Cour d'appel: Arrêt du 14 janvier 2008 (Mons (Mons)). RG 2006/RG/340

Date :
14-01-2008
Language :
French
Size :
6 pages
Section :
Case law
Source :
Justel F-20080114-1
Role number :
2006/RG/340

Summary :

Les dispositions de l'arrêté royal du 26 octobre 2007 fixant le tarif des indemnités de procédure visées à l'article 1022 du Code judiciaire et fixant la date d'entrée en vigueur des articles 1er et 13 de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat sont applicables aux affaires en cours à dater du 1er janvier 2008. La notion d'«affaires en cours» recouvre toute cause non encore jugée lors de l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles ; (Cass. 27/10/1977, Pas 1978, I, 252). Le tarif applicable aux dépens de première instance, non liquidés devant le premier juge, est celui en vigueur au moment de la clôture des débats.

Arrêt :

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COUR D'APPEL DE MONS

PREMIERE CHAMBRE

Rôle général numéro : 2006/RG/340

EN CAUSE DE :

La société privée à responsabilité limitée (S.P.R.L.) TUTTI FRUTTI, dont le siège social est établi à 6032 CHARLEROI (MONT-SUR-MARCHIENNE), Avenue Paul Pastur, 100, inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises sous le numéro 0457.465.460,

appelante,

demanderesse sur incident, défenderesse sur incident,

représentée à l'audience par Maître DELOGNE Anne, avocat du barreau de Charleroi, loco Maître DERMINE Louis, avocat dont le cabinet est sis à 6280 LOVERVAL, Allée Notre-Dame de Grâce, 2, son conseil,

CONTRE :

La société privée à responsabilité limitée (S.P.R.L.) VIGNI, dont le siège social est établi à 6040 CHARLEROI (JUMET), Chaussée de Gilly, 106, inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises sous le numéro 0464.793.415,

intimée,

défenderesse sur incident, demanderesse sur incident,

représentée à l'audience par Maître GEORGE Philippe, avocat dont le cabinet est sis à 6040 CHARLEROI (JUMET), Chaussée de Gilly, 61-63, son conseil.

La cour, après avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

Vu les pièces de la procédure légalement requises et notamment :

- la copie certifiée conforme des jugements dont appel, prononcés les 7 décembre 2005 et 25 janvier 2006 par le Président du tribunal de commerce de Charleroi, le jugement du 25 janvier 2006 ayant été signifié par exploit d'huissier de justice du 27 mars 2006 à la SPRL TUTTI FRUTTI ;

- la requête d'appel, déposée le 3 avril 2006 ;

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries aux audiences des 15 octobre et 3 décembre 2007 ;

Vu les dossiers des parties ;

ANTECEDENTS

Les faits

Les faits de la cause ont été exactement relatés par le premier juge et la cour se réfère à cet exposé ;

Il suffit de rappeler que :

- les parties étaient les seules soumissionnaires d'un marché négocié à bordereau de prix, suivant le cahier spécial des charges de la Ville de Charleroi, marché dont la SPRL TUTTI FRUTTI fut désignée adjudica-taire ;

- ce marché portait sur la fourniture aux crèches communales de fruits et légumes pour la période allant du 1er mars 2005 au 28 février 2006 ;

- la SPRL VIGNI, qui n'a formé aucun recours contre la décision d'adjudi-cation, soutient que la SPRL TUTTI FRUTTI pratique dans le cadre de ce marché des ventes à perte dont elle poursuit la cessation ;

La procédure

Par requête déposée le 5 juillet 2005 et dirigée contre la SPRL TUTTI FRUTTI, la SPRL VIGNI a sollicité du tribunal :

- la constatation d'actes contraires aux usages honnêtes en matière com-merciale sur pied de l'article 93 de la loi sur les pratiques du commerce (ci-après en abrégé LPC) ;

- de donner à la SPRL TUTTI FRUTTI un ordre de cessation des ventes à pertes et de toute collaboration avec la Ville de Charleroi dans le cadre du marché litigieux, ce dans les 24 heures de la signification de la déci-sion à intervenir, sous peine d'une astreinte de 500 euro par infraction constatée ;

- la publication de la décision à intervenir ;

Par conclusions déposées le 28 septembre 2005, la SPRL TUTTI FRUTTI a formé une demande reconventionnelle tendant à l'allocation d'une indemnité de 2500 euro du chef de procès téméraire et vexatoire et de frais de défense ;

Par jugement du 7 décembre 2005, le premier juge, après s'être déclaré compé-ent, a ordonné la réouverture des débats pour permettre :

- aux parties de s'expliquer sur la signification et l'incidence de l'article 6 du cahier spécial des charges de la Ville de Charleroi sur le prix de vente à prendre en considération dans le cadre du litige ;

- à la SPRL TUTTI FRUTTI de produire les factures adressées à la Ville de Charleroi dans le cadre du marché litigieux et à la SPRL VIGNI de faire savoir en quoi elle considérait les ventes litigieuses comme ventes à perte ;

Par jugement du 25 janvier 2006, le premier juge a déclaré :

- la demande principale partiellement fondée, à savoir uniquement en ce qu'elle visait la constatation de l'existence dans le chef de la SPRL TUTTI FRUTTI d'un acte contraire aux usages honnêtes en matière com-merciale, étant l'offre en vente de certains produits à perte dans le cadre de la soumission du 9 mars 2005 ;

- les autres demandes non fondées ;

L'APPEL

Par requête déposée le 3 avril 2006, la SPRL TUTTI FRUTTI a relevé appel des jugements prononcés les 7 décembre 2005 et 25 janvier 2006, appel par lequel elle sollicite d'entendre déclarer irrecevable et non fondée la demande originaire ;

L'appel, régulièrement formé dans le délai légal est recevable ;

Fondement

Les jugements dont appel ont considéré, en substance :

- que le premier juge était compétent pour connaître du litige pour ce qui est de l'action tendant à faire constater une vente à perte à charge de la SPRL TUTTI FRUTTI et qu'il ne ressort d'autre part pas de la compé-tence du Président du tribunal de commerce d'ordonner la cessation de toute collaboration entre la SPRL TUTTI FRUTTI et la Ville de Charleroi ;

- les fournitures litigieuses n'ont jamais été facturées aux prix de la soumission à la Ville de Charleroi mais, conformément à l'article 6 du cahier spécial des charges à un prix - supérieur - adapté à l'évolution du marché ;

- sur la base des pièces produites, à savoir les factures adressées par la SPRL TUTTI FRUTTI à la Ville de Charleroi en novembre 2005, il ap-paraît «plus que probable», sans atteindre une certitude totale à cet égard, que la SPRL TUTTI FRUTTI n'a pas vendu à perte ;

- l'article 40 de la loi du 14 juillet 1991 interdit non seulement la vente à perte mais l'offre en vente à un prix à perte, le terme «offre en vente» s'appliquant - notamment - à la soumission litigieuse ;

- constitue un prix de vente à perte celui qui, compte tenu des frais géné-raux ne procure aucune marge bénéficiaire ou une marge bénéficiaire extrêmement réduite ;

- les pièces déposées impliquent qu'au moins trois produits ont été offerts en vente à perte ou avec une marge bénéficiaire tellement réduite qu'elle devait lui être assimilée ;

- l'ordre de cessation paraît inutile ; la SPRL TUTTI FRUTTI a, par le cahier spécial des charges, toute latitude pour majorer à un prix normal les offres de prix de sa soumission et «elle ne s'en prive pas» ;

- la demande originaire s'avère en conséquence fondée en ce qu'elle vise le constat de l'existence d'un acte contraire aux usages honnêtes en ma-tière commerciale tels que définis par l'article 93 de la LPC, en ce que la SPRL TUTTI FRUTTI a offert en vente certains produits à perte dans le cadre de sa soumission du 9 mars 2005 ; les autres demandes s'avèrent non fondées et la publication de la décision n'apparaît pas utile ;

Recevabilité de la demande originaire

L'appelante soutient que la demande originaire devait être déclarée irrecevable dès lors qu'elle tendait à la mise à néant du marché critiqué alors que les dispo-sitions légales des marchés publics qui contiennent des règles d'ordre public limitent à une réparation pécuniaire le droit du concessionnaire évincé ;

Par des dispositions non entreprises, le premier juge s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande originaire en ce qu'elle visait un ordre de cessation de toute collaboration entre la SPRL TUTTI FRUTTI et la Ville de CHARLEROI;

L'objet de la demande originaire pour le surplus n'est en réalité ni l'annulation ni la résiliation du marché intervenu entre la SPRL TUTTI FRUTTI et la Ville de CHARLEROI mais tend à la constatation d'une violation de la LPC et à la cessation de cette violation ;

La demanderesse originaire possédait d'autre part qualité et intérêt à l'action :

- en qualité de vendeur elle relève de la catégorie des «intéressés» visés à l'article 98 de la LPC ;

- en tant que concurrent direct s'estimant lésé par une vente à perte impu-tée à la défenderesse originaire, l'actuelle intimée justifiait d'un intérêt à son action ;

L'appelante conteste vainement le caractère «actuel» de cet intérêt : la demande originaire a été reçue alors que le marché litigieux était encore en cours d'exécution en sorte que c'est à bon droit que le premier juge a, implicitement mais certainement, reçu la demande ;

Sur le fondement de la demande originaire

Il convient de rappeler les limites de la saisine de la cour quant au fondement de la demande originaire:

- l'appel, tendant à voir déclarer irrecevable et subsidiairement non fondée la demande originaire, ne saisit d'évidence pas la cour des dispositions du jugement déféré du 25 janvier 2006 déclarant la demande originaire non fondée en ce qu'elle vise la constatation dans le chef de l'appelante d'une vente à perte ;

- l'intimée n'a pas formé d'appel incident contre ces dispositions ;

Le litige se circonscrit ainsi devant la cour à l'examen des griefs articulés contre les dispositions du jugement du 25 janvier 2006 constatant dans le chef de la défenderesse originaire l'existence d'une offre de vente à perte dans le cadre précis du marché litigieux ;

L'appelante conteste l'assimilation opérée par le premier juge entre, d'une part, les prix remis à la soumission dans le cadre dudit marché et, d'autre part, la notion de «prix offert à la vente» au sens de l'article 40 alinéa 1er de la LPC ;

Il convient, pour l'application de cette disposition légale, de se référer à la signifi-cation usuelle du terme «offre en vente», à savoir un acte émanant du vendeur et réunissant les éléments essentiels du contrat, à savoir l'objet de la vente et le prix, en sorte que l'acceptation de cette offre par l'acheteur suffit à la conclusion du contrat ;

En l'espèce, les dispositions du cahier spécial des charges élaboré par la Ville de CHARLEROI contenaient une clause de révision des prix remis par le soumis-sionnaire auquel serait adjugé le marché; cette circonstance ne permet pas d'écarter la qualification d'offre de vente appliquée par le premier juge à la soumission litigieuse dès lors que la clause de révision précitée n'affecte pas le caractère déterminable du prix des marchandises objet du marché ;

L'appelante ne peut non plus être suivie lorsqu'elle prétend que l'objet précis des ventes à conclure n'était pas déterminé puisqu'il dépendait des besoins spécifi-ques des crèches de la ville, destinataires des fruits et légumes visés à la soumission ;

En effet, la circonstance que le marché litigieux devait s'exécuter en commandes successives, variables en fonction des besoins de la Ville de CHARLEROI, ne confère pas un caractère indéterminé à l'objet même du marché - à savoir une série de fruits et légumes énumérés limitativement - dès lors que la variation des produits et quantités commandés ne constitue qu'une modalité accessoire d'exé-cution de la vente litigieuse ;

La soumission portait sur 48 produits et l'appelante conteste, subsidiairement, que l'existence d'une offre de vente à perte puisse être constatée autrement qu'en prenant en considération le coût total de l'ensemble des produits faisant l'objet de l'offre ;

Le premier juge a constaté à juste titre et par des motifs que la cour adopte que les prix offerts à la vente pour les citrons, oranges et ananas révélaient soit que les prix étaient inférieurs aux prix demandés par les fournisseurs de l'appelante elle-même, soit que la marge bénéficiaire dégagée était tellement réduite qu'elle de-vait, eu égard aux frais incontournables de l'exploitation commerciale de l'appe-lante, être assimilée à une perte ;

Les pièces déposées devant la cour vérifient la pertinence de cette analyse y compris pour d'autres fruits et légumes encore tels que kiwis, courgettes, bananes, fraises, mandarines, concombres et chicons, sans que cette liste soit exhaustive;

Il demeure indifférent, s'agissant d'apprécier l'existence d'une offre de vente à perte et non d'une vente à perte, que certains des produits objets de la soumission n'aient pas fait l'objet d'une vente effective dans le cours de l'exécution du marché ;

L'appelante invoque vainement l'existence d'une offre conjointe pour soutenir que l'examen du caractère déficitaire de l'offre de vente doive être opéré globale-ment ;

Le fait que le marché litigieux portait sur une série de biens n'emporte pas, d'évidence, l'obligation pour la Ville de CHARLEROI de commander l'ensemble des fruits et légumes concernés ni même d'un assortiment particulier de fruits et légumes parmi ceux énumérés, les commandes données en exécution du marché variant - aux termes du cahier spécial des charges s'imposant à l'adjudicataire - en fonction des besoins des crèches communales destinataires des marchandises offertes à la vente ;

Des considérations qui précèdent, il suit que l'appel n'est pas fondé ;

LES DEMANDES INCIDENTES NOUVELLES

Par conclusions déposées le 31 août 2006, la SPRL TUTTI FRUTTI a formé une demande nouvelle tendant à l'allocation de 1200 euro à titre d'indemnité du chef de frais de défense et d'action téméraire et vexatoire ;

L'appel n'étant pas fondé, cette demande est d'évidence dénuée de fondement ;

Par conclusions déposées le 25 septembre 2006, la SPRL VIGNI a formé une de-mande nouvelle tendant à l'allocation de 1200 euro à titre de frais de défense ; cette demande est recevable ;

Les dispositions de l'arrêté royal du 26 octobre 2007 fixant le tarif des indemnités de procédure visées à l'article 1022 du Code judiciaire et fixant la date d'entrée en vigueur des articles 1er et 13 de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat sont applicables aux affaires en cours à dater du 1er janvier 2008, ce qui est bien le cas en l'espèce, la notion d'«affaires en cours» recouvrant toute cause non encore jugée lors de l'entrée en vigueur des dispo-sitions nouvelles ; (Cass. 27/10/1977, Pas 1978, I, 252) ;

A l'audience du 3 décembre 2007, la cour a invité les parties à s'expliquer - le prononcé de l'arrêt devant intervenir après le 1er janvier 2008 - sur l'incidence de l'entrée en vigueur de la loi du 21 avril 2007 sur la répétibilité des honoraires d'avocat quant aux demandes nouvelles en indemnisation des frais de défense ; les parties s'en sont effectivement expliquées ;

Il sera tenu compte de la demande nouvelle de la SPRL VIGNI dans la taxation des dépens d'appel de l'intimée ;

S'agissant d'une cause portant sur une affaire non évaluable en argent, il convient d'allouer à l'intimée - en application de l'article 3 de l'arrêté royal du 26 octobre 2007 - l'indemnité de base soit 1200 euro ;

Il convient également, à la demande de la SPRL VIGNI, de taxer ses dépens de première instance, non liquidés devant le premier juge; le tarif applicable à ces dé-pens est celui en vigueur au moment de la clôture des débats ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire,

Dans les limites de sa saisine,

Reçoit l'appel et le dit non fondé, en déboute l'appelante ;

Confirme les jugements dont appel sous la précision que les dépens auxquels l'actuelle appelante a été condamnée par le jugement du 25 janvier 2006 sont liquidés à 260,48 EUR selon l'état mentionné dans ses conclusions;

Dit non fondée la demande nouvelle de l'appelante, l'en déboute ;

Reçoit la demande nouvelle de l'intimée ; la dit fondée dans la mesure ci-après :

Condamne l'appelante aux dépens de l'instance d'appel, liquidés pour la SPRL VIGNI à 1370,75 EUR (dont 1200 euro d'indemnité de procédure d'appel + expé-dition [17, 10 euro ] et signification du jugement [153,65 euro ]) ;

Ainsi jugé et prononcé en audience publique civile de la première chambre de la cour d'appel de Mons, le QUATORZE JANVIER DEUX MILLE HUIT, où sont présents :

Madame Martine CASTIN, président,

Monsieur Yves VANTHUYNE, conseiller,

Monsieur Michel LEMAL, conseiller,

Monsieur Eddy GUERET, greffier.

GUERET LEMAL CASTIN VANTHUYNE