Cour constitutionnelle (Cour d'Arbitrage): Arrêt du 21 mai 2015 (Belgique). RG 66/2015

Date :
21-05-2015
Langue :
Allemand Français Néerlandais
Taille :
9 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20150521-8
Numéro de rôle :
66/2015

Résumé :

La Cour rejette le recours.

Arrêt :

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La Cour constitutionnelle,

composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen,

après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :

I. Objet du recours et procédure

Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 26 mai 2014 et parvenue au greffe le 28 mai 2014, un recours en annulation des articles 2 et 4 de la loi du 7 février 2014 portant des dispositions diverses en matière de bien-être animal, de commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, et de santé des animaux (abrogation du 7° de l'article 3bis, § 2, et insertion d'un article 6bis dans la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux), publiée au Moniteur belge du 28 février 2014, a été introduit par Emmanuel Horwood, l'ASBL « Circus World », Simon Dubois et Teddy Seneca, tous assistés et représentés par Me M. Deweirdt, avocat au barreau de Courtrai.

Par la même requête, les parties requérantes ont demandé également la suspension des mêmes dispositions légales.

Par l'arrêt n° 119/2014 du 30 juillet 2014, publié au Moniteur belge du 24 novembre 2014, la Cour a rejeté la demande de suspension.

(...)

II. En droit

(...)

Quant aux dispositions attaquées

B.1. Les parties requérantes demandent l'annulation des articles 2 et 4 de la loi du 7 février 2014 portant des dispositions diverses en matière de bien-être animal, de commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, et de santé des animaux. Les deux articles attaqués modifient la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux (ci-après : la loi sur le bien-être des animaux).

B.2.1. L'article 2 de la loi du 7 février 2014 dispose :

« Dans l'article 3bis, § 2, de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux, inséré par la loi du 4 mai 1995 et modifié en dernier lieu par la loi du 6 mai 2009, le 7° est abrogé ».

Du fait de cette modification, l'article 3bis de la loi sur le bien-être des animaux dispose actuellement :

« § 1er. Il est interdit de détenir des animaux n'appartenant [pas] aux espèces ou aux catégories mentionnées sur une liste établie par le Roi. Cette liste ne porte pas préjudice à la législation relative à la protection des espèces animales menacées.

§ 2. Par dérogation au § 1er, des animaux d'espèces ou de catégories autres que celles désignées par le Roi peuvent être détenus :

1° dans des parcs zoologiques;

2° dans des laboratoires;

3° a) par des particuliers, à condition qu'ils puissent prouver que les animaux étaient détenus avant l'entrée en vigueur de l'arrêté visé au présent article. Cette preuve ne doit pas être apportée pour la progéniture de ces animaux à condition que celle-ci se trouve chez le premier propriétaire;

b) par des particuliers agréés par le ministre qui a le bien-être des animaux dans ses attributions, sur avis du comité d'experts visé à l'article 5, § 2, deuxième alinéa.

Le Roi fixe la procédure pour l'application du a) et du b). Il fixe également le tarif et les règles pour le payement de la redevance pour la demande de l'agrément mentionné au b). Il peut en outre fixer des conditions particulières pour la détention et l'identification des animaux visés;

4° par des vétérinaires, pour autant que les animaux qui leur sont confiés par tierces personnes soient détenus temporairement pour des soins vétérinaires;

5° par des refuges pour animaux, pour autant qu'il s'agisse d'un hébergement d'animaux saisis, d'animaux dont il est fait abandon ou recueillis dont le détenteur n'a pu être identifié;

6° par des établissements commerciaux pour animaux, pour autant qu'ils détiennent les animaux pour une courte durée et dans la mesure où un accord écrit a été conclu préalablement avec des personnes physiques ou morales visées aux 1°, 2°, 3° b) et 7°;

7° [...]

§ 3. Sans préjudice des dérogations prévues au § 2, le Roi peut interdire à certaines des personnes physiques ou morales énumérées au § 2, la détention d'animaux d'autres espèces ou de catégories qu'Il désigne ».

B.2.2. L'article 4 de la loi du 7 février 2014 dispose :

« Dans la même loi, il est inséré un article 6bis rédigé comme suit :

' Art. 6bis. § 1. Par dérogation à l'article 3bis, la détention et l'utilisation d'animaux dans les cirques et les expositions itinérantes sont interdites.

§ 2. Le Roi fixe la liste des animaux domestiqués qui, par dérogation au § 1er, peuvent être détenus et utilisés dans les cirques et les expositions itinérantes. Il fixe les conditions pour la préservation du bien-être de ces animaux. Ces conditions portent sur les conditions administratives et techniques concernant l'identification des animaux et de leurs propriétaires, la guidance vétérinaire, les soins, l'hébergement, le transport et le statut vaccinal des animaux, la manipulation des animaux, le nombre et la compétence du personnel et les emplacements. ' ».

B.2.3. Les dispositions attaquées interdisent en principe la détention et l'utilisation d'animaux dans les cirques et dans les expositions itinérantes et prévoient une possibilité de dérogation pour les espèces animales domestiquées dont le Roi doit établir la liste, ce qu'Il a fait dans l'arrêté royal du 11 février 2014 modifiant l'arrêté royal du 2 septembre 2005 relatif au bien-être des animaux utilisés dans les cirques et les expositions itinérantes, qui fait l'objet d'un recours en annulation devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat.

B.2.4. En instaurant l'interdiction de détenir et d'utiliser des animaux dans les cirques et les expositions itinérantes, le législateur considère avoir pris une décision non seulement symbolique, mais aussi logique (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3104/003, p. 4) :

« Bien que les cirques et les expositions itinérantes représentaient autrefois une chance unique de montrer des animaux sauvages aux gens, ce rôle est aujourd'hui dépassé. La société impose des exigences élevées en matière de bien-être des animaux et les aspects éducatifs sont maintenant assurés par les zoos, les documentaires animaliers et Internet comme bonnes sources d'information. Pour les animaux domestiqués pour lesquels des normes de bien-être sont imposées, on peut convenir que ces normes doivent encore être renforcées. Bien qu'il n'existe aucune acceptation générale d'une définition des ' animaux domestiqués ', sont en principe concernés les animaux appartenant à des espèces détenues dans le monde entier comme bête de somme, animal de production ou animal de compagnie, qui se sont adaptés à la proximité de l'homme au cours des générations et qui ont subi des changements importants par la sélection de certaines caractéristiques » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3104/001, p. 6).

« Le nombre de questions orales portant sur la matière du bien-être animal a toujours été élevé. A juste titre, des membres font part de leur préoccupation concernant des domaines où le bien-être animal n'est pas respecté, ou pourrait mieux être respecté. Le présent projet de loi s'inscrit dans cette préoccupation constante et propose des actions concrètes. [...]

[...]

Pour la ministre, il ne saurait être justifié de conserver les animaux sauvages dans une telle situation contraire à leur bien-être, simplement pour l'agrément de spectateurs de cirque. La société a changé d'échelle : là où il y a un siècle le cirque signifiait l'ouverture au monde et la confrontation à l'inconnu, désormais l'accès à l'information sur le monde sauvage est démultiplié. Les conditions de vie dans les zoos sont très nettement meilleures à celles des cirques et des autres expositions itinérantes.

En outre, le ' cirque belge ' avec animaux sauvages n'existe plus. Tous ou presque se sont reconvertis vers d'autres activités. Il ne reste sur le territoire belge que quelques cirques ambulants.

[...]

Pour la ministre, il n'existe [en outre] pas de problème au niveau économique. Les établissements actifs en Belgique n'utiliseront simplement plus d'animaux sauvages. Les autres activités restent autorisées » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3104/003, pp. 12-13).

Quant à la recevabilité

B.3.1. Le Conseil des ministres objecte que les parties requérantes ne démontrent pas que les dispositions attaquées peuvent les affecter directement. En effet, les dispositions attaquées n'excluraient pas totalement l'utilisation d'animaux et d'autres activités de cirque restent autorisées.

B.3.2. Les parties requérantes qui organisent des représentations de cirque avec des animaux sauvages en Belgique peuvent être affectées directement par les dispositions attaquées. Elles justifient toutes de l'intérêt requis.

B.4.1. Les parties requérantes font valoir que le Conseil des ministres n'aurait plus intérêt à intervenir dans la procédure d'annulation, étant donné que l'article 24 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 modifiant la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles a transféré la compétence relative au bien-être des animaux aux régions depuis le 1er juillet 2014.

B.4.2. Aucune disposition de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle n'impose au Conseil des ministres de justifier d'un intérêt pour introduire un recours en annulation, des mémoires, des mémoires en réponse ou des mémoires en réplique.

B.5. Les exceptions sont rejetées.

Quant à la violation du principe d'égalité, combiné avec la libre circulation des biens et services

B.6. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 34, 36 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après : TFUE) et avec le principe du raisonnable. L'interdiction d'utiliser des animaux dans les cirques et la liste restreinte des animaux domestiqués autorisés empêcheraient les parties requérantes et leurs contractants de continuer à collaborer. Il serait également difficile pour les cirques d'autres Etats membres européens de donner encore des représentations en Belgique ou de collaborer avec des cirques belges. Les parties requérantes font valoir que le législateur ne donnerait aucune justification quant au fait que les exploitants ou organisateurs de cirques d'autres Etats membres européens ne peuvent donner des représentations avec des animaux sauvages en Belgique.

B.7. Les dispositions législatives interdisant aux cirques et aux expositions itinérantes de détenir et d'utiliser des animaux qui ne sont pas domestiqués sont de nature à entraver, tout au moins indirectement, le commerce intracommunautaire de tels animaux et doivent dès lors être considérées comme une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative en principe interdite par l'article 34 du TFUE (cf. arrêt CJCE, 17 septembre 1998, C-400/96, Harpegnies, point 30; 19 juin 2008, C-219/07, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers VZW e.a., point 22).

Il y a dès lors lieu d'examiner si l'interdiction de principe peut être justifiée sur la base de l'article 36 du même Traité ou sur la base d'autres impératifs, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

B.8. En interdisant par principe aux cirques et aux expositions itinérantes de détenir et d'utiliser des animaux non domestiqués, le législateur vise le bien-être des animaux sauvages. La protection du bien-être animal est un but légitime d'intérêt général, dont l'importance a déjà été relevée, notamment lors de l'établissement, par les Etats membres européens, du Protocole n° 33 sur la protection et le bien-être des animaux, annexé au Traité instituant la Communauté européenne (JO 1997, C 340, p. 110), dont le contenu a été repris en grande partie dans l'article 13 du TFUE.

Conformément à l'article 36 du TFUE, les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des animaux, à condition que ces interdictions ou restrictions ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les Etats membres.

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice, il est en outre possible de justifier des restrictions à la libre circulation des biens par des impératifs tels que la protection de l'environnement (CJCE, 14 juillet 1998, C-341/95, Bettati, point 62; 12 octobre 2000, C-314/98, Snellers, point 55; 19 juin 2008, C-219/07, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers VZW e.a., point 29).

B.9.1. L'interdiction de principe de détenir des animaux non domestiqués doit être considérée comme nécessaire pour garantir une protection efficace du bien-être de ces animaux. Une telle interdiction s'avère essentielle pour exclure tout risque de maltraitance physique ou psychique.

Le fait que d'autres Etats membres de l'Union européenne appliquent des règles moins strictes que celles qui sont appliquées en Belgique ne signifie pas en soi que l'interdiction de principe est disproportionnée et, partant, incompatible avec le droit de l'Union européenne. La seule circonstance qu'un Etat membre a choisi un système de protection différent de celui adopté par un autre Etat membre ne saurait avoir d'incidence sur l'appréciation de la nécessité et de la proportionnalité des dispositions attaquées (CJCE, 1er mars 2001, C-108/96, Mac Quen e.a., points 33 et 34; 19 juin 2008, C-219/07, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers VZW e.a., point 31).

Une liste négative, qui aurait pour effet que l'interdiction s'appliquerait uniquement aux espèces animales figurant sur cette liste, ne suffirait pas pour atteindre l'objectif de protection ou de respect des intérêts et des exigences du bien-être animal. L'application de telles règles pourrait en effet signifier que tant qu'une espèce animale n'est pas inscrite sur cette liste, l'interdiction de détenir et d'utiliser des animaux de cette espèce ne s'appliquerait pas aux cirques et aux expositions itinérantes, alors qu'aucune évaluation scientifique n'aurait été réalisée qui garantirait que cette détention et cette utilisation ne comportent aucun danger pour la protection de ces intérêts et exigences.

B.9.2. La Cour de justice a jugé, par son arrêt C-219/07 du 19 juin 2008, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers VZW e.a., qu'une réglementation qui soumet la détention de mammifères à l'inscription préalable des espèces auxquelles ils appartiennent sur une liste positive et qui s'applique également aux spécimens d'espèces qui sont légalement détenues dans d'autres Etats membres n'était conforme au droit de l'Union que si plusieurs conditions, exposées par la Cour de justice dans ledit arrêt (points 33-40), étaient remplies. La législation attaquée a toutefois un champ d'application plus limité, étant donné qu'il ne s'agit pas de la détention de mammifères en général, mais exclusivement de la détention et de l'utilisation d'animaux dans les cirques et les expositions itinérantes. En outre, la Commission européenne a pris position quant à la compatibilité d'une interdiction nationale de détenir des animaux sauvages dans les cirques avec la libre prestation des services. Après que la Commission européenne eut engagé une procédure d'infraction à la suite d'une plainte introduite en 2005 par une association de cirques contre une loi autrichienne similaire mais y eut ensuite mis un terme sans motiver cette décision, le directeur de cette association a déposé plainte auprès du médiateur européen. Il ressort de la décision prise par ce dernier (Decision of the European Ombudsman closing his inquiry into complaint 3307/2006/(PB)JMA against the European Commission, http://www.ombudsman.europa.eu/cases/decision.faces/en/4653/html.bookmark) que la Commission européenne a jugé que la décision d'instaurer ou non une interdiction d'utiliser des animaux sauvages dans les cirques devait être laissée aux Etats membres. La Commission européenne a considéré que la loi autrichienne contenait une restriction à la libre prestation des services mais que, eu égard au Protocole relatif à la protection et au bien-être des animaux, annexé au Traité d'Amsterdam, la protection des animaux est un sujet sensible sur lequel les opinions des populations des Etats membres peuvent être très différentes, selon les caractéristiques sociales, culturelles et religieuses de la société concernée, de sorte que les Etats membres sont les mieux placés pour prendre des mesures adaptées (points 25 et 35 de la décision précitée).

B.9.3. L'avis du Conseil du bien-être des animaux « concernant le bien-être des animaux utilisés dans des cirques » montre que les cirques ont du mal à appliquer les normes légales d'hébergement des animaux sauvages. Ces difficultés tiennent à la dynamique spécifique d'un cirque, les multiples déplacements nécessitant une structure d'hébergement démontable, de sorte que des camions aux dimensions réduites font souvent office d'hébergement. Or, les normes minimales d'hébergement fixées dans l'arrêté royal du 2 septembre 2005 sont considérées comme le minimum requis pour garantir le bien-être des animaux dans les cirques. Si ces conditions minimales d'hébergement des animaux sauvages ne peuvent être respectées, le bien-être de ceux-ci ne peut être garanti et le rôle éducatif qu'ils jouent pour le public ne peut être rempli, étant donné que ces animaux ne peuvent présenter un comportement normal.

B.9.4. Le législateur pouvait donc raisonnablement constater que le fait d'imposer des normes minimales aux cirques et aux expositions itinérantes n'a pas permis de garantir le niveau minimum de bien-être qu'il souhaitait atteindre, de sorte qu'il n'était désormais pas possible de prendre une mesure moins restrictive que de limiter la détention et l'utilisation d'animaux dans les cirques aux espèces dont la pratique a démontré qu'elles pouvaient être détenues par des cirques sans courir trop de risques en ce qui concerne leur bien-être.

B.9.5. Lorsqu'une question relative à l'interprétation du droit de l'Union européenne est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours en vertu du droit national, cette juridiction est tenue de poser la question à la Cour de justice, conformément à l'article 267, alinéa 3, du TFUE. Ce renvoi n'est toutefois pas nécessaire lorsque la juridiction a constaté « que la question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition communautaire en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l'application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » (CJCE, 6 octobre 1982, C-283/81, CILFIT, point 21).

Etant donné qu'il est satisfait à cette dernière condition, il n'est pas nécessaire de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suggérées par les parties requérantes.

B.9.6. Le premier moyen n'est pas fondé.

Quant à la violation du principe d'égalité, combiné avec la liberté de commerce et d'industrie

B.10. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec la liberté de commerce et d'industrie telle qu'elle est notamment prévue à l'article 23 de la Constitution. Les parties requérantes font valoir que les exploitants et les organisateurs de cirques ne peuvent plus utiliser ni détenir d'animaux sauvages, alors que ces derniers constituent un pôle d'attraction pour les visiteurs des cirques; il devient aussi difficile pour les cirques d'autres Etats membres de l'Union européenne de donner encore des représentations en Belgique ou de collaborer avec des cirques belges. La liberté de commerce et d'industrie serait de ce fait restreinte de manière illégitime.

B.11.1. Le moyen invoque « la liberté de commerce et d'industrie telle qu'elle est notamment prévue à l'article 23 de la Constitution ».

L'article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution dispose :

« Ces droits comprennent notamment :

1° le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective ».

Cette disposition inclut le droit au libre choix d'une activité professionnelle parmi les droits économiques, sociaux et culturels.

B.11.2. Il ressort des travaux préparatoires de l'article 23 de la Constitution que le Constituant n'a pas entendu consacrer la liberté de commerce et d'industrie ou la liberté d'entreprendre dans les notions de « droit au travail » et de « libre choix d'une activité professionnelle » (Doc. parl., Sénat, SE 1991-1992, n° 100-2/3°, p. 15; n° 100-2/4°, pp. 93 à 99; n° 100-2/9°, pp. 3 à 10). Une telle approche découle également du dépôt de différentes propositions de « révision de l'article 23, alinéa 3, de la Constitution, en vue de le compléter par un 6° garantissant la liberté de commerce et d'industrie » (Doc. parl., Sénat, 2006-2007, n° 3-1930/1; Sénat, SE 2010, n° 5-19/1; Chambre, 2014-2015, DOC 54-0581/001).

B.11.3. Le moyen, en ce qu'il est pris de la violation de l'article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution, n'est pas fondé.

B.11.4. L'article II.3 du Code de droit économique dispose :

« Chacun est libre d'exercer l'activité économique de son choix ».

B.11.5. La Cour n'est pas compétente pour contrôler des dispositions législatives au regard de dispositions législatives qui ne sont pas des règles répartitrices de compétence.

B.11.6. La loi du 28 février 2013, qui a introduit l'article II.3, précité, du Code de droit économique, a abrogé le décret dit d'Allarde des 2-17 mars 1791. Ce décret, qui garantissait la liberté de commerce et d'industrie, a servi régulièrement de norme de référence à la Cour dans son contrôle du respect des articles 10 et 11 de la Constitution.

B.11.7. La liberté d'entreprendre, visée par l'article II.3 du Code de droit économique, doit s'exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l'union économique et de l'unité monétaire tel qu'établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code).

La liberté d'entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositions de droit de l'Union européenne applicables, ainsi qu'avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, en tant que règle répartitrice de compétence.

Enfin, la liberté d'entreprendre est également garantie par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

B.11.8. Par conséquent, la Cour est compétente pour contrôler les dispositions attaquées au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec la liberté d'entreprendre.

B.12.1. Le législateur dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu pour déterminer sa politique dans les matières socio-économiques. Toutefois, s'il entend restreindre la liberté d'entreprendre, le législateur doit tenir compte des dispositions applicables du droit de l'Union européenne.

B.12.2. Il ressort de la réponse au premier moyen que la mesure n'est pas sans justification raisonnable.

B.13. Le second moyen n'est pas fondé.

Quant à la violation du principe d'égalité, combiné avec le principe de la sécurité juridique et avec le principe de la confiance légitime

B.14. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les principes de la sécurité juridique et avec le principe de la confiance légitime. Selon les parties requérantes, il n'est prévu aucune mesure transitoire, de sorte que l'interdiction est entrée en vigueur dix jours après la publication de la loi attaquée au Moniteur belge. Il n'y a pas eu non plus de concertation préalable avec le secteur des cirques, de sorte que ceux-ci n'étaient pas avertis et qu'ils n'ont pu s'organiser.

B.15.1. Si le législateur estime qu'un changement de politique s'impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et il n'est pas tenu, en principe, de prévoir un régime transitoire. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si le régime transitoire ou l'absence d'un tel régime entraîne une différence de traitement non susceptible de justification raisonnable ou s'il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime. Tel est le cas lorsqu'il est porté atteinte aux attentes légitimes d'une catégorie déterminée de justiciables sans qu'un motif impérieux d'intérêt général puisse justifier l'absence d'un régime transitoire établi à leur profit.

B.15.2. En l'espèce, les parties requérantes ne pouvaient raisonnablement s'attendre à ce que, eu égard à l'évolution de la société, au fait que celle-ci impose des exigences de plus en plus strictes en matière de bien-être animal et au fait que les aspects éducatifs relatifs à la faune sauvage sont assumés par les jardins zoologiques, les documentaires consacrés à la nature et Internet, des animaux sauvages puissent être exhibés indéfiniment dans un cirque ou une exposition itinérante. Une interdiction générale de détenir des animaux sauvages, à l'exception, notamment, des cirques et des expositions itinérantes, existait déjà avant la modification législative. Les cirques et les expositions itinérantes n'apportant pas de plus-value suffisante sur le plan éducatif et eu égard également à l'enquête réalisée par le Conseil du bien-être des animaux et à l'avis qui s'en est suivi, cette exception n'est plus raisonnablement justifiée.

B.16. Le troisième moyen n'est pas fondé.

Quant à la violation du principe d'égalité

B.17. Dans le quatrième moyen, les parties requérantes allèguent la violation des articles 10 et 11 de la Constitution parce que l'interdiction instaurée par la législation attaquée ne s'applique pas aux jardins zoologiques et parcs animaliers, sans qu'une justification raisonnable existe à cet égard.

B.18.1. Le Conseil des ministres estime qu'il ne serait pas question d'une différence de traitement entre des situations équivalentes. Les jardins zoologiques et les cirques ne seraient pas suffisamment comparables à la lumière des dispositions attaquées.

B.18.2. Bien que l'on puisse admettre que la détention d'animaux ne se fait pas dans les mêmes circonstances dans les deux types d'institutions, ce constat n'empêche pas que les cirques, les jardins zoologiques et les parcs animaliers soient suffisamment comparables en ce qui concerne la détention d'animaux sauvages. Les deux catégories d'institutions disposaient en effet, avant la modification législative attaquée, de l'autorisation légale de détenir des animaux sauvages, sans que l'autorité ait fixé des conditions distinctes en la matière.

B.19.1. La différence de traitement repose toutefois sur un critère objectif qui est pertinent. Dans les jardins zoologiques, les conditions d'hébergement des animaux sauvages imposées par l'autorité sont mieux respectées, non seulement parce qu'aucun déplacement n'est nécessaire, mais aussi parce que l'absence de déplacement permet un contrôle bien plus aisé du respect des conditions d'hébergement. En ce qui concerne les cirques, en revanche, les multiples déplacements et l'espace disponible bien plus restreint ne permettent pas de garantir à tout moment un hébergement adéquat des animaux sauvages.

En outre, les jardins zoologiques doivent aussi obtenir un agrément, accordé par le ministre compétent, pouvant être soumis à des restrictions et susceptible d'être retiré à tout moment ou suspendu s'il n'est plus satisfait aux conditions.

B.19.2. La mesure attaquée n'a pas d'effets disproportionnés. Les cirques et expositions itinérantes visés peuvent toujours utiliser des animaux domestiqués, tels qu'ils sont énumérés dans l'annexe à l'arrêté royal précité du 2 septembre 2005. En outre, rien ne les empêche de développer d'autres activités de cirque.

B.20. Le quatrième moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs,

la Cour

rejette le recours.

Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 mai 2015.

Le greffier,

P.-Y. Dutilleux

Le président,

A. Alen