Cour de cassation: Arrêt du 15 mai 2003 (Belgique). RG F020007F
Summary :
L'avis de rectification de la déclaration, dont l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 impose l'envoi, a pour but d'informer le contribuable, d'une manière motivée, des revenus et autres éléments que l'administration se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis et de lui permettre d'examiner la rectification envisagée et, ensuite, de la rejeter ou de l'admettre; le juge du fond apprécie en fait si c'est le cas (1). (1) Cass., 27 mars 1997, RG F.96.0094.F, n° 168.
Arrêt :
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N° F.02.0007.F
1. C. M. et
2. C. H.,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Gilbert Demez, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Schaerbeek, rue des Coteaux, 227,
contre
ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est fait élection de domicile.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2001 par la cour d'appel de Mons.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
III. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent trois moyens libellés dans les termes suivants :
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- article 146 (lire : 149) de la Constitution ;
- article 346, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que " le fait que l'avis de rectification ne contienne pas de référence expresse à cette pièce (fiche de pensions n° 281.11 de l'asbl Fonds de pension SAIT Electronics) n'a pas causé de préjudice aux droits des (demandeurs) qui, dans leur réponse à cet avis, font eux-mêmes mention tant du formulaire 281.11 que du débiteur des revenus qui l'a établi " et que " les (demandeurs) ont fait valoir que le 'formulaire n° 281.11 (...) reçu est soit incorrect, soit mal rempli', ce qui démontre qu'ils avaient connaissance de la manière dont l'administration avait constaté les revenus substitués aux revenus déclarés ", la cour d'appel décide que le grief relatif à la régularité de la procédure de taxation doit être écarté au motif que " l'avis de rectification de la déclaration prévu par la disposition légale précitée (article 346, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus) satisfait aux prescriptions de la loi dès que le redevable est mis à même d'examiner les éléments et les motifs invoqués par l'administration à titre de justification de la modification qu'elle se propose d'effectuer, ce qui fut le cas en l'occurrence ".
Griefs
L'obligation de motivation imposée par l'article 346, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 est une obligation de motivation formelle dont le non-respect entache l'acte d'irrégularité et, a fortiori, l'imposition.
Cette exigence de motivation doit exclusivement être appréciée au regard de la loi fiscale qui prévoit une motivation spécifique.
L'article 346, alinéa 1er, de ce code dispose que :
" Lorsque l'administration estime devoir rectifier les revenus et les autres éléments que le contribuable a, soit mentionnés dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311 ou aux dispositions prises en exécution de l'article 312, soit admis par écrit, elle fait connaître à celui-ci, par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit en indiquant les motifs qui lui paraissent justifier la rectification ".
Ainsi, l'avis de rectification doit être motivé. Cette obligation de motivation formelle s'étend à trois éléments :
- les raisons pour lesquelles il est fait usage de la procédure ;
- le montant des revenus et les autres éléments sur lesquels l'imposition se fondera ;
- la manière dont ces revenus et autres éléments ont été constatés.
En l'espèce, l'avis de rectification de la déclaration du 22 janvier 1993 ne rencontre pas ce dernier élément. L'avis est pour le moins laconique sur ce point : " Selon les éléments en notre possession, vous avez omis de déclarer pour l'exercice susmentionné, les revenus suivants... ". La motivation de l'avis de rectification est défaillante. Le fonctionnaire taxateur ne précise pas la manière de constater les revenus.
Or, les formalités prévues, notamment, à l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 visent à sauvegarder les droits du contribuable de telle sorte que l'envoi d'un avis de rectification valable et régulier constitue une forme substantielle dont la violation entraîne l'illégalité de la procédure d'imposition et donc de l'acte administratif - l'imposition - qui en est le résultat. C'est dans ce sens que la cour d'appel d'Anvers a statué dans ses arrêts du 19 décembre 1994 et du 11 mars 1996 en matière de motivation d'un avis de rectification telle que libellée à l'article 251 du Code des impôts sur les revenus (ancien).
En l'espèce, la cour d'appel reconnaît le défaut de motivation formelle de l'avis de rectification, puisqu'elle renvoie aux pièces du dossier, notamment à la réponse des (demandeurs) à l'avis de rectification, pour conclure à l'absence de préjudice aux droits des (demandeurs) qui auraient eu ainsi connaissance de la manière dont l'administration avait constaté les revenus substitués aux revenus déclarés.
Or, comme l'a décidé la cour d'appel d'Anvers dans son arrêt du 16 juin 1998, l'avis de rectification doit être suffisamment motivé pour permettre au contribuable d'examiner les motifs de l'administration et au besoin de les contester. Le contribuable doit être en mesure d'apprécier les motifs de la rectification sur la base du seul avis, c'est-à-dire sans autre investigation. Le fait qu'il se défende ensuite au fond est sans pertinence.
A défaut d'avoir préalablement examiné si et à quel endroit dans l'avis de rectification la manière dont les revenus et autres éléments sur lesquels l'imposition se fondera ont été constatés, la cour d'appel n'a pu régulièrement décider que l'obligation de motiver prévue par l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 était respectée.
Il s'ensuit que c'est à tort que la cour d'appel a décidé que l'obligation de motiver les avis de rectification avait été respectée (article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992). Il s'ensuit que la cour d'appel n'a pas régulièrement motivé sa décision en violation de l'article 149 de la Constitution.
2. Deuxième moyen
Dispositions légales violées
- article 146 (lire : 149) de la Constitution ;
- article 375, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
- articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que les (demandeurs) invoquent également un défaut de motivation de la décision directoriale attaquée, la cour d'appel se borne à relever que les (demandeurs) " ne tirent toutefois aucune conséquence de leurs allégations à ce propos et ne concluent pas à la nullité de cette décision ".
Griefs
L'obligation de motivation imposée par l'article 375, ,§ 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 est une obligation de motivation formelle, indépendante de la validité des motifs sur lesquels se fonde le directeur.
Cette exigence de motivation doit exclusivement être appréciée au regard de la loi fiscale qui prévoit une motivation spécifique. Il s'agit donc d'une obligation légale.
L'article 375, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, dispose que : " Le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui, statue par décision motivée sur les griefs formulés par le redevable ".
Ainsi, " il faut que la présentation et les termes de la décision fassent clairement ressortir les motifs pour lesquels les griefs soulevés sont, le cas échéant, rejetés ".
En toute hypothèse, cette exigence de motivation formelle est imposée par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, législation applicable à la décision du directeur statuant en tant qu'autorité administrative.
En effet, l'article 98 de la loi du 15 mars 1999, qui a modifié le Code des impôts sur les revenus 1992, dispose que " le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui statue sur les réclamations en tant qu'autorité administrative ". Conformément à l'article 7 du Code judiciaire, s'agissant d'une disposition interprétative, elle est applicable aux décisions du directeur rendues sous l'empire de l'ancienne procédure (c'est-à-dire aux décisions relatives à des cotisations rattachées aux exercices d'imposition 1998 et antérieurs). Cette disposition vaut donc pour le passé, pour tous les litiges non encore définitivement jugés jusqu'à la date du 6 avril 1999, ce qui est le cas en l'espèce.
C'est en ce sens que, dans un arrêt du 28 février 2000, la Cour de cassation a affirmé qu'il résulte de l'objectif de l'article 98 de la loi du 15 mars 1999 et des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur a entendu imprimer à celle-ci une portée interprétative.
Il s'ensuit que la décision du directeur est un acte administratif visé par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
L'article 3 de cette législation dispose :
" la motivation exigée consiste en l'indication, dans la décision, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Elle doit être adéquate ".
En l'espèce, la décision du directeur régional des contributions directes de Mons n'indique pas les raisons pour lesquelles (le demandeur) ne peut se prévaloir de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992. Quel est " l'âge normal " de la cessation complète et définitive de l'activité professionnelle (du demandeur) ? La décision querellée n'en dit mot. Elle se borne à reproduire l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992 et à conclure à la justification de la taxation globale, sans préciser la raison pour laquelle (le demandeur) ne peut se prévaloir de l'article précité.
La réclamation (du demandeur) a été rejetée par le directeur régional avec pour seule motivation que l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992, n'était en l'espèce pas applicable. Dès lors, le directeur régional des contributions directes de Mons a violé l'obligation de motivation formelle telle que prescrite tant par l'article 375, ,§ 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 que par les articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991.
Or, la cour d'appel n'a pas préalablement examiné si et à quel endroit dans la décision du directeur les raisons pour lesquelles (le demandeur) ne peut se prévaloir de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992, ont été constatées et, à tout le moins, n'a pas examiné si la décision du directeur est formellement motivée. Le fait que la nullité d'une décision non motivée n'empêcherait pas la cour d'appel de connaître du fond du litige est sans incidence.
Il s'ensuit que la cour d'appel n'a pas rencontré le moyen régulièrement soulevé par les (demandeurs) pris du défaut de motivation formelle invoqué et n'a pas régulièrement motivé sa décision en violation de l'article 149 de la Constitution.
3. Troisième moyen
Disposition légale violée
Article 171, 4°, g) in fine, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que " (le demandeur) a cessé complètement et définitivement son activité d'employé en service sédentaire en Belgique dès l'âge de 48 ans ", la cour d'appel relève que " c'est pour des raisons liées à son état de santé individuel, non pour des raisons liées aux exigences particulières des fonctions qu'il exerçait ; qu'à tout le moins, le (demandeur) ne démontre pas que celles-ci engendraient une usure physique ou mentale, ou requéraient des aptitudes spécifiques, liées à l'âge, telles qu'il pourrait être considéré comme normal de cesser dès 48 ans plutôt qu'à l'âge normal de la retraite " et conclut que " c'est ainsi à bon droit que la décision directoriale attaquée a décidé que le (demandeur) ne remplissait aucune des conditions visées à l'article 171 précité pour bénéficier d'une taxation distincte du capital qu'il a perçu ".
Griefs
L'article 171, 4° , g), du Code des impôts sur les revenus 1992 dispose que :
" ... sont imposables distinctement, ...
4° au taux de 16,5 p.c.
g) les capitaux tenant lieu de rentes ou pensions lorsqu'ils sont liquidés au bénéficiaire au plus tôt, soit à l'occasion de sa mise à la retraite à la date normale ou au cours d'une des cinq années qui précèdent cette date, soit à l'occasion de sa mise à la prépension, soit à l'occasion du décès de la personne dont il est l'ayant cause, soit à l'âge normal auquel le bénéficiaire cesse complètement et définitivement l'activité professionnelle en raison de laquelle le capital a été constitué ;... ".
D. Scheers relève que :
" La notion d'âge normal de la cessation complète et définitive de l'exercice de l'activité de travailleur salarié ou appointé en raison de laquelle le capital a été constitué doit être appréciée, dans chaque cas particulier, eu égard aux circonstances de fait et de droit qui le caractérisent ".
En conséquence la cessation complète et définitive de l'activité professionnelle à l'âge normal doit être appréciée in concreto, au regard de la situation personnelle du contribuable.
En l'espèce, les faits permettent d'établir à suffisance que (le demandeur) a effectivement cessé complètement et définitivement toute activité professionnelle, ce que la cour d'appel constate dans un premier temps.
Malgré ce constat, la cour d'appel refuse l'application de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992. Elle interprète à tort cette disposition en retenant comme élément générateur, dont la preuve devrait être rapportée par le contribuable, les exigences particulières des fonctions exercées qui engendrent une usure physique ou mentale ou requièrent des aptitudes spécifiques liées à l'âge, telles qu'il pourrait être considéré comme normal de cesser dès 48 ans plutôt qu'à l'âge normal de la retraite.
Par cette interprétation, la cour d'appel impose aux (demandeurs) d'apporter la preuve d'un fait qui n'est pas un élément générateur. Elle crée une condition nouvelle et supplémentaire au bénéfice de la taxation distincte au taux réduit de 16,5 p.c.
Il s'ensuit que la cour d'appel fait une application incorrecte de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992 aux faits de la cause.
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Attendu que l'avis de rectification de la déclaration, dont l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 impose l'envoi, a pour but d'informer le contribuable, d'une manière motivée, des revenus et autres éléments que l'administration se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis et de lui permettre d'examiner la rectification envisagée et, ensuite, de la rejeter ou de l'admettre ; que le juge du fond apprécie en fait si c'est le cas ;
Attendu que par les considérations reproduites au moyen, la cour d'appel a justifié légalement sa décision que l'avis de rectification satisfaisait aux exigences dudit article 346 ;
Attendu que le grief de défaut de motivation régulière est entièrement déduit de la violation, vainement invoquée, de l'article 346 précité ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'en tant qu'il reproche au directeur des contributions directes d'avoir violé l'obligation de motivation qui lui est propre, le moyen, qui n'est pas dirigé contre l'arrêt attaqué, est irrecevable ;
Attendu que, pour le surplus, s'agissant du grief fait à l'arrêt de ne pas examiner si la décision du directeur était régulièrement motivée, l'arrêt constate que les demandeurs invoquent un défaut de motivation de cette décision mais qu'ils n'en tirent aucune conséquence juridique et ne concluent pas à sa nullité ;
Qu'il en ressort que l'arrêt examine le grief allégué par les demandeurs et qu'il est régulièrement motivé ;
Qu'à cet égard, le moyen manque en fait :
Sur le troisième moyen :
Attendu que l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992 dispose que sont imposables distinctement les capitaux tenant lieu de rentes ou pensions lorsqu'ils sont liquidés au bénéficiaire au plus tôt, soit à l'occasion de sa mise à la retraite à la date normale ou au cours d'une des cinq années qui précèdent cette date, soit à l'occasion de sa mise à la prépension, soit à l'occasion du décès de la personne dont il est l'ayant cause, soit à l'âge normal auquel le bénéficiaire cesse complètement et définitivement l'activité professionnelle en raison de laquelle le capital a été constitué ;
Attendu que la cour d'appel a constaté que le demandeur " était âgé de 48 ans lorsque le capital ayant donné lieu à l'imposition contestée lui fut versé ", que l'âge normal de la retraite pour le demandeur était au plus tôt de 60 ans, que le demandeur " a fait l'objet d'un licenciement, et non d'une mise à la prépension " et que s'il a " cessé complètement et définitivement son activité d'employé en service sédentaire en Belgique dès l'âge de 48 ans, c'est pour des raisons liées à son état de santé individuel, non pour des raisons liées aux exigences particulières des fonctions qu'il exerçait " ;
Que, sur la base de ces constatations, la cour d'appel a décidé légalement que le demandeur ne réunissait pas les conditions qui lui eussent permis d'obtenir la taxation distincte du capital susvisé ;
Attendu que, pour le surplus, dans la mesure où il fait grief à l'arrêt d'imposer aux demandeurs une preuve qui ne leur incomberait pas, le moyen n'invoque pas la violation des dispositions légales relatives à la charge de la preuve ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de vingt euros trente-trois centimes payés par les demandeurs.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Philippe Echement, Christian Storck, Didier Batselé et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du quinze mai deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
1. C. M. et
2. C. H.,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Gilbert Demez, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Schaerbeek, rue des Coteaux, 227,
contre
ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est fait élection de domicile.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2001 par la cour d'appel de Mons.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
III. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent trois moyens libellés dans les termes suivants :
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- article 146 (lire : 149) de la Constitution ;
- article 346, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que " le fait que l'avis de rectification ne contienne pas de référence expresse à cette pièce (fiche de pensions n° 281.11 de l'asbl Fonds de pension SAIT Electronics) n'a pas causé de préjudice aux droits des (demandeurs) qui, dans leur réponse à cet avis, font eux-mêmes mention tant du formulaire 281.11 que du débiteur des revenus qui l'a établi " et que " les (demandeurs) ont fait valoir que le 'formulaire n° 281.11 (...) reçu est soit incorrect, soit mal rempli', ce qui démontre qu'ils avaient connaissance de la manière dont l'administration avait constaté les revenus substitués aux revenus déclarés ", la cour d'appel décide que le grief relatif à la régularité de la procédure de taxation doit être écarté au motif que " l'avis de rectification de la déclaration prévu par la disposition légale précitée (article 346, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus) satisfait aux prescriptions de la loi dès que le redevable est mis à même d'examiner les éléments et les motifs invoqués par l'administration à titre de justification de la modification qu'elle se propose d'effectuer, ce qui fut le cas en l'occurrence ".
Griefs
L'obligation de motivation imposée par l'article 346, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 est une obligation de motivation formelle dont le non-respect entache l'acte d'irrégularité et, a fortiori, l'imposition.
Cette exigence de motivation doit exclusivement être appréciée au regard de la loi fiscale qui prévoit une motivation spécifique.
L'article 346, alinéa 1er, de ce code dispose que :
" Lorsque l'administration estime devoir rectifier les revenus et les autres éléments que le contribuable a, soit mentionnés dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311 ou aux dispositions prises en exécution de l'article 312, soit admis par écrit, elle fait connaître à celui-ci, par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit en indiquant les motifs qui lui paraissent justifier la rectification ".
Ainsi, l'avis de rectification doit être motivé. Cette obligation de motivation formelle s'étend à trois éléments :
- les raisons pour lesquelles il est fait usage de la procédure ;
- le montant des revenus et les autres éléments sur lesquels l'imposition se fondera ;
- la manière dont ces revenus et autres éléments ont été constatés.
En l'espèce, l'avis de rectification de la déclaration du 22 janvier 1993 ne rencontre pas ce dernier élément. L'avis est pour le moins laconique sur ce point : " Selon les éléments en notre possession, vous avez omis de déclarer pour l'exercice susmentionné, les revenus suivants... ". La motivation de l'avis de rectification est défaillante. Le fonctionnaire taxateur ne précise pas la manière de constater les revenus.
Or, les formalités prévues, notamment, à l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 visent à sauvegarder les droits du contribuable de telle sorte que l'envoi d'un avis de rectification valable et régulier constitue une forme substantielle dont la violation entraîne l'illégalité de la procédure d'imposition et donc de l'acte administratif - l'imposition - qui en est le résultat. C'est dans ce sens que la cour d'appel d'Anvers a statué dans ses arrêts du 19 décembre 1994 et du 11 mars 1996 en matière de motivation d'un avis de rectification telle que libellée à l'article 251 du Code des impôts sur les revenus (ancien).
En l'espèce, la cour d'appel reconnaît le défaut de motivation formelle de l'avis de rectification, puisqu'elle renvoie aux pièces du dossier, notamment à la réponse des (demandeurs) à l'avis de rectification, pour conclure à l'absence de préjudice aux droits des (demandeurs) qui auraient eu ainsi connaissance de la manière dont l'administration avait constaté les revenus substitués aux revenus déclarés.
Or, comme l'a décidé la cour d'appel d'Anvers dans son arrêt du 16 juin 1998, l'avis de rectification doit être suffisamment motivé pour permettre au contribuable d'examiner les motifs de l'administration et au besoin de les contester. Le contribuable doit être en mesure d'apprécier les motifs de la rectification sur la base du seul avis, c'est-à-dire sans autre investigation. Le fait qu'il se défende ensuite au fond est sans pertinence.
A défaut d'avoir préalablement examiné si et à quel endroit dans l'avis de rectification la manière dont les revenus et autres éléments sur lesquels l'imposition se fondera ont été constatés, la cour d'appel n'a pu régulièrement décider que l'obligation de motiver prévue par l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 était respectée.
Il s'ensuit que c'est à tort que la cour d'appel a décidé que l'obligation de motiver les avis de rectification avait été respectée (article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992). Il s'ensuit que la cour d'appel n'a pas régulièrement motivé sa décision en violation de l'article 149 de la Constitution.
2. Deuxième moyen
Dispositions légales violées
- article 146 (lire : 149) de la Constitution ;
- article 375, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
- articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que les (demandeurs) invoquent également un défaut de motivation de la décision directoriale attaquée, la cour d'appel se borne à relever que les (demandeurs) " ne tirent toutefois aucune conséquence de leurs allégations à ce propos et ne concluent pas à la nullité de cette décision ".
Griefs
L'obligation de motivation imposée par l'article 375, ,§ 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 est une obligation de motivation formelle, indépendante de la validité des motifs sur lesquels se fonde le directeur.
Cette exigence de motivation doit exclusivement être appréciée au regard de la loi fiscale qui prévoit une motivation spécifique. Il s'agit donc d'une obligation légale.
L'article 375, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, dispose que : " Le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui, statue par décision motivée sur les griefs formulés par le redevable ".
Ainsi, " il faut que la présentation et les termes de la décision fassent clairement ressortir les motifs pour lesquels les griefs soulevés sont, le cas échéant, rejetés ".
En toute hypothèse, cette exigence de motivation formelle est imposée par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, législation applicable à la décision du directeur statuant en tant qu'autorité administrative.
En effet, l'article 98 de la loi du 15 mars 1999, qui a modifié le Code des impôts sur les revenus 1992, dispose que " le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui statue sur les réclamations en tant qu'autorité administrative ". Conformément à l'article 7 du Code judiciaire, s'agissant d'une disposition interprétative, elle est applicable aux décisions du directeur rendues sous l'empire de l'ancienne procédure (c'est-à-dire aux décisions relatives à des cotisations rattachées aux exercices d'imposition 1998 et antérieurs). Cette disposition vaut donc pour le passé, pour tous les litiges non encore définitivement jugés jusqu'à la date du 6 avril 1999, ce qui est le cas en l'espèce.
C'est en ce sens que, dans un arrêt du 28 février 2000, la Cour de cassation a affirmé qu'il résulte de l'objectif de l'article 98 de la loi du 15 mars 1999 et des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur a entendu imprimer à celle-ci une portée interprétative.
Il s'ensuit que la décision du directeur est un acte administratif visé par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
L'article 3 de cette législation dispose :
" la motivation exigée consiste en l'indication, dans la décision, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Elle doit être adéquate ".
En l'espèce, la décision du directeur régional des contributions directes de Mons n'indique pas les raisons pour lesquelles (le demandeur) ne peut se prévaloir de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992. Quel est " l'âge normal " de la cessation complète et définitive de l'activité professionnelle (du demandeur) ? La décision querellée n'en dit mot. Elle se borne à reproduire l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992 et à conclure à la justification de la taxation globale, sans préciser la raison pour laquelle (le demandeur) ne peut se prévaloir de l'article précité.
La réclamation (du demandeur) a été rejetée par le directeur régional avec pour seule motivation que l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992, n'était en l'espèce pas applicable. Dès lors, le directeur régional des contributions directes de Mons a violé l'obligation de motivation formelle telle que prescrite tant par l'article 375, ,§ 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 que par les articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991.
Or, la cour d'appel n'a pas préalablement examiné si et à quel endroit dans la décision du directeur les raisons pour lesquelles (le demandeur) ne peut se prévaloir de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992, ont été constatées et, à tout le moins, n'a pas examiné si la décision du directeur est formellement motivée. Le fait que la nullité d'une décision non motivée n'empêcherait pas la cour d'appel de connaître du fond du litige est sans incidence.
Il s'ensuit que la cour d'appel n'a pas rencontré le moyen régulièrement soulevé par les (demandeurs) pris du défaut de motivation formelle invoqué et n'a pas régulièrement motivé sa décision en violation de l'article 149 de la Constitution.
3. Troisième moyen
Disposition légale violée
Article 171, 4°, g) in fine, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que " (le demandeur) a cessé complètement et définitivement son activité d'employé en service sédentaire en Belgique dès l'âge de 48 ans ", la cour d'appel relève que " c'est pour des raisons liées à son état de santé individuel, non pour des raisons liées aux exigences particulières des fonctions qu'il exerçait ; qu'à tout le moins, le (demandeur) ne démontre pas que celles-ci engendraient une usure physique ou mentale, ou requéraient des aptitudes spécifiques, liées à l'âge, telles qu'il pourrait être considéré comme normal de cesser dès 48 ans plutôt qu'à l'âge normal de la retraite " et conclut que " c'est ainsi à bon droit que la décision directoriale attaquée a décidé que le (demandeur) ne remplissait aucune des conditions visées à l'article 171 précité pour bénéficier d'une taxation distincte du capital qu'il a perçu ".
Griefs
L'article 171, 4° , g), du Code des impôts sur les revenus 1992 dispose que :
" ... sont imposables distinctement, ...
4° au taux de 16,5 p.c.
g) les capitaux tenant lieu de rentes ou pensions lorsqu'ils sont liquidés au bénéficiaire au plus tôt, soit à l'occasion de sa mise à la retraite à la date normale ou au cours d'une des cinq années qui précèdent cette date, soit à l'occasion de sa mise à la prépension, soit à l'occasion du décès de la personne dont il est l'ayant cause, soit à l'âge normal auquel le bénéficiaire cesse complètement et définitivement l'activité professionnelle en raison de laquelle le capital a été constitué ;... ".
D. Scheers relève que :
" La notion d'âge normal de la cessation complète et définitive de l'exercice de l'activité de travailleur salarié ou appointé en raison de laquelle le capital a été constitué doit être appréciée, dans chaque cas particulier, eu égard aux circonstances de fait et de droit qui le caractérisent ".
En conséquence la cessation complète et définitive de l'activité professionnelle à l'âge normal doit être appréciée in concreto, au regard de la situation personnelle du contribuable.
En l'espèce, les faits permettent d'établir à suffisance que (le demandeur) a effectivement cessé complètement et définitivement toute activité professionnelle, ce que la cour d'appel constate dans un premier temps.
Malgré ce constat, la cour d'appel refuse l'application de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992. Elle interprète à tort cette disposition en retenant comme élément générateur, dont la preuve devrait être rapportée par le contribuable, les exigences particulières des fonctions exercées qui engendrent une usure physique ou mentale ou requièrent des aptitudes spécifiques liées à l'âge, telles qu'il pourrait être considéré comme normal de cesser dès 48 ans plutôt qu'à l'âge normal de la retraite.
Par cette interprétation, la cour d'appel impose aux (demandeurs) d'apporter la preuve d'un fait qui n'est pas un élément générateur. Elle crée une condition nouvelle et supplémentaire au bénéfice de la taxation distincte au taux réduit de 16,5 p.c.
Il s'ensuit que la cour d'appel fait une application incorrecte de l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992 aux faits de la cause.
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Attendu que l'avis de rectification de la déclaration, dont l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 impose l'envoi, a pour but d'informer le contribuable, d'une manière motivée, des revenus et autres éléments que l'administration se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis et de lui permettre d'examiner la rectification envisagée et, ensuite, de la rejeter ou de l'admettre ; que le juge du fond apprécie en fait si c'est le cas ;
Attendu que par les considérations reproduites au moyen, la cour d'appel a justifié légalement sa décision que l'avis de rectification satisfaisait aux exigences dudit article 346 ;
Attendu que le grief de défaut de motivation régulière est entièrement déduit de la violation, vainement invoquée, de l'article 346 précité ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'en tant qu'il reproche au directeur des contributions directes d'avoir violé l'obligation de motivation qui lui est propre, le moyen, qui n'est pas dirigé contre l'arrêt attaqué, est irrecevable ;
Attendu que, pour le surplus, s'agissant du grief fait à l'arrêt de ne pas examiner si la décision du directeur était régulièrement motivée, l'arrêt constate que les demandeurs invoquent un défaut de motivation de cette décision mais qu'ils n'en tirent aucune conséquence juridique et ne concluent pas à sa nullité ;
Qu'il en ressort que l'arrêt examine le grief allégué par les demandeurs et qu'il est régulièrement motivé ;
Qu'à cet égard, le moyen manque en fait :
Sur le troisième moyen :
Attendu que l'article 171, 4°, g), du Code des impôts sur les revenus 1992 dispose que sont imposables distinctement les capitaux tenant lieu de rentes ou pensions lorsqu'ils sont liquidés au bénéficiaire au plus tôt, soit à l'occasion de sa mise à la retraite à la date normale ou au cours d'une des cinq années qui précèdent cette date, soit à l'occasion de sa mise à la prépension, soit à l'occasion du décès de la personne dont il est l'ayant cause, soit à l'âge normal auquel le bénéficiaire cesse complètement et définitivement l'activité professionnelle en raison de laquelle le capital a été constitué ;
Attendu que la cour d'appel a constaté que le demandeur " était âgé de 48 ans lorsque le capital ayant donné lieu à l'imposition contestée lui fut versé ", que l'âge normal de la retraite pour le demandeur était au plus tôt de 60 ans, que le demandeur " a fait l'objet d'un licenciement, et non d'une mise à la prépension " et que s'il a " cessé complètement et définitivement son activité d'employé en service sédentaire en Belgique dès l'âge de 48 ans, c'est pour des raisons liées à son état de santé individuel, non pour des raisons liées aux exigences particulières des fonctions qu'il exerçait " ;
Que, sur la base de ces constatations, la cour d'appel a décidé légalement que le demandeur ne réunissait pas les conditions qui lui eussent permis d'obtenir la taxation distincte du capital susvisé ;
Attendu que, pour le surplus, dans la mesure où il fait grief à l'arrêt d'imposer aux demandeurs une preuve qui ne leur incomberait pas, le moyen n'invoque pas la violation des dispositions légales relatives à la charge de la preuve ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de vingt euros trente-trois centimes payés par les demandeurs.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Philippe Echement, Christian Storck, Didier Batselé et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du quinze mai deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.