Cour du Travail: Arrêt du 4 juin 2013 (Bruxelles). RG 2012/AB/9
- Section :
- Case law
- Source :
- Justel F-20130604-5
- Role number :
- 2012/AB/9
Summary :
L'écrit individuel par lequel les parties fixent la durée de l'essai doit être établi au plus tard au moment de l'entrée en service.
Arrêt :
Rep.N°.
COUR DU TRAVAIL DE
BRUXELLES
ARRET
AUDIENCE PUBLIQUE DU 04 JUIN 2013
4ème Chambre
DROIT DU TRAVAIL - contrats de travail-employé
Arrêt contradictoire
Définitif
En cause de:
Madame E.H., domicilié à xxx ;
Appelante,
représentée par monsieur Jean Capelle, délégué syndical, porteur de procuration.
Contre :
LA S.P.R.L. BUREAU D'ETUDES COMPTABLES ET FISCALES PASINAS, dont le siège social est établi à 7141 Carnières, Rue Saint-Eloi, 168 ;
Intimée,
représentée par Monsieur Jean Mpasinas, gérant de la S.P.R.L. Pasinas.
Indications de procédure
Madame E.H. a fait appel le 5 janvier 2012 d'un jugement prononcé par le Tribunal du travail de Bruxelles le 20 décembre 2011.
L'appel a été introduit dans les formes et les délais légaux. Dès lors, il est recevable. En effet, le dossier ne révèle pas que le jugement a été signifié ; le délai d'appel n'a donc pas pris cours.
Les dates pour conclure ont été fixées par une ordonnance du 1er février 2012, prise à la demande conjointe des parties.
La SPRL Pasinas a déposé ses conclusions le 7 mai 2012.
Madame E.H. a déposé ses conclusions le 29 mars 2012, ainsi qu'un dossier de pièces.
Les parties ont plaidé lors de l'audience publique du 14 mai 2013 et la cause a été prise en délibéré immédiatement.
Il a été fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire.
I. LES FAITS
La SPRL Bureau d'Études comptables et fiscales Pasinas (ci-après dénommée ‘la SPRL Pasinas') a engagé Madame E.H. à partir du 6 décembre 2010 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée pour exercer les fonctions suivantes : réception, téléphone, encodage, administration, aide-comptable.
Le contrat de travail, signé par les parties le 6 décembre 2010, a été établi sur un modèle fourni par le secrétariat social. L'article 6 du contrat prévoit : « Cet engagement est conclu avec une période d'essai de ... mois. En cas de suspension de l'exécution du contrat pendant la période d'essai, cette période est prolongée d'une durée égale à celle de la suspension ». Cette clause n'a pas été complétée par l'indication de la durée de la période d'essai convenue.
Le 20 décembre 2010, une « fiche travailleur » signée par les deux parties a été établie pour le secrétariat social. Cette fiche indique que le contrat de travail contient une clause d'essai d'une durée de six mois.
Par un courrier recommandé du 18 mai 2011, la SPRL Pasinas a notifié à Madame E.H. sa décision de ne pas poursuivre la période d'essai et de mettre fin immédiatement à son contrat de travail moyennant le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis égale à 7 jours calendrier de rémunération. Une indemnité de 401,54 euros brut a été payée.
II. LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DU TRAVAIL
Madame E.H. a demandé au Tribunal du travail de Bruxelles la condamnation de la S.P.R.L. Bureau d'études comptables et fiscales à lui payer les sommes suivantes :
- 4.845,00 EUR brut à titre d'indemnité de rupture, sous déduction de 401,54 EUR brut déjà payés,
- 125,63 EUR net à titre d'intervention de l'employeur dans les frais de transport,
- 54,04 EUR net à titre de remboursement d'une facture de soins hospitaliers,
- les intérêts et les dépens,
- la délivrance des documents sociaux suivants :
o feuille de paie corrigée pour l'indemnité de rupture et les frais de transport,
o formulaire C4 corrigé,
o compte individuel,
o fiche fiscale,
o attestation d'occupation,
- l'exécution provisoire du jugement, même en cas de recours.
Par un jugement du 20 décembre 2011, le Tribunal du travail de Bruxelles a décidé ce qui suit :
« Statuant après un débat contradictoire,
Déclare la S.P.R.L. Bureau d'études comptables et fiscales Pasinas à payer à Madame E.H. la somme nette de 125,63 EUR à titre d'intervention dans les frais de transport, majorée des intérêts calculés au taux légal sur ce montant à partir du 18 mai 2011,
Condamne la S.P.R.L. Bureau d'études comptables et fiscales Pasinas à délivrer à Madame E.H. les documents sociaux suivants :
- feuille de paie corrigée pour les frais de transport,
- compte individuel,
- fiche fiscale,
- attestation d'occupation,
sous peine d'une astreinte de 12,50 EUR par jour de retard prenant cours le 31ème jour suivant celui de la signification du présent jugement jusqu'à ce que tous les documents soient délivrés, avec un maximum de 5.000,00 EUR,
Déclare non fondée la demande de paiement d'une indemnité de rupture complémentaire,
Réserve à statuer sur la demande de remboursement de la facture de soins hospitaliers pour un montant de 54,04 EUR et renvoie la cause au rôle sur cette demande, à charge pour la partie la plus diligente de faire refixer la cause lorsqu'elle aura obtenu les informations nécessaires auprès de la compagnie d'assurance,
Réserve les dépens ».
III. L'APPEL ET LES DEMANDES SOUMISES À LA COUR DU TRAVAIL
Madame E.H. interjette un appel limité du jugement en ce qu'il a déclaré sa demande d'indemnité compensatoire de préavis non fondée.
Elle demande à la Cour du travail de condamner la SPRL Pasinas à lui payer un montant de 4.845 euros brut, sous déduction des 401,54 euros brut déjà payés, à titre de complément d'indemnité de rupture, ainsi que les intérêts légaux et judiciaires.
Elle demande également la condamnation de la SPRL Pasinas à lui délivrer les documents sociaux suivants : feuille de paie corrigée pour l'indemnité de rupture complémentaire, le formulaire C4 corrigé, le compte individuel, la fiche fiscale, l'attestation d'occupation.
Il n'y a plus de contestation, en degré d'appel, au sujet des frais de transport ni de la facture pour soins hospitaliers.
IV. EXAMEN DE LA CONTESTATION
Madame E.H. conteste la validité de la période d'essai prévue dans son contrat de travail au motif que la durée de l'essai n'y a pas été précisée.
L'article 67, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dispose que le contrat de travail peut prévoir une clause d'essai. Cette clause doit, à peine de nullité, être constatée par écrit, pour chaque employé individuellement, au plus tard au moment de l'entrée en service de celui-ci.
En vertu de l'article 67, § 2, alinéa 2, de la loi, en l'absence de précision quant à sa durée, soit dans la convention individuelle ou collective de travail, soit dans le règlement de travail, la période d'essai est de un mois.
La validité de la clause d'essai est donc subordonnée à la condition que cette clause soit constatée par écrit, pour chaque employé individuellement, au plus tard au moment de l'entrée en service de celui-ci. Il n'est pas requis, pour la validité de la clause d'essai, que celle-ci fixe la durée de l'essai.
En l'espèce, une clause d'essai figure dans le contrat de travail signé par les parties le jour de l'entrée en service. Il n'est pas contesté par Madame E.H. que le contrat de travail a été signé au plus tard au moment de l'entrée en service. La clause d'essai est donc valable, bien qu'elle ne fixe pas la durée de l'essai.
La loi prévoit expressément que lorsque la durée de l'essai n'a pas été fixée dans la clause d'essai elle-même, elle peut être fixée soit par convention individuelle, soit par convention collective, soit dans le règlement de travail. À défaut, la loi fixe elle-même la durée de l'essai à un mois.
En l'espèce, la SPRL Pasinas ne produit pas son règlement de travail et ne fait pas valoir que la durée de l'essai a été fixée par ce règlement ou par une convention collective.
En revanche, la durée de l'essai a été fixée à six mois dans un écrit individuel signé par les deux parties : la « fiche travailleur ». Toutefois, cette fiche a été établie et signée le 20 décembre 2010, soit après l'entrée en service.
La Cour ne partage pas l'opinion du Tribunal du travail selon laquelle la durée de l'essai pourrait être fixée par les parties après l'entrée en service. La Cour considère au contraire qu'il ressort des dispositions légales rappelées ci-dessus que l'écrit individuel par lequel les parties fixent la durée de l'essai doit être établi au plus tard au moment de l'entrée en service.
En effet, la loi prévoit expressément que lorsque la durée de l'essai n'est fixée ni dans le contrat de travail, ni dans un autre écrit individuel, ni par convention collective de travail, ni par le règlement de travail, cette durée est fixée par la loi elle-même à un mois.
En l'espèce, en application de cette disposition, la durée de l'essai a été fixée à un mois lors de l'entrée en service de Madame E.H..
Permettre aux parties de fixer cette durée à six mois par un écrit individuel postérieur à l'entrée en service revient à leur permettre d'allonger la durée de l'essai après l'entrée en service ou, en d'autres termes, d'ajouter à la période d'essai d'un mois une nouvelle période d'essai de cinq mois. C'est interdit par la loi, qui exige que la clause d'essai soit convenue au plus tard au moment de l'entrée en service (voyez en ce sens : Cass., 29 octobre 1979, B.W., 1979-80, col. 1434 ; C. trav. Bruxelles, 17 mars 1999, Chr.D.S., 2000, p.100).
Dès lors, en l'occurrence, la durée de la période n'a pas pu valablement être fixée à six mois par la « fiche travailleur » signée par les deux parties. Seule la durée de l'essai fixée au moment de l'entrée en service, soit un mois en vertu de la loi, est valable.
Madame E.H. a donc été licenciée, le 18 mai 2011, en dehors de la période d'essai. Le préavis réduit à sept jours en cours de période d'essai n'est pas d'application, et Madame E.H. a droit au préavis légal d'une durée de trois mois.
La SPRL Pasinas lui est redevable d'une indemnité compensatoire de préavis de 4.845 euros brut correspondant à trois mois de rémunération, dont il faut déduire l'indemnité de 401,54 euros brut déjà payée. Le solde s'élève à 4.443,46 euros brut.
POUR CES MOTIFS,
LA COUR DU TRAVAIL,
Statuant après avoir entendu les parties,
Déclare l'appel recevable et fondé ;
Réforme partiellement le jugement du Tribunal du travail de Bruxelles en ce qu'il a déclaré la demande d'indemnité de rupture complémentaire non fondée ;
Statuant à nouveau sur ce point, déclare cette demande fondée et condamne la SPRL Bureau d'Études comptables et fiscales Pasinas à payer à Madame E.H. 4.443,46 euros brut, dont la SPRL déduira les retenues sociales et fiscales obligatoires à verser aux administrations compétentes ; condamne la SPRL aux intérêts calculés au taux légal sur cette indemnité ;
Condamne la SPRL à délivrer à Madame E.H. les documents sociaux suivants, corrigés pour tenir compte de l'indemnité de rupture complémentaire : feuille de paie, le formulaire C4, le compte individuel, la fiche fiscale ;
Condamne la SPRL à payer à Madame E.H. les dépens des deux instances, liquidés à 108,55 euros (frais de citation) jusqu'à présent.
Ainsi arrêté par :
F. BOUQUELLE, Conseillère,
Y. GAUTHY, Conseiller social au titre d'employeur,
Cl. PYNAERT, Conseiller social au titre d'employé,
Assistés de G. ORTOLANI, Greffier
G. ORTOLANI, Cl. PYNAERT,
Y. GAUTHY, F. BOUQUELLE,
et prononcé, en langue française à l'audience publique de la 4ème Chambre de la Cour du travail de Bruxelles, le 04 juin 2013, où étaient présents :
F. BOUQUELLE, Conseillère,
G. ORTOLANI, Greffier
G. ORTOLANI, F. BOUQUELLE,