Cour de cassation: Arrêt du 25 février 2010 (Belgique). RG C.08.0474.N

Date :
25-02-2010
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
11 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20100225-8
Numéro de rôle :
C.08.0474.N

Résumé :

Lorsqu'un moyen soulève devant la Cour la question de savoir si l'article 94 du Règlement (C.E.) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, tel que modifié par le Règlement (C.E.) n° 873/2004 du Conseil du 29 avril 2004, lu en combinaison avec les articles 11.1, 13.1 à 13.3 inclus, 16, 27 et 104 du Règlement (C.E.) n° 2100/94 précité, doit être interprété en ce sens que le titulaire ou la personne qui a le droit d'exploitation peut introduire une action du chef d'infraction à la protection communautaire des obtentions végétales contre toute personne qui accomplit des actes concernant le matériel vendu ou cédé à cette personne par une personne détenant une licence d'exploitation lorsque les limitations qui ont été stipulées dans le contrat de licence entre la personne détenant la licence d'exploitation et le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales, en cas de vente de ce matériel, n'ont pas été respectées et, dans l'affirmative, s'il est important dans l'appréciation de l'infraction que celui qui accomplit les actes connaît ou est censé connaître ces limitations, la Cour pose une demande d'interprétation de ces dispositions à la Cour de justice de l'Union européenne.

Arrêt :

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N° C.08.0474.N

GREENSTAR-KANZI EUROPE, société anonyme,

Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,

contre

1. H. J.,

2. G. J.

Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 24 avril 2008 par la cour d'appel d'Anvers.

Le premier président Ghislain Londers a fait rapport.

L'avocat général Guy Dubrulle a conclu.

II. Les faits

A la suite de l'arrêt attaqué, les faits peuvent être libellés comme suit :

a. Kanzi est le nom donné à une variété de pommes bien déterminée, provenant d'arbres de la variété Nicoter, ce qui la distingue des autres variétés de pommes. Nicoter est la seule sorte de pommiers produisant des pommes Kanzi.

b. Le bulletin de l'Office communautaire des variétés végétales du 15 juin 2001 a publié la demande de la société anonyme Nicolaï relative à la variété de pommes Nicoter, introduite le 27 avril 2001. La protection communautaire des obtentions végétales a été apportée par la société anonyme Nicolaï dans Bettre3fruit le 3 septembre 2002. Suivant le bulletin, la détention de la protection des obtentions végétales est passée de Nicolaï à Better3fruit le 20 avril 2004.

c. La marque Kanzi a été déposée le 8 novembre 2001 et le titulaire de la marque était Better3fruit (classes 16 et 31). Les licenciés sont la société coopérative à responsabilité limitée EFC et la société anonyme Greenstar Kanzi Europe.

d. En vertu d'un contrat de licence datant de 2003, Better3fruit a cédé à Nicolaï le droit exclusif de cultiver et de vendre des arbres Nicoter en faisant usage des marques y afférentes.

L'article 6 de ce contrat de licence stipule que Nicolaï « ne céderait ou ne vendrait aucune produit sous licence si la partie adverse concernée ne souscrit pas au préalable et par écrit à la licence de culture figurant à l'annexe 6 (en cas de partie adverse ou obtenteur) ou à la licence de marketing figurant à l'annexe 7 (en cas de partie adverse ou de partenaire commercial) ».

Le contrat de licence conclu entre Better3fruit et Nicolaï a été résilié le 20 janvier 2003.

e. Suivant la facture n° 240255 du 24 décembre 2004, Nicolaï a vendu 7000 pommiers, qualifiés d'arbres Kanzi-Nicoter à J. H., premier défendeur.

Dans ce contrat d'achat-vente, H. ne s'est pas engagé à respecter certaines prescriptions concernant la culture de pommes Kanzi et la vente de la récolte.

Le 4 décembre 2007, l'huissier de justice a constaté que le second défendeur, J.G., vendait des pommes de la marque Kanzi sur le marché de Hasselt et qu'elles provenaient de chez H.

A une date contestée par les parties, la demanderesse Greenstar Kanzi Europe (GKE), créée le 5 mai 2004, a acquis les droits d'exploitation exclusifs de la protection communautaire des obtentions végétales sur Nicoter et sur la marque Kanzi en ce qui concerne la culture fruitière.

f. La demanderesse a introduit l'action originaire dans laquelle la violation invoquée de la protection communautaire des obtentions végétales et du droit des marques équivaut à ce que la demanderesse reproche au premier défendeur d'avoir acquis de manière illégale des arbres Nicoter et d'avoir ainsi cultivé de manière illégale des pommes Kanzi en concluant que la commercialisation de la récolte en tant que pommes Kanzi, constitue une infraction aux usages honnêtes en matière commerciales.

g. Les parties supposent manifestement que le contrat de licence était conforme aux conditions de la libre concurrence.

III. Les moyens de cassation

Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants :

(...)

Second moyen

Dispositions légales violées

- articles 11, 13, 16, 23, 27, 94 et 104 du Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO L 227 du 1er septembre 1994) ;

- articles 774 et 1138, 2°, du Code judiciaire ;

- principe général du droit relatif à l'autonomie des parties au procès en matière civile (principe dispositif) ;

- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.

Décisions et motifs critiqués

Les juges d'appel ont rejeté la demande de la demanderesse tendant à entendre dire pour droit qu'en offrant à la vente et en vendant des pommes de la variété Nicoter, sous la marque protégée Kanzi, les défendeurs commettent une infraction à la protection communautaire des obtentions végétales dont Better3fruit est titulaire, à entendre ordonner la cessation des pratiques indiquées ci-dessus et qui constituent une infraction aux usages honnêtes en matière commerciale et à entendre ordonner la publication de l'arrêt à intervenir, sur la base des motifs suivants :

« 1.

La cour d'appel présente les faits pertinents à la solution du litige de la manière suivante.

Le bulletin de l'Office communautaire des variétés végétales du 15 juin 2001 a publié la demande de la société anonyme Nicolaï pour la variété de pommes Nicoter, faite le 27 avril 2001.

Il ne ressort pas des pièces de la demanderesse et de Better3fruit à quel moment une reconnaissance en tant qu'obtenteur a été accordée. Il peut peut-être se déduire de la pièce 11 du dossier des défendeurs que la reconnaissance n'a été faite que le 15 août 2005.

Le bulletin du 15 juin 2004 a publié la modification concernant le demandeur, le représentant pour la procédure ou le titulaire de la protection des obtentions végétales, et suivant cette mention la détention de la protection des obtentions végétales pour la variété de pommes Nicoter a été transférée de Nicolaï à Better3fruit, le 20 avril 2004.

Suivant les indications de ce bulletin, Nicolaï est resté enregistré en tant qu'obtenteur.

Pour cette raison, il n'est pas clair s'il s‘agit d'une modification du demandeur ou d'une modification de l'identité du titulaire de la protection de l'obtention végétale déjà reconnue.

Suivant la pièce 13 du dossier des défendeurs (la demanderesse et Better3fruit ne déposent pas de pièces concernant le dépôt de marque) la marque Kanzi a été déposée le 8 novembre 2001 et le titulaire de la marque est Better3fruit.

Ce dépôt a été fait pour les classes 16, matériel d'emballage pour fruits, matériel de promotion et brochures concernant le marketing de fruits et pour la classe 31, fruits frais.

Les licenciés sont : la société coopérative à responsabilité limitée EFC (9 février 2005) et la société anonyme Greenstar Kanzi Europe (22 septembre 2006).

La protection communautaire des obtentions végétales a été apportée dans Better3fruit par Nicolaï (suivant ses propres précisions du 3 septembre 2002).

Better3fruit a accordé une licence exclusive sur la protection communautaire des obtentions végétales et sur les marques à Nicolaï en 2003 (aucune date plus précise n'a été donnée ni par la demanderesse ni par Better3fruit).

La société anonyme Greenstar Kanzi Europe (GKE) a été créée le 5 mai 2004.

La demanderesse a obtenu en vertu d'une sous-licence les droits d'exploitation exclusifs de la protection communautaire des obtentions végétales sur Nicoter et sur la marque Kanzi en ce qui concerne la culture fruitière.

Les parties contestent la date de ce contrat.

Ce contrat de licence conclu entre Better3fruit et Nicolaï a été résilié le 20 janvier 2005.

Suivant la facture n° 240255 du 24 décembre 2004, Nicolaï a vendu 7.000 arbres de deux ans d'âge de la variété Kanzi au premier défendeur.

Le 4 décembre 2007, l'huissier de justice a constaté que le second défendeur, J.G., vendait des pommes de la marque Kanzi sur le marché de Hasselt et qu'elles provenaient de chez le premier défendeur.

En vertu de l'article 104 du Règlement n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales la demanderesse a le droit d'introduire une action en cessation en ce qui concerne les prétendues infractions à la protection des obtentions végétales.

7.

Il ressort des pièces (notamment des brochures publicitaires) et des précisions données, que la dénomination Kanzi est destinée (à tout le moins jusqu'à ce jour) à une pomme d'une variété bien précise, Nicoter Kanzi est, dès lors, le nom qui est donné à une variété de pommes bien déterminée provenant d'arbres de la variété Nicoter, afin de la distinguer d'autres variétés de pommes.

Il n'est pas contesté que ces pommes proviennent des arbres Nicoter qui sont les seuls à produire les pommes Kanzi.

A ce propos, il faut aussi se référer à l'alinéa 3 de l'article 13 du Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales en ce qui concerne le matériel de récolte.

8.

La violation invoquée de la protection communautaire des obtentions végétales concernant les pommiers Nicoter équivaut en bref à ce que la demanderesse reproche au premier défendeur d'avoir acquis de manière illégale des arbres Nicoter et d'avoir ainsi cultivé de manière illégale des pommes Kanzi en concluant que la commercialisation de la récolte en tant que pommes Kanzi, constitue une infraction aux usages honnêtes du commerce.

9.

Il n'y a aucune indication que la facture de Nicolaï du 24 décembre 2004 ne correspond pas à la réalité tant en ce qui concerne l'objet de l'achat-vente qu'en ce qui concerne le moment de la vente. L'achat-vente de Nicolaï au premier défendeur de 7.000 pommiers, définis comme étant des arbres Kanzi-Nicoter, fin 2004, est ainsi établie.

10.

S'il faut supposer qu'en 2004 la protection communautaire des obtentions végétales avait déjà été reconnue conformément au règlement 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994, il apparaît qu'au moment de l'achat-vente de Nicolaï au premier défendeur le premier était l'obtenteur reconnu et qu'en vertu du contrat de licence « de 2003 » (...) Better3fruit avait concédé le droit - même exclusif - de cultiver et de vendre les arbres Nicoter en faisant usage des marques y afférentes. L'article 1.2 de ce contrat se réfère pour ces marques à l'annexe n° 2 qui n'est pas jointe à la copie produite du contrat mais il ne peut être mis en doute qu'il s‘agit des marques Nicoter et Kanzi dont il est d'ailleurs question dans l'exposé introductif du contrat et à l'article 6.4 de celui-ci.

Il n'est pas établi que Nicolaï a été privé de ce droit fin 2004. Au contraire, selon la demanderesse et Better3fruit, le contrat n‘aurait été résilié que le 20 janvier 2005. Il peut d'ailleurs se déduire de la lettre de Better3fruit de cette date que ce contrat a été effectivement exécuté jusqu'à cette date, sauf que Nicolaï a omis de respecter ses obligations de paiement.

Le contrat du 13 avril 2004, conclu entre Nicolaï et la demanderesse en création (...) doit être apprécié à la lumière de ce qui précède. En vertu de l'article 2 de ce contrat Nicolaï accorderait aussi à la demanderesse (aussi appelée licenciée Master Europe) une licence exclusive concernant tant la protection communautaire des obtentions végétales que les marques.

L'article 10 de cette convention énonce certes un certain nombre de conditions suspensives et il n'apparaît pas que ce contrat ait jamais reçu une exécution effective alors que le contenu de ladite lettre du 20 janvier 2005 est inconciliable avec le contenu de ce contrat.

Les autres contrats auxquels se réfèrent la demanderesse et Better3fruit datent tous de 2005 et ne sont pas de nature à déterminer les droits dont disposait Nicolaï à la fin de 2004 au moment de ladite vente au premier défendeur.

11.

Sur la base de ce qui précède, la cour d'appel décide qu'en vertu d'un contrat de licence conclu avec Better3fruit, Nicolaï avait le droit fin 2004 de vendre les arbres Kanzi-Nicoter au premier défendeur y compris le droit pour le premier défendeur de commercialiser les pommes produites par ces arbres en tant que pommes Kanzi.

12.

Dans cet achat-vente, le premier défendeur ne s'est pas engagé à respecter certaines prescriptions concernant la culture de pommes Kanzi et la vente de la récolte.

13.

L'article 6 du contrat de licence conclu entre Better3fruit et Nicolaï stipulait toutefois que Nicolaï « ne cèderait ou ne vendrait aucun produit sous licence si la partie adverse concernée ne souscrivait pas au préalable et par écrit à la licence de culture figurant à l'annexe 6 (en cas de partie adverse/obtenteur) ou ne souscrivait pas à la licence de marketing figurant à l'annexe 7 (en cas de partie adverse/partenaire commercial) ».

14.

En vendant les 7.000 arbres Nicoter au premier défendeur sans que celui-ci souscrive à cette licence, Nicolaï a enfreint ses obligations contractuelles.

15.

Il n'est pas établi que le premier défendeur connaissait l'existence et le contenu de ces obligations contractuelles dans le chef de Nicolaï.

16.

Il n'est pas davantage démontré que l'existence de la protection communautaire des obtentions végétales des pommiers Kanzi Nicoter (qui selon les parties résulterait d'un ajout figurant sur la facture) implique que le fruticulteur-agriculteur doit savoir qu'il ne peut acheter les pommiers en question qu'en souscrivant à certaines obligations et qu'il se rend coupable d'une infraction à la protection communautaire des obtentions végétales s'il ne le fait pas.

Le dernier alinéa de l'article 13 du Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales dispose que le titulaire peut subordonner son accord à des conditions et des limitations. Il n'appartenait pas au premier défendeur de s'informer pour savoir s'il avait été fait usage de ces possibilités.

17.

Fait ainsi défaut la preuve que le premier défendeur savait ou devait savoir qu'il avait acheté les pommiers en violation des obligations contractuelles précitées dans le chef de son cocontractant Nicolaï.

En achetant les pommiers de la variété Nicoter de celui qui pouvait légalement vendre les pommiers en tant qu'obtenteur, le premier défendeur peut commercialiser les pommes en tant que pommes Kanzi et le second défendeur pouvait vendre les pommes en tant que pommes Kanzi.

Pour ces motifs, les demandes de la demanderesse sont non fondées.

18.

Il est donc superflu d'examiner si avant la vente de pommiers au premier défendeur fin 2004, le droit de cultiver était déjà reconnu de sorte qu'il ne faut pas davantage examiner quels effets doivent être déduits de l'article 95 du Règlement quant à l'action en cessation ».

Griefs

(...)

Troisième branche

Conformément à l'article 11 du Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, a droit à la protection communautaire des obtentions végétales la personne qui a créé ou qui a découvert et développé la variété, dénommée «obtenteur ». La protection communautaire des obtentions végétales peut être transférée à un ou plusieurs ayants droit (article 23 du Règlement (CE) n° 2100/94).

L'article 13 de ce Règlement (CE) n° 2100/94 précité dispose que la protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son titulaire le droit d'accomplir les actes indiqués au paragraphe 2 de cette disposition. Ainsi l'autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les composants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée : a) production ou reproduction (multiplication),

b) conditionnement aux fins de la multiplication, c) offre à la vente, d) vente ou autre forme de commercialisation, e) exportation à partir de la Communauté, f) importation dans la Communauté, g) détention aux fins mentionnées aux points a) à f).

L'article 13, alinéa 2, du Règlement (CE) n° 2100/94 dispose encore que le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations.

L'article 13, alinéa 3, de ce Règlement dispose que le paragraphe 2 précité de cet article s'applique au matériel de récolte uniquement si celui-ci a été obtenu par l'utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et sauf si le titulaire a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits composants variétaux.

L'article 16 du Règlement (CE) n° 2100/94 précité dispose encore que la protection communautaire des obtentions végétales ne s'étend pas aux actes concernant du matériel de la variété protégée ou d'une variété couverte par les dispositions de l'article 13 paragraphe 5 qui a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de la Communauté, ou du matériel dérivé dudit matériel.

Conformément à l'article 27 du Règlement (CE) n° 2100/94 précité, la protection communautaire des obtentions végétales peut faire, en totalité ou en partie, l'objet de licences d'exploitation contractuelles. Ces licences peuvent être exclusives ou non exclusives. Le titulaire peut invoquer les droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales à l'encontre d'une personne détenant une licence d'exploitation qui enfreint l'une des conditions ou limitations attachées à sa licence en vertu du paragraphe 1er.

Conformément à l'article 94 du Règlement (CE) n° 2100/94 précité, toute personne qui accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l'article 13 paragraphe 2 à l'égard d'une variété faisant l'objet d'une protection communautaire des obtentions végétales peut faire l'objet d'une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon. L'action en contrefaçon peut être exercée par le titulaire. Un licencié peut exercer l'action en contrefaçon (article 104 du Règlement (CE) n° 2100/94 précité).

Il résulte des dispositions précitées que le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales est seul compétent pour produire ou reproduire les composants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, pour les conditionner aux fins de la multiplication, pour les offrir à la vente, pour les vendre ou les commercialiser sous une autre forme, ou pour les détenir aux fins mentionnées ci-dessus (article 13 du Règlement (CE)

n° 2100/94).

La protection communautaire est toutefois épuisée dès que le matériel de la variété protégée, ou du matériel dérivé dudit matériel, a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de la Communauté (article 16 du Règlement (CE) n° 2100/94). L'application de cette disposition requiert que le matériel soit cédé par le titulaire ou avec son consentement à des tiers.

Le licencié peut, en vertu du contrat de licence, poser les actes prévus à l'article 13, alinéa 2, dudit Règlement qui, en principe, ne peuvent être posés que par le titulaire de la protection communautaire. Dès lors que le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations (article 13, alinéa 2, du Règlement précité) celui-ci peut aussi subordonner la licence à des limitations (article 27, alinéas 1er et 2, du Règlement).

Si le licencié cède du matériel sans respecter les limites attachées à la licence, ce matériel est alors cédé sans l'autorisation du titulaire de la protection communautaire et ce dernier reprend tous ses droits en ce qui concerne ce matériel (articles 13, 16 et 27 du Règlement précité).

Cela signifie que le titulaire de la protection communautaire ne peut pas uniquement invoquer ses droits à l'égard du licencié qui ne respecte pas les limites attachées à la licence mais peut aussi s'opposer au tiers auquel le licencié a cédé le matériel sans l'autorisation du titulaire et qui, à son tour, pose des actes visés à l'article 13, alinéa 2, dudit Règlement. Il est sans intérêt à cet égard de savoir si le tiers est ou non de bonne foi et connaissait ou non les limites imposées au licencié.

Il n'était pas contesté entre les parties qu'à la fin de 2004 Better3fruit était titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales Nicoter (...). Les juges d'appel ont constaté qu'à la fin 2004 Nicolaï avait le droit, à la suite du contrat de licence conclu avec Better3fruit, de vendre les arbres de la variété Nicoter au premier défendeur avec le droit pour celui-ci de commercialiser en tant que pommes Kanzi, les pommes récoltées sur ces arbres achetés. Les juges d'appel ont toutefois constaté que dans le contrat de licence conclu entre Better3fruit et Nicolaï la vente des arbres au premier défendeur était subordonnée à des conditions que le licencié n'a pas respectées lors de la vente au premier défendeur de sorte qu'en vendant les arbres au premier défendeur Nicolaï a enfreint ses obligations contractuelles à l'égard du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales, Better3fruit.

Il ressort, dès lors, des constatations de l'arrêt attaqué que les arbres de la variété Nicoter n'ont pas été cédés avec l'autorisation du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales, de sorte que les actes posés par les défendeurs sans l'autorisation de ce dernier, constituent une infraction aux droits du titulaire de la protection communautaire et que ce dernier, comme la demanderesse, pouvait, dès lors, interpeller les défendeurs en vertu des articles 94 et 104 du Règlement (CE) n° 2100/94.

Le seul fait que le premier défendeur ignorait et ne devait pas connaître les obligations contractuelles dans le chef de Nicolaï ne déroge pas à ce qui précède.

En décidant que les défendeurs n'ont pas commis d'infraction aux droits du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales et que le premier défendeur pouvait vendre les pommes en tant que pommes Kanzi, par le motif que si en tant que licencié Nicolaï n'avait le droit de vendre les pommiers que sous condition, les défendeurs ignoraient ces conditions, et que l'on ne pouvait attendre d'eux qu'ils connaissent ces conditions imposées par le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales, les juges d'appel ont violé les articles 11, 13, 16, 23, 27, 94 et 104 du Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales.

En décidant, en outre, qu'il est sans pertinence de savoir si avant la vente fin 2004 la protection communautaire des obtentions végétales a été accordée pour la vente de pommiers qui a eu lieu fin 2004, les juges d'appel ont violé aussi les articles 11, 13,16, 23, 27, 94 et 104 du Règlement (CE)

n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales. Pour les motifs précités, Better3fruit pouvait en effet exercer ses droits à l'égard des défendeurs et réclamer la cessation de la contrefaçon, dans la mesure où elle était effectivement titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales fin 2004. En vertu de l'article 104 du Règlement (CE) n° 2100/94, le même droit appartenait aussi à la demanderesse.

IV. La décision de la Cour

(...)

Quant à la troisième branche :

4. Contrairement à ce qu'invoque le moyen, en cette branche, les juges d'appel n'ont pas considéré qu'il est « sans pertinence » de savoir si le défendeur s'était déjà vu reconnaître la protection communautaire des obtentions végétales avant la vente des pommiers au premier défendeur fin 2004, mais ils ont considéré qu'il est « surabondant » d'examiner si la protection communautaire des obtentions végétales était déjà reconnue avant ladite vente dès lors qu'ils ont décidé par d'autres motifs que la demande de la demanderesse est non fondée « s'il faut se fonder sur l'hypothèse que la protection communautaire des obtentions végétales était déjà accordée en 2004 (...) ».

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé sur une lecture erronée de la décision attaquée et manque, dès lors, en fait.

5. Le moyen, en cette branche, critique en outre la décision des juges d'appel suivant laquelle H., le premier défendeur, pouvait commercialiser les pommes en tant que pommes Kanzi et que J.G., le second défendeur, pouvait vendre les pommes sous la dénomination pomme Kanzi, par le motif que si, en tant que licencié, Nicolaï n'avait le droit de vendre les pommiers que sous réserve, le premier défendeur ignorait ces conditions et que l'on ne pouvait pas davantage attendre de lui qu'il connaisse ces conditions imposées au licencié par le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales.

6. Conformément à l'article 94.1.a) du Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, tel qu'il a été modifié par le Règlement (CE)

n° 873/2004 du Conseil du 29 avril 2004, toute personne qui accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l'article 13 paragraphe 2 à l'égard d'une variété faisant l'objet d'une protection communautaire des obtentions végétales peut faire l'objet d'une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon et/ou en versement d'une rémunération équitable.

7. En vertu de l'article 104.1 du même Règlement l'action en contrefaçon peut être exercée par le titulaire et un licencié peut exercer l'action en contrefaçon, sauf si cette possibilité a été expressément exclue par un accord avec le titulaire dans le cas d'une licence d'exploitation exclusive ou par l'Office, conformément à l'article 29 ou à l'article 100 paragraphe 1.

8. L'article 13 de ce même Règlement dispose que :

« 1. La protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son ou ses titulaires, ci-après dénommés « titulaire », le droit d'accomplir les actes indiqués au paragraphe 2.

2. Sans préjudice des articles 15 et 16, l'autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, ci-après dénommés « matériel » :

a) production ou reproduction (multiplication) ;

b) conditionnement aux fins de la multiplication ;

c) offre à la vente ;

d) vente ou autre forme de commercialisation ;

e) exportation à partir de la Communauté ;

f) importation dans la Communauté ;

g) détention aux fins mentionnées aux points a) à f).

Le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations.

3. Le paragraphe 2 s'applique au matériel de récolte uniquement si celui-ci a été obtenu par l'utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et sauf si le titulaire a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits composants variétaux (...) ».

9. En vertu de l'article 16 de ce même Règlement, la protection communautaire des obtentions végétales ne s'étend pas aux actes concernant du matériel de la variété protégée ou d'une variété couverte par les dispositions de l'article 13 paragraphe 5 qui a été cédé à des tiers par le titulaire ou avec son consentement en un lieu quelconque de la Communauté, ou du matériel dérivé dudit matériel.

10. En vertu de l'article 27.1 de ce même Règlement la protection communautaire des obtentions végétales peut faire, en totalité ou en partie, l'objet de licences d'exploitation contractuelles. Ces licences peuvent être exclusives ou non exclusives.

Conformément à l'article 27.2, le titulaire peut invoquer les droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales à l'encontre d'une personne détenant une licence d'exploitation qui enfreint l'une des conditions ou limitations attachées à sa licence en vertu du paragraphe 1.

11. Il ressort des constatations non contestées de l'arrêt attaqué que :

- la demande de constatation d'une infraction, visée à l'article 94 juncto 104 du Règlement (CE) n° 2100/94, est introduite contre H., le premier défendeur, qui a acheté sans réserve du matériel au licencié et contre G., le second défendeur, qui a ensuite commercialisé ce matériel ;

- il a toutefois été convenu dans le contrat de licence conclu entre le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales et le licencié que la cession ou la vente de chaque produit sous licence est subordonnée à la condition que la partie adverse intéressée souscrive par écrit une licence de culture ou une licence de marketing.

12. Le moyen, en cette branche, se référant aux articles 13, 16 et 27 du Règlement (CE) n° 2100/94, est fondé sur l'hypothèse, que si le licencié cède du matériel sans respecter les limitations attachées à la licence, ce matériel est cédé sans l'autorisation du titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales et que celui-ci reprend donc tous ses droits concernant ce matériel.

13. Il ressort des arrêts rendus par la Cour de justice dans la cause C-16/03 du 30 novembre 2004 (Peak Holding) et dans la cause C-59/08 du 23 avril 2003 (Copad), dans le cadre de l'article 7 de la Directive du Conseil n°89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques, que le titulaire de la marque, après que les produits sont mis dans le commerce avec son autorisation, ne peut s'opposer que dans certaines circonstances, en raison de l'épuisement de son droit, à la revente de ces produits par un tiers même s'il apparaît que le licencié de la marque a agi à cette occasion, en violation d'une disposition du contrat de licence entre le titulaire de la marque et le licencié.

Il n'est pas exclu que l'article 16 du Règlement (CE) n° 2100/94 doit être interprété de manière analogue.

14. D'autre part, il ressort du premier considérant du Règlement (CE) n° 2100/94 que les variétés végétales posent des problèmes spécifiques pour ce qui est du régime de propriété industrielle applicable. A cet égard, il y a lieu de remarquer que l'article 14 du Règlement (CE) n° 2100/94, règle expressément la dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales afin de protéger les intérêts légitimes de l'obtenteur et de l'agriculteur. La Cour de justice rappelle, à ce propos, que les dispositions de l'article 14 précité, qui sont établies dans l'intérêt général de la sauvegarde de la production agricole, constituent une exception à la règle de l'article 13, alinéa 2, de ce même Règlement (Cour de Justice, 10 avril 2003, Schulin, cause C-305/00, n°47 ; Cour de justice, 14 octobre 2004, Saatgut-Treuhandverwaltungsgesellschaft GmbH c. Brangewitz, cause C-336/02, n° 37).

Ce qui précède pourrait indiquer que l'épuisement des conséquences juridiques de la protection communautaire des obtentions végétales comme prévu par l'article 16 du Règlement (CE) n° 2100/94 doit être interprété de manière plutôt stricte en ce sens que le droit n'est pas épuisé lorsque le titulaire a subordonné la cession de ses droits à des conditions et que celles-ci n'ont pas été respectées lors de la commercialisation ultérieure du matériel.

15. Se pose ainsi la question de savoir si les actes précités posés par les défendeurs constituent des infractions à l'article 13.2 dudit Règlement contre lesquelles le titulaire ou le licencié, peuvent introduire une demande conformément à l'article 94 juncto article 104 de ce Règlement. Le cas échéant, se pose aussi la question de savoir si lors de l'appréciation de l'infraction il est important que les défendeurs connaissaient ou devaient connaître ces limitations au contrat de licence.

16. Ces questions ne peuvent trouver une solution que par l'interprétation des articles du Règlement (CE) n° 2100/94 précités.

17. Avant de statuer, la Cour doit donc poser à la Cour de justice les questions préjudicielles formulées dans le dispositif de cet arrêt conformément à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne , en vue de l'interprétation des articles précités.

Par ces motifs,

La Cour

Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice réponde aux questions préjudicielles suivantes :

1. L'article 94 du Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, tel qu'il a été modifié par le Règlement (CE) n° 873/2004 du Conseil du 29 avril 2004, lu conjointement avec les articles 11.1, 13.1 à 13.3 inclus, 16, 27 et 104 du Règlement (CE) n° 2100/94 précité, doit-il être interprété en ce sens que le titulaire ou le licencié peut introduire une action en contrefaçon contre toute personne qui accomplit des actes à l'égard de matériel qui a été vendu à ce dernier ou cédé par un licencié lorsque les limitations stipulées dans le contrat de licence entre le licencié et le titulaire de la protection communautaire des obtentions végétales, en cas de vente de ce matériel n'ont pas été respectées ?

2. Dans l'affirmative, importe-t-il pour l'appréciation de l'infraction que celui qui accomplit cet acte connaissait ou soit censé connaître les limitations imposées par ledit contrat de licence ?

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Ghislain Londers, le président de section Robert Boes, les conseillers Eric Dirix, Eric Stassijns et Geert Jocqué, et prononcé en audience publique du vingt-cinq février deux mille dix par le premier président Ghislain Londers, en présence de l'avocat général Guy Dubrulle, avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.

Traduction établie sous le contrôle du premier président Ghislain Londers et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le premier président,