Cour de cassation: Arrêt du 14 mai 2010 (Belgique). RG F.08.0051.F
- Section :
- Jurisprudence
- Source :
- Justel F-20100514-3
- Numéro de rôle :
- F.08.0051.F
Résumé :
L'avis de rectification, dont l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 impose l'envoi, a pour but de permettre au contribuable de présenter ses observations ou de marquer son accord en connaissance de cause sur l'imposition envisagée (1). (1) Voir les conclusions du ministère public.
Arrêt :
N° F.08.0051.F
P. S.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est fait élection de domicile.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2008 par la cour d'appel de Liège.
Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 346, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, modifié par la loi du 6 juillet 1994 ;
- articles 355, alinéa 1er, 356, alinéa 1er, et 414, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, modifié par la loi du 15 mars 1999.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté qu'en vertu d'un contrat conclu avec la société M.A.P., la demanderesse a donné en location à celle-ci un concept d'émission radiophonique pour un loyer mensuel de 260.000 francs ; que, dans ses déclarations à l'impôt des personnes physiques des exercices d'imposition 1999, 2000 et 2001, la demanderesse a déclaré les redevances perçues en vertu de ce contrat pendant les années 1998, 1999 et 2000 au titre de revenus de la concession de biens mobiliers, sous déduction du forfait de charges de 85 p.c. prévu par l'article 4, 2°, c), de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 ; qu'à la suite d'une première procédure d'imposition qui a été annulée pour des raisons de forme, l'administration a adressé de nouveaux avis de rectification relatifs aux exercices d'imposition 1999, 2000 et 2001 indiquant que les impositions établies sur la base des revenus déclarés seraient redressées et que le montant des redevances serait imposé au titre de rémunérations, de sorte que le montant des rémunérations déclarées par la demanderesse serait majoré de 3.120.000 francs pour la période imposable 1998, 3.278.864 francs pour la période imposable 1999 et 3.358.296 francs pour la période imposable 2000 ; que des suppléments d'impôt des exercices fiscaux 1999, 2000 et 2001 ont été enrôlés sur la base de ces montants, sous déduction des charges forfaitaires afférentes aux revenus d'employé ; que, devant la cour d'appel comme devant le tribunal, le défendeur a admis que les revenus litigieux étaient des revenus mobiliers mais a soutenu que le montant des charges forfaitaires déduit par la demanderesse devait être de 15 p.c. et non de 85 p.c. ; que le premier juge a rejeté cette thèse et a dégrevé les suppléments d'impôt litigieux,
l'arrêt, réformant la décision du premier juge, « dit pour droit que la taxation des redevances doit être opérée à titre de revenus mobiliers diminués des charges forfaitaires de 15 p.c. conformément à l'article 3 de l'arrêté [d'exécution du Code des impôts sur les revenues 1992] » et dégrève en conséquence partiellement les suppléments d'impôt des exercices d'imposition 1999, 2000 et 2001 après avoir rejeté la thèse de la demanderesse selon laquelle ces suppléments d'impôt, enrôlés à la suite d'avis de rectification selon lesquels les redevances litigieuses constituaient des rémunérations et étaient imposables à ce titre, devaient être intégralement annulés.
L'arrêt fonde le rejet de ce moyen d'annulation sur les motifs suivants :
La demanderesse « reproche à tort à l'administration d'avoir violé l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992. Les avis de rectification ne laissent aucun doute sur la position de l'administration quant à sa volonté de taxer les redevances, non sur un revenu net de 15 p.c. déclaré comme tel mais bien sur les 100 p.c. de celui-ci puisque les montants bruts sont repris dans les différents avis [...]. L'administration a indiqué vouloir taxer le revenu brut, diminué des charges forfaitaires progressives [lire : dégressives] par tranches sur les revenus d'employé, ce qui implique évidemment qu'elle a contesté la déduction des charges au taux constant de 85 p.c. invoqué par [la demanderesse]. Les avis étaient manifestement correctement motivés et permettaient à [la demanderesse] de connaître l'intention de l'administration d'effectuer un important redressement détaillé en chiffres, ce qui a permis au conseil [de la demanderesse] de développer une abondante argumentation en réponse ».
Griefs
1. Aux termes de l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992, « lorsque l'administration estime devoir rectifier le revenu et les autres éléments que le contribuable a [...] mentionnés dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délai prévues aux articles 307 à 311 [...], elle fait connaître à celui-ci, par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés [...] en indiquant les motifs qui lui paraissent justifier la rectification ».
La motivation prescrite par cette disposition est une formalité substantielle, prescrite à peine de nullité de l'avis et, partant, de l'imposition qui y fait suite. Elle est destinée à mettre le contribuable en mesure de présenter ses observations ou, éventuellement, de marquer son accord en connaissance de cause sur l'imposition envisagée.
La loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs impose que ces actes fassent l'objet d'une motivation consistant dans les « considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision » et que cette motivation soit « adéquate ». Si cette disposition, qui prescrit cette formalité substantielle à peine de nullité, n'est pas applicable à l'avis de rectification de la déclaration en matière d'impôts sur les revenus, c'est que l'article 346 précité, comme l'article 351 (avis d'imposition d'office), impose à l'autorité administrative des obligations aussi contraignantes que celles prescrites par les articles 2 et 3 de ladite loi (Cass., 10 novembre 2000, F.98.0127.N, F.J.F., 2001/4).
2. En l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que l'enrôlement des suppléments d'impôt litigieux a été précédé d'avis de rectification selon lesquels les redevances perçues par la demanderesse constituaient, non des revenus mobiliers, mais des rémunérations imposables sur leur montant brut diminué des charges forfaitaires afférentes aux rémunérations d'employé. Si cette motivation permettait à la demanderesse de contester la qualification de revenus professionnels, elle ne lui permettait pas de se défendre contre la thèse que le défendeur allait soutenir ultérieurement selon laquelle les redevances perçues par la demanderesse devaient bien être imposées au titre de revenus mobiliers mais sous déduction d'un forfait de charges de 15 p.c. et non de 85 p.c. Contrairement à ce qui est dit dans l'arrêt, les avis de rectification n'étaient pas « correctement motivés » par rapport aux impositions reconnues justifiées par la cour d'appel.
3. Dès lors, si, à la suite de la réponse de la demanderesse aux avis de rectification qui annonçaient que les revenus litigieux seraient taxés au titre de revenus professionnels, le fonctionnaire taxateur s'était aperçu de son erreur mais avait estimé que le forfait des charges déductibles applicables aux revenus mobiliers déclarés était, non de 85 p.c., mais de 15 p.c., il aurait dû adresser à la demanderesse de nouveaux avis de rectification comportant une motivation adéquate avant d'établir des suppléments d'imposition sur ce fondement, faute de quoi les suppléments d'impôt enrôlés auraient été nuls.
Si, à la suite des réclamations de la demanderesse contre les impositions des redevances au titre de revenus professionnels, le directeur avait reconnu qu'il s'agissait de revenus de biens mobiliers mais avait considéré que le forfait de frais déductibles n'était pas de 85 p.c. mais de 15 p.c., il aurait dû annuler les suppléments d'impôt enrôlés. Toutefois, l'administration aurait pu, ensuite, établir des cotisations nouvelles après envoi de nouveaux avis de rectification comportant une motivation adéquate, par application de l'article 355 du Code des impôts sur les revenus 1992, qui vise précisément une telle hypothèse : « lorsqu'une imposition a été annulée pour n'avoir pas été établie conformément à une règle légale autre qu'une règle relative à la prescription, l'administration peut, même si le délai fixé pour l'établissement de la cotisation est alors écoulé, établir à charge du même redevable une cotisation en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition, dans les trois mois de la date à laquelle la décision du directeur des contributions [...] n'est plus susceptible de recours en justice ».
De même, lorsque, comme en l'espèce, à la suite du recours judiciaire de la demanderesse, le juge [tribunal ou cour d'appel] estime qu'il s'agit bien de revenus de biens mobiliers mais que la quotité forfaitaire de frais déductibles n'est pas de 85 p.c. mais de 15 p.c., il doit pareillement annuler les cotisations par lesquelles les redevances ont été taxées à titre de revenus professionnels parce que la motivation des avis de rectification qui ont précédé les enrôlements n'est pas adéquate. Le cas échéant, le juge ordonnera la réouverture des débats pour permettre à l'administration d'enrôler une cotisation subsidiaire, par application de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, qui dispose, à la suite de la modification apportée par la loi du 15 mars 1999 : « Lorsqu'une décision du directeur des contributions [...] fait l'objet d'un recours en justice, et que la juridiction saisie prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, l'administration peut, même en dehors des délais prévus aux articles 353 et 354, soumettre à l'appréciation de la juridiction saisie qui statue sur cette demande une cotisation subsidiaire à charge du même redevable et en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition que la cotisation initiale ». (Cette disposition, modifiée par la loi du 15 mars 1999 et applicable à partir de l'exercice d'imposition 1999, est toutefois limitée à l'hypothèse où le recours est dirigé contre une décision du directeur. Or, dans la présente espèce, le directeur n'a pas statué sur les réclamations de la demanderesse dans le délai légal, de sorte que la demanderesse a saisi directement le tribunal de son recours contre les cotisations litigieuses).
En refusant d'annuler les impositions litigieuses et en se bornant à les dégrever partiellement, l'arrêt viole dès lors les articles 346, 355 et 356 du Code des impôts sur les revenus 1992.
L'arrêt a en outre pour effet que les intérêts de retard dus par la demanderesse sur les suppléments d'impôt ainsi réduits courent à partir du premier jour du mois qui suit l'échéance des suppléments d'impôt enrôlés (Code des impôts sur les revenus 1992, article 414) alors que ceux-ci n'ont pas été précédés d'avis de rectification adéquatement motivés. L'arrêt viole dès lors en outre l'article 414 du Code des impôts sur les revenus 1992.
La décision de la Cour
En vertu de l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992, lorsque l'administration estime devoir rectifier les revenus et les autres éléments que le contribuable a soit mentionnés dans une déclaration répondant aux conditions de forme et de délais prévues aux articles 307 à 311 ou aux dispositions prises en exécution de l'article 312, soit admis par écrit, elle fait connaître à celui-ci, par lettre recommandée à la poste, les revenus et les autres éléments qu'elle se propose de substituer à ceux qui ont été déclarés ou admis par écrit en indiquant les motifs qui lui paraissent justifier la rectification.
L'avis dont cette disposition impose l'envoi a pour but de permettre au contribuable de présenter ses observations ou de marquer son accord en connaissance de cause sur l'imposition envisagée.
Du seul fait que d'autres motifs sont par la suite retenus par l'administration et considérés par la cour d'appel comme justifiant la rectification, il ne se déduit pas que l'avis n'était pas régulièrement motivé.
L'arrêt constate que l'enrôlement des suppléments d'impôt litigieux a été précédé d'avis de rectification suivant lesquels les redevances perçues par la demanderesse constituaient, non des revenus mobiliers, mais des rémunérations imposables sur leur montant brut diminué des charges forfaitaires afférentes aux rémunérations d'employé, et que le défendeur a ensuite admis que lesdites redevances devaient être imposées au titre de revenus mobiliers, mais sous déduction d'un forfait de charges de 15 p.c. et non de 85 p.c., comme la demanderesse le soutenait.
En considérant que « les avis de rectification ne laissent aucun doute sur la position de l'administration quant à sa volonté de taxer les redevances non sur un revenu net de 15 p.c. déclaré comme tel mais bien sur les 100 p.c. de celui-ci puisque les montants bruts sont repris dans les différents avis [...], que l'administration a indiqué vouloir taxer le revenu brut diminué des charges forfaitaires progressives [lire : dégressives] par tranche sur les revenus d'employé, ce qui implique évidemment qu'elle a contesté la déduction de charges au taux constant de 85 p.c. invoqué » par la demanderesse et « que les avis étaient manifestement motivés et permettaient à [la demanderesse] de connaître l'intention de l'administration d'effectuer un important redressement détaillé en chiffres, ce qui a permis au conseil de [la demanderesse] de développer une abondante argumentation en réponse », l'arrêt justifie légalement sa décision d'accorder les dégrèvements qu'il indique.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent cinquante-trois euros vingt-neuf centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent quarante euros septante-neuf centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Christian Storck, les conseillers Albert Fettweis, Sylviane Velu, Martine Regout et Gustave Steffens, et prononcé en audience publique du quatorze mai deux mille dix par le président Christian Storck, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.