Cour de cassation: Arrêt du 17 mai 2010 (Belgique). RG S.09.0038.N

Date :
17-05-2010
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
7 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20100517-6
Numéro de rôle :
S.09.0038.N

Résumé :

Le juge peut écarter l'application du principe général du droit de la non-rétroactivité des lois lorsque l'application de ce principe est inconciliable avec la volonté explicite du législateur, sauf si la Cour constitutionnelle a constaté que la disposition légale litigieuse viole la Constitution.

Arrêt :

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N° S.09.0038.N

1. M. J.

2. M. D.,

Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,

contre

OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI,

Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2009 par la cour du travail de Bruxelles.

Le conseiller Koen Mestdagh a fait rapport.

L'avocat général Ria Mortier a conclu.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution coordonnée ;

- article 780, alinéa 1er, 3°, du Code judiciaire ;

- article 2 du Code civil ;

- principe général du droit de la non-rétroactivité des lois, tel qu'il est consacré à l'article 2 du Code civil ;

- pour autant que de besoin, articles 60 (dans la version antérieure à sa modification par la loi du 31 juillet 1984), 61 (dans la version antérieure à sa modification par la loi du 31 juillet 1984), 62 (dans la version antérieure et postérieure à sa modification par la loi du 7 novembre 1987 et dans la version antérieure à sa modification par la loi du 30 décembre 1988), 64, 65, 67, 68, 71 et 73 de la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires ;

- et pour autant que de besoin, articles 4 et 6 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires.

Décisions et motifs critiqués

Par l'arrêt attaqué rendu le 15 janvier 2009, la septième chambre de la cour du travail de Bruxelles déclare l'appel principal recevable mais non fondé et confirme le jugement du premier juge. Elle déclare l'appel incident fondé.

Le demandeur est condamné au paiement de : 1) une somme de 11.518, 22 euros à titre de cotisation spéciale de sécurité sociale pour l'année 1982, majorée des intérêts de retard légaux, calculés au taux mensuel de 1,25 p.c. du 1er décembre 1982 au 31 janvier 1988 inclus et au taux mensuel de 0,8 p.c. du 1er février 1988 jusqu'au mois du dernier paiement inclus, et de : 2) une somme de 4.458, 81 euros à titre de cotisation spéciale de sécurité sociale pour l'année 1983, majorée des intérêts de retard légaux, calculés au taux mensuel de 1,25 p.c. du 1er décembre 1983 au 31 janvier 1988 inclus et au taux mensuel de 0,8 p.c. du 1er février 1988 jusqu'au mois du dernier paiement inclus.

La demanderesse est condamnée au paiement d'une somme de 22, 46 euros à titre de cotisation spéciale de sécurité sociale pour l'année 1982, majorée des intérêts de retard légaux, calculés au taux mensuel de 1,25 p.c. du 1er décembre 1982 au 31 janvier 1988 inclus et au taux mensuel de 0,8 p.c. du 1er février 1988 jusqu'au mois du dernier paiement inclus.

Les demandeurs sont également condamnés aux dépens des deux instances.

La décision est notamment fondée sur les motifs suivants (...) :

« 1. (Les demandeurs) font valoir que l'assujettissement par la loi du 28 décembre 1983 aux cotisations portant sur les exercices d'imposition 1983 et 1984 est contraire au principe constitutionnel de la non-rétroactivité des lois. Ils soutiennent à cet égard que la cotisation ainsi instaurée constitue en réalité un impôt dont la non-rétroactivité est expressément garantie par l'article 171 de la Constitution.

En ordre subsidiaire, (les demandeurs) font valoir qu'en tout cas, la loi du 28 décembre 1983 ne peut donner cours à des intérêts à partir du 1er décembre de l'année à laquelle les cotisations se rapportent dès lors qu'(ils) n'ont pu être en défaut de payer des cotisations dont la base légale a été fixée le 28 décembre 1983 seulement.

En ordre encore plus subsidiaire, (les demandeurs) font valoir qu'en tout cas, le montant des intérêts doit être réduit dès lors que (le défendeur) a tardé à introduire sa demande et à poursuivre l'examen de cette demande.

2. A l'instar du premier juge, il y a lieu de constater que le principe de la non-rétroactivité des lois est uniquement consacré à l'article 2 du Code civil et non, en tant que tel, par la Constitution. En conséquence, sous la réserve de ce qui est exposé ci-après quant au respect du principe de l'égalité, le législateur peut déroger au principe de la non-rétroactivité des lois. Le juge est tenu d'appliquer une nouvelle loi rétroactivement, si telle est la volonté explicite ou implicite, mais certaine, du législateur (...).

Fût-elle applicable aux cotisations litigieuses, la disposition de l'article 171 de la Constitution qui prévoit que les impôts sont votés annuellement et n'ont force que pour un an, ne saurait écarter l'application de la loi du 28 décembre 1983. En effet, sous la réserve des compétences de la Cour constitutionnelle et de la possibilité de poser des questions préjudicielles, le juge ne peut contrôler les lois à la lumière de la Constitution. Or, la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle ne prévoit pas que la Cour constitutionnelle puisse contrôler l'application de l'article 171 de la Constitution.

Il peut toutefois être fait état d'une violation du principe de l'égalité lorsque, en raison de l'effet rétroactif d'une loi qui rétablit une irrégularité critiquée devant le Conseil (...) d'Etat ou une autre juridiction, le Conseil d'Etat ou le juge ordinaire sont dans l'impossibilité de statuer sur l'éventuelle irrégularité d'une disposition soumise à leur appréciation. Par l'arrêt n° 46 du 15 juin 1993, la Cour constitutionnelle s'est prononcée à cet égard en ce qui concerne la loi du 28 décembre 1983. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a constaté que la différence de traitement, réelle, était cependant objectivement et raisonnablement justifiée. Selon la Cour constitutionnelle, le législateur pouvait légiférer en matière de cotisation spéciale de sécurité sociale, même rétroactivement, dans le but d'exercer une compétence dont il était contesté qu'il l'eût déléguée. La (cour du travail) se rallie à cet arrêt, qui est conforme aux autres décisions de la Cour constitutionnelle (...).

3. C'est également à tort que (les demandeurs) font valoir qu'ils ne pouvaient être obligés d'effectuer un versement provisionnel sur la cotisation due le 1er décembre de l'année pour laquelle la cotisation était due et que les intérêts ne pouvaient davantage prendre cours de plein droit à partir de cette date en vertu de l'article 62 de la loi du 28 décembre 1983.

L'obligation de payer une cotisation provisionnelle était prévue par les arrêtés royaux des 16 juillet 1982 et 30 décembre 1982. Ces arrêtés royaux ont été rapportés par l'article 71 de la loi du 28 décembre 1983 qui a cependant rétabli leur contenu par l'insertion de dispositions similaires, légèrement modifiées, rétroagissant à la date d'entrée en vigueur des arrêtés royaux originaires.

En conséquence, l'obligation d'effectuer un versement provisionnel le 1er décembre de l'année pour laquelle la cotisation est due n'a pas cessé d'exister. Ainsi qu'il a été exposé au point 2, la loi du 28 décembre 1983 pouvait reprendre le contenu des arrêtés royaux des 16 juillet 1982 et 30 décembre 1982 avec effet rétroactif.

Contrairement à ce que (les demandeurs) allèguent, il ne peut être fait état d'une erreur invincible dans leur chef. Comme tous les citoyens, ils connaissaient ou auraient dû connaître l'existence de l'obligation de payer une cotisation (provisionnelle) dès lors que les arrêtés royaux des 16 juin 1982 et 30 décembre 1982 étaient en vigueur à l'époque où les cotisations étaient dues. S'ils ont souhaité l'annulation de ces arrêtés royaux, ils doivent supporter les conséquences de leur spéculation.

4. Conformément aux dispositions de la loi, les intérêts de retard prévus à l'article 62 de la loi du 28 décembre 1983 sont des intérêts qui prennent cours de plein droit à la date à laquelle le versement provisionnel aurait dû être effectué. Le retard dans la détermination du montant définitif de la cotisation est sans incidence. (Les demandeurs) auraient en tout cas pu éviter de payer des intérêts élevés s'ils avaient effectué des versements provisionnels immédiatement après la promulgation de la loi du 28 décembre 1983 ».

Dans la mesure où, par la considération que « ainsi que le premier juge l'a fait, il y a lieu de constater que le principe de la non-rétroactivité des lois est uniquement consacré à l'article 2 du Code civil et non, en tant que tel, par la Constitution » (...), la cour du travail s'approprie également les motifs du premier juge, l'arrêt est également fondé sur les considérations du premier juge, suivant lesquelles (...) »:

'Quant à la rétroactivité invoquée par (les demandeurs), il y a lieu de constater préalablement que l'article 2 du Code civil prévoit que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif. Toutefois, cette disposition ne constitue ni un principe constitutionnel ni un principe général du droit, de sorte que le législateur peut prévoir la rétroactivité dès qu'il l'estime nécessaire (...).

Ainsi, en l'espèce, le législateur a prévu à l'article 73 de la loi du 28 décembre 1983 que les articles 69 et 71 de la loi produisaient leurs effets à partir du 4 août 1982 ».

Griefs

1. Aux termes de l'article 4 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires, qui contient des dispositions relatives à la publication des lois (alinéa 1er) et au caractère obligatoire des lois dans tout le royaume (alinéa 2), les lois sont obligatoires dans tout le royaume le dixième jour après celui de leur publication, à moins que la loi n'ait fixé un autre délai. L'article 6, alinéa 1er, de la même loi prévoit une disposition similaire en ce qui concerne les arrêtés royaux et arrêtés ministériels.

2. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté royal n° 55 du 16 juillet 1982 fixant pour 1982 une cotisation spéciale et unique de sécurité sociale, les personnes qui sont assujetties à un régime quelconque de sécurité sociale ou qui sont bénéficiaires à un titre quelconque d'au moins une des prestations de la sécurité sociale, et dont le montant net des revenus imposables globalement à l'impôt des personnes physiques de l'exercice d'imposition 1983 dépasse 3 millions de francs, sont tenues de payer une cotisation spéciale et unique de sécurité sociale.

Aux termes de l'article 3 du même arrêté royal, la cotisation doit faire l'objet d'un versement provisionnel à effectuer avant le 1er décembre 1982.

Conformément aux articles 4 et 6 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires, cet arrêté royal, publié au Moniteur belge du 24 juillet 1982 (p. 8470 e.s.), est entré en vigueur le 3 août 1982.

Les articles 1er et 3 de l'arrêté royal n° 124 du 30 décembre 1982 fixant pour 1983 une cotisation spéciale et unique de sécurité sociale prévoient des dispositions similaires à celles de l'arrêté royal n° 55 du 16 juillet 1982 pour les revenus imposables globalement à l'impôt des personnes physiques de l'exercice d'imposition 1984, étant entendu que le versement provisionnel doit être effectué avant le 1er décembre 1983.

Conformément aux articles 4 ou 6 de la loi du 31 mai 1961 précitée, cet arrêté royal, publié au Moniteur belge du 12 janvier 1983 (p. 363 e.s.), est entré en vigueur le 22 janvier 1983.

L'article 71 de la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires rapporte l'arrêté royal n° 55 du 16 juillet 1982 fixant pour 1982 une cotisation spéciale et unique de sécurité sociale (modifié par l'arrêté royal n° 125 du 30 décembre 1982) et l'arrêté royal n° 124 du 30 décembre 1982 fixant pour 1983 une cotisation spéciale et unique de sécurité sociale. Conformément à l'article 73 de la loi du 28 décembre 1983, l'article 71 de la loi produit ses effets à partir du 4 août 1982.

Ainsi, les arrêtés royaux n°s 55 du 16 juillet 1982 et 124 du 30 décembre 1982 sont censés n'être jamais entrés en vigueur.

Les articles 60, 61, 62, 64, 65, 67 et 68 de la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires instaurent dans le chef des personnes qui sont assujetties à un régime quelconque de sécurité sociale ou qui sont bénéficiaires à un titre quelconque d'au moins une des prestations de la sécurité sociale et dont le montant net des revenus imposables globalement à l'impôt des personnes physiques dépasse 3 millions de francs, l'obligation de payer une cotisation spéciale de sécurité sociale pour les exercices d'imposition de 1983 à 1985, ultérieurement à 1989, notamment (article 62) par la voie d'un versement provisionnel à effectuer obligatoirement avant le 1er décembre de l'année précédant l'exercice d'imposition.

Cette loi a été publiée au Moniteur belge du 30 décembre 1983 (p. 16505) et, conformément à l'article 4 de la loi du 31 mai 1961 précitée, devait en principe entrer en vigueur le 9 janvier 1984.

Toutefois, en application de l'article 73 de la loi du 28 décembre 1983, les articles 60 à 69 et 71 de la loi sont entrés en vigueur à partir du 4 août 1982.

Ainsi, il y a lieu de constater que les dispositions relatives à la cotisation spéciale de sécurité sociale, telles qu'elles ont été instaurées par la loi du 28 décembre 1983, plus spécialement en ce qui concerne les exercices d'imposition de 1983 et 1984, sont entrées en vigueur avec effet rétroactif.

3. Conformément au principe général du droit qui a notamment été consacré à l'article 2 du Code civil, la loi ne dispose en principe que pour l'avenir et n'a pas d'effet rétroactif.

La non-rétroactivité des lois constitue une garantie contre l'insécurité juridique. Cette garantie requiert que la teneur du droit soit prévisible et accessible, de sorte que les conséquences d'un comportement puissent raisonnablement être prévues au moment où celui-ci est adopté.

L'effet rétroactif d'une disposition légale qui, par nature, est susceptible de susciter une insécurité juridique, n'est justifié que s'il est indispensable au bon fonctionnement ou à la continuité du service public. S'il apparaît en outre qu'il influe en un sens déterminé sur le déroulement d'une ou de plusieurs procédures ou entrave les juridictions dans leur mission, cet effet rétroactif doit, eu égard à sa nature, être justifié par les circonstances exceptionnelles ou les motifs d'intérêt général impératifs qui ont incité le législateur à déroger aux garanties juridictionnelles offertes à tous les citoyens au préjudice d'une catégorie déterminée de citoyens.

4. Les demandeurs ont expressément invoqué ces principes dans leurs conclusions (...) en faisant valoir qu'en vertu d'un principe général du droit sur lequel tout Etat de droit est fondé, la loi ne peut disposer que pour l'avenir et que, conformément à la jurisprudence de l'ancienne Cour d'arbitrage, l'actuelle Cour constitutionnelle, la rétroactivité des dispositions légales ne peut être justifiée que par des circonstances particulières, telle, notamment, la nécessité du bon fonctionnement ou de la continuité du service public.

5. Conformément aux articles 149 de la Constitution coordonnée et 780, alinéa 1er, 3°, du Code judiciaire, le juge est tenu de répondre à tous les griefs et moyens de défense régulièrement invoqués dont la pertinence ressort de sa décision.

Le moyen de défense des demandeurs précité était pertinent et régulièrement invoqué. En conséquence, la cour du travail était tenue d'y répondre.

6. Dans la mesure où, en s'appropriant le motif concerné du premier juge, la cour du travail aurait considéré qu'il n'existe pas de principe général du droit consacré notamment à l'article 2 du Code civil en vertu duquel, en principe, la loi n'a pas d'effet rétroactif, l'arrêt n'est pas légalement justifié dès lors qu'il existe un principe général du droit en vertu duquel la loi ne dispose en principe que pour l'avenir et, en conséquence, n'a pas d'effet rétroactif (violation du principe général du droit de la non-rétroactivité des lois, tel qu'il est consacré à l'article 2 du Code civil).

7. La cour du travail a également considéré que la loi du 28 décembre 1983 pouvait bénéficier de l'effet rétroactif aux motifs que : 1) le principe de la non-rétroactivité des lois est uniquement consacré à l'article 2 du Code civil et non, en tant que tel, par la Constitution, 2) sous la réserve du respect du principe de l'égalité, le législateur peut déroger au principe de la non-rétroactivité des lois, 3) le juge est tenu d'appliquer la nouvelle loi rétroactivement, si telle est la volonté certaine du législateur et 4) l'inégalité de traitement instaurée par la loi du 28 décembre 1983 (en ce que le Conseil d'Etat avait été dans l'impossibilité de statuer sur l'éventuelle irrégularité d'une disposition soumise à son appréciation, à savoir les arrêtés royaux nos 55 et 124) était objectivement et raisonnablement justifiée.

En résumé, la cour du travail a décidé que le juge est tenu d'appliquer une loi rétroactivement si telle est la volonté du législateur, pour autant que le principe de l'égalité ne soit pas violé.

Par ces motifs, la cour du travail n'a pas répondu au moyen de défense invoqué dans les conclusions des demandeurs suivant lequel la rétroactivité des lois ne peut être justifiée que par des circonstances particulières, telle, notamment, la nécessité du bon fonctionnement ou de la continuité du service public, ou par des motifs d'intérêt général impératifs. En conséquence, la cour du travail viole les articles 149 de la Constitution coordonnée et 780, alinéa 1er, 3°, du Code judiciaire.

La référence à l'arrêt rendu le 15 juin 1993 par la Cour d'arbitrage auquel la cour du travail se rallie, ne constitue pas davantage une réponse régulière au moyen de défense précité, dès lors que cet arrêt, par lequel il devait être statué sur une éventuelle violation du principe de l'égalité, se borne à constater que l'inégalité de traitement critiquée était objectivement et raisonnablement justifiée.

À tout le moins, dans la mesure où ils répondraient régulièrement au moyen de défense des demandeurs, ces motifs de la cour du travail ne justifient pas légalement la décision.

La constatation que le législateur a voulu conférer l'effet rétroactif à la loi du 28 décembre 1983 et que cette volonté n'est pas contraire au principe de l'égalité n'implique pas que les circonstances particulières justifiant l'effet rétroactif de la loi, tels le bon fonctionnement ou la continuité du service public, ou les motifs d'intérêt général impératifs requis existent. En conséquence, la cour du travail viole en tout cas l'article 2 du Code civil et le principe général du droit de la non-rétroactivité des lois, consacré à l'article 2 du Code civil et, pour autant que de besoin, les articles 60 (dans la version antérieure à sa modification par la loi du 31 juillet 1984), 61 (dans la version antérieure à sa modification par la loi du 31 juillet 1984), 62 (dans la version antérieure et postérieure à sa modification par la loi du 7 novembre 1987 et dans la version antérieure à sa modification par la loi du 30 décembre 1988), 64, 65, 67, 68, 71, 73 de la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires, 4 et 6 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires.

III. La décision de la Cour

1. L'arrêt se rallie aux motifs des premiers juges dans la seule mesure où ils constatent que le principe de la non-rétroactivité des lois est uniquement consacré à l'article 2 du Code civil et n'a pas de fondement constitutionnel.

Dans la mesure où il fait valoir que, par appropriation des motifs des premiers juges, l'arrêt décide que la disposition de l'article 2 du Code civil suivant laquelle la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif, ne constitue pas un principe général du droit, le moyen repose sur une lecture inexacte de l'arrêt.

Dans cette mesure, le moyen manque en fait.

2. Les juges d'appel considèrent que, sous la réserve du respect du principe constitutionnel de l'égalité, le législateur peut déroger au principe de la non-rétroactivité des lois.

Ils constatent que, par arrêt rendu le 15 juin 1993, la Cour constitutionnelle a décidé qu'en tant qu'elle bénéficie de l'effet rétroactif, la loi du 28 décembre 1983 ne viole pas les articles 10 et 11 de Constitution et ils se rallient à cette décision.

3. Ainsi, les juges d'appel indiquent les éléments de fait sur lesquels ils fondent leur décision, répondent au moyen de défense par lequel les demandeurs tendent à entendre écarter l'application de l'article 73 de la loi du 28 décembre 1983 au motif qu'il est contraire au principe général du droit de la non-rétroactivité des lois et rejettent le moyen.

Dans la mesure où il invoque un défaut de motivation, le moyen manque également en fait.

4. Le juge peut écarter l'application du principe général du droit de la non-rétroactivité des lois lorsque l'application du principe est inconciliable avec la volonté explicite du législateur, sauf si la Cour constitutionnelle a constaté que la disposition légale litigieuse viole la Constitution.

5. Dans la mesure où, pour le surplus, il est entièrement fondé sur la thèse que le juge peut écarter l'application d'une loi qui déroge explicitement au principe général du droit de la non-rétroactivité des lois sur la seule base de la constatation personnelle qu'aucunes circonstances particulières ni motifs d'intérêt général impératifs ne justifient la rétroactivité de la loi, le moyen manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux dépens.

(...)

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Robert Boes, les conseillers Eric Dirix, Eric Stassijns, Alain Smetryns et Koen Mestdagh, et prononcé en audience publique du dix-sept mai deux mille dix par le président de section Robert Boes, en présence de l'avocat général Ria Mortier, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.

Traduction établie sous le contrôle du conseiller Alain Simon et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

Le greffier, Le conseiller,