Cour de cassation: Arrêt (Belgique). RG S.16.0094.F

Date :
20-05-2019
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
10 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20190520-1
Numéro de rôle :
S.16.0094.F

Résumé :

Sommaire 1

Arrêt :

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Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° S.16.0094.F

OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,

demandeur en cassation,

représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,


contre


E. V. D. V.,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2016 par la cour du travail de Bruxelles.

Le 30 avril 2019, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.

Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.


II. Le moyen de cassation

Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :


Dispositions légales violées


  • - article 149 de la Constitution ;

  • - article 2244, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code civil ;

  • - articles 580, 1° et 2°, et 1042 du Code judiciaire ;

  • - article 7, §§ 11, alinéas 1er à 3, et 13, alinéas 2 à 4, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ;

  • - articles 142, alinéas 1er et 3, 144, § 1er, 169, alinéa 1er, et 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage (les articles 142 et 144 tels qu'ils étaient en vigueur avant leur modification par l'arrêté royal du 17 juillet 2015, l'article 170 tel qu'il était en vigueur avant sa modification par l'arrêté royal du 17 juillet 2015 et tel qu'il a été modifié par cet arrêté royal) ;

  • - principe général du droit relatif au respect des droits de la défense ;

  • - principe général du droit de bonne administration « audi alteram partem ».


  • Décisions et motifs critiqués


    Les faits et les antécédents qui ressortent des pièces de la procédure sont les suivants :

    « Par [lettre] du 8 avril 2010, l'Office national de l'emploi notifie [à la défenderesse] sa décision de l'exclure du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002, récupérer les allocations perçues indûment et l'exclure du bénéfice des allocations de chômage pour une durée de vingt-six semaines à titre de sanction ;

    L'Office fait application notamment des articles suivants de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage : 44, 45 et 48 (exclusion) ; 169 (récupération) ; 154, alinéa 1er (sanction) ;

    La décision est basée sur le fait que, pour pouvoir bénéficier des allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération ;

    En l'espèce, [la défenderesse] a été gérante [d'une] société privée à responsabilité limitée [...] depuis le 19 janvier 1998 sans respecter les conditions lui permettant de cumuler une activité accessoire avec le bénéfice des allocations de chômage ».

    Par requête déposée au greffe du tribunal du travail le 1er juillet 2010, la défenderesse a formé un recours contre cette décision, demandant l'annulation de celle-ci et, à titre subsidiaire, la limitation de la récupération aux cent cinquante derniers jours et le bénéfice d'un sursis pour la sanction.

    Par jugement du 20 avril 2012, le tribunal du travail a dit le recours non fondé, débouté la défenderesse de ses demandes, confirmé en tant que de besoin la décision litigieuse et condamné la défenderesse à rembourser à l'Office la somme non contestée de 21.146,43 euros.

    La défenderesse a formé appel de ce jugement.

    L'arrêt admet que le mandat de gérante d'une société privée à responsabilité limitée exercé par la défenderesse « est incompatible avec le bénéfice des allocations de chômage », que la défenderesse « ne pouvait prétendre aux allocations de chômage pendant la période litigieuse », que « la décision d'exclusion prise par l'Office est fondée à cet égard » et que « l'Office, pour prendre sa décision, n'a pas excédé un délai raisonnable ».

    L'arrêt dit cependant l'appel partiellement fondé ; réformant le jugement entrepris, il annule la décision de l'Office ; « statuant à nouveau et confirmant partiellement cette décision, il exclut [la défenderesse] du bénéfice de 15 (sic) allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 et constate que la récupération des allocations perçues indûment est prescrite ».

    L'arrêt se fonde sur les motifs suivants :

    « La nullité de l'audition du 1er avril 2010

    Préalablement à l'adoption de la décision litigieuse, [la défenderesse] a été entendue le 1er avril 2010 en vertu des articles 142 et 144 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 ;

    Cette audition doit être réalisée par le directeur du chômage, sauf délégation expresse ;

    En la cause, elle a été réalisée par monsieur J.-J. V. D., chef administratif, gestionnaire administratif, sans qu'aucune délégation ait été mentionnée ;

    L'audition préalable régulière est considérée comme une formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité ;

    Ni au cours de la procédure administrative ni au cours de la procédure judiciaire, l'Office n'a justifié de la délégation. Il s'en déduit que cette audition est irrégulière et que cette irrégularité entraîne la nullité de la décision litigieuse, sans que cette nullité s'étende aux pièces du dossier administratif constitué préalablement à l'audition. Cette nullité ne s'étend pas davantage aux pièces produites par le ministère public au cours de la procédure judiciaire ;

    Confronté à une nullité de la procédure administrative, les juridictions du travail, en vertu de leur pouvoir de pleine juridiction, sont autorisées, après avoir constaté la nullité, à se substituer à l'Office et à prendre une nouvelle décision sur la base des règles de droit applicables en la matière et des pièces régulièrement produites ;

    [...] La récupération des allocations indues

    La décision de l'Office du 8 avril 2010 est nulle. Faisant usage de son pouvoir de substitution, la cour [du travail] décide que la décision d'exclusion du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 est fondée. Pour les mêmes causes, il appartient à la cour [du travail] de statuer à nouveau sur la récupération des allocations indues ;

    C'est donc la décision de la cour [du travail] qui ordonne la répétition de l'indu ;

    L'article 7, § 13, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs dispose que ‘le droit de l'Office national de l'emploi d'ordonner la répétition des allocations de chômage payées indûment, ainsi que les actions des organismes de paiement en répétition d'allocations de chômage payées indûment, se prescrivent par trois ans' et que ‘ce délai est porté à cinq ans lorsque le paiement indu résulte de la fraude ou du dol du chômeur' ;

    Tout en ordonnant la répétition des allocations indues en lieu et place de l'Office, la cour [du travail] ne peut que constater qu'au jour de la prononciation de l'arrêt, cette récupération est prescrite pour la totalité, la dernière allocation indue ayant été payée pour la journée du 30 avril 2009 ».


    Griefs


    Première branche


    L'arrêt estime que la décision prise par l'Office le 8 avril 2010 d'exclusion du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 est fondée et, après avoir annulé ladite décision pour un vice ayant prétendument affecté l'audition de la défenderesse, « statuant à nouveau et confirmant partiellement cette décision, exclut [celle-ci] du bénéfice de 15 allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 ».

    Le demandeur présume qu'il faut lire : « exclut [la défenderesse] du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 » et qu'il y a dans le dispositif de l'arrêt une erreur matérielle qu'il appartient à la Cour de rectifier.

    S'il fallait cependant comprendre l'arrêt comme décidant que la défenderesse n'est exclue que du bénéfice « de 15 allocations de chômage », alors l'arrêt n'est pas régulièrement motivé, car il est contradictoire de considérer, dans les motifs, que la décision de l'Office d'exclure la défenderesse du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 est fondée, « la dernière allocation indue ayant été payée pour la journée du 30 avril 2009 », et de n'exclure la défenderesse du bénéfice que de « 15 allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 »

    L'arrêt viole dès lors l'article 149 de la Constitution.


    Deuxième branche


    L'article 142 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, avant sa modification par l'arrêté royal du 17 juillet 2015, dispose, en ses alinéas 1er et 3 :

    « Le directeur dans le ressort duquel le travailleur a sa résidence principale prend toutes décisions sur le droit aux allocations.

    [...] Le directeur peut déléguer à des membres du personnel du bureau de chômage une partie des pouvoirs qui lui sont conférés ».

    L'article 144, § 1er, du même arrêté, également avant sa modification par l'arrêté royal du 17 juillet 2015, dispose :

    « Préalablement à toute décision de refus, d'exclusion ou de suspension du droit aux allocations en application de l'article 142, § 1er [...], le travailleur est convoqué aux fins d'être entendu en ses moyens de défense et sur les faits qui fondent la décision.

    L'audition a lieu au plus tôt le dixième jour qui suit la remise de la convocation à la poste. La convocation est faite au moyen d'un écrit mentionnant le motif, le jour et l'heure de l'audition, ainsi que la possibilité de ne pas se présenter mais de communiquer les moyens de défense par écrit.

    [...] Par dérogation au présent article, le travailleur qui a communiqué par écrit, à l'intervention de son organisme de paiement, qu'il ne souhaite pas être entendu n'est pas convoqué ».

    Il résulte certes des dispositions précitées que la convocation du travailleur aux fins d'être entendu en ses moyens de défense sur les faits qui pourraient fonder une décision de refus, d'exclusion ou de suspension des allocations de chômage est une formalité substantielle en application du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense et du principe général du droit de bonne administration « audi alteram partem ».


    Premier rameau


    En revanche, à la différence de l'article 174 de l'arrêté royal du 20 décembre 1963 relatif à l'emploi et au chômage (disposition qui a été abrogée par l'arrêté royal du 25 novembre 1991 et qui prévoyait que, « préalablement à toute décision de refus, de limitation ou de suspension du droit aux allocations, l'inspecteur convoque le chômeur aux fins d'être entendu »), il ne résulte pas de l'article 144, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 que le travailleur doit être convoqué et être entendu préalablement par le directeur du bureau du chômage ou son délégué. Cette solution s'explique par la circonstance que, depuis l'arrêté royal du 25 novembre 1991 (article 144, § 1er, alinéa 2), le travailleur peut ne pas se présenter et faire valoir ses moyens par écrit, en sorte qu'il suffit que le membre du personnel du bureau du chômage chargé de statuer sur son cas ait connaissance de ses moyens repris dans un écrit, qu'il s'agisse de l'écrit visé à l'article 144, § 1er, alinéa 2, de cet arrêté ou du procès-verbal de l'audition.

    Il s'ensuit qu'en décidant que l'audition de la défenderesse est irrégulière au motif qu'elle n'a pas été réalisée par le directeur ou par un membre du personnel du bureau du chômage disposant d'une délégation spéciale consentie par le directeur et que la décision litigieuse est dès lors nulle, l'arrêt viole les articles 142, alinéas 1er et 3, et 144, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, et fait une fausse application des principes généraux du droit visés en tête du moyen (violation desdits principes généraux du droit).

    Second rameau (subsidiaire)


    À tout le moins, la délégation de pouvoir autorisée par l'article 142, alinéa 3, de l'arrêté royal implique nécessairement que le membre du personnel du bureau de chômage qui, au nom du directeur, par délégation de pouvoir, peut prendre une décision de refus, d'exclusion ou de suspension des allocations peut également procéder à l'audition préalable du travailleur intéressé.

    Ce qui importe en effet, c'est que le directeur, ou la personne à laquelle il a délégué son pouvoir de décision, soient informés, avant de prendre leur décision sur le droit aux allocations de chômage, des moyens de défense du travailleur, que ce soit par l'audition de celui-ci ou par un écrit remis par lui.

    La mention de la délégation en vertu de laquelle agit le membre du personnel du bureau du chômage lorsqu'il procède à l'audition du travailleur n'est pas une formalité substantielle et son absence n'est pas de nature à entraîner la nullité de la décision prise ultérieurement par ce même membre du personnel en vertu d'une délégation du directeur alors expressément mentionnée, s'agissant de la même personne qui a procédé à l'audition du travailleur et qui a pris la décision. Il en est d'autant plus ainsi que l'audition préalable du travailleur peut être valablement remplacée par une présentation écrite par le travailleur de ses moyens de défense.

    En l'espèce, l'arrêt constate que l'audition de la défenderesse « a été réalisée par monsieur J.-J. V. D., chef administratif, gestionnaire administratif, sans qu'aucune délégation ait été mentionnée ». Or, ainsi que la défenderesse le relevait elle-même dans ses conclusions de synthèse d'appel, il résulte des termes mêmes de la décision litigieuse que celle-ci a été prise sous la signature du même J.-J. V. D., « assistant administratif », agissant au nom du « directeur par délégation ».

    L'arrêt aurait donc dû constater que la décision litigieuse, mentionnant expressément la délégation par laquelle agissait le membre du personnel du bureau du chômage qui l'a prise, avait été précédée de l'audition de la défenderesse par ce même membre du personnel et, dès lors, considérer que la décision querellée a été prise régulièrement par un membre du personnel du bureau de chômage dûment informé des moyens de défense de la défenderesse, auquel le directeur avait délégué son pouvoir de décision.

    En décidant que la décision litigieuse est nulle aux motifs que l'audition du travailleur, préalable à la décision sur le droit aux allocations, « doit être réalisée par le directeur du chômage sauf délégation expresse ; [qu'] en la cause, elle a été réalisée par monsieur J.-J. V. D., chef administratif, gestionnaire administratif, sans qu'aucune délégation ait été mentionnée ; [que] l'audition préalable régulière est considérée comme une formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité ; [que] ni au cours de la procédure administrative ni au cours de la procédure judiciaire, l'Office n'a justifié de la délégation ; [qu']il s'en déduit que cette audition est irrégulière et que cette irrégularité entraîne la nullité de la décision litigieuse », l'arrêt viole les articles 142, alinéas 1er et 3, et 144, § 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, ainsi que les principes généraux du droit visés en tête du moyen.


    Troisième branche


    En vertu de l'article 580, 2°, du Code judiciaire, « le tribunal du travail connaît des contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés résultant des lois et règlements prévus au 1° », notamment en matière de chômage. La cour du travail a la même compétence en degré d'appel (Code judiciaire, article 1042).

    L'article 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs dispose, en ses alinéas 1er à 3 :

    « Les litiges ayant pour objet des droits résultant de la réglementation en matière de chômage sont de la compétence du tribunal du travail.

    Les décisions prises sur des droits résultant de la réglementation du chômage doivent, à peine de déchéance, être soumises au tribunal du travail compétent dans les trois mois qui suivent la notification ou, à défaut de notification, dans les trois mois à compter du jour où l'intéressé en a eu connaissance. [...]

    L'action introduite devant le tribunal du travail n'est pas suspensive ».

    En vertu de l'article 169, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, « toute somme perçue indûment doit être remboursée ». L'article 170 dudit arrêté royal dispose, en son alinéa 1er, que « la récupération des sommes payées indûment est ordonnée par le directeur ou par la juridiction compétente » et que « le montant de la récupération est notifié au chômeur et à l'organisme de paiement ».

    L'article 7, § 13, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs dispose, en ses alinéas 2 à 4 :

    « Le droit de l'Office national de l'emploi d'ordonner la répétition des allocations de chômage payées indûment, ainsi que les actions des organismes de paiement en répétition d'allocations de chômage payées indûment, se prescrivent par trois ans. Ce délai est porté à cinq ans lorsque le paiement indu résulte de la fraude ou du dol du chômeur.

    Les délais de prescription déterminés à l'alinéa 2 prennent cours le premier jour du trimestre civil suivant celui au cours duquel le paiement a été effectué. [...]

    Sans préjudice des dispositions du Code civil, les délais de prescription peuvent être interrompus par lettre recommandée à la poste ».

    Le délai de prescription de la récupération des allocations de chômage indûment perçues est donc interrompu par la notification au chômeur de la décision de récupération visée à l'article 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991.

    L'article 2244, § 1er, du Code civil dispose, en ses alinéas 1er et 2 :

    « Une citation en justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, forment l'interruption civile.

    Une citation en justice interrompt la prescription jusqu'au prononcé d'une décision définitive ».

    Lorsque le directeur du bureau du chômage prend la décision d'exclure un chômeur du bénéfice des allocations de chômage et de récupérer les allocations indûment perçues conformément à l'article 169, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, et notifie cette décision au chômeur, conformément à l'article 170, alinéa 1er, de cet arrêté, et que ce dernier conteste cette décision devant le tribunal du travail, il en résulte une contestation sur le droit aux allocations de chômage sur laquelle les juridictions du travail doivent statuer (articles 580, 1° et 2°, 1042 du Code judiciaire et 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944).

    Lesdites juridictions contrôlent la légalité de la décision administrative querellée.

    Si elles décident que ladite décision est illégale pour un motif touchant au déroulement de la procédure administrative ou à la motivation de la décision et que celle-ci doive donc être annulée, elles statuent sur le droit aux allocations. Si elles estiment, comme l'a fait l'Office dans la décision annulée, que les allocations ont été indûment perçues, elles ordonnent, à la place du directeur, leur récupération en vertu de l'article 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991. La décision des juridictions du travail se substitue à la décision administrative annulée. Cette décision a en effet continué d'exister jusqu'à son annulation par la décision judiciaire définitive (article 7, § 11, alinéa 3, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944) et l'effet interruptif de la prescription de sa notification au chômeur visée à l'article 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal précité a perduré jusque-là. Cette substitution opère dès lors au jour où la décision de récupération des sommes indûment payées a été notifiée au chômeur ou, à tout le moins, au jour où les juridictions du travail ont été saisies du litige par la requête du chômeur contestant la décision administrative.

    Si ce n'était pas le cas, le temps de la procédure introduite par ladite requête viendrait raccourcir d'autant le délai de prescription et permettrait au chômeur d'échapper dans cette mesure à la restitution d'indemnités dont il aurait pourtant été constaté qu'elles avaient été indûment perçues, alors que la prescription a été interrompue par la notification de la décision administrative de récupération de l'indu, que la requête déposée par le chômeur au greffe du tribunal du travail dans les trois mois qui ont suivi la notification de la décision querellée a saisi le tribunal de ce litige et que, en règle, la prescription interrompue par une demande en justice ne recommence à courir qu'à la prononciation de la décision définitive.

    En l'espèce, l'arrêt admet que le mandat de gérante d'une société privée à responsabilité limitée exercé par la défenderesse « est incompatible avec le bénéfice des allocations de chômage », que la défenderesse « ne pouvait prétendre aux allocations de chômage pendant la période litigieuse » et que « la décision d'exclusion prise par l'Office est fondée à cet égard ». Après avoir annulé la décision litigieuse pour un motif tenant à une prétendue irrégularité de l'audition de la défenderesse, l'arrêt, « statuant à nouveau et confirmant partiellement cette décision », exclut la défenderesse du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002. Cependant, l'arrêt décide que « la récupération des allocations perçues indûment est prescrite », par le motif que, « tout en ordonnant la répétition des allocations indues en lieu et place de l'Office, la cour [du travail] ne peut que constater que, au jour de la prononciation de l'arrêt, cette récupération est prescrite pour sa totalité, la dernière allocation indue ayant été payée pour la journée du 30 avril 2009 ».

    Ainsi, l'arrêt

    1° viole les dispositions légales précitées relatives à la compétence des juridictions du travail d'ordonner la récupération des allocations indûment perçues au jour où la décision litigieuse annulée a été notifiée au chômeur ou, à tout le moins, au jour où les juridictions du travail ont été saisies du recours du chômeur contre la décision administrative (violation des articles 580, 1° et 2°, 1042 du Code judiciaire, 7, § 11, alinéas 1er à 3, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, 169, alinéa 1er, et 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage) ;

    2° méconnaît les règles relatives à l'interruption de la prescription de la récupération des allocations de chômage indûment perçues par la notification de la décision de récupération (violation des articles 170, alinéa 1er, de l'arrêté royal précité du 25 novembre 1991 et 7, § 13, alinéas 2 à 4, de l'arrêté-loi précité du 28 décembre 1944) ;

    3° méconnaît la règle selon laquelle la prescription est interrompue par une citation en justice ou par tout autre mode de saisine d'un tribunal jusqu'à la prononciation de la décision définitive (violation des articles 2244, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code civil et 7, § 11, alinéa 2, de l'arrêté-loi précité du 28 décembre 1944), et

    4° ne justifie dès lors pas légalement sa décision (violation de toutes les dispositions légales visées au moyen, à l'exception de l'article 149 de la Constitution et des articles 142 et 144 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991).


    III. La décision de la Cour


    Quant à la première branche :


    La Cour a, pour apprécier un moyen de cassation, le pouvoir de corriger une erreur matérielle de la décision attaquée qui ressort à l'évidence du texte de celle-ci.

    Après avoir constaté que la décision administrative querellée exclut la défenderesse « du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 », l'arrêt considère que « [la défenderesse] ne pouvait prétendre aux allocations de chômage pendant la période litigieuse » et répète par deux fois que « la décision d'exclusion prise par l'Office national de l'emploi est fondée ».

    Il s'ensuit que la disposition par laquelle l'arrêt « exclut [la défenderesse] du bénéfice de 15 allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 » est affectée d'une erreur matérielle évidente et doit être lue en ce sens que la défenderesse est exclue « du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er mai 2002 ».

    L'arrêt n'est, dès lors, pas entaché de la contradiction dénoncée par le moyen, en cette branche.

    Le moyen, en cette branche, manque en fait.





    Quant à la deuxième branche :


    Sur le premier rameau :


    En vertu de l'article 144, § 1er, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, hors les exceptions, étrangères à l'espèce, visées à la fin de ce paragraphe et aux autres paragraphes du même article, préalablement à toute décision de refus, d'exclusion ou de suspension du droit aux allocations en application de l'article 142 ou 149, le travailleur est convoqué aux fins d'être entendu en ses moyens de défense et sur les faits qui fondent la décision.

    En son alinéa 2, ledit article 144, § 1er, dispose que la convocation est faite au moyen d'un écrit mentionnant le motif, le jour et l'heure de l'audition, ainsi que la possibilité de ne pas se présenter mais de communiquer les moyens de défense par écrit.

    Il ne suit pas de cette disposition que, lorsque le travailleur n'a pas fait usage de la faculté de présenter ses moyens de défense par écrit, le procès-verbal de son audition pourrait, celle-ci fût-elle irrégulière, être tenu pour un écrit contenant sa défense et satisfaisant, dès lors, à la formalité substantielle prescrite à l'article 144, § 1er, alinéa 1er, en sorte que la décision fondée sur cette audition irrégulière ne serait pas nulle.

    Le moyen, qui, en ce rameau, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.


    Sur le second rameau :


    L'arrêt ne constate pas que la décision administrative querellée a été prise par le même membre du personnel du bureau du chômage à qui le directeur avait délégué une partie de ses pouvoirs que celui qui a procédé à l'audition préalable de la défenderesse.

    Le moyen, dont, en ce rameau, l'examen obligerait la Cour à excéder ses pouvoirs en recherchant cet élément de fait, est irrecevable.


    Quant à la troisième branche :


    L'article 169, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 dispose que toute somme perçue indûment doit être remboursée.

    En vertu de l'article 170, alinéa 1er, de cet arrêté, la récupération des sommes payées indûment est ordonnée par le directeur ou par la juridiction compétente et le montant de la récupération est notifié au chômeur et à l'organisme de paiement.

    Il suit de ces dispositions que le droit au remboursement d'une somme perçue indûment est subordonné à une décision prise par le directeur du bureau régional du chômage ou par la juridiction compétente et ordonnant la récupération de cette somme.

    Lorsque la décision par laquelle le directeur exclut un chômeur du bénéfice des allocations de chômage et ordonne la récupération des allocations indûment perçues est, sur le recours du chômeur, annulée par la juridiction compétente parce qu'elle est illégale, et que, comme l'avait fait le directeur, cette juridiction dénie au chômeur le droit aux allocations, elle ne peut ordonner la récupération des sommes payées indûment que si elle est saisie d'une demande tendant à cette fin.

    Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, la décision du juge compétent sur la récupération des allocations perçues indûment ne se substitue pas à la décision du directeur du bureau du chômage qu'elle annule, en sorte que la prescription de l'action doit être appréciée, non au moment où la décision administrative querellée a été notifiée au chômeur, ni au moment où celui-ci a saisi le juge compétent, mais au moment où ce juge a été saisi de la demande en récupération de l'indu.

    Le moyen, en cette branche, manque en droit.


    Par ces motifs,


    La Cour


    Rejette le pourvoi ;

    Condamne le demandeur aux dépens.

    Les dépens taxés à la somme de trois cent vingt et un euros vingt centimes envers la partie demanderesse.

    Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Koen Mestdagh, Mireille Delange, Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du vingt mai deux mille dix-neuf par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.