Cour de cassation: Arrêt du 23 mai 2014 (Belgique). RG C.13.0286.F

Date :
23-05-2014
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
3 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20140523-2
Numéro de rôle :
C.13.0286.F

Résumé :

L'article 577-2, § 6, du Code civil, suivant lequel les actes de disposition ne sont valables que moyennant le concours de tous les copropriétaires, régit les rapports entre les propriétaires indivis d'un bien, à l'exclusion des rapports pouvant exister entre ces personnes et des tiers (1). (1) Voir les concl. du MP.

Arrêt :

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N° C.13.0286.F

A.-S. C.,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait élection de domicile,

contre

1. D. C.,

2. N. H.,

défenderesses en cassation,

représentées par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2012 par la cour d'appel de Mons.

Le 5 mai 2014, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.

Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport et l'avocat général

Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

Articles 544, 546, 577-2, § 6, et 578 du Code civil

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt, qui met à néant le jugement du premier juge, dit qu'il appartiendra aux notaires instrumentants de revoir leur état liquidatif [...], notamment en évaluant par équivalent la valeur des biens détournés en violation des droits de la demanderesse, évaluée au jour de la convention de cession du [31] mars 2005, par les motifs que :

« 2) Validité de la cession de l'avoiement du 3 mars 2005 [lire :

31 mars 2005]:

La convention de cession du [31] mars 2005 a pour objet la cession d'éléments tant immatériels (droit au bail sur diverses parcelles, quotas laitier et betteravier, etc.) que matériels (bétails, engins agricoles, outils, stocks, etc.).

(La demanderesse) invoque la nullité ou à tout le moins l'inopposabilité de la convention du [31] mars 2005.

Il est constant que cette cession portait, à tout le moins en partie, sur des biens sur lesquels (la demanderesse) disposait d'un droit de nue-propriété pour un quart.

La convention de cession du [31] mars 2005 est cependant valable, la nullité prévue par l'article 1599 [du Code civil] est une nullité relative, seul l'acheteur ayant qualité pour l'invoquer à l'exclusion des tiers.

En vendant des biens dont elle savait n'être, pour partie d'entre eux, qu'usufruitière, (la deuxième défenderesse) n'en a pas moins commis une faute en relation causale avec le dommage subi par (la demanderesse) du fait de la disparition, à tout le moins de la modification de substance, de certains biens faisant l'objet de son droit de nue-propriété.

Il appartiendra aux notaires instrumentants de poursuivre les opérations de liquidation-partage en évaluant par équivalent la valeur des biens ainsi détournés en fraude des droits de (la demanderesse), évaluée au jour de la convention de cession du [31] mars 2005.

(La demanderesse) ne sollicitant pas la déchéance du droit d'usufruit de (la deuxième défenderesse), il convient de considérer que celui-ci sera reporté, sous la forme de quasi-usufruit (s'agissant d'un capital en argent), sur la valeur desdits biens ».

Griefs

En vertu de l'article 577- 2, § 6, du Code civil, ne sont valables que moyennant le concours de tous les copropriétaires les autres actes d'administration et les actes de disposition relatifs à des biens indivis.

Cette disposition impose dès lors l'unanimité des copropriétaires (titulaires de droits indivis) - règle de l'unanimité - pour l'accomplissement des actes d'administration et des actes de disposition.

La sanction du non-respect de la règle de l'unanimité est l'inopposabilité de l'acte incriminé à l'indivisaire dont l'accord n'a pas été préalablement recueilli.

L'indivisaire qui n'a pas marqué son accord sur l'acte de disposition en cause peut dès lors se prévaloir de son inopposabilité. Il dispose du droit d'ignorer l'acte accompli sans avoir respecté la règle de l'unanimité et dès lors en violation de ses droits.

Ainsi qu'il ressort des motifs critiqués, l'arrêt constate que :

- la convention litigieuse de cession du 31 mars 2005 a pour objet la cession d'éléments tant immatériels (droit au bail sur diverses parcelles, quotas laitier et betteravier, etc.) que matériels (bétails, engins agricoles, outils, stocks, etc.) ;

- la demanderesse invoque la nullité ou à tout le moins l'inopposabilité de la convention du [31] mars 2005 ;

- il est constant que la convention de cession portait, à tout le moins en partie, sur des biens sur lesquels la demanderesse disposait d'un droit de nue-propriété pour un quart.

L'arrêt devait en conséquence décider que la demanderesse, qui dispose d'un droit de nue-propriété pour un quart de biens ayant fait l'objet de la convention litigieuse, avait le droit d'ignorer la convention de cession critiquée conclue sans son accord nonobstant les droits indivis dont elle disposait.

L'arrêt se limite cependant à retenir une faute dans le chef de la seconde défenderesse en relation causale avec un dommage résultant pour la demanderesse de la disparition ou de la modification de substance de certains biens faisant l'objet de son droit de nue-propriété.

Il invite en conséquence les notaires instrumentants à tenir compte de ce dommage en évaluant par équivalent la valeur des biens ainsi détournés en fraude des droits de la demanderesse.

Ce faisant, l'arrêt viole l'article 577-2, § 6, du Code civil en refusant d'appliquer la sanction d'inopposabilité qui en découle et n'est pas légalement justifié. Il viole également les articles 544, 546 du Code civil en refusant à la demanderesse le droit de se prévaloir de son droit de nue-propriété et l'article 578 de ce code en donnant à la seconde défenderesse plus de droits que ceux qui lui sont reconnus par cette disposition.

III. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par les défenderesses et déduite de ce qu'il omet de viser l'article 826 du Code civil :

Le moyen fait grief à l'arrêt de dire la convention de cession du 31 mars 2005 valable à l'égard de la demanderesse alors que l'article 577-2, § 6, du Code civil commanderait la solution contraire.

La violation de cette seule disposition suffirait, si le moyen était fondé, à entraîner la cassation.

La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

Suivant l'article 577-2, § 6, du Code civil, les actes de disposition ne sont valables que moyennant le concours de tous les copropriétaires.

Cette disposition régit les rapports entre les propriétaires indivis d'un bien, à l'exclusion des rapports pouvant exister entre ces personnes et des tiers.

Il s'ensuit que l'acte de cession d'un bien indivis à un tiers, fût-il valable à l'égard de ce dernier, est inopposable à celui de ses copropriétaires qui n'y a pas consenti.

L'arrêt, qui constate que, par convention du 31 mars 2005, la seconde défenderesse a cédé à la première la totalité de l'exploitation agricole dépendant du patrimoine commun ayant existé entre elle et feu son époux, que cette cession des éléments matériels et immatériels composant ladite exploitation « portait, à tout le moins en partie, sur des biens sur lesquels [la demanderesse] disposait d'un droit de nue-propriété pour un quart » et que cette dernière « invoque la nullité ou à tout le moins l'inopposabilité de la convention [précitée] », n'a pu, sans violer l'article 577-2, § 6, du Code civil, considérer que « la convention [litigieuse] est cependant valable, [que] la nullité prévue à l'article 1599 [du même code] est une nullité relative, seul l'acheteur ayant qualité pour l'invoquer à l'exclusion des tiers », que la seconde défenderesse « a commis une faute en relation causale avec le dommage subi par [la demanderesse] du fait sinon de la disparition à tout le moins de la modification de substance de certains des biens faisant l'objet de son droit de nue-propriété » et que les opérations de liquidation-partage devront se fonder sur une « évalu[ation] par équivalent [...] des biens ainsi détournés en fraude des droits de [la demanderesse], [en tenant compte de leur valeur] au jour de la convention de cession du 31 mars 2005 ».

Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la validité de la convention de cession du 31 mars 2005 ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt trois mai deux mille quatorze par le président de section Albert Fettweis, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte

M. Delange D. Batselé A. Fettweis