Tribunal du Travail: Jugement du 20 avril 2005 (Mons (Mons)). RG 10009699;93209

Datum :
20-04-2005
Taal :
Frans
Grootte :
6 pagina's
Sectie :
Rechtspraak
Bron :
Justel F-20050420-5
Rolnummer :
10009699;93209

Samenvatting :

Le litige dont le Tribunal est saisi, porte sur l'assujettissement à la sécurité sociale belge de Mr G. M entre le 1er octobre 1992 et le 31 décembre 1995. Son objet déterminant pour l'examen de la compétence du Tribunal et la recevabilité de la demande consiste concrètement en une demande de condamnation d'un employeur à payer des cotisations de sécurité sociale en application de la loi du 27 juin 1969. Les tribunaux du travail sont bien compétents pour connaître d'une telle demande et l'ONSS est bien recevable à poursuivre une telle demande de condamnation devant une juridiction belge et plus précisément le tribunal du travail du siège de l'employeur du travailleur concerné (art. 580, 1° du C. jud). La position du Tribunal aurait été tout autre si l'objet de l'action de l'ONSS consistait ou se limitait à obtenir l'annulation d'un certificat E101. Les juridictions belges sont en effet incompétentes pour connaître d'une telle demande, cette compétence relevant exclusivement des autorités européennes désignées à cet effet par le Règlement 574/72. Ce type de demande est donc soustrait par la loi à leur juridiction (art. 556 du C. jud.)

Vonnis :

Voeg het document toe aan een map () om te beginnen met annoteren.
La deuxième Chambre du Tribunal du travail de Mons, section de Mons, après en avoir délibéré, a rendu le jugement suivant :
Rép. A.J.n°
R.G.n° 100.096/99 (ex 85.269 Not. A/952/96) & 93.209 - Not. A/252/98
EN CAUSE DE : L'OFFICE NATIONAL DE SECURITE SOCIALE, (ci-après l'ONSS) établissement public institué par l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, dont le siège est établi à 1060 Bruxelles, place Victor Horta, 11,
PARTIE DEMANDERESSE, représentée par Maître Tachenion, avocat.
CONTRE : La société de droit américain V...,
PARTIE DEFENDERESSE, représentée par Maîtres Debray et Albert, avocats.
w w w
1. La procédure.
RG 100.096/99 (ex 85.269)
Vu la citation de l'ONSS du 23 janvier 1996.
Vu l'omission de la cause RG 85.269 intervenue le 2 décembre 1999 en application de l'article 730 du Code judiciaire et sa réinscription sous le n° de RG 100.096/99 en date du 31 décembre 1999.
Vu l'ordonnance '747 ,§ 2' du 4 août 2004 fixant les plaidoiries à l'audience publique du 15 décembre 2004 où les parties ont été entendues en leurs dires et moyens.
Vu pour l'ONSS :
,§ les conclusions reçues au greffe le 12 septembre 2000,
,§ les conclusions additionnelles reçues au greffe le 12 mars 2003,
,§ les secondes conclusions additionnelles déposées au greffe le 15 octobre 2004
,§ et le dossier de pièces déposé à l'audience du 15 décembre 2004.
Vu pour V :
,§ les conclusions reçues au greffe le 23 juillet 1996,
,§ les conclusions de synthèse reçues au greffe le 28 août 2001,
,§ les conclusions additionnelles reçues au greffe le 29 décembre 2003,
,§ les 'conclusions additionnelles et de synthèse relatives aux questions de procédure' reçues au greffe le 5 avril 2004,
,§ les 'secondes conclusions additionnelles relatives aux questions de procédure' reçues au greffe le 15 octobre 2004 et
,§ le dossier de pièces déposé à l'audience du 15 décembre 2004.
Vu l'avis écrit de Monsieur Millet, Auditeur du travail, déposé au greffe le 19 janvier 2005 et notifié aux parties en application de l'article 767, ,§3 du Code judiciaire.
Vu l'absence de répliques des parties audit avis.
RG 93.209.
Vu la citation de l'ONSS du 2 janvier 1999.
Vu l'ordonnance '747 ,§ 2' du 4 août 2004 fixant les plaidoiries à l'audience publique du 15 décembre 2004 où les parties ont été entendues en leurs dires et moyens.
Vu pour l'ONSS :
,§ les conclusions reçues au greffe le 2 avril 2002,
,§ les conclusions additionnelles reçues au greffe le 12 mars 2003 et
,§ les secondes conclusions additionnelles déposées au greffe le 15 octobre 2004.
Vu pour V :
,§ les conclusions de synthèse reçues au greffe le 28 août 2001,
,§ les conclusions additionnelles reçues au greffe le 29 décembre 2003,
,§ les 'conclusions additionnelles et de synthèse relatives aux questions de procédure' reçues au greffe le 5 avril 2004 et
,§ les 'secondes conclusions additionnelles relatives aux questions de procédure' reçues au greffe le 15 octobre 2004.
Vu l'avis écrit de Monsieur Millet, Auditeur du travail, déposé au greffe le 19 anvier 2005 et notifié aux parties en application de l'article 767, ,§3.
Vu l'absence de répliques des parties audit avis.
2. La connexité.
Les causes enregistrées sous les numéros de RG 100.096/99 (ex 85.269) et 93.209 sont liées entre elles par un rapport si étroit qu'il s'impose de les joindre en raison de la connexité qui les unit.
3. Objet des demandes.
En sa citation du 23 janvier 1996, l'ONSS poursuit la condamnation de V à lui payer la somme de 14.209.505 bef du chef de cotisations arriérées de sécurité sociale et accessoires selon un extrait de compte n° 600 du 9 janvier 1996, à augmenter des intérêts de retard au taux légal à dater du 14 décembre 1995 sur la somme de 11.372.445 bef et des dépens.
En sa citation du 2 janvier 1998, l'Office poursuit la condamnation de V à lui payer la somme de 9.923.649 bef du chef de cotisations arriérées de sécurité sociale et accessoires selon un extrait de compte n° 69 du 29 octobre 1997, à augmenter des intérêts de retard au taux légal à dater du 15 octobre 1997 sur la somme de 7.820.990 bef et des dépens.
Ces deux actions résultent de l'assujettissement d'office à la sécurité sociale belge des travailleurs salariés de Mr G. J. M pour les périodes suivantes : du 4e trimestre 1992 au 4e trimestre 1994 (1ère citation EC n° 600) et les 4 trimestres de 1995 (2ème citation EC n° 69).
4. Position des parties.
- a -
La société V soulève l'incompétence des juridictions belges et l'irrecevabilité de la demande.
Elle conteste l'assujettissement de Mr M à la sécurité sociale belge dans la mesure où (1) il s'agit d'un travailleur détaché au sens des articles 14.1 ou 17 du Règlement 1408/71 et (2) le Royaume Uni le prend en charge par la délivrance de E101. Se référant à un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour de cassation, elle fait valoir que les certificats E101 émis par le Royaume-Uni lient la Belgique (et l'ONSS) et que les juridictions belges ne sont pas compétentes pour apprécier la validité de ces E101.
Subsidiairement, elle invoque la nullité de la décision d'assujettissement d'office prise par l'ONSS, et ce, pour violation de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation des actes administratifs.
- b -
L'ONSS maintient ses demandes de condamnation.
L'Office explique que l'accord de détachement du 18 septembre 1990 est caduc car fondé sur des éléments erronés. Il convient dès lors d'appliquer l'article 14.2.b du Règlement 1408/71 désignant la législation belge, et ce, avec effet au 1er septembre 1989 (date de l'engagement de G. M par la filiale belge de V).
Il développe ensuite les raisons qui l'ont conduit à considérer l'accord de détachement comme caduc.
L'ONSS justifie la compétence du Tribunal en fondant son action sur le contrat de travail existant entre V et G. M. Enfin, il fait référence à un arrêt de la Cour de cassation ayant estimé qu'un avis rectificatif de l'ONSS n'est pas un acte administratif au sens de la loi du 29 juillet 1991.
5. Position du Tribunal.
Objet de la demande compétence recevabilité.
- a -
Le litige dont le Tribunal est saisi, porte sur l'assujettissement à la sécurité sociale belge de Mr G.
M entre le 1er octobre 1992 et le 31 décembre 1995.
Son objet déterminant pour l'examen de la compétence du Tribunal et la recevabilité de la demande consiste concrètement en une demande de condamnation d'un employeur à payer des cotisations de sécurité sociale en application de la loi du 27 juin 1969.
Les tribunaux du travail sont bien compétents pour connaître d'une telle demande et l'ONSS est bien recevable à poursuivre une telle demande de condamnation devant une juridiction belge et plus précisément le tribunal du travail du siège de l'employeur du travailleur concerné (art. 580, 1° du C. jud).
La position du Tribunal aurait été tout autre si l'objet de l'action de l'ONSS consistait ou se limitait à obtenir l'annulation d'un certificat E101. Les juridictions belges sont en effet incompétentes pour connaître d'une telle demande, cette compétence relevant exclusivement des autorités européennes désignées à cet effet par le Règlement 574/72. Ce type de demande est donc soustrait par la loi à leur juridiction (art. 556 du C. jud.)
Pour examiner le fond du litige, il convient de rappeler brièvement la situation du travailleur concerné durant la période litigieuse ainsi que la réglementation applicable et ses principes.
La situation de G. M.
- b -
Mr G. M est employé par V, société de droit américain ayant des filiales dans de multiples pays. Il est amené à exercer ses fonctions au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Belgique mais aussi dans divers autres pays européens.
A partir du 1er septembre 1989, il est mis au service de la filiale belge de V. Le Royaume-Uni délivre un E101 sur base de l'article 14.1.a du Règlement 1408/71 et couvrant la période du 1er septembre 1989 au 31 août 1990.
Au terme de cette première période, le Royaume-Uni délivre un 2ème E101 sur base de l'article 17 et couvrant la période du 1er septembre 1990 au 31 août 1994. Le Ministère de la Prévoyance sociale belge marque son accord concernant la prolongation du détachement de G. M.
Le Royaume-Uni délivre un 3ème E101 sur base de l'article 14.2.b couvrant la période du 26 mai 1994 au 25 mai 1995.
Enfin, le Royaume-Uni délivre un 4ème E101 sur base de l'article 14.2.b pour la durée de l'activité. Il porte la date du 4 mai 1995 et prend effet au 26 mai 1995.
A partir du 1er janvier 1996, Mr G. M est assujetti à la sécurité sociale belge.
La réglementation européenne.
- c -
L'ONSS ne peut réclamer paiement à V des cotisations de sécurité sociale litigieuses que dans l'hypothèse où G. M peut être assujetti à la sécurité sociale belge.
La résolution du contentieux passe dès lors par la détermination de l'état membre de l'Union Européenne dont la législation est applicable à la situation de travail de Mr M.
Cette question est réglée par le Règlement 1408/71 du 14 juin 1971, et en particulier à ses articles 13 à 17bis.
- d -
Se référant à l'enseignement de S. Van Raepenbush ('La sécurité sociale des travailleurs européens', De Boeck, pg 87 et suiv.), le Tribunal retiendra trois éléments majeurs de ce Règlement dont la raison d'être est la détermination de l'Etat membre compétent lorsque la situation du travailleur comporte une dimension supranationale.
Primo, le premier principe du Règlement 1408/71 est l'unicité et l'exclusivité de la législation applicable (cf son article 13.1.). Un seul Etat est compétent pour appliquer sa législation à un travailleur et aucun autre Etat n'est habilité à percevoir des cotisations relativement à ce même travailleur.
Deusio, le Règlement retient le lieu de travail principal comme facteur de rattachement du travailleur (cf art. 13.2.a et b). Le principe de rattachement est donc la lex loci laboris.
Tertio, ce principe connaît des exceptions, telles :
,§ l'article 14.1.a. : le travailleur d'une entreprise d'un Etat membre peut être détaché sur le territoire d'un autre Etat membre à la double condition que la durée prévisible du détachement n'excède pas un an et qu'il ne remplace pas un travailleur parvenu au terme de son détachement ;
,§ l'article 14.1.b. : le travailleur exerçant son activité sur le territoire de plusieurs Etats membres auquel cas diverses possibilités de rattachement sont prévues ;
,§ l'article 17 : plusieurs Etats membres peuvent prévoir de commun accord des exceptions aux articles 13 à 16.
- e -
Le détachement d'un travailleur se matérialise par l'envoi par l'Etat du siège de l'employeur procédant au détachement à l'Etat du lieu de travail d'un certificat E101, procédure régie par le Règlement 574/72 (cf art. 11).
En son arrêt du 10 février 2000 (arrêt 'Fitzwilliam', C-202/97, Rec., I-883, largement repris et cité par S. Van Raepenbush, op. cit., pg 99 à 101), la Cour de justice des Communautés européennes dit que l'émission de ce certificat E101 crée une présomption de régularité de l'affiliation des travailleurs détachés à la sécurité sociale de l'Etat 'émetteur'. Cette présomption perdure jusqu'au retrait ou l'invalidation du certificat.
L'Etat émetteur doit apprécier correctement les faits et garantir l'exactitude des mentions qui y sont contenues. En cas de contestations, l'Etat émetteur doit réexaminer la situation. S'il maintient le certificat et que la contestation entre Etats membres perdure, ils peuvent saisir la Commission administrative des travailleurs migrants ou engager une procédure en manquement.
Par un arrêt du 2 juin 2003 (disponible en traduction française sur le site www.juridat.be), la Cour de cassation décide, après avoir rappelé l'interprétation qu'il convenait de donner à l'arrêt précité de la Cour de justice, que le juge de l'Etat membre de l'emploi n'est pas compétent pour apprécier la validité et la véracité du certificat délivré en application de l'article 11 du Règlement 574/72 par l'institution compétente de l'Etat membre ayant détaché le travailleur.
- f -
Le Tribunal constate que le détachement de G. M est, durant la période litigieuse (1/10/92 au 31/12/95), couvert par trois E101 :
,§ un E101 article 17 pour la période du 1er septembre 1990 au 31 août 1994 ; il est important de relever que le Ministère de la Prévoyance sociale belge a marqué son accord concernant ce 'détachement' de G.
M ;
,§ un E101 article 14.2.b couvrant la période du 26 mai 1994 au 25 mai 1995 ;
,§ et un E101 article 14.2.b pour la durée de l'activité prenant effet au 26 mai 1995.
Ces E101 impliquent le rattachement de G. M à la sécurité sociale du Royaume-Uni.
Le Ministère de la Prévoyance sociale a (semble-t-il) contesté auprès des autorités britanniques les E101 et revendiqué l'application à Mr M de la législation belge (voir p. 10 du dossier de l'ONSS). Aucune réponse n'est produite. L'ONSS reconnaît qu'aucune procédure en contestation n'a été diligentée auprès de la Commission administrative compétente. Les E101 britanniques subsistent donc.
Ni l'ONSS ni l'Etat Belge ne sont habilités à remettre en cause unilatéralement et de leur seule autorité l'assujettissement découlant de ces E101, et ce indépendamment des raisons qui les conduisent à cette remise en question.
L'ONSS ne peut demander aux juridictions belges d'apprécier la validité et la véracité des certificats E101 émis par le Royaume-Uni. Comme la Cour de cassation l'a dit en son arrêt (déjà cité) du 2 juin 2003 (voir pt 5 - e -), les juridictions belges ne sont pas compétentes pour cela (" ne pas être compétent " pouvant être compris dans le sens de " ne pas avoir autorité " puisqu'il ne s'agit pas, ici et à proprement parler, d'une question de compétence au sens, par exemple, de compétence d'attribution).
Ainsi, le moyen tiré de l'existence d'un contrat de travail entre V " Belgique " et G. M (ce qui selon l'ONSS démontrerait l'absence de contrat entre V " Royaume-Uni " et ce travailleur et exclurait toute possibilité de détachement) constitue une remise en cause de la véracité des E101 délivrés par le Royaume-Uni et sort du champ d'appréciation du Tribunal.
Il en va de même des autres moyens développés par l'ONSS.
- g -
Les demandes ne sont pas fondées.
L'ONSS n'est en effet pas justifié à obtenir la condamnation de V à lui payer des cotisations de sécurité sociale en raison de l'assujettissement de G. M.
Les dépens sont mis à charge de l'ONSS, partie succombant à l'action.
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
STATUANT CONTRADICTOIREMENT;
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire et ses modifications, dont il a été fait application ;
Après avoir joint les causes 100.096/99 et 93.209 en application de l'article 30 du code judiciaire, les dit recevables et non fondées.
Déboute l'ONSS de ses demandes de condamnation.
Condamne l'ONSS aux dépens de l'instance, liquidés à 209,86 EUR pour V.
Ainsi jugé et prononcé, en langue française, en audience publique tenue au Palais de Justice-Extension à Mons par la Deuxième Chambre du Tribunal du Travail de Mons, Section de Mons, le 20 avril 2005, où étaient présents :
Ph. LECOCQ, Juge, présidant la 2ème Chambre ;
Ch. CORDIER, Juge social à titre d'employeur désigné par ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal du travail en date du 20 avril 2005 en application de l'article 779 du code judiciaire pour remplacer J. FAGOT, Juge social ayant même qualité, lequel ayant assisté aux débats et participé au délibéré, se trouve légitimement empêché d'assister à la prononciation du présent jugement et de le signer ;
J-M. CARON, Juge social à titre de travailleur employé ;
J-L. LEFEVRE, Rédacteur principal, greffier assumé conformément aux dispositions de l'article 329 du code judiciaire.
J-L. LEFEVRE J-M. CARON Ch. CORDIER Ph. LECOCQ