Cour de cassation: Arrêt du 3 février 2010 (Belgique). RG P.08.1771.F

Date :
03-02-2010
Language :
French Dutch
Size :
3 pages
Section :
Case law
Source :
Justel F-20100203-2
Role number :
P.08.1771.F

Summary :

L'article 10 de la loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription, qui retient, à titre transitoire, la date d'entrée en vigueur de ladite loi comme point de départ des nouveaux délais de prescription qu'elle institue, concerne les actions ayant pris naissance avant ladite entrée en vigueur et non l'action qui résulte d'une décision d'admission de réserves prononcée sous l'empire de la loi nouvelle.

Arrêt :

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N° P.08.1771.F

I. V. B. F.,

II. V. B. F.,

partie civile,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Vilain XIIII, 17, où il est fait élection de domicile,

les deux pourvois contre

V. C.,

prévenu,

défendeur en cassation,

représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est fait élection de domicile.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois sont dirigés contre des arrêts rendus le 30 octobre 2006 et le 3 novembre 2008 par la cour d'appel de Liège, chambre correctionnelle.

La demanderesse invoque respectivement trois et deux moyens dans deux mémoires annexés au présent arrêt, en copie certifiée conforme.

Le conseiller Pierre Cornelis a fait rapport.

L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.

II. LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE

Par arrêt du 10 mai 1990 de la cour d'appel de Liège, le défendeur a été condamné du chef de coups ou blessures involontaires à la demanderesse.

Statuant sur les suites civiles de l'accident, l'arrêt du 30 octobre 2006 a accordé à la demanderesse des indemnités définitives, lui a donné acte de réserves médicales et fiscales et a fait droit à la demande du prévenu sollicitant qu'il soit réservé à statuer quant à la réclamation de la partie civile relative à ses frais de défense.

Ayant formé le 8 novembre 2006 un recours en cassation contre cette décision, la demanderesse s'est désistée de son pourvoi au motif que l'arrêt attaqué ne constituait pas une décision susceptible d'un recours immédiat au sens de l'article 416 du Code d'instruction criminelle.

La Cour a décrété ce désistement par arrêt du 28 mars 2007.

Saisie d'une requête de la demanderesse tendant à obtenir des indemnités de procédure pour les deux instances et d'un appel incident du défendeur, la cour d'appel, par arrêt du 3 novembre 2008, s'est déclarée sans pouvoir pour connaître de ces demandes.

III. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt du 30 octobre 2006 :

La demanderesse se désiste sans acquiescement de son pourvoi au motif que l'arrêt du 3 novembre 2008 n'a pas statué sur les réserves fiscales et médicales que la cour d'appel lui avait accordées dans l'arrêt du 30 octobre 2006, sa décision n'étant ainsi pas définitive au sens de l'article 416 du Code d'instruction criminelle.

Lesdites réserves ne visent pas une demande déjà formée devant la juridiction pénale et susceptible de donner naissance à une mesure d'instruction, mais concernent uniquement l'exercice éventuel d'une action civile devant le juge compétent.

La cour d'appel n'avait pas à statuer sur des chefs de demande qu'elle n'avait pas réservés, de sorte que l'absence de décision à cet égard ne saurait conférer à l'arrêt du 3 novembre 2008 un caractère non définitif.

Il n'y a pas lieu de décréter le désistement, entaché d'erreur.

Sur le premier moyen :

La demanderesse reproche à l'arrêt de faire courir à partir du 27 juillet 1998, date d'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1998 modifiant certaines dispositions en matière de prescription, la durée du délai de vingt ans pendant lequel est recevable la demande tendant à faire statuer sur l'objet des réserves octroyées.

En vertu de l'article 2262 bis, § 2, du Code civil, la prescription de cette action est de vingt ans à partir du prononcé de la décision, passée en force de chose jugée, qui admet les réserves.

Certes, conformément à son article 10 invoqué par l'arrêt, l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1998 détermine le point de départ des nouveaux délais de prescription qu'elle institue. Mais cette disposition transitoire concerne les actions ayant pris naissance avant ladite entrée en vigueur et non l'action qui résulte d'une décision d'admission de réserves prononcée sous l'empire de la loi nouvelle.

Le moyen est fondé.

Sur le deuxième moyen :

Quant aux trois branches réunies :

Par voie de conclusions prises devant la cour d'appel, la demanderesse a sollicité une indemnisation fixée ex æquo et bono à 25.000 euros pour les frais de conseil médical et d'avocats.

Après avoir considéré que la demanderesse ne justifiait à suffisance ni du fondement de sa réclamation ni du montant réclamé, la cour d'appel a constaté que le défendeur sollicitait qu'il soit réservé à statuer sur ce point dans l'attente d'éclaircissements. En décidant qu'il serait « dès lors alloué des réserves à cet égard », elle n'a ni rejeté la demande ni refusé de la juger.

Le moyen, qui soutient le contraire, procède d'une interprétation inexacte de l'arrêt et manque dès lors en fait.

Sur le troisième moyen :

Le moyen est dirigé contre la décision de ne pas accorder d'intérêts compensatoires pour la période entre le 1er mars 2002 et le 2 novembre 2005 en raison de la carence de la demanderesse dans la mise en état de la procédure.

Quant à la première branche :

Le moyen soutient que la décision de suspendre le cours des intérêts à partir du 1er mars 2002 ne se déduit pas des éléments de fait tels que constatés par les juges d'appel.

Le juge apprécie en fait s'il y a lieu d'accorder des intérêts compensatoires et le point de départ de ces intérêts.

Dans la mesure où il revient à critiquer cette appréciation par les juges d'appel ou exige pour son examen une vérification d'éléments de fait, pour laquelle la Cour est sans pouvoir, le moyen est irrecevable.

L'arrêt considère notamment que

- l'affaire fut fixée initialement au 7 novembre 2002, après que le ministère public ait adressé des rappels aux parties à de nombreuses reprises depuis le 31 juillet 1997 et après que le défendeur a déposé ses conclusions le 24 août 2001 ;

- la cause fut ensuite remise sine die de l'accord des parties, la demanderesse n'ayant pas déposé de conclusions ;

- malgré de nouveaux rappels et la sollicitation de l'intervention du bâtonnier de l'Ordre des avocats, la demanderesse resta en défaut de conclure ;

- après une demande de fixation introduite par le défendeur le 2 novembre 2005, les parties furent citées à l'audience du 27 mars 2006, la demanderesse ayant déposé ses conclusions le 28 février 2006.

Par ces considérations, la cour d'appel a motivé régulièrement et a pu justifier légalement sa décision de suspendre le cours des intérêts compensatoires à partir de la date à laquelle elle a estimé que le retard de la demanderesse avait pris un caractère fautif.

A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche :

Le moyen soutient que la suspension du cours des intérêts compensatoires depuis le 1er mars 2002 jusqu'au 2 novembre 2005 revient à mettre à charge de la demanderesse la réparation de l'intégralité du dommage résultant du retard de l'indemnisation, alors que ce dommage est également imputable à la faute du défendeur déclaré seul responsable de l'accident.

Mais il ressort des énonciations de l'arrêt résumées ci-dessus, en réponse à la première branche, que le défendeur n'a commis aucune faute susceptible d'aggraver le retard de l'indemnisation, le retard pris par la procédure n'étant imputable qu'aux atermoiements de la demanderesse.

Les juges d'appel n'avaient dès lors pas à limiter la suspension du cours des intérêts compensatoires en fonction d'une faute étrangère à celle qui, seule, a causé le préjudice que ces intérêts réparent.

En cette branche, le moyen ne peut être accueilli.

B. Sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt du 3 novembre 2008 :

L'arrêt déboute les parties de leurs demandes respectives au motif que la cour d'appel est sans pouvoir pour en connaître.

Pareille décision est définitive au sens de l'article 416, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle.

Reposant sur l'affirmation du contraire, le désistement est entaché d'erreur de sorte qu'il n'y a pas lieu de le décréter.

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

Saisie d'une demande de la partie civile tendant au remboursement de ses frais de défense, l'arrêt du 30 octobre 2006 a fait droit à la demande du prévenu de réserver à statuer sur ce chef de demande en attendant les éclaircissements que, d'après lui, il nécessitait.

Pareille décision n'a pas épuisé la juridiction de la cour d'appel, raison pour laquelle un arrêt de la Cour du 28 mars 2007 a décrété le désistement du pourvoi que la demanderesse avait dirigé contre elle.

En déclarant la cour d'appel sans pouvoir pour connaître notamment d'un chef de demande qu'elle avait réservé, l'arrêt, qui confère un caractère définitif à une décision n'ayant pas ce caractère, viole l'article 416, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Casse l'arrêt du 3 novembre 2008 ;

Casse l'arrêt du 30 octobre 2006 en tant qu'il accorde à la demanderesse des réserves médicales pour une durée de vingt ans ayant pris cours le 27 juillet 1998 ;

Rejette le pourvoi dirigé contre l'arrêt du 30 octobre 2006 pour le surplus ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge des arrêts totalement et partiellement cassés ;

Condamne la demanderesse à un tiers des frais de ses pourvois et le défendeur aux deux tiers restants ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Mons.

Lesdits frais taxés en totalité à la somme de trois cent cinquante-six euros quarante-six centimes dont I) sur le pourvoi du 30 octobre 2006 : quarante-neuf euros vingt centimes dus et trente euros payés par cette demanderesse et II) sur le pourvoi du 3 novembre 2008 : deux cent quarante-sept euros vingt-six centimes dus et trente euros payés par cette demanderesse.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Jean de Codt, président de section, président, Benoît Dejemeppe, Pierre Cornelis, Alain Simon et Gustave Steffens, conseillers, et prononcé en audience publique du trois février deux mille dix par Jean de Codt, président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.