Cour du Travail: Arrêt du 23 janvier 2013 (Mons (Mons)). RG 2011/AM/205
- Sectie :
- Rechtspraak
- Bron :
- Justel F-20130123-9
- Rolnummer :
- 2011/AM/205
Samenvatting :
L'entérinement de l'accord-indemnité par le F.A.T. est un acte administratif « détachable » du mécanisme contractuel qu'il consacre. Par conséquent, tant que la formalité de l'entérinement n'est pas réalisée, l'accord-indemnité peut être remis en cause pour un vice de consentement, tel que l'erreur. Pour apprécier l'erreur entraînant le cas échéant l'annulation de l'accord-indemnité, il y a lieu de se référer aux règles de droit commun. Le taux d'incapacité permanente et la date de consolidation des lésions constituent des éléments substantiels de l'accord de manière telle que s'il est établi que c'est à la suite d'une erreur inexcusable que la victime a maintenu son consentement sur les éléments d'indemnisation repris dans l'accord-indemnité, cet accord doit être annulé. Tel est le cas lorsqu'informé d'une rechute, l'assureur-loi renseigne la victime de manière erronée sur la procédure à suivre
Arrest :
COUR DU TRAVAIL DE MONS
ARRET
AUDIENCE PUBLIQUE DU 23 JANVIER 2013
R.G. 2011/AM/205
8ème chambre
Accident du travail.
Accord-indemnité homologué par le F.A.T. - Contrat solennel.
Rechute dénoncée entre la signature de l'accord et l'homologation - Action en rescision de l'accord introduite pour cause d'erreur substantielle et excusable due aux informations erronées émises par l'entreprise d'assurances - Conditions.
Arrêt contradictoire, définitif.
EN CAUSE DE :
La S.A. ALLIANZ BELGIUM, Caisse Commune d'Assurances, dont le siège social est sis à .... , ayant repris les activités de la Caisse commune d'Assurances MENSURA, anciennement dénommée ASSUBEL, Caisse Commune contre les Accidents du Travail,
Appelante, comparaissant par son conseil, Maître MONFORTI, avocate à Charleroi ;
CONTRE
Monsieur J.D.V., domicilié à ..... ,
Intimé, comparaissant en personne, assisté de son conseil, Maître VLASSEMBROUCK, avocat à La Louvière.
*****
La cour du travail, après en avoir délibéré, prononce l'arrêt suivant :
Revu les pièces de la procédure et notamment :
- l'arrêt contradictoire déclarant l'appel recevable et, quant à son fondement, ordonnant d'office la réouverture des débats prononcé par la 8ème chambre le 25 avril 2012 ;
- les observations de la partie appelante reçues au greffe le 26 juin 2012 et celles de la partie intimée y reçues le 5 septembre 2012 ;
- le dossier des parties.
Entendu les parties, en leurs dires et moyens, à l'audience publique de la 8ème chambre du12 décembre 2012.
*******
1. Rappel des faits et antécédents de la cause
1.1. Monsieur J.D.V. a été victime d'un accident du travail le 28 novembre 2005 alors qu'il était occupé au service de la société QUINTENS BAKERIES MORLANWELZ, assurée en loi auprès de la Caisse Commune d'Assurances MENSURA.
L'accident est pris en charge par l'assureur-loi et il est indemnisé pour les incapacités temporaires.
Le 4 février 2009, le médecin-conseil de MENSURA, le Docteur DESOIGNIES, établit un rapport de consolidation fixant la date de consolidation au 15 décembre 2008 avec une I.P.P. de 8 %.
Sur cette base, un accord-indemnité signé par le représentant légal de MENSURA est soumis à Monsieur J.D.V.. En date du 23 mars 2009, cet accord-indemnité est signé par l'intéressé et son médecin-conseil. Cet accord reprend notamment les données suivantes :
I.T.T. du 28.11.2005 au 31.05.2006 et du 12.7.2008 au 14.12.2008
I.T.P. (50%) du 01.06.2006 au 31.7.2006
consolidation le 15.12.2008 avec une I.P.P. de 6%.
En date du 3 avril 2009, le F.A.T. accuse réception de l'accord-indemnité et informe MENSURA et Monsieur J.D.V. qu'il procède à l'examen du dossier.
Monsieur J.D.V. introduit auprès de MENSURA une demande de révision suite à une rechute intervenue le 30 mars 2009.
Par courrier du 11 mai 2009, MENSURA lui adresse un courrier suivant lequel elle émet des réserves concernant cette rechute et elle va convoquer l'intéressé chez le Docteur DESOIGNIES.
Par courrier du 29 mai 2009, MENSURA informe Monsieur J.D.V. que : « LA RECHUTE A PARTIR DU 30.03.2009 N'EST PAS EN RELATION CAUSALE AVEC L'ACCIDENT DU TRAVAIL DU 28.11.2005 ET AUX LESIONS CONSTATEES AU MOMENT DE L'ACCIDENT ».
En date du 1er juillet 2009, le F.A.T. entérine l'accord-indemnité.
1.2. Par citation signifiée le 14 décembre 2009, Monsieur J.D.V. saisit le tribunal du travail de Charleroi. Il conteste, d'une part, l'accord-indemnité signé le 23 mars 2009 et, d'autre part, la décision de MENSURA du 29 mai 2009.
A titre principal, Monsieur J.D.V. qualifie son action d'action en révision ; à titre subsidiaire, il demande au tribunal de requalifier son action en action en rescision. Il sollicite, avant dire droit, la désignation d'un expert chargé d'évaluer les conséquences de la rechute du 30 mars 2009.
1.3. Par le jugement entrepris du 8 février 2011, le tribunal du travail de Charleroi reçoit la demande et, avant dire droit quant au fond, ordonne une mesure d'expertise médicale.
Aux termes de ses motifs, le jugement entrepris précise que :
en ce qu'elle se fonde sur l'article 72 de la loi du 10 avril 1971 (action en révision), l'action n'est pas fondée,
c'est à la suite d'une erreur excusable que le demandeur a maintenu son consentement sur les éléments d'indemnisation repris dans l'accord-indemnité ; il s'agit d'une erreur substantielle entraînant l'annulation de cet accord-indemnité en ce qu'il fixe la date de consolidation des lésions au 15 décembre 2008 avec une I.P.P. de 6%.
1.4. MENSURA relève appel de ce jugement. Elle sollicite la réformation du jugement querellé et demande à la cour de débouter l'intimé de son action originaire considérant que :
dès lors que l'accord-indemnité a été entériné, l'action visant à le remettre en cause n'est pas recevable,
dès lors que la rechute est antérieure à l'entérinement, l'action en révision n'est pas recevable,
en tout état de cause, l'erreur commise par l'intimé n'est ni substantielle, ni excusable de manière telle que l'action en rescision n'est pas fondée ; il en est d'autant plus ainsi qu'entre les séquelles présentées en 2008 et celles apparues en mars 2009, aucun élément nouveau n'est apparu.
L'intimé sollicite la confirmation du jugement querellé considérant que :
il a été induit en erreur par les deux courriers de l'appelante qui font état d'une possibilité d'action dans les trois ans,
il s'agit d'une erreur substantielle et invincible et il n'est pas établi qu'en signant l'accord-indemnité, il acceptait le rejet de certaines séquelles comme étant non-imputables à l'accident du travail.
Subsidiairement, dès lors que la rechute est intervenue partiellement après l'entérinement du F.A.T., il forme appel incident considérant que l'action en révision est recevable et fondée.
2. Arrêt du 25 avril 2012
Par son arrêt du 25 avril 2012, la cour de céans reçoit l'appel et, avant dire droit quant à son fondement, ordonne une réouverture des débats notamment pour que l'appelante l'informe plus amplement sur les éléments suivants :
la date et les documents par lesquels l'intimé a introduit sa demande de rechute.
entre le 11 mai 2009 et le 29 mai 2009, y a-t-il eu un examen médical du Docteur DESOIGNIES, comme annoncé ? Si oui, préciser la date et déposer le rapport. Si non, préciser les éléments médicaux qui ont amené l'appelante à refuser la prise en charge.
Par ailleurs, dans ledit arrêt, la cour considérait d'ores et déjà que :
l'entérinement par le F.A.T. est un acte administratif « détachable » du mécanisme contractuel qu'il consacre et que cet entérinement ne s'oppose pas à la remise en cause de l'accord-indemnité pour vice de consentement,
tant que la formalité de l'entérinement n'est pas réalisée, l'accord-indemnité peut être remis en cause pour un vice de consentement, tel que l'erreur,
le taux d'incapacité permanente et la date de consolidation des lésions constituent des éléments substantiels de l'accord.
3. Discussion _- Décision
Pour apprécier l'erreur entraînant le cas échéant l'annulation de l'accord-indemnité, il y a lieu de se référer aux règles de droit commun.
Ainsi, l'article 1110 du Code civil dispose : « L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ».
La substance de la chose est, selon la Cour de cassation, tout élément qui a déterminé principalement la partie à contracter, de telle sorte que sans cet élément, le contrat n'aurait pas été conclu (Cass., 3 mars 1967, Pas., 1967, I, 811).
Aux termes de ses écrits de procédure, l'intimé expose qu'il a été induit en erreur par les courriers de l'appelante des 11 mai 2009 et 29 mai 2009 et par les informations erronées qui y étaient contenues, informations qui l'ont amené à maintenir les termes de l'accord-indemnité.
Comme la cour l'a déjà relevé dans son arrêt du 25 avril 2012, le taux d'incapacité permanente et la date de consolidation des lésions constituent des éléments substantiels de l'accord de manière telle que s'il est établi que c'est à la suite d'une erreur que l'intimé a maintenu son consentement sur les éléments d'indemnisation repris dans l'accord-indemnité, cet accord devra être annulé.
En l'espèce, l'intimé invoque plus particulièrement le fait que, dans ses deux courriers des 11 mai 2009 et 29 mai 2009, l'appelante a indiqué :
« Les contestations concernant la présente décision [refus de prise en charge de la rechute du 30 mars 2009] doivent être soumises au Tribunal du travail, Grand Place, 15 à 7100 HAINE-SAINT-PIERRE, au moyen d'une citation signifiée par exploit d'huissier dans le délai de trois ans ;... ».
En n'avertissant pas l'intimé qu'il devait, en cas de désaccord avec le refus de prise en charge, s'adresser au F.A.T. avant qu'il n'entérine l'accord-indemnité et en le renseignant de manière erronée sur la procédure à suivre, l'appelante a manifestement trompé l'intimé de telle sorte que le maintien de son consentement sur l'accord-indemnité fut vicié.
L'appelante admet que ces courriers pouvaient « révéler une certaine incohérence » mais considère que si erreur il y a eu, elle est inexcusable dès lors que, d'une part, l'intimé avait été informé par le F.A.T. de la possibilité de faire des observations et que, d'autre part, aucun élément nouveau n'étant apparu en mars 2009, il devait savoir que le refus de prise en charge de la rechute hypothéquait les termes de l'accord-indemnité.
Aux termes de la position constante de la Cour de cassation, le caractère inexcusable de l'erreur se détermine par rapport au comportement d'un homme raisonnable. Il appartient au juge du fond, dans l'application de ce critère, de tenir compte des caractéristiques générales de la personne qui invoque l'erreur, de son niveau d'instruction, de son âge, de ses compétences professionnelles, de l'ensemble des circonstances dans lesquelles l'erreur a été commise (P. VAN OMMESLAGHE, « Droit des obligations », tome Ier, Bruylant, 2010, p.238).
En l'espèce, il apparaît qu'effectivement, le F.A.T. a adressé à l'intimé un courrier le 3 avril 2009 pour lui signaler qu'il avait reçu l'accord-indemnité, qu'il procédait à son examen et que tout élément susceptible d'influencer cet accord devait être transmis dans le mois.
Il ne peut, cependant, être fait grief à l'intimé de ne pas avoir informé le F.A.T. de la rechute du 30 mars 2009 dans la mesure où, dans le délai d'un mois, il n'était pas informé de la position qu'allait adopter l'appelante (1ère lettre le 11 mai 2009) et où, une fois le refus de prise en charge notifié, il pouvait légitimement penser que la procédure renseignée par l'appelante (demande de révision dans les 3 ans) était suffisante et qu'il n'était pas utile de s'adresser au F.A.T..
Par ailleurs, c'est à tort que l'appelante prétend qu'en signant l'accord-indemnité, l'intimé a accepté sans réserve que les séquelles constatées en L4-L5 n'étaient pas imputables à l'accident du travail de manière telle que le refus de la prise en charge de la rechute limitée à des lésions en L4-L5 aurait dû l'alerter.
En réalité, le rapport de consolidation du 4 février 2009 et l'accord-indemnité soumis à la signature de l'intimé reprennent sous le verbo « Description des séquelles » :
« Lésions initiales : lumbago avec cure de hernie discale secondaire.
Subjectivement, persistance d'une sensation d'endormissement de la jambe droite.
Cliniquement, mobilité lombaire conservée.
Radiologiquement, séquelles de laminectomie L4 - L5.
Electromyographie : séquelles neurogènes chroniques dans la racine L4 droite ».
Il y est donc fait référence à des « séquelles de laminectomie L4-L5 ».
En outre, la motivation succincte reprise dans la décision de refus du 29 mai 2009 (pas de relation causale avec l'accident du travail) ne suffisait pas à mettre ce refus en relation avec la description des séquelles reprises dans l'accord-indemnité.
Il ressort donc des considérations qui précèdent que c'est à la suite d'une erreur excusable que l'intimé a maintenu son consentement sur les éléments d'indemnisation repris dans l'accord-indemnité.
L'action en rescision de l'intimé était fondée.
L'appel principal est non fondé.
Par conséquent, il n'y a pas lieu d'examiner l'appel incident subsidiaire.
**********
PAR CES MOTIFS,
La cour du travail,
Statuant contradictoirement.
Ecartant toutes conclusions autres.
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, notamment l'article 24.
Déclare l'appel non fondé.
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Condamne la partie appelante aux frais et dépens de l'instance d'appel liquidés à la somme de 120,25 euro .
Renvoie la cause devant le tribunal du travail de Charleroi, section de Binche-Ressaix, pour les suites de la procédure.
Ainsi jugé par la 8ème chambre de la cour du travail de Mons, composée de :
Madame P. CRETEUR, Conseiller présidant la chambre,
Monsieur F. WAGNON, Conseiller social au titre d'employeur,
Monsieur J. DEL FABBRO, Conseiller social au titre de travailleur ouvrier,
Et signé, en application de l'article 785 du Code judiciaire, compte tenu de l'impossibilité dans laquelle se trouve Monsieur le conseiller social J. DEL FABBRO, par Madame P. CRETEUR et Monsieur F. WAGNON, assistés de Madame V. HENRY, Greffier.
Le Greffier, Le Conseiller social, Le Président,
Et prononcé à l'audience publique du 23 janvier 2013 de la 8ème chambre de la cour du travail de Mons, par Madame P. CRETEUR, Conseiller présidant la chambre, assisté de Madame V. HENRY, Greffier.