Cour constitutionnelle (Cour d'Arbitrage): Arrêt du 13 novembre 2014 (Belgique). RG 166/2014

Date :
13-11-2014
Langue :
Allemand Français Néerlandais
Taille :
5 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20141113-2
Numéro de rôle :
166/2014

Résumé :

La Cour dit pour droit : L'article 36, § 2, 3°, de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d'entreprises ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Arrêt :

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La Cour constitutionnelle,

composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par jugement du 7 novembre 2013 en cause de Maria Wziatka contre le Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 novembre 2013, le Tribunal du travail de Courtrai a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 36, § 2, 3°, de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d'entreprises comporte-t-il une violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il déclare les délais prévus au § 1er non applicables aux travailleurs licenciés qui bénéficient d'une décision rendue au terme d'une procédure judiciaire valablement introduite avant la fermeture et ce, pour les montants découlant de cette décision, alors que les délais prévus au § 1er sont bien d'application aux travailleurs licenciés qui bénéficient d'une transaction conclue valablement avec l'ancien employeur avant la fermeture et ce, pour les montants découlant de cette transaction ? ».

(...)

III. En droit

(...)

B.1. L'article 36, § § 1er et 2, de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d'entreprises, modifié par l'article 17 de la loi du 11 juillet 2006, dispose :

« § 1er. Les dispositions de l'article 35, § § 1er et 2, sont applicables lorsque le contrat de travail a pris fin dans les treize mois précédant les dates fixées conformément aux articles 3 et 4 jusqu'à la fin d'une période de douze mois prenant cours à ces mêmes dates. Pour les travailleurs qui participent aux activités de liquidation de l'entreprise, la période de douze mois prenant cours aux dates fixées conformément aux articles 3 et 4 est portée à trois ans.

§ 2. Les délais prévus au § 1er, ne sont pas d'application pour les travailleurs licenciés :

1° auxquels s'applique le paiement mensuel de l'indemnité de rupture conformément à l'article 39bis de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail pour ce qui concerne uniquement l'indemnité visée à cet article 39bis;

2° qui ont droit à l'indemnité complémentaire de prépension visée à l'article 8;

3° qui bénéficient d'une décision rendue au terme d'une procédure judiciaire valablement introduite avant la fermeture pour les montants découlant de cette décision ».

B.2. Il est demandé à la Cour si l'article 36, § 2, 3°, de la loi du 26 juin 2002 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que les délais visés au paragraphe 1er de cet article ne sont pas applicables aux travailleurs licenciés qui bénéficient d'une décision rendue au terme d'une procédure judiciaire qui a été valablement introduite avant la fermeture de l'entreprise, alors que ces délais sont applicables aux travailleurs licenciés qui bénéficient d'une transaction conclue avec l'ancien employeur avant la fermeture de l'entreprise.

B.3. Il ressort des faits de l'affaire soumise à la juridiction a quo que la travailleuse licenciée et l'employeur ont conclu avant la fermeture de l'entreprise une transaction dans laquelle l'employeur s'est notamment engagé à payer une indemnité mensuelle à la travailleuse durant une période convenue, contrat qui n'a été respecté par l'employeur que jusqu'à la faillite de l'entreprise.

B.4. En vertu de l'article 27 de la loi du 26 juin 2002, il a été créé auprès de l'Office national de l'Emploi un fonds doté de la personnalité juridique dénommé « Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises » (ci-après : le Fonds de fermeture). Le Fonds de fermeture est financé au moyen de cotisations des employeurs et de remboursements - par l'employeur, le curateur ou le liquidateur - des montants payés par le Fonds aux travailleurs licenciés (article 56, alinéa 1er). Les ressources peuvent également consister en un financement de l'Etat fédéral (article 56, alinéa 2).

B.5.1. En vertu de l'article 35, § 1er, de la loi du 26 juin 2002, le Fonds de fermeture a notamment pour mission de payer aux travailleurs les rémunérations dues en vertu des conventions individuelles ou collectives de travail et les indemnités et avantages dus en vertu de la loi ou des conventions individuelles ou collectives de travail lorsqu'en cas de fermeture d'entreprise au sens des articles 3, 4 et 5 de cette loi, l'employeur ne s'acquitte pas de ses obligations pécuniaires envers ses travailleurs. Le législateur vise ainsi à « garantir les droits des travailleurs en cas de fermetures d'entreprises » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1687/001, p. 4).

B.5.2. Par fermeture d'entreprises, il faut en principe entendre, en vertu de l'article 3, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 26 juin 2002, la cessation définitive de l'activité principale de l'entreprise lorsque le nombre de travailleurs est réduit en deçà du quart du nombre de travailleurs qui étaient occupés en moyenne dans l'entreprise au cours des quatre trimestres précédant le trimestre au cours duquel la cessation définitive de l'activité principale de l'entreprise a eu lieu. La fermeture est censée s'opérer le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le nombre de travailleurs occupés est descendu au-dessous du quart de la moyenne visée à l'article 3, § 1er, alinéa 1er.

B.6.1. En vertu de l'article 36, § 1er, de la loi du 26 juin 2002, un travailleur n'a en principe droit à une intervention du Fonds de fermeture que lorsque le contrat de travail a pris fin dans les treize mois précédant la date de fermeture jusqu'à la fin d'une période de douze mois prenant cours à cette même date.

Cette disposition trouve sa source dans la loi du 30 juin 1967 portant extension de la mission du Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d'entreprises. Les travaux préparatoires de cette loi indiquent :

« L'article 3 précise en outre que la rupture du contrat, qui conditionne l'intervention du Fonds en lieu et place de l'employeur, doit se situer dans la période qui englobe les douze [plus tard : treize] mois précédant et les douze mois suivant la fermeture de l'entreprise; [...]

Le but de la disposition de l'article 3 est de garantir le travailleur même dans les cas où l'employeur a étalé dans le temps la cessation de ses activités. Dans cette hypothèse, les différentes ruptures de contrat (qu'il s'agisse de contrats à durée indéterminée ou pour une durée ou un travail déterminés, qu'il s'agisse de travailleurs ayant moins ou plus de cinq ans d'ancienneté dans l'entreprise) sont considérées comme trouvant leur origine dans la perspective ou dans la réalisation de la fermeture de l'entreprise [...] » (Doc. parl., Chambre, 1966-1967, n° 445/1, pp. 2-3).

B.6.2. Il apparaît que le législateur a voulu garantir non seulement les droits des travailleurs licenciés le jour de la fermeture de l'entreprise, mais également ceux des travailleurs dont le licenciement peut être réputé en lien avec la fermeture. Il a considéré qu'il existe un lien entre le licenciement et la fermeture lorsque le licenciement a lieu au cours de certaines périodes avant et après la fermeture.

B.7.1. En vertu de l'article 36, § 2, 3°, de la loi du 26 juin 2002, la condition relative au moment où le licenciement a eu lieu n'est toutefois pas applicable aux travailleurs licenciés qui bénéficient d'une décision rendue au terme d'une procédure judiciaire valablement introduite avant la fermeture pour les montants découlant de cette décision. Par conséquent, les travailleurs salariés qui ont introduit une procédure judiciaire avant la fermeture de l'entreprise ont droit à une intervention du Fonds de fermeture pour les montants qui découlent de la décision de justice, même lorsque le contrat de travail a pris fin avant la période de treize mois visée à l'article 36, § 1er, de la loi du 26 juin 2002.

B.7.2. Les travailleurs licenciés qui, avant la fermeture de l'entreprise, ont conclu avec l'employeur une transaction concernant les montants encore dus n'ont en revanche pas droit à une intervention du Fonds de fermeture lorsque le licenciement a eu lieu avant la période de treize mois visée à l'article 36, § 1er, de la loi du 26 juin 2002.

B.8.1. En vertu de l'article 2044 du Code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation qu'il n'est question de transaction que lorsque les deux parties font des concessions mutuelles pour terminer ou prévenir la contestation qui les oppose (Cass. 31 octobre 2005, Pas., 2005, n° 554).

B.8.2. Les faits de l'affaire soumise au juge a quo font apparaître qu'une transaction a été conclue afin de terminer une contestation née concernant le licenciement d'un travailleur protégé. Bien que la protection contre le licenciement soit en principe d'ordre public, un travailleur licencié peut valablement renoncer à son indemnité de licenciement à partir du moment où la réintégration dans l'entreprise ne peut plus être demandée ou n'a pas été accordée (Cass., 16 mai 2011, Pas., 2011, n° 321) et cette indemnité peut dès lors, dans ces circonstances, également faire l'objet d'une transaction.

B.9. Contrairement à ce que soutiennent le Conseil des ministres et le Fonds de fermeture, les catégories visées dans la question préjudicielle sont suffisamment comparables au regard de la disposition en cause. En effet, dans les deux situations, il s'agit de travailleurs qui ont été licenciés avant la période de référence visée à l'article 36, § 1er, de la loi du 26 juin 2002 et qui ont terminé une contestation née concernant des montants encore dus par l'employeur, dans un cas au moyen d'une transaction, dans l'autre au moyen d'une procédure judiciaire qui a abouti à un jugement.

B.10. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, plus précisément la nature de l'acte dont découlent les prétentions du travailleur licencié à l'égard de son ancien employeur.

B.11.1. Les travaux préparatoires font apparaître que la disposition en cause trouve sa source dans une proposition du Conseil national du travail contenue dans son avis n° 916 du 16 mai 1989 (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1687/001, p. 30).

Cet avis mentionne :

« En introduisant [des] délais dans la loi, le législateur a limité l'intervention du Fonds aux travailleurs dont la fin du contrat de travail est en rapport avec la fermeture d'entreprises.

Dans la pratique, il arrive cependant que les travailleurs dont le contrat de travail a pris fin avant cette période de référence doivent entamer une procédure judiciaire devant les juridictions du travail contre leur ancien employeur afin de réclamer certains arriérés.

Cette procédure étant souvent de longue durée, il est fréquent que ces travailleurs n'obtiennent un jugement définitif qu'au moment où l'entreprise de l'employeur a déjà fait faillite.

En application des dispositions réglementaires précitées, ces travailleurs ne peuvent alors plus faire appel au Fonds pour obtenir le paiement de la somme qui leur a été assignée par décision judiciaire.

Le Conseil souligne que pour ces travailleurs, il y a un rapport direct entre la fermeture de l'entreprise et le fait que l'employeur est dans l'impossibilité de les payer.

C'est pourquoi, le Conseil est d'avis que l'application de l'article 4 doit être étendue à ces travailleurs » (avis n° 916 du 16 mai 1989 du Conseil national du travail, pp. 45-46).

B.11.2. Il apparaît que le législateur a estimé que les travailleurs qui ont été licenciés avant la période de référence visée à l'article 36, § 1er, de la loi du 26 juin 2002 et qui ont engagé avant la fermeture de l'entreprise une procédure judiciaire en vue de préserver leurs droits à l'égard de l'employeur se trouvent dans une situation qui présente un lien suffisant avec la fermeture de l'entreprise pour justifier l'intervention du Fonds de fermeture.

B.12. Les délais dans lesquels les parties parviennent aux concessions mutuelles nécessaires à la conclusion d'une transaction sont, en général, bien inférieurs à la durée d'une procédure en justice aboutissant à un jugement définitif. Certes, lorsque, comme en l'espèce, une transaction conclue avant la fermeture de l'entreprise prévoit que l'employeur s'engage à payer au cours d'une période déterminée une indemnité mensuelle au travailleur licencié et que l'employeur ne peut plus respecter cet engagement par suite d'une faillite il existe un « rapport direct entre la fermeture de l'entreprise et le fait que l'employeur est dans l'impossibilité de [...] payer ».

Il est vrai que, dans les deux situations comparées, un acte juridique est adopté qui met fin à la contestation entre l'employeur et le travailleur et dans lequel le travailleur peut puiser des droits à l'égard de l'employeur. Toutefois, la transaction n'a pas la même portée juridique qu'une décision de justice, notamment parce que cette décision est prise par un juge indépendant et impartial.

B.13.1. Le Conseil des ministres et le Fonds de fermeture font valoir que la différence de traitement en cause est justifiée par le fait que l'employeur et le travailleur pourraient, dans le cadre d'une transaction, anticiper une fermeture potentielle de l'entreprise et pourraient élaborer de mauvaise foi un système permettant d'abuser de l'intervention du Fonds de fermeture.

B.13.2. En vertu de l'article 2053, alinéa 2, du Code civil, une transaction peut être rescindée dans tous les cas où il y a dol ou violence. Toutefois, ces causes de nullité sont relatives. Elles ne protègent donc pas le Fonds de fermeture contre l'éventuelle collusion entre l'employeur et le travailleur.

B.14. Eu égard aux buts poursuivis par le législateur et compte tenu de la nature juridique d'une transaction, la différence de traitement en cause n'est pas sans justification raisonnable.

B.15. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit :

L'article 36, § 2, 3°, de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d'entreprises ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 novembre 2014.

Le greffier,

P.-Y. Dutilleux

Le président,

A. Alen