Cour de cassation: Arrêt du 26 mars 2010 (Belgique). RG C.09.0330.F

Date :
26-03-2010
Language :
French Dutch
Size :
6 pages
Section :
Case law
Source :
Justel F-20100326-2
Role number :
C.09.0330.F

Summary :

La personne qui a été internée sur la base de la loi de défense sociale à l'égard des anormaux doit, en règle, être détenue dans un établissement de défense sociale organisé par le gouvernement et désigné par la commission de défense sociale, la détention dans l'annexe psychiatrique d'un centre pénitentiaire n'étant que provisoire dans l'attente de la désignation du lieu de l'internement par la commission de défense sociale et du transfert vers ce lieu de l'interné dans un délai raisonnable (1). (1) Voir Cour eur. D.H., 30 juillet 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1720, Observations, P. MARTENS; Loi du 9 avril 1930, après sa modification par la loi du 1er juillet 1964. Le M.P. estimait que la détention dans l'annexe psychiatrique d'un centre pénitentiaire n'était que provisoire dans l'attente de la désignation du lieu de l'internement par la commission de défense sociale et du transfert vers ce lieu de l'interné. L'arrêt annoté décide dans le même sens mais ajoute que ledit transfert peut avoir lieu "dans un délai raisonnable". L'obligation de l'Etat belge se trouve de la sorte atténuée.

Arrêt :

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N° C.09.0330.F

M. M.,

demandeur en cassation,

représenté par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

ETAT BELGE, représenté par le ministre de la Justice, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, boulevard de Waterloo, 115,

défendeur en cassation,

représenté par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 mars 2009 par la cour d'appel de Liège.

Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.

Le procureur général Jean-François Leclercq a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 10, 11 et 149 de la Constitution ;

- article 5 du Code judiciaire ;

- articles 1er, alinéa 1er, 7, alinéa 1er, et 14 de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l'égard des anormaux, des délinquants d'habitude et des auteurs de certains délits sexuels ;

- article 5, § 1er, e), de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome, le 4 novembre 1950, et approuvée par la loi du 13 mai 1955 (en abrégé ci-après C.E.D.H.).

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté que le demandeur a fait l'objet d'une décision d'internement prononcée le 21 février 2007 par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège et qu'il postule que le défendeur soit condamné à procéder à son transfert dans l'établissement psychiatrique de ..., conformément à la décision de la commission de défense sociale du

20 (lire : 26) avril 2007 ; que le premier juge a fait droit à cette demande, au motif que le défendeur est incapable de faire face à ses obligations en raison du manque de places disponibles dans les établissements de défense sociale et qu'il y a lieu de l'y contraindre, sous peine du paiement d'une astreinte en raison du fait qu'il ne respecte pas ses obligations ;

l'arrêt, réformant cette décision, dit la demande non fondée et condamne le demandeur aux dépens des deux instances.

L'arrêt fonde sa décision sur les motifs suivants :

« (Le défendeur) fait valoir que plutôt que de déplorer et de dénoncer le manque de places dans les établissements de défense sociale, le premier juge aurait dû principalement examiner le cas concret (du demandeur), au regard de ses problèmes, et examiner les conséquences de son transfert prioritaire par rapport aux autres internés qui se trouvent sur une liste d'attente depuis un laps de temps supérieur à celui du (demandeur). Le premier juge, après avoir admis que les internés ‘procéduriers' pouvaient être transférés dans les établissements de défense sociale de manière prioritaire par rapport aux autres internés, résignés à attendre, estime qu'il y a lieu de faire droit à la demande, nonobstant les conséquences injustes que cette solution entraîne, au motif que (le défendeur) s'abstient de prendre les mesures nécessaires et efficaces pour remédier aux lacunes actuelles. Si (le défendeur) ne respecte pas ses obligations, cette circonstance ne permettait pas au premier juge de statuer comme il l'a fait, sans se soucier des conséquences préjudiciables que sa décision pouvait avoir sur le sort des autres internés qui se trouvent sur une liste d'attente à une place plus favorable que celle occupée par (le demandeur). La décision doit être réformée ; en effet, faire droit à la demande aboutit à donner une priorité aux internés procéduriers et à pénaliser tous les autres internés en attente de trouver une place dans un établissement pénitentiaire sans se soucier du point de savoir si l'état (du demandeur) justifie qu'un sort plus favorable lui soit réservé par rapport à tous ceux qui se trouvent dans la même situation que la sienne et qui occupent une meilleure place sur les listes d'attente, une urgence médicale n'était en effet pas alléguée dans le chef (du demandeur). Si le vœu du premier juge de voir (le défendeur) prendre les dispositions requises pour pouvoir placer les internés dans des établissements de défense sociale est louable, le procédé qu'il utilise ne respecte pas les droits de tous les internés à bénéficier d'un sort équitable ».

Griefs

Première branche

L'arrêt admet que le défendeur ne respecte pas son obligation de transférer le demandeur dans l'établissement de défense sociale qui a été désigné pour son internement par la commission de défense sociale dans sa décision du 26 avril 2007, ce qui revient à reconnaître que le demandeur a le droit d'être interné dans l'établissement ainsi désigné.

Toutefois, l'arrêt déclare non fondée la demande du demandeur qui tendait à enjoindre au défendeur d'exécuter la décision de la commission de défense sociale au motif que faire droit à cette demande aurait des conséquences préjudiciables pour d'autres internés qui sont eux aussi en attente de transfert vers un établissement de défense sociale mais qui ne sont pas « procéduriers ».

Ainsi, l'arrêt, sans dénier l'existence du droit du demandeur à être interné dans l'établissement désigné par la commission de défense sociale compétente, refuse d'accorder au demandeur un titre judiciaire sanctionnant ce droit eu égard à la circonstance que d'autres personnes ont le même droit mais n'en demandent pas la sanction.

La cour d'appel commet ainsi un déni de justice (violation de l'article 5 du Code judiciaire).

Deuxième branche

Le principe de l'égalité des Belges devant la loi et de la jouissance de leurs droits sans discrimination, inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution, ne permet pas de décider que la reconnaissance en justice du droit d'une personne soit subordonnée à la condition que ce droit soit respecté pour d'autres titulaires d'un droit identique.

De la circonstance que d'autres internés se trouvent sur une liste d'attente en vue de leur transfert vers le même établissement de défense sociale que celui qui a été désigné par la commission de défense sociale pour l'internement du demandeur, il ne résulte pas que ce dernier ne puisse obtenir du juge la reconnaissance de son droit à être interné dans cet établissement.

En déboutant le demandeur de sa demande au motif que la décision d'y faire droit aurait un effet préjudiciable sur le sort des autres internés qui se trouvent sur une liste d'attente à une place plus favorable que celle occupée par le demandeur et ne respecterait pas le droit de tous les internés à bénéficier d'un sort équitable, l'arrêt fait une fausse application du principe de l'égalité des Belges devant la loi et de la jouissance de leurs droits sans discrimination (violation des articles 10 et 11 de la Constitution).

Troisième branche

Dans ses conclusions prises devant la cour du travail [lire : cour d'appel], le demandeur faisait valoir « que si une éventuelle égalité entre les internés devait être rompue suite à cette décision (du premier juge), il conviendrait cependant de relever que ce n'est pas la décision justifiée du tribunal qui a rompu l'égalité de traitement entre les internés, mais bien la carence répétée [du défendeur] à appliquer les décisions des commissions de défense sociale dans un délai raisonnable » (conclusions, p. 4).

L'arrêt laisse ce moyen sans réponse et n'est dès lors pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

Quatrième branche

L'article 5, § 1er, de la C.E.D.H. dispose : « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...) e) s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ».

L'article 7, alinéa 1er, de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l'égard des anormaux, des délinquants d'habitude et des auteurs de certains délits sexuels dispose : « Les juridictions d'instruction, à moins qu'il ne s'agisse d'un crime ou d'un délit politiques ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l'internement de l'inculpé qui a commis un crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l'article 1er », c'est-à-dire « soit en état de démence, soit dans un état de grave déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actions ».

L'article 14 de ladite loi dispose, en ses alinéas 1er, 2, 4 et 5 : « L'internement a lieu dans l'établissement désigné par la commission de défense sociale. Celui-ci est choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement (...). Au moment où l'internement est ordonné, si l'inculpé se trouve en observation, il est maintenu à l'annexe psychiatrique en attendant la désignation d'un établissement par la commission de défense sociale. Si au moment où l'internement est ordonné, l'inculpé est détenu dans un centre pénitentiaire, l'internement a lieu provisoirement dans l'annexe psychiatrique de ce centre ou, à défaut de celle-ci, dans l'annexe désignée par la juridiction qui ordonne la mesure ».

II ressort de ces dispositions que la personne qui a été reconnue comme étant dans un des états visés à l'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 1er juillet 1964, ne peut être détenue que dans les conditions prévues par l'article 14 de cette loi, c'est-à-dire dans un établissement de défense sociale organisé par le gouvernement et désigné par la commission de défense sociale, la détention dans l'annexe psychiatrique d'un centre pénitentiaire n'étant que provisoire, dans l'attente de la désignation du lieu de l'internement par la commission de défense sociale.

Le droit de la personne dont l'internement a été décidé, à ce que cet internement ait lieu dans l'établissement de défense sociale désigné par la commission de défense sociale, n'est subordonné à aucune condition, et spécialement pas à celle d'attendre que d'autres internés placés sur une liste d'attente en position plus favorable soit eux-mêmes internés dans ledit établissement, ni à celle d'être dans un état physique ou mental justifiant qu'un sort plus favorable lui soit réservé.

L'arrêt ne dénie pas que, comme l'a constaté le premier juge, le défendeur s'abstient de prendre les mesures nécessaires et efficaces pour remédier aux lacunes actuelles qui empêchent le transfert des internés dans les établissements de défense sociale désignés par les commissions de défense sociale, dans un délai raisonnable. L'arrêt décide cependant de ne pas reconnaître le droit du demandeur à obtenir ce transfert au motif qu'il faut se soucier du sort des autres internés qui se trouvent sur une liste d'attente à une place plus favorable que celle occupée par le demandeur et que celui-ci n'établit pas d'urgence médicale.

L'arrêt méconnaît ainsi le droit du demandeur à être interné dans l'établissement de défense sociale désigné par la commission de défense sociale et viole dès lors les articles 5, § 1er, e), de la C.E.D.H., 1er, alinéa 1er, 7, alinéa 1er, et 14 de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale.

III. La décision de la Cour

Quant à la quatrième branche :

1. En vertu de l'article 5, § 1er, e), de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf, selon les voies légales, s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'un aliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond.

Dans son arrêt Aerts contre Belgique du 30 juillet 1998, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré « que pour respecter l'article 5, paragraphe premier, la détention doit avoir lieu ‘selon les voies légales' et ‘être régulière', qu'en la matière la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire [...]. De plus, il doit exister un certain lien entre, d'une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l'autre, le lieu et le régime de détention. En principe, la ‘détention' d'une personne comme malade mental ne sera ‘régulière' au regard de l'alinéa e) du paragraphe premier que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié » (paragraphe 46).

2. Suivant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1964 de défense sociale à l'égard des anormaux, des délinquants d'habitude et des auteurs de certains délits sexuels, les juridictions d'instruction, à moins qu'il ne s'agisse d'un crime ou d'un délit politiques ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l'internement de l'inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit lorsqu'il est dans un des états prévus à l'article premier, soit en état de démence, soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actes.

En vertu de l'article 14, alinéas 1er, 2, 4 et 5, de la même loi, l'internement a lieu dans l'établissement désigné par la commission de défense sociale et celui-ci est choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement. Au moment où l'internement est ordonné, si l'inculpé se trouve en observation, il est maintenu à l'annexe psychiatrique en attendant la désignation d'un établissement par la commission de défense sociale. Si, au moment où l'internement est ordonné, l'inculpé est détenu dans un centre pénitentiaire, l'internement a lieu provisoirement dans l'annexe psychiatrique de ce centre ou, à défaut de celle-ci, dans l'annexe désignée par la juridiction qui ordonne la mesure.

Il se déduit de ces dispositions que la personne qui a été internée sur la base de la loi du 1er juillet 1964 doit, en règle, être détenue dans un établissement de défense sociale organisé par le gouvernement et désigné par la commission de défense sociale, la détention dans l'annexe psychiatrique d'un centre pénitentiaire n'étant que provisoire dans l'attente de la désignation du lieu de l'internement par la commission de défense sociale et du transfert vers ce lieu de l'interné dans un délai raisonnable.

Le droit de la personne dont l'internement a été décidé à ce que cet internement ait lieu dans l'établissement de défense sociale désigné par la commission de défense sociale n'est pas subordonné à la condition que d'autres internés placés sur une liste d'attente en position plus favorable soient eux-mêmes auparavant internés dans ledit établissement, ni à celle que cette personne soit dans un état physique ou mental justifiant qu'un sort plus favorable lui soit réservé.

3. Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, notamment des constatations de l'arrêt attaqué, que :

- le 21 février 2007, le demandeur a fait l'objet d'une décision d'internement par la chambre du conseil du tribunal de première instance ;

- le 26 avril 2007, la commission de défense sociale a désigné l'établissement de défense sociale de ... pour recevoir le demandeur ;

- le 8 novembre 2007, le demandeur se trouvant toujours détenu à l'annexe psychiatrique de l'établissement pénitentiaire de ... a demandé au tribunal de première instance de condamner le défendeur à le transférer vers l'établissement de ... dans les huit jours du jugement à intervenir, sous peine d'astreinte ;

- par le jugement dont appel du 26 juin 2008, le premier juge, constatant que le demandeur était en attente de transfert depuis 14 mois, a condamné le défendeur à exécuter la mesure de placement du demandeur à l'établissement de défense sociale de ... dans le mois du prononcé du jugement, sous peine d'astreinte.

4. La cour d'appel a considéré que « si [le défendeur] ne respecte pas ses obligations, cette circonstance ne permettait pas au premier juge de statuer comme il l'a fait, sans se soucier des conséquences préjudiciables que sa décision pouvait avoir sur le sort des autres internés qui se trouvent sur une liste d'attente à une place plus favorable que celle occupée par [le demandeur] » alors que ce dernier n'invoquait pas une urgence médicale dans son chef.

En déclarant non fondée, sur la base de cette seule considération, la demande de transfert du demandeur dans l'établissement de défense sociale de ..., la cour d'appel a violé les dispositions visées au moyen, en cette branche.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Paul Mathieu, les conseillers Didier Batselé, Albert Fettweis, Sylviane Velu et Martine Regout, et prononcé en audience publique du vingt-six mars deux mille dix par le président de section Paul Mathieu, en présence du procureur général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.