Cour de cassation: Arrêt du 7 avril 2011 (Belgique). RG F.07.0025.F

Date :
07-04-2011
Language :
French Dutch
Size :
13 pages
Section :
Case law
Source :
Justel F-20110407-2
Role number :
F.07.0025.F

Summary :

Le moyen, qui soulève une question d’interprétation des articles 6, §2, alinéa 1er, sous a), et 13, B, b), de la sixième directive, pour laquelle la Cour de justice de l’Union européenne est, en vertu de l’article 234 du Traité instituant la Communauté européenne, seule compétente pour statuer à titre préjudiciel, oblige la Cour à poser les questions suivantes: 1) Les articles 6, §2, alinéa premier, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive n° 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires- Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doivent-il être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que soit traitée comme une prestation de services exonérée en tant qu’affermage ou location d’un bien immeuble au sens dudit article 13, B, sous b), l’utilisation, pour les besoins privés des gérants, administrateurs ou associés et de leur famille d’une société commerciale assujettie dotée de la personnalité juridique, de tout ou partie d’un immeuble faisant partie du patrimoine de cette société et ainsi affecté dans sa totalité à son entreprise, dans le cas où aucun loyer payable en argent n’est stipulé en contrepartie de cette utilisation mais où celle-ci s’analyse en un avantage en nature imposé comme tel dans le cadre de l’impôt sur les revenus auquel les gérants sont soumis, cette utilisation étant de ce fait considérée fiscalement comme la contrepartie d’une fraction de la prestation de travail effectuée par les gérants, administrateurs ou associés? 2) Ces dispositions doivent-elles interprétées en ce sens que ladite exonération s’applique dans ladite hypothèse lorsque la société ne prouve pas l’existence d’un lien nécessaire entre l’exploitation de l’entreprise et la mise de tout ou partie de l’immeuble à la disposition des gérants, administrateurs ou associés et, dans ce cas, l’existence d’un lien indirect est-elle suffisante (1)? (1) Le ministère public suggérait dans des conclusions écrites en tout point conformes de ne poser toutefois qu'une seule question préjudicielle au contenu similaire à la première posée par la Cour.

Arrêt :

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N° F.07.0025.F

ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

demandeur en cassation,

représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est fait élection de domicile,

contre

MEDICOM, société privée à responsabilité limitée dont le siège social est établi à Eghezée (Noville-sur-Mehaigne), route de la Hesbaye, 81,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.

La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 24 mars 2006 par la cour d'appel de Liège.

Le 7 mars 2011, l'avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.

À l'audience du 7 avril 2011, le conseiller Sylviane Velu a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.

II. Les faits de la cause et les antécédents de la procédure

Tels qu'ils ressortent de l'arrêt attaqué et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause peuvent être résumés comme suit :

La défenderesse est une société dotée de la personnalité juridique assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée pour une activité d'étude, d'organisation et de conseil en matière de dactylographie, de traduction et d'édition de rapports médicaux pour des firmes pharmaceutiques ainsi que pour l'exploitation d'une pension pour chevaux.

Elle a fait construire un immeuble où elle exerçait son activité et où, par ailleurs, ses gérants ont installé leur résidence et celle de leur famille, sans verser de loyer à la défenderesse.

Dans ses déclarations à la TVA, elle a procédé à la déduction intégrale de la TVA relative aux frais de construction de l'immeuble.

Par un procès-verbal du 3 septembre 1997, l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée a constaté que l'immeuble était utilisé à raison de 50 p.c. pour les besoins privés des gérants de la défenderesse et qu'« un avantage en nature [était] réclamé » à ceux-ci pour cette jouissance. Considérant que seule la moitié de la TVA grevant la construction du bien pouvait être déduite, elle a fait signifier à la défenderesse, le 9 juillet 1998, une contrainte tendant au paiement de la taxe selon elle abusivement déduite dans la déclaration du deuxième trimestre de 1997.

Par la suite, les gérants de la défenderesse ont reconnu une utilisation privée de l'immeuble jusqu'à concurrence des deux tiers pour les exercices d'imposition 1997 et 1998.

Par un procès-verbal du 16 novembre 2000, l'administration de la taxe sur la valeur ajoutée a rejeté dans cette mesure la déduction de la TVA pour l'année 1996 et a fait signifier, le 15 janvier 2001, une nouvelle contrainte à la défenderesse.

Le premier juge a déclaré non fondées les oppositions de la défenderesse à ces contraintes.

Sur l'appel de la défenderesse, l'arrêt attaqué réforme ce jugement et annule les contraintes litigieuses.

III. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 19, § 1er, 44, § 3, 2°, et 45, § 1er, 1°, de la loi du 3 juillet 1969 créant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- article 1er de l'arrêté royal n° 3 du 10 décembre 1969 relatif aux déductions pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- article 2 de la première directive du Conseil des Communautés européennes du 11 avril 1967 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

- articles 6, spécialement § 2, alinéa 1er, sous a), 13, spécialement B, sous b), et 17, §§ 2, 3 et 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- articles 1315, 1316 et 1709 du Code civil ;

- article 870 du Code judiciaire ;

- articles 1er et 2 du Code des sociétés.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué accueille l'appel de la défenderesse, met à néant le jugement entrepris et, en conséquence, déclare nulles et de nul effet, d'une part, la contrainte CTRI 197.0919.24813 décernée le 9 juillet 1998 par M. le receveur du premier bureau de recette TVA de Namur, visée et rendue exécutoire le 13 juillet 1998 par M. l'inspecteur principal du contrôle TVA de Namur II, désigné à cette fin par M. le directeur régional de l'administration de la TVA, de l'enregistrement et des domaines de Namur et, d'autre part, la contrainte à titre conservatoire CTRI 301.0116.27856 décernée le 15 janvier 2001 par Mme l'inspecteur principal du premier bureau de la recette de TVA de Namur, visée et rendue exécutoire le 16 janvier 2001 par M. le directeur régional de la TVA de Namur, et condamne le demandeur aux frais et aux dépens des deux instances, aux motifs que :

« Il n'est pas contesté que l'immeuble dont question appartient en propriété à la société, laquelle l'affecte à son patrimoine social ; certes, les gérants qui accomplissent pour ladite société les travaux nécessaires à l'objet social, y occupent-ils une partie de l'immeuble (une partie du premier étage et le second étage) à titre privé, mais au vu de la jurisprudence la plus récente de la Cour de justice des Communautés européennes (arrêt Seeling C-269/00 du 8 mai 2003), il y a lieu de considérer que cette circonstance est indifférente dans le système de la taxe pour refuser à la société la déductibilité des taxes en amont, la directive permettant à l'État d'organiser la taxation de la prestation de service lors de la mise à disposition du bien à titre privé (voir l'avis de l'avocat général dans la cause C-269/00, n°s 26 et surtout 27 et suivants) ; il a été relevé qu'un tel système peut servir la neutralité de la taxe en permettant de tenir compte de manière appropriée de la modification du degré d'utilisation privée du bien par l'assujetti au cours de la durée utile du bien (avis précité, n° 28) ; (le demandeur) n'avance aucun argument de nature à démontrer que la jurisprudence dégagée par cet arrêt ne serait pas applicable aux personnes morales ; c'est en vain qu'il fait référence à l'existence d'une durée convenue, alors que l'avocat général fait au contraire allusion à la faculté d'adaptation que la directive permet ; il appartient (au demandeur), le cas échéant, de recourir à d'autres dispositions du code (article 19) pour taxer cette mise à disposition du bien au gérant en vue d'un usage privé, opération qui ne peut être considérée comme une opération exonérée au sens de l'article 13, B, de la directive ; l'article 44, § 3, 2°, du Code TVA, qui vise l'affermage ou la location, est manifestement inapplicable en l'espèce ».

Griefs

Si l'article 19, § 1er, du Code de la TVA dispose qu' « est assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux, l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à l'activité économique de l'assujetti, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe », l'article 44, § 3, 2°, du même code exempte de la taxe « l'affermage, la location ou la cession de bail de biens immeubles par nature, de même que l'utilisation de tels biens dans les conditions de l'article 19, § 1er, (...) », tandis que l'article 45, § 1er, 1°, dit encore que « tout assujetti peut déduire de la taxe dont il est redevable, les taxes ayant grevé les biens et les services qui lui ont été fournis, les biens qu'il a importés et les acquisitions intracommunautaires de biens qu'il a effectuées, dans la mesure où il les utilise pour effectuer : 1° des opérations taxées ».

Quant à l'article 1er de l'arrêté royal n° 3 du 10 décembre 1969 relatif aux déductions pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, il précise que :

« § 1er. Sous réserve de l'application de l'article 45, §§ 1erbis, 2 et 3, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, l'assujetti opère, dans les conditions prévues par les articles 2 et 4 du présent arrêté, la déduction des taxes grevant les biens et les services qu'il destine à la réalisation d'opérations visées par l'article 45, § 1er, 1° à 5°, du code.

Lorsque l'assujetti effectue, dans l'exercice de son activité économique, d'autres opérations qui ne permettent pas la déduction, il se conforme, pour la détermination des déductions, aux dispositions des articles 46 et 48 du code et 12 à 21 du présent arrêté.

§ 2. Ne sont en aucun cas déductibles les taxes grevant les biens et les services qu'un assujetti destine à un usage privé ou à des fins autres que celles qui relèvent de son activité économique.

Lorsqu'un bien ou un service est destiné à être affecté partiellement à de telles fins, la déduction est exclue dans la mesure de cette affectation. Cette mesure est déterminée par l'assujetti sous le contrôle de l'administration ».

Pour sa part, l'article 2 de la première directive 67/227 du Conseil des Communautés européennes en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JOCE n° 71 du 14 avril 1967) porte que « le principe du système de la taxe sur la valeur ajoutée est d'appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des transactions intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d'imposition.

À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.

Le système commun de taxe sur la valeur ajoutée est appliqué jusqu'au stade du commerce de détail inclus ».

Et la sixième directive n° 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de la taxe sur la valeur ajoutée, dispose :

- article 6, § 2, alinéa 1er, sous a) : « Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée » ;

- article 13, B, sous b) : « Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous, et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels : b) l'affermage et la location de biens immeubles, à l'exception (...) » ;

- article 17, §§ 2, 3 et 5 :

« 2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable :

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ;

b) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens importés ;

c) la taxe sur la valeur ajoutée due conformément à l'article 5, § 7, sous a) et à l'article 6, § 3.

3. Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins :

a) de ses opérations relevant des activités économiques visées à l'article 4, § 2, effectuées à l'étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l'intérieur du pays.

b) de ses opérations exonérées conformément à l'article 14, § 1er, sous i), à l'article 16, § 1er, sous B, C et D, § 2.

c) de ses opérations exonérées conformément à l'article 13, sous B, sous a) et sous d), points 1 à 5, lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés vers un pays en dehors de la Communauté.

4. (...)

5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

Ce prorata est déterminé pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti conformément à l'article 19.

Toutefois, les États membres peuvent :

a) autoriser l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité, si des comptabilités distinctes sont tenues pour chacun de ces secteurs ;

b) obliger l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité et à tenir des comptabilités distinctes pour chacun de ces secteurs ;

c) autoriser ou obliger l'assujetti à opérer la déduction suivant l'affectation de tout ou partie des biens et des services ;

d) autoriser ou obliger l'assujetti à opérer la déduction conformément à la règle prévue au premier alinéa, pour tous les biens et les services utilisés pour toutes les opérations y visées ;

e) prévoir, lorsque la taxe sur la valeur ajoutée qui ne peut être déduite par l'assujetti est insignifiante, qu'il n'en sera pas tenu compte ».

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la mise à la disposition d'un gérant par une société commerciale assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et l'utilisation par ce gérant à des fins privatives, telles que son logement et celui de sa famille, d'un bien immeuble qui fait partie du patrimoine de la société, doivent être, au regard spécialement de l'article 44, § 3, 2°, du Code de la TVA, considérées comme constituant une location à titre onéreux exemptée de la TVA.

Partant, la taxe ayant grevé l'acquisition (ou la construction, ou la réparation, l'entretien, etc.) du bien immeuble appartenant au patrimoine social de la société ne peut être déduite lorsque ce bien est mis « gratuitement » (la société ne percevant pas un « loyer » en contrepartie) à la disposition d'un gérant, d'un administrateur ou d'un associé de cette société. Il en va spécialement ainsi lorsque cette mise à disposition, officiellement à titre gratuit, entraîne un « avantage en nature » dans le chef du bénéficiaire.

Toute société commerciale à laquelle la loi reconnaît la personnalité juridique, conformément aux articles 1er et 2 du Code des sociétés, découle d'un contrat en vertu duquel plusieurs personnes (physiques ou morales) conviennent d'affecter, à la réalisation d'un objet social déterminé, une entreprise commune, des biens ou valeurs dans le but d'exercer une ou plusieurs activités lucratives précises, et ce dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect, cette affectation des biens à la réalisation de l'objet social étant incompatible avec la notion de « patrimoine privé », étrangère aux sociétés commerciales, même s'il ne faut pas confondre l'absence de « patrimoine privé » et l'impossibilité d'utiliser des biens à des fins étrangères à la réalisation de l'objet social ou non exclusivement consacrés à l'exercice de l'activité économique.

La mise à disposition d'un immeuble, en tout ou en partie, par une personne morale assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, pour les besoins privés d'un administrateur, d'un gérant ou d'un associé, correspond à la notion de location immobilière exemptée de la taxe sur la valeur ajoutée, au sens des articles 13, B, sous b), de la sixième directive, et 44, § 3, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, le droit à la déduction de la taxe devant être démontré, par application des articles 45, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, par l'assujetti, de manière certaine, ses affirmations, non autrement étayées, ne pouvant être admises à ce titre, par application de l'article 1316 du Code civil.

Et, pour qu'il y ait location, au sens des articles 45, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, et 1709 du Code civil, il suffit que le propriétaire d'un bien immeuble (ou le titulaire d'un droit de jouissance s'exerçant sur ce bien) le mette à la disposition, pour une durée déterminée ou non, d'un tiers qui pourra en jouir, moyennant un prix, une rémunération quelconque, que celle-ci consiste en un loyer en espèces ou une prestation, ou tout autre « prix », la notion de loyer, et partant celle de location, n'étant pas exclue pour la seule raison que l'occupant ne verse pas régulièrement une somme déterminée au « bailleur » en contrepartie du droit d'occuper le bien de la société dès lors que cette occupation constitue un avantage en nature découlant, notamment, de l'exécution de la mission du gérant, avantage qui donne lieu à la comptabilisation d'un « avantage de toute nature » en matière d'impôts sur les revenus.

Il découle de l'application conjointe des articles 19, § 1er, 44, § 3, 2°, 45, § 1er, 1°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, 1er de l'arrêté royal numéro 3 du 10 décembre 1969, 2 de la première directive CEE du 11 avril 1967, 6, § 2, alinéa 1er, sous a), 13, B, sous b) et 17, §§ 2, 3 et 5, de la sixième directive CEE/77/388 du 17 mai 1977 que la déduction des taxes ayant grevé les biens et les services facturés à l'assujetti - la défenderesse, en l'espèce - ne peut lui être accordée que dans la mesure où ces biens et ces services sont destinés exclusivement à des fins qui relèvent de son activité économique, l'exercice du droit à déduction de la taxe exigeant qu'il existe un lien direct et immédiat entre ces biens et ces services fournis à l'assujetti et l'application par celui-ci de ces biens et ces services à des opérations imposables, ce que l'assujetti doit prouver de manière certaine et par des éléments objectifs.

Et, d'une part, il n'est pas exact que, spécialement par son arrêt Seeling du 8 mai 2003, la Cour de justice des Communautés européennes aurait considéré qu'une société commerciale assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée qui met à la disposition de son administrateur, de son gérant ou de son associé un immeuble dépendant de son patrimoine, à des fins privées dans le chef de l'occupant, ce qui constitue un avantage en nature pour le bénéficiaire, ne pourrait être considérée comme ayant, ainsi, donné en location ce bien à son gérant, en sorte que cette mise à disposition ne serait pas exonérée de la taxe et que la société pourrait déduire intégralement les taxes qu'elles a payées à propos des fournitures et des prestations relatives à ce bien.

S'il est exact que, par cet arrêt, la Cour de justice a décidé que les articles 6, § 2, alinéa 1er, sous a) et 13, B, sous b), de la sixième directive doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale qui traite comme une prestation de services exonérée, en tant qu'affermage ou location d'un bien immeuble au sens de l'article 13, B, sous b), l'utilisation pour les besoins privés de l'assujetti d'une partie d'un bâtiment affecté dans sa totalité à son entreprise, il s'impose de replacer cet arrêt dans son contexte, totalement étranger à la présente espèce.

La Cour de justice a été invitée à se prononcer, à titre préjudiciel, à propos de la situation d'un assujetti, personne physique, qui avait décidé d'affecter un bien immeuble lui appartenant, en totalité, à son entreprise ; cependant, il occupait une partie de ce bien à titre privatif, en tant que logement pour lui-même et sa famille. Une personne physique ne possède qu'un seul patrimoine, quelle que soit l'affectation qu'elle lui donne, et elle ne peut se louer à elle-même aucun de ses biens, les qualités de bailleur et de locataire se confondant. Aussi, dans cette hypothèse, la Cour de justice a-t-elle considéré logiquement que la notion de location, opération exonérée, n'était pas envisageable.

Tel n'est pas le cas lorsque le propriétaire du bien immeuble est, comme en l'espèce, une personne morale distincte de la personne (physique ou morale) de ses gérants, administrateurs ou associés, qui, propriétaire d'un bien immeuble, met celui-ci « gratuitement » à la disposition de ceux-ci, dans le chef desquels, de surcroît, cette mise à disposition sera considérée comme un avantage en nature taxable à l'impôt direct. Dans ce cas, cette opération n'est pas taxable à la taxe sur la valeur ajoutée, par application des articles 13 de la sixième directive et 44 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et, partant, pas déductible au sens des articles 17 de la même directive et 45 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée.

À tout le moins, le demandeur invite la Cour à poser à la Cour de justice des Communautés européennes, à titre préjudiciel, les questions qui seront suggérées aux termes du dispositif de la présente requête en cassation.

Et, d'autre part, dans l'hypothèse où une société commerciale met à la disposition de son gérant, de son administrateur ou de son associé, « gratuitement », tout ou partie d'un bien dont elle est propriétaire, il lui incombe de prouver que cette mise à disposition de son bien répond aux exigences de la réalisation de son objet social et non simplement d'alléguer pareille nécessité.

Il s'ensuit que l'arrêt attaqué, qui admet que l'immeuble litigieux appartient pour le tout au patrimoine de la défenderesse, propriété commerciale qu'elle a mise en partie à la disposition de ses gérants, qui l'occupent dans cette mesure pour leurs besoins privés et ceux de leur famille, alors que, par ailleurs, l'arrêt ne prétend pas qu'il serait prouvé que pareille occupation serait nécessitée en raison des activités de la défenderesse, mais, au contraire, estime qu'en fonction de l'interprétation que la Cour de justice des Communautés européennes a donnée des articles 6, 13 et 17 de la sixième directive CEE, l'article 44, § 3, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée ne s'applique pas, dès lors que la défenderesse met à disposition de son gérant, pour un temps indéterminé, un immeuble qui lui appartient, sans exiger le payement d'un loyer, et dénie qu'il y a location, au sens de cette disposition, exonérée de la taxe, avec cette conséquence que la défenderesse est en droit de déduire des taxes qu'elle devait la totalité des taxes qu'elles a payées en amont à propos de l'immeuble mis à disposition de ses gérants, sans aucune limitation, viole les dispositions légales visées au moyen, méconnaît la notion de société commerciale dotée de la personnalité juridique, celle de patrimoine social, ainsi que la notion de « location » au sens de ces dispositions et dispense illégalement la défenderesse de la charge de la preuve qui lui incombe.

À tout le moins, l'arrêt attaqué donnant de la décision de la Cour de justice des Communautés européennes du 8 mai 2003 dans l'affaire Seeling C-269/00 une interprétation extensive que la lecture de cet arrêt ne commande pas, et appliquant à une hypothèse différente de celle qui fut soumise à la Cour de justice dans cette espèce, l'enseignement délivré par cet arrêt, il s'impose de poser, à titre préjudiciel, à la Cour de justice des Communautés européennes les questions suggérées au dispositif de la présente requête.

IV. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce qu'il ne précise pas s'il vise les articles 19, § 1er, et 44, § 3, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée dans leur version modifiée par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 ou dans leur version antérieure :

Le texte des articles 19, § 1er, et 44, § 3, 2°, dudit code reproduit au moyen est celui de ces dispositions dans leur version antérieure à leur modification par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006.

Il s'ensuit que le moyen est pris de la violation de ces dispositions dans cette version.

La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

1. La sixième directive n° 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme dispose en son article 6, § 2, alinéa 1er, sous a), qu'est assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée.

En vertu de l'article 13, B, de cette directive, sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous, et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels : b) l'affermage et la location de biens immeubles, sous réserve des exceptions que cette disposition énonce.

Ladite directive prévoit, par ailleurs, en son article 17, § 2, que, dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable : a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti redevable de la taxe à l'intérieur du pays, et en son article 17, § 5, qu'en ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

2. L'article 19, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version antérieure à sa modification par la loi-programme (I) du 27 décembre 2006, est la transposition littérale de l'article 6, § 2 , alinéa 1er, sous a), de la sixième directive.

Aux termes de l'article 44, § 3, 2°, dudit code, dans la même version, sont exemptés de la taxe l'affermage, la location et la cession de bail de biens immeubles par nature, de même que l'utilisation de tels biens dans les conditions de l'article 19, § 1er.

Suivant l'article 45, § 1er, 1°, du même code, tout assujetti peut déduire de la taxe dont il est redevable les taxes ayant grevé les biens et les services qui lui ont été fournis, dans la mesure où il les utilise pour effectuer : 1° des opérations taxées.

Conformément à l'article 1er, § 2, de l'arrêté royal n° 3 du 10 décembre 1969 relatif aux déductions pour l'application de la taxe sur la valeur ajoutée, ne sont en aucun cas déductibles les taxes grevant les biens et les services qu'un assujetti destine à un usage privé ou à des fins autres que celles qui relèvent de son activité économique ; lorsqu'un bien ou un service est destiné à être affecté partiellement à de telles fins, la déduction est exclue dans la mesure de cette affectation.

3. Par son arrêt Seeling C-269/00 du 8 mai 2003, la Cour de justice des Communautés européennes a considéré que les articles 6, § 2, alinéa 1er, sous a), et 13, B, sous b), précités de la sixième directive « doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale qui traite comme une prestation de services exonérée, en tant qu'affermage ou location d'un bien immeuble au sens dudit article 13, B, sous b), l'utilisation pour les besoins privés de l'assujetti d'une partie d'un bâtiment affecté dans sa totalité à son entreprise ».

4. Ayant constaté que la défenderesse, qui a fait construire un immeuble et y exerce son activité sociale, a mis une partie de cet immeuble à la disposition de ses gérants qui l'utilisent à des fins privées sans que le paiement d'un loyer soit stipulé, l'arrêt attaqué considère qu'il suit dudit arrêt de la Cour de justice que cette opération ne peut s'analyser en une location au sens de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive, que l'article 44, § 3, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée est inapplicable et que la défenderesse est, en conséquence, en droit de déduire la totalité de la TVA relative aux frais de construction.

5. Le moyen soutient que, contrairement à ce que l'arrêt attaqué considère, la règle portée par ledit arrêt de la Cour de justice ne s'applique que dans le cas où l'assujetti est une personne physique et qu'en revanche, lorsqu'une personne morale assujettie met, sans qu'un loyer payable en argent soit stipulé, tout ou partie d'un immeuble faisant partie de son patrimoine à la disposition de ses gérants, administrateurs ou associés, qui l'utilisent à des fins privées, cette opération s'analyse en une location, exemptée en vertu des articles 44, § 3, 2°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive. Le moyen précise qu'il en est spécialement ainsi lorsque cette jouissance constitue un avantage en nature découlant notamment de l'exécution par ses bénéficiaires de leur mission statutaire ou de leur contrat d'emploi et imposé comme tel dans le cadre de l'impôt sur les revenus auquel ceux-ci sont soumis.

Le moyen en déduit que la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée relative à l'acquisition, à la construction, à la réparation ou à l'entretien de l'immeuble ne peut être accordée à la personne morale assujettie que lorsque les biens et les services que cette taxe grève sont destinés exclusivement à des fins relevant de son activité économique, le droit à la déduction étant subordonné à l'existence d'un lien direct et immédiat entre ces biens et ces services et des opérations imposables, ce qu'il incombe à la personne morale assujettie de prouver.

6. Suivant la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment l'arrêt précité du 8 mai 2003, « si l'assujetti choisit de traiter des biens d'investissement utilisés à la fois à des fins professionnelles et à des fins privées comme des biens d'entreprise, la TVA due en amont sur l'acquisition de ces biens est en principe intégralement et immédiatement déductible » et « il résulte des articles 6, § 2, premier alinéa, sous a), et 11, A, § 1er, sous c), de la sixième directive que, lorsqu'un bien affecté à l'entreprise a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA acquittée en amont, son utilisation pour les besoins privés de l'assujetti ou de son personnel ou à des fins étrangères à son entreprise est assimilée à une prestation de services effectuée à titre onéreux et taxée sur la base du montant des dépenses engagées pour l'exécution de la prestation de services » (points 41 et 42 dudit arrêt ; cf. aussi l'arrêt du 14 juillet 2005, Charles et Charles Tijmens, C-434/03, points 24 et 25).

En ce qui concerne, par ailleurs, l'article 13, B, sous b), de la sixième directive, après avoir rappelé que ses termes sont d'interprétation stricte, étant donné que les exonérations qu'il vise constituent des dérogations au principe général suivant lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par l'assujetti (points 44 et 48) et que ces exonérations « constituent des notions autonomes du droit communautaire ayant pour objet d'éviter des divergences dans l'application du régime de la TVA d'un État membre à l'autre » (point 46), ledit arrêt du 8 mai 2003 considère que la location de biens immeubles au sens de cette disposition « consiste en substance en ce que le propriétaire d'un immeuble cède au locataire, contre un loyer et pour une durée convenue, le droit d'occuper son bien et d'en exclure d'autres personnes » (point 49 et arrêts cités ; arrêt du 18 novembre 2004, État belge contre Temco Europe SA, C-284/03, point 19) et que « l'utilisation pour les besoins privés de l'assujetti d'un logement dans un bâtiment qu'il a affecté dans sa totalité à son entreprise ne remplit pas ces conditions [dès lors qu'] elle est caractérisée par l'absence non seulement de paiement d'un loyer, mais également d'un véritable accord sur la durée de la jouissance et sur le droit d'occuper le logement et d'en exclure d'autres personnes » (points 50 et 51).

7. Il n'apparaît cependant pas clairement si la Cour de justice a considéré que tel était le cas au seul motif qu'ainsi que l'avocat général Jacobs le faisait valoir dans ses conclusions précédant ledit arrêt, « l'exonération prévue à l'article 13, B, sous b), ne peut [...] s'appliquer à une location fictive par un assujetti à lui-même, dès lors qu'il ne peut par définition y avoir aucun accord réel sur le loyer ou sur la durée (ou sur une quelconque autre condition) » (point 33), ou si elle a eu égard à d'autres éléments.

La question se pose, en particulier, de savoir si l'absence de stipulation d'un loyer payable en argent est, en soi, déterminante.

8. Il y a lieu d'observer à cet égard que, suivant l'arrêt du 16 octobre 1997, Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co KG contre Finanzamt Neustadt, n° C-258/95 (point 12), la notion de prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l'article 2, 1, de la sixième directive suppose que la contrepartie de la livraison d'un bien ou de la prestation d'un service puisse « être exprimée en argent », mais que cet arrêt n'exclut pas que cette contrepartie puisse être fournie en nature.

S'agissant de l'article 6, § 2, cet arrêt considère que cette disposition doit être interprétée en ce sens que, en règle, le transport gratuit de salariés, assuré par l'employeur entre leur domicile et leur lieu de travail, au moyen d'un véhicule affecté à l'entreprise, satisfait en principe des besoins privés des salariés et sert donc des fins étrangères à l'entreprise. Dans cet arrêt, la Cour de justice a, cependant, eu égard au fait qu'en l'espèce, les salariés « ne [subissaient] aucune diminution de salaire d'une valeur correspondant au service qui leur était fourni » (point 15) et que, « dès lors que le travail devant être exécuté et le salaire perçu [étaient] indépendants du fait que les salariés utilisent ou non le transport qui leur [était] fourni par leur employeur, une fraction de la prestation de travail effectuée ne saurait être considérée comme étant une contrepartie de la prestation de transport » (point 16).

Il pourrait être déduit, par analogie, de cet arrêt que l'utilisation à titre privé, par les gérants d'une société, d'une partie d'un immeuble appartenant à celle-ci pourrait trouver sa contrepartie dans tout ou partie de la prestation de travail de ces gérants.

9. Il faut cependant relever, par ailleurs, que l'arrêt Seeling précité ne fait aucune distinction entre les personnes physiques et les personnes morales. L'article 4, § 1er, de la sixième directive définit, en outre, la notion d'assujetti d'une manière large et, ainsi que l'avocat général Mengozzi l'a relevé dans ses conclusions précédant l'arrêt Vereniging Noordelijke Land-Tuinbouw Organisatie, C-515/07, du 12 février 2009 (point 32 et note 20), l'article 6, § 2, alinéa 1er, sous a), ne comporte aucune restriction pour les personnes morales, mais vise au contraire l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés non seulement de l'assujetti lui-même, mais également pour ceux de son personnel, dont les membres ont une personnalité distincte de celle de l'assujetti, et, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise. Suivant ces conclusions, le principe de neutralité fiscale paraît, de surcroît, s'opposer à ce que des opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA (cf. aussi le point 55 de ces conclusions).

Enfin, l'arrêt Seeling ne réserve pas le cas où l'utilisation, pour les besoins privés de l'assujetti, d'un logement dans un bâtiment qu'il a affecté dans sa totalité à son entreprise serait constitutive dans son chef d'un avantage en nature, soumis comme tel à l'impôt sur les revenus.

10. Le moyen soulève ainsi une question d'interprétation des articles 6, § 2, alinéa 1er, sous a) et 13, B, b), de la sixième directive.

La Cour de justice de l'Union européenne est, en vertu de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ex-article 234 du Traité instituant la Communauté européenne), seule compétente pour statuer à titre préjudiciel sur cette question.

Par ces motifs,

La Cour

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait statué par voie de décision préjudicielle sur les questions suivantes :

Les articles 6, § 2, alinéa 1er, sous a), et 13, B, sous b), de la sixième directive n° 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doivent-il être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soit traitée comme une prestation de services exonérée, en tant qu'affermage ou location d'un bien immeuble au sens dudit article 13, B, sous b), l'utilisation, pour les besoins privés des gérants, administrateurs ou associés et de leur famille d'une société assujettie dotée de la personnalité juridique, de tout ou partie d'un immeuble faisant partie du patrimoine de cette société et ainsi affecté dans sa totalité à son entreprise, dans le cas où aucun loyer payable en argent n'est stipulé en contrepartie de cette utilisation mais où celle-ci s'analyse en un avantage en nature imposé comme tel dans le cadre de l'impôt sur les revenus auquel les gérants sont soumis, cette utilisation étant de ce fait considérée fiscalement comme la contrepartie d'une fraction de la prestation de travail effectuée par les gérants, administrateurs ou associés ?

Ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que ladite exonération s'applique dans ladite hypothèse lorsque la société ne prouve pas l'existence d'un lien nécessaire entre l'exploitation de l'entreprise et la mise de tout ou partie de l'immeuble à la disposition des gérants, administrateurs ou associés et, dans ce cas, l'existence d'un lien indirect est-elle suffisante ?

Réserve les dépens.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Paul Mathieu, les conseillers Didier Batselé, Sylviane Velu, Martine Regout et Françoise Roggen, et prononcé en audience publique du sept avril deux mille onze par le président de section Paul Mathieu, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.