les consorts S-F. d'une part et Mme C.M. d'autre part.
Le prix desdites parts sociales est établi comme suit :
« Le prix de 440.000 euro est établi hors stock, dont la valeur sera établie le 30 septembre prochain.
un inventaire contradictoire du stock sera établi le 30 septembre prochain ;
il sera tenu compte de la majoration des actifs circulants hors stock et diminution des dettes du passif comptes 17 à 49 ;
en dehors de ce dernier point, sous réserve de l'audit comptable tel qu'il est prévu dans l'offre et sans préjudice des obligations de garantie visées dans cette convention, le prix est fixé de manière définitive et n'est donc pas révisable... ».
Le même jour Mme J.S. d'une part et Mme C.M. d'autre part signaient un compromis de vente relatif à l'immeuble sis à Fleurus rue de la Station pour la somme de 300.000 euro .
Le même jour encore, Mme C.M. remettait un chèque de 10.000 euro à titre d'acompte sur la vente des parts aux consorts S-F. et retirait une somme de 30.000 euro en liquide sur son compte bancaire.
Par courrier du 25.01.2012, le conseil de Mme C.M. sollicitait l'annulation des conventions litigieuses en invoquant la différence entre le chiffre d'affaire annoncé dans l'annonce (550.000 euro ) et celui renseigné dans la déclaration fiscale 2010 (482.428,94 euro ).
Par courriel du 27.01.2012, le comptable de Mme J.S. expliquait que le chiffre d'affaire de la SPRL PHARMACIC pour les années 2008 à 2010 était de :
CA 2008 : 476.321 euro HTVA
CA 2009 : 551.609 euro HTVA
CA 2010 : 482.429 euro HTVA
Par exploit du 05.04.2013, Mme C.M. sollicitait du tribunal de première instance de Charleroi l'annulation des conventions litigieuses et le remboursement des sommes de 10.000 euro et 30.000 euro .
Par conclusions du 03.02.2014, les consorts J.S.- L.F. formaient une demande reconventionnelle par laquelle ils sollicitaient :
l'annulation des conventions litigieuses ;
la condamnation de Mme C.M. au paiement des sommes de 30.000 euro , 44.000 euro et 50.145,08 euro outre les intérêts à titre de dommages-intérêts.
La SPRL PHARMACIC fit intervention par conclusions du 30.06.2014.
Par jugement du 06.02.2015, le premier juge invitait les parties à s'expliquer sur l'article 1592 du Code civil.
Par jugement du 15.01.2016, le juge a quo :
prononçait l'annulation des conventions litigieuses ;
ordonnait la restitution de la somme de 10.000 euro à Mme C.M. ;
désignait M. Henri VAESEN en qualité d'expert afin de déterminer les dommages éventuels subis par la SPRL PHARMACIC du fait de la gestion de Mme C.M..
Les consorts J.S.-L.F. interjetèrent appel des jugements susdits par requête du 05.08.2015, appel dirigé contre Mme C.M. uniquement et limité aux demandes principale et reconventionnelle.
Par voie d'appel incident, Mme C.M. sollicite la condamnation de Mme J.S. au remboursement de la somme de 30.000 euro et subsidiairement, avant-dire droit au fond, que soit ordonnée la comparution personnelle de Mme J.S..
Les appels principal et incident, réguliers dans la forme et dans le temps sont recevables, leur recevabilité n'étant d'ailleurs pas contestée.
Discussion :
Arrêté royal du 13.04.1977 :
En application de l'article 1 de l'arrêté royal du 13.04.1977 « fixant les règles permettant de déterminer la valeur de transmission des officines pharmaceutiques et de surveiller cette transmission » :
« La valeur de transmission d'une officine ouverte au public ne peut être supérieure à la somme des valeurs des éléments suivants:
1° le mobilier et l'appareillage appréciés par un expert agréé;
2° le stock en produits relevant de la profession de pharmacien apprécié par un expert agréé;
3° 150 p.c. de la moyenne des bénéfices bruts réalisés au maximum au cours des cinq périodes imposables précédant celle de la transmission, telles que ces périodes sont définies en matière d'impôts sur les revenus ».
Cette disposition d'ordre public et de stricte interprétation ne s'applique qu'en cas de reprise d'actifs ou en d'autres termes de l'universalité de fait qui constitue le fonds de commerce de la pharmacie et non en cas de reprise des parts de la pharmacie sous forme d'une société (Circulaire n° 546 du 16.10.2009 de l'Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de santé).
Dans ce dernier cas en effet il n'y a pas transmission du fonds de commerce qui reste la propriété d'une même personne morale mais simplement des parts sociales de cette dernière.
L'achat des parts sociales ne porte en outre pas seulement sur l'actif de la société mais également sur le passif de celle-ci, ce qui n'est pas le cas de la cession d'un fonds de commerce.
Ledit arrêté royal n'est donc pas applicable au cas d'espèce.
Article 1591 du Code civil.
En application de l'article 1591 du Code civil, le prix de la vente doit être déterminé ou désigné par les parties, c'est à dire être à tout le moins déterminable.
Le prix de vente est déterminable lorsqu'il peut être fixé en fonction d'éléments objectifs qui sont soustraits à la volonté des parties (Cass 21.09.1987, Pas 1988, I, 77).
L'obligation de paiement du prix des parts sociales est déterminable lorsque celle-ci comprend des éléments ou des critères suffisamment objectifs et soustraits à la volonté des parties, sur la base desquels le prix peut être fixé sans que soit nécessaire un nouvel accord entre les parties.
Il est ainsi possible aux parties de prévoir le recours à un tiers arbitre (article 1592 du Code civil) ou prévoir une clause de fixation de prix basée sur des éléments objectifs et qui ne dépendra pas d'un nouvel accord de volonté des parties.
En l'espèce le prix de cession des parts sociales fut fixé à la somme irrévocable de 440.000 euro hors stock et sous réserve de la majoration des actifs circulants hors stock et de la diminution des dettes du passif comptes 17 à 49.
Il en découle que non seulement le stock devait encore faire l'objet d'une évaluation par les parties mais que le prix de 440.000 euro pouvait encore faire l'objet d'une révision en fonction :
de la valeur des actifs circulants hors stock, c'est à dire essentiellement des créances clients et des placements financiers à court terme ;
de la valeur des dettes du passif comptes 17 à 49, c'est à dire notamment des dettes à plus d'un an et des dettes à un an au plus.
Il en découle que le prix définitif des parts sociales dépendait d'un nouvel accord des parties portant sur l'admissibilité ou la valorisation de postes essentiels du bilan tels que ceux repris ci-avant, aucune clause d'ajustement de prix n'étant prévue et les parties n'ayant pas non plus confié l'évaluation desdits postes par un tiers arbitre (Cass. fr. 18.06.1996, RJDA 1996, n°1202).
A cet égard c'est à juste titre que le premier juge a pu constater que la convention de cession de parts ne comportait aucun mécanisme dispensant les parties de recourir à un nouvel accord de volontés pour arrêter le prix définitif de la cession.
Le prix des parts sociales de la SPRL PHARMACIC ne peut donc être considéré comme déterminé ou déterminable sans qu'un nouvel accord entre les parties ne soit nécessaire.
Les ventes litigieuses, qui forment un tout indissociable, doivent par conséquent être considérées comme nulles et non avenues (Gand 25.06.2012, DAOR 2012, liv.103,328 ; Gand 13.10.2008, R.G.D.C. 2010, liv. 6, 307).
L'appel principal est non fondé.
Remboursement d'un acompte de 30.000 euro :
L'annulation des conventions litigieuses implique que les choses doivent être remises en leur pristin état.
Mme C.M. soutient avoir versé à Mme J.S. une somme de 30.000 euro en liquide lors de l'achat de son immeuble, ce que cette dernière conteste.
En vertu de l'article 1315 du Code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Le paiement de somme est un acte juridique qui doit être prouvé par écrit (Mougenot, « La preuve », n°40, Larcier et les références citées) en application de l'article 1341 du Code civil.
Aux termes de l'article 1347 du Code civil, la preuve d'une obligation peut également se faire par toute voie de droit, présomptions y compris, lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit.
Par commencement de preuve par écrit, il faut entendre tout acte écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, de nature à rendre vraisemblable le fait allégué et pouvant être complété par toutes voies de droit, présomptions y compris.
Il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si l'acte qui lui est soumis rend vraisemblable le fait allégué et constitue, dès lors, un commencement de preuve par écrit.
Pour qu'un fait soit vraisemblable, il ne suffit pas qu'il paraisse possible.
La condition de vraisemblance doit s'apprécier de manière raisonnable, il suffit que le commencement de preuve par écrit rende le fait admissible c'est à dire qu'il présente quelque apparence de véracité (Cass., 24 mai 1962, Pas., 1962, I, p. 1078 ; DE PAGE, « Traité élémentaire de droit civil », T.III, 1967, p.920).
En l'espèce le compromis de vente signé par Mme C.M. et Mme J.S. constitue bien un commencement de preuve par écrit dès lors qu'il émane aussi de cette dernière.
Ainsi que l'a relevé à bon droit le premier juge, ce commencement de preuve par écrit est de nature à rendre vraisemblable le paiement d'un acompte de 30.000 euro dès lors que ledit compromis prévoit justement une diminution de prix de 30.000 euro par rapport à l'offre signée le 19.07.2011 par Mme C.M. et ce alors que cette dernière était liée par ladite offre.
Mme J.S. n'avait en effet aucune raison d'accepter une quelconque diminution de prix.
La thèse de Mme C.M. selon laquelle la diminution de prix, à concurrence de la somme de 30.000 euro , entre l'offre du 19.07.2011 et le compromis du 09.08.2011 s'explique par la remise d'un acompte en liquide présente donc bien une apparence de véracité.
Aucune autre explication raisonnable relative à cette diminution de prix n'est d'ailleurs donnée par Mme J.S..
Contrairement à ce qu'a pu considérer le premier juge, la cour estime que ce commencement de preuve par écrit est corroboré par des présomptions graves, précises et concordantes desquelles il ressort qu'un acompte de 30.000 euro a bien été remis lors de la signature du compromis du 09.08.2011, en effet :
Mme C.M. a retiré une somme de 30.000 euro en liquide de son compte bancaire ;
ce retrait a été effectué le jour même de la signature du compromis de vente ;
aucune négociation relative à une diminution du prix de vente n'est intervenue entre la signature de l'offre et celle du compromis ;
Mme C.M. avait bien un intérêt à agir de la sorte puisque ce faisant elle payait moins de droits d'enregistrement, ces droits étant calculés sur le prix total de la vente de l'immeuble ;
Par ailleurs le caractère occulte de ce versement peut expliquer que Mme C.M. ait attendu la date du 05.04.2013 pour solliciter le remboursement dudit acompte.
Il s'ensuit que l'existence de obligation litigieuse est bien rapportée, la cour estimant, contrairement à ce qu'a pu considérer le premier juge, qu'aucun doute ne persiste quant à ce.
L'appel incident est donc fondé.
Les intérêts sur la somme de 30.000 euro doivent cependant se calculer depuis la date de citation et non depuis la date de remise des fonds.
Frais et dépens :
Certains des chefs de la demande principale sont évaluables en argent (v. supra).
Un chef de demande relatif à la passation d'un acte authentique de vente, à l'annulation d'une vente d'immeuble ou en revendication d'un bien n'est pas, de par sa nature, évaluable en argent (VAN DROOGHENBROECK, « La loi du 21.043.2007 sur la répétibilité des frais et honoraires d'avocat », JT 2008, p.41, n°14, note 41).
Mis en présence d'une demande mixte, le juge doit, entre l'indemnité due à raison d'une demande non évaluable et celle calculée sur le montant des chefs de prétention chiffrés par le demandeur, choisir d'allouer au gagnant la plus élevée des deux .
En vertu de l'article 3 de l'arrêté royal du 26.10.2007 fixant le tarif des indemnités de procédure visées à l'article 1022 du Code judiciaire, pour les affaires non évaluables en argent, le montant de base de l'indemnité de procédure est de 1.440 euro , le montant minimum de 90 euro et le montant maximum de 12.000 euro .
En application de l'article 2 de l'arrêté royal du 26.10.2007 fixant le tarif des indemnités de procédure visées à l'article 1022 du Code judiciaire, le montant de base de l'indemnité de procédure pour les actions portant sur des demandes évaluables en argent est déterminé en fonction du montant de la demande tel que réclamé dans l'acte introductif ou dans les dernières conclusions, conformément aux articles 557 et ss. du Code judiciaire.
Pour un montant de 124.145,08 euro , l'indemnité de base est de 6.000 euro , le montant minimal de 1.200 euro et le montant maximal de 12.000 euro .
Il y a lieu de s'en tenir à la somme de 6.000 euro tant en première instance qu'en degré d'appel.
Les frais et dépens doivent donc se calculer comme suit :
frais de citation et de mise au rôle: 391,63 euro ;
indemnité de première instance : 6.000,00 euro ;
indemnité d'appel : 6.000,00 euro ;
Total: 12.391,63 euro
Par ces motifs,
la cour statuant contradictoirement à l'égard des parties, dans les limites des appels ;
Vu la loi du 15.06.1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, usage de la langue française ayant été fait ;
Dit l'appel principal de Mme J.S. et de M. L.F. recevable mais non fondé et les en déboute ;
Dit l'appel incident de Mme C.M. recevable et fondé,
Par conséquent :
Confirme les dispositions entreprises des jugements déférés sauf en ce que le premier juge a dit la demande reconventionnelle de Mme C.M. non fondée ;
Réformant quant à ce ;
Dit la demande reconventionnelle de Mme C.M. en grande partie fondée ;
Condamne Mme J.S. à payer à Mme C.M. la somme de 30.000 euro majorée des intérêts au taux légal depuis le 05.04.2013 jusqu'à parfait paiement ;
Déboute Mme C.M. du surplus de sa demande ;
Condamne Mme J.S. et M. L.F. aux frais et dépens de Mme C.M. dans les deux instance liquidés à la somme de 12.391,63 euro et leur délaisse leurs propres frais et dépens dans lesdites instances;
Ainsi prononcé en audience publique de la 22ème chambre civile de la cour d'appel de Mons, le 2 janvier 2018 ;
Présents:
Monsieur Emmanuel MATHIEU, Conseiller,
Madame Corine VANBEL, Greffier,
VANBEL MATHIEU