Tribunal de première instance: Jugement du 16 décembre 1997 (Bruxelles). RG 971327A

Date :
16-12-1997
Language :
French
Size :
2 pages
Section :
Case law
Source :
Justel F-19971216-5
Role number :
971327A

Summary :

En ce qui concerne la contestation éventuelle de paternité, il échoit, en principe, de placer dans la personne dont l'intérêt doit être jugé prépondérant le centre de gravité de la relation triangulaire enfant-père-mère et de soumettre à une seule loi l'ensemble des actes juridiques et des actions en justice relatives à la filiation et, dès lors, d'appliquer la loi nationale de l'enfant. La loi française impose, à peine d'irrecevabilité, qu'en même temps que l'action en contestation de paternité, elle forme une demande de légitimation devant le tribunal de grande instance (art.318 - 1 du code civil français). En adoptant cette règle, le législateur français a, d'évidence, entendu privilégier la paternité légitime et considéré que l'intérêt supérieur de l'enfant était d'avoir une paternité légitime, indépendamment de la question de la possession d'état et de la vérité biologique de sa naissance. Cette conception n'est pas celle du législateur belge qui, au contraire, a voulu faire prévaloir, sauf exception, la vérité biologique de la filiation même si cette vérité était de nature à enlever à l'enfant une paternité légitime et même si l'enfant risquait, du fait de la contestation, d'être dépourvu de père. En appliquant le droit français en l'espèce, le tribunal ferait obstacle à l'établissement en droit de la vérité de la filiation paternelle d'un enfant adultérin de nationalité française mais né sur le territoire belge et y ayant sa résidence depuis la naissance. Il convient, donc, d'écarter la législation française au profit de la législation belge.

Jugement :

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(1. Attendu que la demande tend à entendre contester la paternité du premier défendeur sur l'enfant Y. M..., née à Etterbeek, le ... 1996;
Attendu qu'aux termes de son acte de naissance, établi sur déclaration de sa mère seule, la demanderesse, l'enfant précitée est née pendant le mariage de celle-ci, de nationalité française avec Monsieur Y... de nationalité marocaine;
2.1. Attendu qu'il convient donc de trancher la question litigieuse de la filiation de l'enfant en tenant compte des règles du droit international privé;
2.2. Attendu que la loi nationale de chaque personne détermine si un lien de maternité ou de paternité se forme de plein droit à l'égard de l'enfant au moment de la naissance de celui-ci;
qu'ainsi l'établissement de sa filiation maternelle par l'effet de la loi est soumis à la loi nationale de la mère au jour de la naissance;
que d'autre part, s'il peut être allégué que la mère était unie à un homme au moment pertinent pour la mise en oeuvre d'une présomption légale de paternité, il appartient à la loi nationale de cet homme de décider s'il y a mariage et s'il en résulte une présomption légale de paternité (Fr. Rigaux, Droit international privé, T. II, 1979, p. 289 n° 982);
Attendu qu'en l'espèce, il n'est pas contesté, en application de ces principes, que l'enfant M... née pendant le mariage des parties est présumée issue de cette union (Code civil français et Code du statut personnel marocain);
2.3. Attendu que l'enfant M... est française comme sa mère alors que son père présumé est marocain; qu'il faut dès lors s'interroger sur la loi applicable à l'action tendant à contester cette paternité légale;
Qu'il faut observer qu'il apparait judicieux de placer " dans la personne dont l'intérêt doit être jugé prépondérant le centre de gravité de la relation triangulaire enfant - père - mère et de soumettre ainsi à une seule loi l'ensemble des actes juridiques et des actions en justice relatifs à la filiation " (Rigaux Fr. op. cit. 290; G. Van Hecke et Fr. Rigaux, Examen de jurisprudence 1981 à 1990; Droit international privé (conflits de lois) p. 175 n° 44° J.P. Masson, Chronique de jurisprudence (1985 à 1990) JT 1991, n° 104); que pour ce motif le tribunal appliquera à la présente action la loi française;
2.4. Attendu que la loi française ne prévoit pas de délai lorsque la mère introduit la demande;
Qu'elle impose cependant à peine d'irrecevabilité qu'en même temps la mère de l'enfant forme une demande de légitimation (art. 318 - 1 du Code civil français) devant le Tribunal de Grande Instance;
Qu'il s'agit là d'une disposition d'ordre public du droit français;
Attendu que cette disposition du droit étranger limite donc la possibilité de dénoncer le caractère fictif de la paternité du mari si cette dénonciation n'a pas pour effet de substituer à cette paternité fictive mais légitime une autre paternité légitime;
Que l'é
vidence le législateur français a en adoptant cette règle entendu privilégier la paternité légitime; qu'il a en d'autres termes considéré que l'intérêt supérieur de l'enfant était d'avoir une paternité légitime et ce indépendamment de la question de la possession d'état et de la vérité biologique de sa naissance;
Attendu que cette conception n'est pas celle qu'a choisi d'observer le législateur belge en 1987;
Que celui-ci a, au contraire, voulu faire prévaloir - sauf exception - la vérité biologique de la filiation même si cette vérité était de nature à enlever à l'enfant une paternité légitime et même si l'enfant risquait de ce fait de se trouver dépourvu de père;
Attendu que si le Tribunal appliquerait cette règle du droit étranger en l'espèce, il ferait obstacle à l'établissement en droit de la vérité de la filiation paternelle de cet enfant adultérin de nationalité française né sur le territoire belge, y ayant sa résidence depuis sa naissance, enfant n'ayant pas bénéficié de la possession d'état envers son père légal actuel;
Attendu que ce faisant le Tribunal consacrerait une situation contraire à l'ordre public international belge; qu'il faut donc ici écarter la loi française;
Attendu qu'il convient donc d'appliquer à l'espèce litigieuse les conditions de recevabilité et de fond de la loi belge;
Attendu que la demande a été introduite dans le délai légal d'un an par la mère de l'enfant;
Qu'elle est donc recevable;
Qu'elle est au vu des pièces déposées également bien fondée; qu'en effet, les conditions prévues par les art. 318 par. 2, 331, 331sexies, 332 et 332bis du Code civil sont réunies en l'espèce;
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;
Entendu Mme Coulon, substitut du Procureur du Roi, en son avis oral conforme, donné à l'audience publique du 24 novembre 1997;
Statuant contradictoirement;
Déclare recevable et fondée l'action en contestation de paternité introduite par la demanderesse P. en ce qui concerne l'enfant M... née à Etterbeek, le ... 1996, mentionnée dans l'acte de naissance dressé par l'officier de l'état civil de cette commune comme la fille de la demanderesse et du premier défendeur Y., son époux, dont elle est actuellement divorcée;
En conséquence, dit que cette enfant n'est pas la fille du premier défendeur à la famille duquel elle ne peut appartenir et dont elle ne peut porter le nom;
Condamne la demanderesse aux dépens, non liquidés par les parties;
Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.)