Cour de cassation: Arrêt du 24 juin 2008 (Belgique). RG P.08.0408.N
- Section :
- Jurisprudence
- Source :
- Justel F-20080624-6
- Numéro de rôle :
- P.08.0408.N
Résumé :
Les éléments requis pour l'infraction visée à l'article 322 du Code pénal sont: l'existence d'un groupe organisé de personnes qui a pour but d'attenter aux personnes et aux propriétés, ces faits constituant des crimes ou des délits et la volonté délibérée de faire partie de ce groupe organisé; l'objet de cette infraction est l'association de malfaiteurs en soi et non les infractions visées par l'association, qui sont distinctes (1). (1) Cass., 6 mai 1998, RG P.98.0117.N, Pas., 1998, n° 255; Cass., 29 janvier 2008, RG P.07.1434.N, Pas., 2008, n°...
Arrêt :
N° P.08.408.N
I
PROCUREUR FEDERAL,
II
ETAT TURC,
partie civile,
les deux pourvois contre
1. M. A.,
prévenu,
Me Jan Fermon, avocat au barreau de Bruxelles,
2. K. S.,
prévenu,
Me Raf Jespers, avocat au barreau d'Anvers,
3. F. E.,
prévenue,
Me Paul Bekaert, avocat au barreau de Bruges, et Me Raf Jespers, avocat au
barreau d'Anvers,
4. S. A. Ö.,
prévenue,
Me Nadia Lorenzetti, avocat au barreau de Bruges,
5. D. K.,
prévenu,
Me Tries Prakken, avocat au barreau d'Amsterdam (Pays-Bas),
6. Z. S.,
prévenu,
Me Tries Prakken, avocat au barreau d'Amsterdam (Pays-Bas),
7. B. K.,
prévenu,
Me Carl Alexander, avocat au barreau de Bruges.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre l'arrêt rendu le 7 février 2008 par la cour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle, statuant comme juridiction de renvoi ensuite d'un arrêt de la Cour du 19 avril 2007.
Le demandeur I invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt.
Le demandeur II n'invoque aucun moyen.
Le président de section Edward Forrier a fait rapport.
L'avocat général Patrick Duinslaeger a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
1. Le moyen est dirigé contre l'acquittement :
- des six premiers défendeurs du chef de la prévention A (provocateur d'une
association formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés) ;
- du septième défendeur du chef de la prévention B (membre d'une
association formée dans le but d'attenter aux personnes ou aux propriétés).
Quant à la première branche :
2. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 322, 323, alinéa 1er, et 324, alinéas 1er et 2, du Code pénal : du fait que les défendeurs précités sont étrangers aux attentats commis à l'étranger et en Belgique, il ne peut être légalement déduit qu'il n'y a pas eu d'association de malfaiteurs.
3. Les articles 322, 323 et 324 du Code pénal punissent la formation d'une association ayant pour but d'attenter aux personnes ou aux propriétés et la participation à une telle association.
Les éléments constitutifs de cette infraction sont l'existence d'un groupe de personnes organisé dans le but de commettre des attentats contre des personnes ou des propriétés, qualifiés crimes ou délits, et de faire partie, sciemment et volontairement, d'un tel groupe organisé.
L'objet de cette infraction est l'association en soi et non les infractions visées par l'association, qui sont distinctes.
Dés lors, l'élément moral de l'infraction dans le chef des personnes qui appartiennent à une association formée dans le but d'attenter aux personnes et aux propriétés ou qui la provoquent, est le fait de faire partie, sciemment et volontairement, de l'association ou de la provoquer, quels qu'en soient les motifs. La volonté de faire partie de cette association ou de la provoquer, tout en ayant conscience du fait que celle-ci est formée dans le but de commettre des attentats, est requise, et non pas l'intention personnelle de chaque membre de l'association ou de son provocateur de commettre une infraction au sein de l'association.
4. Lors de son appréciation de l'infraction qualifiée association de malfaiteurs, le juge est tenu, le cas échéant, de tenir également compte des crimes ou délits commis par ladite association à l'étranger.
En se basant sur le principe qu'il n'incombe pas au juge d'examiner si l'association de malfaiteurs « peut ou doit être considérée comme respectivement une association de malfaiteurs, une organisation criminelle ou un mouvement terroriste » à l'étranger, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur le deuxième moyen :
5. Le moyen est dirigé contre l'acquittement :
- des premier et cinquième défendeurs du chef de la prévention C (dirigeant d'une organisation criminelle) ;
- des deuxième, troisième, quatrième et sixième défendeurs du chef de la prévention D (participation à la prise de toute décision dans le cadre des activités d'une organisation criminelle) ;
- du septième défendeur du chef de la prévention E (participation à une
organisation criminelle).
Quant à la première branche :
6. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 324bis et 324ter, §§ 1er, 3 et 4, du Code pénal : le fait qu'aucun lien n'a pu être établi entre les défendeurs précités et les faits commis en Belgique ou ailleurs, n'implique pas que l'organisation criminelle n'existe pas.
7. Les articles 324bis et 324ter du Code pénal punissent l'implication dans la participation à la préparation ou à l'exécution, voire la participation à toute prise de décision, dans le cadre d'une organisation criminelle et de la direction d'une organisation criminelle.
8. Conformément à l'article 324bis du Code pénal, on entend par organisation criminelle toute association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée, des crimes et délits punissables d'un emprisonnement de trois ans ou d'une peine plus grave, pour obtenir, directement ou indirectement, des avantages patrimoniaux.
9. Après avoir acquitté les défendeurs des préventions A et B, aux motifs énoncés dans la réponse au premier moyen en sa première branche, les juges d'appel ont considéré que «dès lors qu'il n'est pas établi que les [défendeurs] formaient une association de malfaiteurs, il n'est pas davantage établi qu'ils auraient formé une organisation criminelle, les éléments constitutifs de cette infraction nécessitant des structures et une organisation plus importantes qu'une simple association de malfaiteurs. »
10. En acquittant les défendeurs des préventions C, D et E, par ces motifs, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur le troisième moyen :
11. Le moyen est dirigé contre l'acquittement des premier et septième défendeurs de la prévention N (dirigeant d'un groupe terroriste au sens de l'article 139 du Code pénal).
Quant à la première branche :
12. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 139 et 140 du Code pénal : du fait que les défendeurs précités ne sont pas effectivement impliqués dans des attentats commis à l'étranger, il ne peut pas être légalement déduit que l'organisation criminelle n'existe pas.
13. L'article 140, § 1er, du Code pénal punit tout dirigeant d'un groupe terroriste défini à l'article 139 du même code.
L'article 139, alinéa 1er, du Code pénal dispose qu'il faut entendre par un groupe terroriste, l'association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, et qui agit de façon concertée en vue de commettre des infractions terroristes visées à l'article 137.
14. Un dirigeant d'un groupe terroriste est punissable s'il est établi qu'il s'agit d'un groupe terroriste et, subséquemment, que la personne concernée est le dirigeant de ce groupe. L'incrimination ne requiert pas que cette personne ait elle-même eu l'intention de commettre une quelconque infraction terroriste en Belgique ou ailleurs ou qu'elle était impliquée lorsque celle-ci a été commise.
En décidant autrement, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur les autres griefs :
15. Ne pouvant entraîner une cassation plus étendue, les autres griefs ne nécessitent pas de réponse.
Sur l'étendue de la cassation :
16. Les juges d'appel ont condamné les défendeurs à une peine unique du chef des faits déclarés établis. Dans l'hypothèse où il convertit l'acquittement du chef des préventions A, B, C, D, E et N en une condamnation, le juge de renvoi devra statuer à nouveau sur l'unité d'intention. Cette unité peut exister entre tous les faits, y compris ceux pour lesquels une déclaration de culpabilité et une sanction ont été prononcées. L'appréciation souveraine du juge de renvoi requiert que la cassation soit étendue à la sanction des préventions pour lesquelles les défendeurs sont condamnés.
17. Tant la décision sur l'action publique du chef des préventions A, B, C, D, E et N, que celle sur l'action civile fondée sur celle-ci, procèdent de la même illégalité. La cassation des décisions rendues sur l'action publique entraîne l'annulation de la décision rendue sur l'action civile contre laquelle la partie civile a formé un pourvoi recevable.
Le contrôle d'office des autres décisions rendues sur l'action publique :
18. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et ces décisions sont conformes à la loi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué en tant :
- qu'il statue sur les préventions A, B, C, D, E et N à l'égard des défendeurs ;
- qu'il condamne les défendeurs à une peine ;
- qu'il statue sur les actions civiles du demandeur sub II dans la mesure où
celles-ci sont fondées sur les préventions A, B, C, D, E et N ;
Rejette les pourvois pour le surplus ;
Condamne le demandeur sub II aux frais de son pourvoi et laisse les frais du pourvoi du demandeur sub I à charge de l'Etat ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Edward Forrier, les conseillers Luc Huybrechts, Etienne Goethals, Luc Van hoogenbemt et Koen Mestdagh, et prononcé en audience publique du vingt-quatre juin deux mille huit par le président de section Edward Forrier, en présence de l'avocat général Patrick Duinslaeger, avec l'assistance du greffier délégué Véronique Kosynsky.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Jean de Codt et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le président de section,