Cour de cassation: Arrêt du 30 avril 2001 (Belgique). RG S970098F

Date :
30-04-2001
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
9 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20010430-11
Numéro de rôle :
S970098F

Résumé :

N'est pas une condition d'octroi de la pension mais une condition de paiement de celle-ci, la cessation de toute activité professionnelle autre que celle déterminée par l'article 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants (1).

Arrêt :

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N° S.97.0098.F
M. A.,
demandeur en cassation d'un arrêt rendu le 11 avril 1997 par la cour du travail de Bruxelles,
représenté par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
INSTITUT NATIONAL D'ASSURANCES SOCIALES POUR TRAVAILLEURS INDEPENDANTS, établissement public dont le siège est établi à Bruxelles, place Jean Jacobs, 6,
défendeur en cassation,
représenté par Maître René Bützler, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Ganshoren, avenue de Villegas, 33-34, où il est fait élection de domicile.
LA COUR,
Ouï Monsieur le conseiller Storck en son rapport et sur les conclusions de Monsieur Leclercq, premier avocat général;
Vu l'arrêt attaqué, rendu le 11 avril 1997 par la cour du travail de Bruxelles;
Sur le premier moyen, pris de la violation des articles 16, 149, 159 de la Constitution, 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, 1er, § 1er, du premier Protocole additionnel à cette convention du 20 mars 1952 (lesdits convention et protocole approuvés par la loi belge du 13 mai 1955), 1er, 2, 3, 10 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants (l'article 10 tel qu'il a été modifié par la loi du 14 décembre 1989 et, pour autant que de besoin, tel qu'il était en vigueur avant cette modification) et, pour autant que de besoin, 126 de la loi du 15 mai 1984 portant des mesures d'harmonisation dans le régime des pensions,
en ce que, après avoir constaté, en substance, que le demandeur bénéficiait d'une pension de retraite, à charge du défendeur, depuis le 1er janvier 1991; que, par décisions notifiées les 15 décembre 1994 et 16 février 1995, le défendeur a privé le demandeur du bénéfice de cette pension, au motif que depuis cette date, les revenus de l'activité professionnelle que le demandeur continue à exercer dépassent la limite autorisée par l'article 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 (motifs du jugement dont appel que l'arrêt s'approprie), l'arrêt, par confirmation du jugement du tribunal du travail, déclare non fondés les recours introduits par le demandeur contre les décisions notifiées les 15 décembre 1994 et 16 février 1995; que l'arrêt rejette le moyen invoqué dans les conclusions du demandeur selon lequel les articles 30bis de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants et 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants - dispositions sur pied desquelles étaient prises les décisions (administratives) attaquées - (a) ont porté atteinte à son droit de propriété, garanti à la fois par l'article 1er, § 1er, du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et par l'article 16 de la Constitution belge et (b) établissent une discrimination contraire au principe d'égalité entre les travailleurs indépendants ayant atteint l'âge de la retraite, selon qu'ils bénE
ACUTE;ficient de revenus professionnels ou de revenus d'une autre nature, par les motifs suivants : (1) en droit belge, "le financement des pensions (de retraite des travailleurs indépendants) est assuré par le produit des cotisations, majorations et intérêts des travailleurs indépendants, par une subvention annuelle de l'Etat et par des emprunts que (le défendeur) peut contracter; (le demandeur) ne possède aucun droit de propriété sur une fraction identifiable de ce patrimoine qui n'est nullement constitué par ses seuls versements; de plus, son droit aux prestations de retraite n'est pas exigible, dès lors que ce droit ne naît pas du paiement des cotisations mais de la réalisation des conditions mises par le législateur à la naissance de ce droit et à l'obtention des prestations; le droit à la pension, issu de la sécurité sociale, est un droit politique (...); l'obtention de ce droit est liée à certaines conditions bien précises; (le demandeur) a décidé de demander sa pension tout en continuant à exercer une activité professionnelle; dès lors que cette activité lui procure des revenus supérieurs aux limites autorisées, (le demandeur) ne remplit pas les conditions réglant le paiement des avantages prévus en matière de pension de retraite" (motifs du premier juge que l'arrêt s'approprie); "en adhérant au système de sécurité sociale, (le demandeur) a acquis une série de créances conditionnelles, à savoir le droit à des prestations exigibles dans des conditions préétablies, amplement portées à sa connaissance, dont la pension allouée à un âge déterminé par la loi et à condition d'arrêter ou tout au moins de réduire son activité à certaines limites pour faire place au travail des jeunes générations; cette solidarité imposée n'a évidemment rien à voir avec l'expropriation au sens de la Constitution" (motifs propres de l'arrêt); (2) "(le demandeur) reproche à la réglementation concernée de ne tenir compte que des revenus professionnels du pensionné pour déterminer la limite à partir de laquelle la pension est suspendue et d'établir ainsi une discrimination entre le travailleur pensionné qui est obligé de continuer à travailler pour survivre et celui qui, assuré des revenus confortables provenant de ses propriétés mobilières ou immobilières, peut arrêter son activité et jouir de sa pension complète, alors que ses ressources globales dépassent les limites imposées au premier; ce faisant, (le demandeur) feint d'ignorer que ce n'est pas en raison de ses ressources que le pensionné qui continue à travailler est l'objet de la suspension, mais en raison de l'activité professionnelle qu'il continue d'exercer et dont le montant des revenus professionnels ne fait que mesurer, forfaitairement, l'importance : il est donc parfaitement cohérent, dans la ratio legis du système, de n'infliger aucune suspension à celui qui s'arrête de travailler ou réduit son activité dans la mesure définie par la loi, même s'il dispose, en tant qu'héritier ou épargnant, de ressources globales supérieures au plafond des revenus professionnels (admissibles)" (motifs propres de l'arrêt); "la différence entre les deux catégories de personnes résulte (...) non pas des dispositions (lEAC
UTE;gales et réglementaires critiquées par le demandeur) et d'une différence de traitement social mais bien d'une différence ou d'une inégalité financière préexistante à la prise de la pension" (motifs des premiers juges que l'arrêt s'approprie),
alors que, première branche, l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit le "droit au respect des biens" et dispose que "nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international"; qu'une créance conditionnelle ou même éventuelle constitue un bien au sens dudit article 1er; que, dès lors, la créance relative à une pension de retraite de travailleur indépendant entre dans le champ d'application de l'article 1er, § 1er, du premier Protocole; qu'il en est ainsi, à tout le moins, lorsqu'il existe un rapport direct entre le montant des cotisations de sécurité sociale perçues à charge du travailleur indépendant et celui de la pension de retraite à laquelle il peut prétendre et ce, même lorsque les ressources de l'organisme débiteur de la pension de retraite ne sont pas constituées exclusivement par la capitalisation des cotisations de sécurité sociale perçues à charge du travailleur indépendant mais que cet organisme bénéficie de ressources complémentaires, provenant, notamment, de subventions étatiques ou d'emprunts contractés sur le marché des capitaux; qu'en vertu de l'article 126 de la loi du 15 mai 1984 portant des mesures d'harmonisation dans le régime des pensions, il existe, dans le régime belge de pensions de retraite des travailleurs indépendants, un rapport direct entre le montant des cotisations de sécurité sociale perçues à charge du travailleur indépendant et celui de la pension de retraite dont il peut bénéficier; que la créance - fût-elle conditionnelle - relative à la pension de retraite constitue dès lors, dans le chef du travailleur indépendant, un bien garanti par l'article 1er du premier Protocole additionnel; qu'en conséquence, la décision attaquée n'est légalement justifiée, ni par le motif que les ressources du défendeur ne proviennent pas exclusivement des "cotisations, majorations et intérêts des travailleurs indépendants" mais sont assurées, partiellement, "par une subvention annuelle de l'Etat et par des emprunts", ni par le motif que le demandeur "n'a aucun droit de propriété sur une partie du patrimoine du (défendeur)"; qu'en se fondant sur ces motifs pour écarter la thèse du demandeur selon laquelle les dispositions légales et réglementaires de droit interne sur pied desquelles ont été prises les décisions litigieuses sont contraires à l'article 1er, § 1er, du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'arrêt méconnaît la notion de "bien" au sens de cette norme internationale (violation des articles 159 de la Constitution et 1er, § 1er, du Protocole visé en tête du moyen et, pour autant que de besoin, violation de l'article 126 de la loi du 15 mai 1984 portant des mesures d'harmonisation dans le régime des pensions);
deuxième branche, les notions de "bien" et de "droit de propriété" au sens de l'article 1er, § 1er, du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être interprétées de manière autonome et non par référence aux concepts du droit interne; qu'un droit de créance peut entrer dans le champ d'application dudit article 1er, § 1er, du premier Protocole même si ce droit de créance est qualifié de "droit politique" au sens de l'article 145 de la Constitution; qu'en conséquence, le motif selon lequel le droit à une pension de retraite de travailleur indépendant constitue, en droit interne, un droit politique ne justifie pas légalement la décision d'écarter le moyen fondé par le demandeur sur l'article 1er, § 1er, du premier Protocole (violation des articles 159 de la Constitution et 1er, § 1er, du Protocole visé en tête du moyen);
troisième branche, le motif de l'arrêt selon lequel, "en adhérant au système de sécurité sociale, (le demandeur) a acquis une série de créances conditionnelles" est obscur ou, à tout le moins, ambigu; que ce motif pourrait s'interpréter dans le sens que le régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants est de nature conventionnelle, le travailleur indépendant ayant le choix de s'affilier ou non à ce régime; que d'autres interprétations sont toutefois concevables, eu égard aux termes utilisés par les juges du fond; que l'obscurité ou, à tout le moins, l'ambiguïté dont les motifs de l'arrêt sont ainsi entachés ne permet pas à la Cour de contrôler la légalité de la décision attaquée (violation de l'article 149 de la Constitution); que si le motif précité signifie que le travailleur indépendant a la liberté de s'affilier ou non au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants, l'arrêt, dans cette interprétation, méconnaît la règle selon laquelle tout travailleur indépendant doit, dès le début de son activité professionnelle, s'affilier à une caisse d'assurance sociale (violation des articles 1er, 2, 3 et 10 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, l'article 10 tel qu'il a été modifié par la loi du 14 décembre 1989 et, pour autant que de besoin, tel qu'il était en vigueur avant cette modification);
quatrième branche, le motif selon lequel la "solidarité imposée" aux travailleurs indépendants "n'a évidemment rien à voir avec une expropriation au sens de la Constitution" est obscur ou, à tout le moins, ambigu; que ce motif pourrait signifier qu'il suffit, pour qu'une expropriation soit conforme aux articles 16 de la Constitution et 1er, § 1er, du premier Protocole additionnel, que la ratio legis de cette mesure d'expropriation soit d'imposer un effort de solidarité à certaines catégories de citoyens; que d'autres interprétations sont toutefois concevables, eu égard aux termes utilisés par les juges du fond; qu'en conséquence, les motifs de l'arrêt ne permettent pas à la Cour de contrôler la légalité de la décision attaquée (violation de l'article 149 de la Constitution); que pour qu'une expropriation soit conforme à l'article 1er, § 1er, du premier Protocole additionnel et à l'article 16 de la Constitution, il ne suffit pas qu'elle soit inspirée par la volonté d'imposer un effort de solidarité à certaines catégories de citoyens; que, dès lors, si l'arrêt doit se comprendre dans cette interprétation, il méconnaît les articles 16, 159 de la Constitution et 1er, § 1er, du Protocole visé en tête du moyen;
cinquième branche, les articles 30bis de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 et 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 établissent une différence de traitement entre, d'une part, les travailleurs indépendants ayant atteint l'âge de la pension dont les revenus professionnels dépassent le plafond prévu par ces dispositions et, d'autre part, les travailleurs indépendants ayant atteint l'âge de la pension dont les revenus professionnels sont inférieurs audit plafond mais qui bénéficient de revenus d'autre nature d'un montant égal ou supérieur à ce plafond; qu'à certaines conditions, les travailleurs indépendants de la première catégorie sont totalement privés du droit à la pension; que l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibe toute discrimination dans la jouissance des droits et libertés garantis par la Convention elle-même ou par ses protocoles additionnels; que, pour qu'une différence de traitement dans la protection d'un droit de créance soit conforme à l'article 14, il ne suffit pas que cette différence de traitement se fonde sur un élément objectif préexistant, telle qu'une inégalité financière préexistante; qu'il faut que la différence de traitement soit raisonnablement justifiée, ce qui suppose qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés par le législateur et l'objectif poursuivi par lui; que la règle privant une catégorie de travailleurs indépendants, catégorie définie en fonction de l'origine des revenus de ces travailleurs, de tout droit à la pension de retraite pour laquelle ils ont cotisé pendant toute la durée de leur carrière n'est pas raisonnablement proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur, cet objectif fût-il de "faire place au travail des jeunes générations"; que les juges nationaux doivent écarter l'application des dispositions du droit interne établissant une telle discrimination; qu'en conséquence, l'arrêt ne jus
tifie pas légalement le rejet des recours introduits par le demandeur contre les décisions prises sur pied desdits articles 30bis de l'arrêté royal n° 72 et 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 (violation des articles 159 de la Constitution, 14 de la Convention internationale et 1er, § 1er, du Protocole visés en tête du moyen) :
Attendu que, par adoption des motifs du jugement entrepris, l'arrêt constate que le demandeur, qui a exercé la profession d'avocat de 1953 à 1961, a demandé à partir du 1er janvier 1991 la pension de retraite à laquelle il pouvait prétendre dans le régime des travailleurs indépendants; que, par sa décision du 4 avril 1991 qui, n'ayant pas été modifiée, subsiste au moment où il statue, le défendeur a déterminé la carrière du demandeur et lui a octroyé cette pension avec effet au 1er janvier 1991; qu'à partir de 1993, les revenus de la profession d'avocat dont le demandeur a repris l'exercice en septembre 1990 ont dépassé les limites du cumul autorisé et que, par les décisions administratives querellées, le paiement de sa pension de retraite a dès lors été suspendu depuis le 1er janvier 1993;
Attendu que l'arrêt relève, sans être critiqué, que le demandeur ne conteste pas qu'en arrêtant ces dernières décisions, le défendeur a fait de la réglementation en vigueur une exacte application mais soutient que cette réglementation ne peut pas être appliquée en raison de sa contrariété à des normes supérieures;
Attendu qu'en vertu de l'article 3 de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants, la pension de retraite est accordée à celui qui, répondant aux conditions d'octroi fixées à cette disposition, en fait la demande;
Attendu que l'article 30bis, alinéa 1er, du même arrêté dispose que la pension ainsi octroyée n'est payable que si le bénéficiaire n'exerce pas d'activité professionnelle;
Que, dérogeant à cette prohibition en exécution des alinéas 2 et 3 dudit article 30bis, l'article 107, § 2, littera a), 2°, de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants autorise, moyennant déclaration préalable, le bénéficiaire d'une pension à exercer une activité professionnelle comme travailleur indépendant pour autant que les revenus professionnels produits par cette activité ne dépassent pas, par année civile, le montant qu'il indique;
Qu'aux termes de l'article 107, § 4, alinéa 1er, 1° et 2°, du règlement général, si les revenus professionnels dépassent ce montant, le paiement de la pension est, pour l'année civile concernée, suspendu dans une mesure variable selon l'importance du dépassement;
Quant à la troisième et à la quatrième branche :
Attendu que l'arrêt considère qu'"en adhérant au système de sécurité sociale, (le demandeur a) acquis une série de créances conditionnelles, à savoir le droit à des prestations exigibles dans des conditions préétablies, (...) dont la pension allouée à un âge déterminé par la loi, et à condition d'arrêter, ou tout au moins de réduire, son activité à certaines limites pour faire place au travail des jeunes générations" et que "cette solidarité imposée n'a rien à voir avec une expropriation";
Attendu que, d'une part, en énonçant que le demandeur a, "en adhérant au système de sécurité sociale, (...) acquis une série de créances conditionnelles", l'arrêt indique, sans l'obscurité ou l'ambiguïté dénoncées par le moyen, en sa troisième branche, que les créances conditionnelles dont le demandeur est titulaire procèdent de son assujetissement à la sécurité sociale des travailleurs indépendants telle qu'elle est organisée par la loi;
Attendu que, d'autre part, si l'arrêt énonce certes que "(la) solidarité imposée (aux travailleurs indépendants) n'a évidemment rien à voir avec une expropriation", il résulte de l'ensemble du motif dans lequel s'insère cette considération comme de son rapprochement avec les constatations de fait de l'arrêt et avec les motifs, qu'il emprunte au jugement entrepris, que "(le) droit (du demandeur) aux prestations de retraite n'est pas exigible dès lors que ce droit ne naît pas du paiement des cotisations mais de la réalisation des conditions mises par le législateur à la naissance de ce droit et à l'obtention des prestations" et que, "dès lors que (l')activité (qu'il continue à exercer) lui procure des revenus supérieurs aux limites autorisées, (le demandeur) ne remplit pas les conditions réglant le paiement des avantages prévus en matière de pension de retraite", que l'arrêt considère, sans l'obscurité ou l'ambiguïté dénoncées par le moyen, en sa quatrième branche, que la suspension du droit du demandeur au paiement de sa pension de retraite est justifiée par le fait qu'il ne satisfait pas à la condition d'avoir arrêté l'exercice de son activité professionnelle, telle que cette condition est précisée par la réglementation, dont la cour du travail n'a entendu, en se référant à la solidarité entre les générations, que souligner l'un des objectifs;
Qu'en chacune de ces branches, le moyen manque en fait;
Quant à la première et à la deuxième branche :
Attendu qu'en ces branches, le moyen, qui expose que le droit aux prestations de sécurité sociale litigieuses constitue un bien au sens de l'article 1er, § 1er, du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le régime de pension de retraite des travailleurs indépendants repose sur le principe de la capitalisation, fait grief à l'arrêt de ne pas justifier légalement sa décision de ne pas lui reconnaître la protection de cette disposition;
Attendu que, par les motifs reproduits en réponse aux troisième et quatrième branches, l'arrêt n'exclut pas que le droit du demandeur à la pension de retraite constitue un bien au sens de l'article 1er, § 1er, du premier Protocole mais considère que les conditions dont dépend l'exigibilité de sa créance ne sont pas réunies, ce qui en empêche le paiement;
Que cette considération, que le moyen, en ces branches, ne critique pas, suffit à justifier la décision de la cour du travail qu'il n'y a pas privation de propriété;
Qu'en ces branches, le moyen qui, fût-il fondé, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable;
Quant à la cinquième branche :
Attendu que le moyen, en cette branche, affirme que l'application des articles 30bis de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 et 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 a pour effet de priver la catégorie de travailleurs indépendants à laquelle appartient le demandeur de tout droit à la pension de retraite pour laquelle ces travailleurs ont cotisé pendant toute la durée de leur carrière;
Attendu qu'il résulte de ces dispositions légales, dont la teneur, dans la mesure où elle intéresse le litige, a déjà été rappelée, que la cessation de toute activité professionnelle autre que celle déterminée par l'article 107 du règlement général n'est pas une condition d'octroi de la pension mais une condition de paiement de celle-ci;
Que le bénéficiaire d'une pension dont le paiement est suspendu, même totalement, en raison de l'importance des revenus professionnels produits par l'activité professionnelle qu'il continue à exercer en tant que travailleur indépendant, n'est pas privé de tout droit à la pension de retraite pour laquelle il a cotisé pendant sa carrière;
Qu'en cette branche, le moyen manque en droit;
Sur le second moyen, pris de la violation des articles 10, 11 et, pour autant que de besoin, 142 de la Constitution et 26 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage du 6 janvier 1989,
en ce que, après avoir constaté, en substance, que le demandeur bénéficiait d'une pension de retraite, à charge du défendeur, depuis le 1er janvier 1991; que, par décisions notifiées les 15 décembre 1994 et 16 février 1995, le défendeur a privé le demandeur du bénéfice de cette pension, au motif que depuis cette date, les revenus de l'activité professionnelle que le demandeur continue à exercer dépassent la limite autorisée par l'article 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967, pris en application de l'article 30bis de l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants (constatations du jugement dont appel que l'arrêt s'approprie), l'arrêt, par confirmation du jugement du tribunal du travail, déclare non fondés les recours introduits par le demandeur contre les décisions notifiées les 15 décembre 1994 et 16 février 1995, aux motifs que "(le demandeur) reproche à la réglementation concernée de ne tenir compte que des revenus professionnels du pensionné pour déterminer la limite à partir de laquelle la pension est suspendue et d'établir ainsi une discrimination entre le travailleur pensionné qui est obligé de continuer à travailler pour survivre et celui qui, assuré des revenus confortables provenant de ses propriétés mobilières ou immobilières, peut arrêter son activité et jouir de sa pension complète, alors que ses ressources globales dépassent les limites imposées au premier; (que) ce faisant, (le demandeur) feint d'ignorer que ce n'est pas en raison de ses ressources que le pensionné qui continue à travailler est l'objet de la suspension mais en raison de l'activité professionnelle qu'il continue d'exercer et dont le montant des revenus professionnels ne fait que mesurer, forfaitairement, l'importance : il est donc parfaitement cohérent, dans la ratio legis du système, de n'infliger aucune suspension à celui qui s'arrête de travailler ou réduit son activité dans la mesure définie par la loi, même s'il dispose, en tant qu'héritier ou épargnant, de ressources globales supérieures au plafond des revenus professionnels (admissibles)" (motifs propres de l'arrêt) et que "la différence entre les deux catégories de personnes résulte (...) non pas des dispositions (légales et réglementaires critiquées par le demandeur) et d'une différence de traitement social mais bien d'une différence ou d'une inégalité financière préexistante à la prise de la pension" (motifs des premiers juges que l'arrêt s'approprie),
alors que l'article 7 de la loi du 12 juillet 1972 modifiant certaines dispositions en matière de statut social des travailleurs indépendants a introduit dans l'arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants un article 30bis, en vertu duquel, sauf dans les cas et sous les conditions déterminés par le Roi, la pension de retraite et la pension de survie "ne sont payables que si le bénéficiaire n'exerce pas d'activité professionnelle"; que l'article 9 de l'arrêté royal n° 1 du 26 mars 1981, pris en exécution de l'article 4 de la loi de redressement relative aux classes moyennes du 10 février 1981, a modifié le texte dudit article 30bis, tout en maintenant sans changement la règle selon laquelle la pension de retraite n'est payable que si le bénéficiaire n'exerce pas d'activité professionnelle; que l'article 30bis de l'arrêté royal n° 72, tel qu'il est ainsi issu de l'article 7 de la loi du 12 juillet 1972, établit une différence de traitement entre, d'une part, les travailleurs indépendants ayant atteint l'âge de la pension qui continuent à exercer une activité professionnelle et, d'autre part, les travailleurs indépendants qui, au même âge, n'ont plus d'activité professionnelle mais bénéficient, le cas échéant, de revenus importants autres que professionnels; qu'à certaines conditions, les travailleurs indépendants de la première catégorie sont totalement privés du droit à la pension; que pour qu'une différence de traitement dans la jouissance d'un droit reconnu, soit par la Constitution, soit par un instrument international, soit par une loi interne, soit conforme aux principes constitutionnels d'égalité et de nondiscrimination, il ne suffit pas que cette différence de traitement se fonde sur un critère objectif, telle qu'une inégalité financière préexistante; qu'il faut encore qu'elle soit raisonnablement justifiée, ce qui implique qu'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés par le législateur et l'objectif poursuivi par lui; que la différence de traitement entre deux catégories de travailleurs indépendants introduite par l'article 7 de la loi du 12 juillet 1972 n'est pas raisonnablement justifiée, eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur, cet objectif fût-il d'imposer un effort de solidarité aux travailleurs indépendants ayant atteint l'âge de la pension, pour "faire place au travail des jeunes générations"; qu'en conséquence, l'article 7 de la loi du 12 juillet 1972 introduisant un article 30bis dans l'arrêté royal n° 72 méconnaît les règles constitutionnelles d'égalité et de non-discrimination; que, dès lors, l'arrêt ne justifie pas légalement le rejet du recours introduit par le demandeur contre les décisions prises sur pied dudit article 30bis de l'arrêté royal n° 72 (violation de toutes les dispositions visées en tête du moyen) :
Attendu qu'il ressort de la réponse à la cinquième branche du premier moyen que le moyen, qui affirme que la réglementation qui a été appliquée prive le demandeur de tout droit à la pension de retraite pour laquelle il a cotisé pendant toute la durée de sa carrière, manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
Rejette le pourvoi;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le défendeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de deux mille neuf cent quatre-vingt-quatre francs envers la partie demanderesse et à la somme de six mille neuf cent soixante-cinq francs envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Monsieur Marchal, premier président, Monsieur Storck, Monsieur Mathieu, Monsieur Plas et Madame Velu, conseillers, et prononcé en audience publique du trente avril deux mille un, par Monsieur Marchal, premier président, en présence de Monsieur Leclercq, premier avocat général, avec l'assistance de Monsieur Bierlaire, greffier.