Cour constitutionnelle (Cour d'Arbitrage): Arrêt du 19 décembre 2013 (Belgique). RG 167/2013

Date :
19-12-2013
Langue :
Allemand Français Néerlandais
Taille :
11 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20131219-2
Numéro de rôle :
167/2013

Résumé :

La Cour dit pour droit : L'article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, tel qu'il a été remplacé par l'article 9 de la loi du 8 juillet 2011, ne viole pas les articles 10, 11, 22 et 191 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les dispositions de droit international invoquées.

Arrêt :

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La Cour constitutionnelle,

composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, et des juges A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet des questions préjudicielles et procédure

a. Par arrêt n° 90.621 du 26 octobre 2012 en cause de Thi Ngoc Anh Ngo contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 novembre 2012, le Conseil du contentieux des étrangers a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 9 de la loi du 8 juillet 2011 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers [en ce qui concerne les conditions dont est assorti le regroupement familial], viole-t-il les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec les articles 18 à 20 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 2, 3, 7, 24 de la Directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 7, 20, 21, 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qu'il crée, sans justification objective et raisonnable, une différence de traitement entre deux catégories de citoyens de l'Union, à savoir les Belges - indifféremment du fait qu'ils aient déjà ou non exercé leur droit à la libre circulation des personnes sur le territoire des autres Etats membres de l'Union européenne - et les autres citoyens de l'Union bénéficiant d'un droit de séjour de plus de trois mois en Belgique, les premiers étant exclus du bénéfice du regroupement familial avec leur conjoint, si ce dernier ou eux-mêmes sont âgés de moins de vingt et un ans ? ».

b. Par arrêt n° 90.068 du 22 octobre 2012 en cause de Issam Gaidi contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 novembre 2012, le Conseil du contentieux des étrangers a posé la question préjudicielle suivante :

« L'article 40ter, al. 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, tel que cet article a été modifié par l'article 9 de la loi du 8 juillet 2011 publiée au MB du 12/09/2011, viole-t-il les articles 10, 11, 22 et 191 de la Constitution lus ou non en combinaison avec les articles 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction de discrimination) de la Convention européenne des droits de l'Homme, avec l'article 3 de son Protocole n° 4, avec l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 18, 20 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), avec les articles 2, 7 et 8 de la Directive 2004/38/CE du 29/04/2004 relative aux droits des citoyens de l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, en ce qu'il crée une discrimination entre le conjoint étranger (ou autres membres de la famille) d'un Belge - indifféremment du fait que celui-ci ait déjà ou non exercé son droit à la libre circulation des personnes - et le conjoint étranger (ou autres membres de la famille) d'un citoyen de l'Union en ce qu'il assortit le droit au regroupement familial du conjoint d'un Belge de conditions d'octroi en termes de logement suffisant et de ressources plus strictes que pour les conjoints (ou autres membres de la famille) d'un citoyen de l'Union qui relèvent du régime plus favorable de l'article 40bis de la loi du 15 décembre 1980 ? ».

Ces affaires, inscrites sous les numéros 5512 et 5513 du rôle de la Cour, ont été jointes.

(...)

III. En droit

(...)

Quant à la disposition en cause

B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 9 de la loi du 8 juillet 2011 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers en ce qui concerne les conditions dont est assorti le regroupement familial.

B.1.2. La disposition en cause remplace l'article 40ter de la loi précitée du 15 décembre 1980, qui dispose désormais :

« Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux membres de la famille d'un Belge, pour autant qu'il s'agisse :

- de membres de la famille mentionnés à l'article 40bis, § 2, alinéa 1er, 1° à 3°, qui accompagnent ou rejoignent le Belge;

- de membres de la famille mentionnés à l'article 40bis, § 2, alinéa 1er, 4°, qui sont les père et mère d'un Belge mineur, qui établissent leur identité au moyen d'un document d'identité et qui accompagnent ou rejoignent le Belge.

En ce qui concerne les membres de la famille visés à l'article 40bis, § 2, alinéa 1er, 1° à 3°, le ressortissant belge doit démontrer :

- qu'il dispose de moyens de subsistance stables, suffisants et réguliers. Cette condition est réputée remplie lorsque les moyens de subsistance sont au moins équivalents à cent vingt pour cent du montant visé à l'article 14, § 1er, 3°, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale. L'évaluation de ces moyens de subsistance :

1° tient compte de leur nature et de leur régularité;

2° ne tient pas compte des moyens provenant de régimes d'assistance complémentaires, à savoir le revenu d'intégration et le supplément d'allocations familiales, ni de l'aide sociale financière et des allocations familiales;

3° ne tient pas compte des allocations d'attente ni de l'allocation de transition et tient uniquement compte de l'allocation de chômage pour autant que le conjoint ou le partenaire concerné puisse prouver qu'il cherche activement du travail.

- qu'il dispose d'un logement décent qui lui permet de recevoir le ou les membres de sa famille qui demandent à le rejoindre et qui remplit les conditions posées à un bien immeuble donné en location à titre de résidence principale comme prévu à l'article 2 du Livre III, Titre VIII, Chapitre II, Section 2 du Code civil, et qu'il dispose d'une assurance maladie couvrant les risques en Belgique pour lui-même et les membres de sa famille. Le Roi détermine, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, la manière dont l'étranger apporte la preuve que le bien immeuble remplit les conditions requises.

En ce qui concerne les personnes visées à l'article 40bis, § 2, alinéa 1er, 1°, les conjoints ou partenaires doivent tous deux être âgés de plus de vingt et un ans.

Aux conditions mentionnées à l'article 42ter et à l'article 42quater, il peut également être mis fin au séjour du membre de la famille d'un Belge lorsque les conditions prévues à l'alinéa 2 ne sont plus remplies ».

B.1.3. Différentes propositions de loi sont à l'origine de la loi du 8 juillet 2011 (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0443/018, rapport, pp. 1 et suivantes). Elles ont pris ensuite la forme d'un « amendement global » (ibid., DOC 53-0443/015) qui est devenu le texte de base.

B.1.4. Au cours des travaux préparatoires, il a été souligné qu'en Belgique, plus de 50 p.c. des visas délivrés concernent le regroupement familial, qui constitue la première source d'immigration légale.

Les différentes propositions de loi confirment que le droit à la protection de la vie familiale est une valeur sociale importante et que la migration par le biais du regroupement familial doit être possible. Elles visent toutefois à mieux réguler l'octroi d'un droit de séjour dans le cadre du regroupement familial afin de maîtriser les flux et la pression migratoires. Elles tendent principalement à prévenir ou à décourager certains abus ou cas de fraudes, notamment par les mariages blancs, les partenariats de complaisance et les adoptions fictives. De plus, la nécessité d'encadrer les conditions du regroupement familial a été voulue afin d'éviter que les membres de la famille qui viennent s'établir en Belgique ne tombent à charge des autorités ou que le regroupement familial ne se déroule dans des circonstances contraires à la dignité humaine, par exemple du fait de l'absence d'un logement décent. Enfin, les travaux préparatoires ont à plusieurs reprises attiré l'attention sur le fait que le législateur doit tenir compte des obligations découlant du droit de l'Union européenne lorsqu'il règle les conditions du regroupement familial.

Quant à l'absence de disposition transitoire

B.2.1. Il ressort des motifs de la décision de renvoi dans l'affaire n° 5513 que le Conseil du contentieux des étrangers interroge la Cour au sujet de l'absence de disposition transitoire réglant l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation introduite par la disposition en cause, ce qui a pour conséquence, selon le juge a quo, qu'elle s'applique à l'étranger dont la demande de reconnaissance de droit de séjour sur la base du regroupement familial a été introduite avant l'entrée en vigueur de la disposition en cause et est toujours pendante au moment de cette entrée en vigueur.

La Cour est invitée à examiner la compatibilité de la situation de cet étranger avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution en la comparant à la situation de l'étranger qui a vu une demande identique être traitée avant la date d'entrée en vigueur de la disposition en cause, en application des anciennes dispositions de l'article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers qui étaient moins strictes que les dispositions introduites par l'article 9 de la loi du 8 juillet 2011 en cause.

B.2.2. La modification d'une loi implique nécessairement que la situation de ceux qui étaient soumis à la loi ancienne soit différente de la situation de ceux qui sont soumis à la loi nouvelle. Une telle différence de traitement n'est pas contraire en soi aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 22 de la Constitution.

B.2.3. Si le législateur estime qu'un changement de politique s'impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et, en principe, il n'est pas tenu de prévoir un régime transitoire. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si l'absence d'une mesure transitoire entraîne une différence de traitement qui n'est pas susceptible de justification raisonnable ou s'il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 2011 évoqués en B.1.4 que le législateur a voulu restreindre l'immigration au moyen du regroupement familial, afin de maîtriser la pression migratoire et de décourager les abus. Les étrangers qui veulent obtenir une admission au séjour doivent tenir compte du fait que la législation sur l'immigration d'un Etat peut être modifiée pour des raisons d'intérêt général. Dans ce contexte, l'entrée en vigueur immédiate de la loi n'est pas sans justification raisonnable.

B.2.4. Pour le surplus, il n'appartient pas à la Cour d'apprécier les conséquences de la modification législative en cause sur le sort des procédures pendantes devant le Conseil du contentieux des étrangers ni de se prononcer sur la question, soulevée par les parties, de l'éventuel effet déclaratif de droit de l'autorisation de séjour sur la base d'un regroupement familial.

Quant aux questions préjudicielles dans les affaires jointes

B.3.1. Les questions préjudicielles posées dans les deux affaires jointes invitent la Cour à examiner la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11, 22 et 191 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 3 du Quatrième Protocole additionnel à cette Convention, avec l'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec les articles 7, 20, 21 et 45 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, avec les articles 18 à 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et avec les articles 2, 3, 7, 8 et 24 de la Directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. Les parties requérantes devant le Conseil du contentieux des étrangers reprochent à la disposition en cause de ne pas traiter de la même manière le conjoint d'un Belge et le conjoint d'un citoyen européen non-Belge séjournant dans le Royaume, ce qui a pour conséquence que ces deux catégories de personnes ne sont plus dans les mêmes conditions quant au droit de séjourner sur le territoire.

B.3.2. L'article 191 de la Constitution dispose :

« Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi ».

L'article 191 de la Constitution, lu isolément, n'est susceptible d'être violé qu'en ce que les dispositions litigieuses établissent une différence de traitement entre certains étrangers et les Belges.

B.3.3. Dans la mesure où il est allégué que le regroupant belge serait traité moins favorablement que le regroupant qui est un ressortissant d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat tiers, cette différence de traitement ne relève pas de l'application de l'article 191 de la Constitution, dès lors que la protection que cette disposition instaure bénéficie aux seuls étrangers et non aux Belges.

B.3.4. Dans la mesure où la situation des membres de la famille d'un Belge est comparée à la situation de membres de la famille d'autres citoyens de l'Union et de ressortissants d'Etats tiers, cette situation ne relève pas davantage de la protection de l'article 191 de la Constitution, dès lors que les catégories de personnes qui sont comparées concernent des étrangers dans chacun des cas visés.

B.3.5. Il ressort de ce qui précède que la question préjudicielle, telle qu'elle est formulée par le Conseil du contentieux des étrangers dans l'affaire n° 5513, n'est pas recevable dans la mesure où elle invoque la violation de l'article 191 de la Constitution.

B.4.1. L'article 40bis et les articles 41 à 47 de la loi du 15 décembre 1980 constituent la transposition en droit interne de la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etat membres. Il ressort de l'article 40bis de la loi du 15 décembre 1980, combiné avec l'article 40 de cette loi, que la première disposition règle le droit de séjour des membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui est ressortissant d'un autre Etat membre.

Lors de l'élaboration de l'article 40bis de la loi du 15 décembre 1980, le législateur devait respecter les obligations en matière de libre circulation des personnes qu'avait contractées l'Etat belge en tant qu'Etat membre de l'Union. Cette disposition constitue ainsi, en ce qui concerne le droit de séjour des ascendants d'un citoyen de l'Union, la transposition en droit interne des obligations incombant au législateur en vertu des articles 3 et 7 de la Directive 2004/38/CE.

B.4.2. Selon la Cour de justice, les droits conférés par la Directive 2004/38/CE aux membres de la famille d'un citoyen de l'Union pour rejoindre ce dernier dans un autre Etat membre sont non pas des droits propres auxdits membres de la famille, mais des droits dérivés qu'ils ont obtenus en leur qualité de membres de la famille d'un citoyen de l'Union qui a fait usage de son droit à la libre circulation (CJUE, 5 mai 2011, C-434/09, McCarthy, point 42; 15 novembre 2011, C-256/11, Dereci, point 55; 8 novembre 2012, C-40/11, Iida, point 67; 8 mai 2013, C-87/12, Ymeraga, point 35). Toujours selon la Cour de justice, « la finalité et la justification desdits droits dérivés se fondent sur la constatation que le refus de leur reconnaissance est de nature à porter atteinte à la liberté de circulation du citoyen de l'Union, en le dissuadant d'exercer [son droit à la libre circulation] » (CJUE, 8 novembre 2012, C-40/11, Iida, point 68; 8 mai 2013, C-87/12, Ymeraga, point 35).

B.4.3. La possibilité pour des membres de la famille d'un citoyen de l'Union de se prévaloir de l'article 40bis de la loi du 15 décembre 1980, afin de rejoindre ce citoyen, vise à permettre que l'un des objectifs fondamentaux de l'Union, à savoir la réalisation de la libre circulation sur le territoire des Etats membres, soit réalisé dans des conditions objectives de liberté et de dignité (considérants 2 et 5 de la Directive 2004/38/CE).

Toutefois, l'article 21 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne soumet la libre circulation du citoyen européen - et par voie de conséquence celle des membres de sa famille - aux « limitations et conditions prévues » notamment par la Directive 2004/38/CE, laquelle subordonne le droit de séjour du citoyen de l'Union à diverses conditions qui ont notamment pour objectif de limiter le regroupement familial aux membres les plus proches de la famille du citoyen de l'Union, de lutter contre les pratiques abusives et de veiller à ce que ce citoyen ou les membres de sa famille ne deviennent pas une charge déraisonnable pour l'Etat d'accueil. Enfin, le 31ème considérant de la directive 2004/38/CE souligne que cette dernière « respecte les droits et libertés fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne », en ce compris le droit à la dignité humaine et le droit à la vie familiale (articles 1er et 7 de la Charte).

B.4.4. L'article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 règle le séjour sur le territoire des membres de la famille d'un ressortissant belge. Comme il a été exposé en B.1.4, la loi du 8 juillet 2011 vise à adapter la politique d'immigration en matière de regroupement familial afin de maîtriser la pression migratoire et de décourager certains abus, dans le respect du droit à la vie familiale.

En outre, il a été souligné qu'il était nécessaire d'assurer que le séjour des membres de la famille se déroule dans des conditions conformes à la dignité humaine. A la lumière de ces objectifs, des mesures ont aussi été jugées nécessaires par rapport aux membres de la famille d'un Belge.

La disposition en cause s'inscrit dès lors dans la volonté du législateur de mener une politique équitable de l'immigration et poursuit un objectif qui est différent de celui sur lequel est fondé le droit de l'Union en matière de libre circulation.

B.4.5. Conformément aux articles 4 et 5 du Traité sur l'Union européenne, les compétences que les traités n'ont pas attribuées à l'Union appartiennent aux Etats membres. Ainsi, les Etats membres sont compétents pour déterminer à quelles conditions les membres de la famille d'un ressortissant national, dont la situation ne présente pas de facteur de rattachement avec le droit européen, peuvent obtenir un titre de séjour. En effet, selon la jurisprudence de la Cour de justice, le droit de l'Union ne s'applique pas à une situation purement interne (CJUE, 5 mai 2011, C-434/09, McCarthy, point 45; 15 novembre 2011, C-256/11, Dereci, point 60).

B.4.6. Les droits conférés aux membres de la famille d'un citoyen de l'Union par la Directive 2004/38/CE et par les articles 40bis et autres de la loi du 15 décembre 1980 sont indissociablement liés à l'exercice, par ce citoyen de l'Union, de son droit à la libre circulation. Selon le paragraphe 1 de son article 3, la Directive 2004/38/CE s'applique à tout citoyen de l'Union qui se rend ou séjourne dans un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu'aux membres de sa famille, tels qu'ils sont définis à l'article 2, point 2), de ladite directive, qui l'accompagnent ou le rejoignent (CJUE, 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, point 39; 15 novembre 2011, C-256/11, Dereci, point 53). La directive n'est pas applicable aux membres de la famille d'un citoyen de l'Union n'ayant jamais fait usage de son droit à la libre circulation et ayant toujours séjourné dans l'Etat membre dont il possède la nationalité (CJUE, 15 novembre 2011, C-256/11, Dereci, point 58; 8 mai 2013, C-87/12, Ymeraga e.a., point 30).

B.5.1. Selon le Conseil des ministres, les Belges n'ayant jamais exercé leur droit à la libre circulation ne pourraient être utilement comparés aux « citoyens de l'Union », dans la mesure où ces derniers bénéficient d'une réglementation spécifique qui est la transposition d'obligations découlant de la directive 2004/38/CE.

B.5.2. Si, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice en la matière, une différence de traitement entre les catégories de personnes visées par les questions préjudicielles défavorable aux citoyens européens n'ayant jamais exercé leur droit à la libre circulation n'est pas susceptible de violer le principe général du droit de l'Union européenne d'égalité et de non-discrimination, en raison des spécificités de cet ordre juridique et de son champ d'application limité, il ne saurait en aller de même au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

En effet, ces articles visent à assurer que les normes applicables dans l'ordre juridique belge respectent le principe d'égalité et de non-discrimination. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine. Parmi les droits et libertés qui doivent être garantis sans discrimination figurent les droits et libertés résultant de dispositions conventionnelles internationales qui lient la Belgique.

L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme interdit notamment toute discrimination dans la jouissance d'un des droits garantis par cette Convention, en ce compris le droit à la vie familiale.

B.5.3. Considérer, comme le propose le Conseil des ministres, que les deux catégories de personnes visées par les questions préjudicielles seraient, par nature, insuffisamment comparables au motif que le législateur a entendu, pour l'une d'entre elles, respecter les obligations qui découlaient de l'entrée en vigueur de la Directive 2004/38/CEE, viderait de sa substance le contrôle d'égalité et de non-discrimination prescrit dans l'ordre juridique interne, même dans ce cas, par les articles 10 et 11 de la Constitution, lus, le cas échéant, en combinaison avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

En effet, lorsqu'une disposition législative impose une différence de traitement entre des personnes qui se trouvent dans des situations analogues, la seule circonstance que cette disposition permet à l'Etat de respecter ses engagements internationaux ne peut suffire à justifier la différence de traitement critiquée (voy. en ce sens, CEDH, 6 novembre 2012, Hode et Abdi c. Royaume-Uni, § 55).

B.5.4. Il appartient dès lors à la Cour de veiller à ce que les règles que le législateur adopte, lorsqu'il transpose le droit de l'Union européenne, n'aboutissent pas à créer, à l'égard des ressortissants nationaux, des différences de traitement qui ne seraient pas raisonnablement justifiées.

B.5.5. Toutefois, lorsque le législateur règle les conditions d'exercice du regroupement familial, applicables à des personnes dans des situations comparables, mais dont une catégorie relève du droit de l'Union, à la différence de l'autre, il peut ne pas avoir à établir une stricte identité de règles, compte tenu de l'objectif poursuivi par la Directive 2004/38/CE et mentionné en B.4.3.

Le respect du principe d'égalité et de non-discrimination entre les « citoyens de l'Union » et les Belges peut autoriser, en raison de la situation particulière de chacune de ces deux catégories de personnes, certaines différences de traitement. Ainsi, le fait que le législateur transpose, à l'égard d'une catégorie de personnes, la réglementation européenne ne saurait violer le principe d'égalité et de non-discrimination au seul motif que le législateur n'étend pas simultanément son application à une catégorie de personnes non soumise à cette réglementation européenne, en l'espèce les membres de la famille d'un Belge n'ayant pas fait usage de son droit à la libre circulation et dont la situation ne présente ainsi pas l'élément de rattachement au droit de l'Union qui est indispensable pour que les membres de la famille visés à l'article 40bis de la loi du 15 décembre 1980 puissent obtenir un droit de séjour en vertu de cette disposition.

Cette différence de traitement doit toutefois pouvoir être raisonnablement justifiée pour être compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.5.6. Dans la mesure où la disposition en cause traite les membres de la famille d'un Belge n'ayant pas usé de son droit à la libre circulation différemment des membres de la famille des citoyens de l'Union visés à l'article 40bis de la loi du 15 décembre 1980, cette différence de traitement repose sur un critère objectif.

La Cour doit toutefois encore examiner si cette différence de traitement est fondée sur un critère pertinent et si elle n'entraîne pas des effets disproportionnés.

Il convient à cet égard de tenir particulièrement compte du droit au respect de la vie familiale, garanti par l'article 22 de la Constitution et par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.6.1. Le souci de contingenter le regroupement familial des Belges part du constat que « la plupart des regroupements familiaux concerne des Belges, nés en Belgique, issus de l'immigration, ou devenus Belges grâce à la loi instaurant une procédure accélérée de naturalisation » (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0443/018, p. 166).

Le législateur a pu raisonnablement tenir compte de ce qu'en raison de plusieurs modifications législatives, l'accès à la nationalité belge a été facilité au cours de ces dernières années, si bien que le nombre de Belges susceptibles d'introduire une demande de regroupement familial au profit des membres de leur famille a sensiblement augmenté.

B.6.2. Bien qu'elle soit la conséquence d'un choix du législateur, cette circonstance permet de justifier la pertinence de la différence de traitement afin de maîtriser les flux migratoires créés par le regroupement familial. A supposer même que certains Etats membres de l'Union européenne aient facilité de la même manière que la Belgique l'accès à leur nationalité, le législateur a pu raisonnablement se fonder sur le fait que le nombre de leurs nationaux résidant en Belgique demeurerait limité et que le séjour de ces derniers est soumis à des conditions plus strictes que le droit de séjour, en principe absolu, du Belge sur le territoire national.

Imposer des conditions de regroupement familial plus strictes à l'égard d'un Belge qu'à l'égard d'un citoyen européen non-Belge apparaît donc comme une mesure pertinente au regard de cet objectif. Pour autant qu'elle y soit proportionnée, la différence de traitement visée dans les questions préjudicielles peut dès lors être justifiée par l'objectif de maîtriser les flux migratoires.

La circonstance que le Belge qui a exercé son droit à la libre circulation échapperait à l'application de ces conditions plus strictes ne remet pas en cause cette conclusion. En effet, dans le cadre d'une politique d'immigration, qui comporte des enjeux complexes et intriqués et qui doit tenir compte des exigences découlant du droit de l'Union européenne, le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation.

B.7.1. La Cour doit encore examiner la proportionnalité de la mesure en cause en tant qu'elle porte sur le regroupement familial d'un conjoint étranger avec un conjoint belge.

B.7.2. L'article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 prévoit la possibilité d'obtenir un séjour dans le cadre du regroupement familial pour le conjoint ou le partenaire d'un ressortissant belge, pour les enfants du ressortissant belge et ceux du conjoint ou partenaire ainsi que pour les deux parents d'un Belge mineur. Cette disposition garantit ainsi le droit à la vie familiale de la famille nucléaire.

B.7.3. La critique de la partie requérante devant le Conseil du contentieux des étrangers dans l'affaire n° 5512 concerne les conditions d'âge imposées par la disposition en cause aux conjoints et partenaires. Alors qu'aucune condition d'âge n'est imposée au « citoyen de l'Union » et à son conjoint à l'article 40bis de la loi du 15 décembre 1980, le conjoint d'un ressortissant belge n'ayant pas exercé sa liberté de circulation ne peut obtenir un titre de séjour, en vertu de l'article 40ter de la loi du 15 décembre 1980, que si lui et le regroupant belge sont âgés au moins de vingt et un ans.

B.7.4. En ce qu'elle n'est pas de nature à empêcher, mais uniquement à différer, l'obtention d'un titre de séjour au profit du conjoint du ressortissant belge n'ayant pas exercé sa liberté de circulation, cette condition n'affecte pas de manière disproportionnée le droit à la vie familiale, d'autant moins qu'elle permet aussi de protéger les jeunes adultes contre les risques de mariages forcés ou de complaisance dans le seul but d'obtenir un titre de séjour pour un des deux conjoints.

B.7.5.1. La critique de la partie requérante devant le Conseil du contentieux des étrangers dans l'affaire n° 5513 concerne les conditions qu'impose la disposition en cause au regroupement familial d'un conjoint étranger avec un conjoint belge en matière de moyens d'existence requis. Dans la question préjudicielle qu'elle suggère de poser, la partie requérante vise aussi la condition en matière de logement.

B.7.5.2. Quant à la différence de traitement soulevée relativement à la condition en matière de logement, cette condition est un élément étranger à l'affaire en cause, l'autorisation de séjour ayant été refusée sur la seule base de la condition en termes de ressources suffisantes. La Cour observe en outre que la partie requérante devant le Conseil du contentieux des étrangers n'a développé aucun élément de fait ou de droit sur cette condition dans le mémoire qu'elle a introduit devant elle.

La réponse à la question préjudicielle n'est, à cet égard, pas utile à la solution du litige devant le Conseil du contentieux des étrangers.

B.7.6. En prévoyant que les moyens de subsistance stables et suffisants du regroupant doivent être au moins équivalents à cent vingt pour cent du montant visé à l'article 14, § 1er, 3°, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l'intégration sociale, le législateur a voulu fixer un montant de référence. Ainsi, cette disposition a pour effet que l'autorité publique qui doit examiner la demande de regroupement familial ne doit pas faire d'examen plus poussé des moyens de subsistance si le regroupant dispose d'un revenu équivalent ou supérieur au montant de référence visé.

La disposition litigieuse n'a pas pour conséquence d'empêcher le regroupement familial si les revenus du regroupant sont inférieurs au montant de référence précité. Dans ce cas, l'autorité compétente doit, selon l'article 42, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980, déterminer dans le cas concret et en fonction des besoins propres du Belge et des membres de sa famille les moyens de subsistance nécessaires pour subvenir à leurs besoins sans que les membres de la famille ne deviennent une charge pour les pouvoirs publics.

B.7.7. En outre, il ne saurait être reproché au législateur d'avoir exigé, dans le cadre d'un regroupement familial avec un Belge n'ayant pas exercé sa liberté de circulation, que celui-ci démontre la régularité et la stabilité de ses ressources puisqu'il ne peut être mis fin à son séjour sur le territoire national lorsque celui-ci ou les membres de sa famille deviennent, au fil du temps, une charge déraisonnable pour l'aide sociale. Il convient par ailleurs de constater que, si le regroupant belge doit démontrer des « moyens de subsistance stables, suffisants et réguliers », tandis que le regroupant qui est « citoyen de l'Union » doit démontrer des « ressources suffisantes », cette dernière condition est appréciée en tenant compte de « la nature et la régularité de ses revenus » (article 40bis, § 4, alinéa 2).

B.7.8. Le législateur a veillé à ce que le risque que les membres de la famille du regroupant belge aient besoin de solliciter, dès le départ ou au cours de leur séjour, une aide sociale pour assurer des conditions de vie conformes à la dignité humaine soit réduit significativement sans pour autant rendre impossible ou exagérément difficile l'exercice du droit à la vie familiale du ressortissant belge. Il a de la sorte assuré un juste équilibre entre l'objectif légitime d'assurer la pérennité du système d'aide sociale, compte tenu de la situation particulière du Belge à cet égard, et le souci de permettre au ressortissant belge n'ayant pas usé de sa liberté de circulation d'exercer son droit à la vie familiale dans des conditions compatibles avec la dignité humaine.

B.8. Compte tenu de ce qui précède, la différence de traitement relative, d'une part, à la condition d'âge et, d'autre part, aux moyens de subsistance, entre le ressortissant belge n'ayant pas fait usage de son droit à la libre circulation ainsi que son conjoint qui souhaite obtenir le regroupement et les autres citoyens de l'Union, n'a pas d'effets disproportionnés.

B.9. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit :

L'article 40ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, tel qu'il a été remplacé par l'article 9 de la loi du 8 juillet 2011, ne viole pas les articles 10, 11, 22 et 191 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les dispositions de droit international invoquées.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 19 décembre 2013.

Le greffier,

F. Meersschaut

Le président,

J. Spreutels