Cour de cassation: Arrêt du 8 juin 2015 (Belgique). RG S.14.0091.F
- Section :
- Jurisprudence
- Source :
- Justel F-20150608-1
- Numéro de rôle :
- S.14.0091.F
Résumé :
Le ressort d'une commission paritaire est, en règle, déterminé par l'activité principale de l'entreprise concernée, sauf si un autre critère est fixé par l'arrêté qui l'institue; l'insertion sociale et professionnelle de travailleurs défavorisés peut constituer une telle activité (1). (1) Voir les concl. du MP.
Arrêt :
N° S.14.0091.F
OFFICE NATIONAL DE SÉCURITE SOCIALE, établissement public dont le siège est établi à Saint-Gilles, place Victor Horta, 11
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile,
contre
RÉCOL'TERRE, société anonyme à finalité sociale, dont le siège social est établi à Herstal, rue de Milmort, 690,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 mai 2014 par la cour du travail de Liège.
Le 13 mai 2015, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 35 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires ;
- article 1er, § 1er, alinéa 5, de l'arrêté royal du 9 février 1971 instituant certaines commissions paritaires, tel que modifié par l'arrêté royal du 7 mai 2007 ;
- article 1er de l'arrêté royal du 4 novembre 1974 instituant la commission paritaire auxiliaire pour ouvriers et fixant sa dénomination et sa compétence ;
- articles 1er, 19, 69 et 661 du Code des sociétés ;
- article 1er du décret de la Région wallonne du 20 novembre 2008 relatif à l'économie sociale ;
- article 2, § 1er, 2°, 3°, 6°, 7° et 12°, du décret de la Région wallonne du 19 décembre 2012 relatif à l'agrément et à l'octroi de subventions aux entreprises d'insertion ;
- article 16, § 1er, de l'arrêté du gouvernement wallon du 31 janvier 2013 portant exécution du décret du 19 décembre 2012 relatif à l'agrément et à l'octroi de subventions aux entreprises d'insertion.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué déclare l'appel du demandeur non fondé, confirme le jugement du premier juge et dit pour droit que la défenderesse ressortit à la commission paritaire n° 100 auxiliaire pour ouvriers et non à la commission paritaire n° 121 des entreprises de nettoyage et de désinfection, et condamne le demandeur aux dépens, pour les motifs suivants :
« En effet, le critère de détermination du champ de compétence de la commission paritaire n° 121 - dont il a été rappelé plus haut qu'il est de stricte interprétation - requiert que l'activité de récolte en porte-à-porte des papiers et cartons soit effectuée à titre principal.(...)
La matérialité de l'activité d'insertion est donc bien démontrée par le dossier produit aux débats et analysé plus haut.
Il se vérifie que cette activité d'insertion implique directement une part substantielle des travailleurs salariés de l'entreprise. [...]
Il ressort de cet aspect du litige que l'activité d'insertion concerne en définitive, quoique à des titres divers, l'ensemble des travailleurs de l'entreprise (...).
L'argument développé par [le demandeur] et suivi en cela par le ministère public dans son avis déposé devant la cour [du travail], consistant à faire de l'insertion socioprofessionnelle un objectif poursuivi par [la défenderesse], mais non une activité qui serait concrètement exercée en son sein, ne résiste pas à l'analyse.
Certes, il s'agit là de l'objectif poursuivi par cette société anonyme à finalité sociale, que lui assignent et ses statuts et l'agrément dont elle bénéficie.
Il reste cependant que le but et l'objet sont, en pratique, intimement liés : l'activité sociale n'a, en effet, de sens qu'en fonction de la fin à laquelle elle est destinée.
Or c'est précisément cet aspect pratique qui doit être pris en considération dans l'opération de rattachement de l'activité de l'entreprise d'insertion gérée par [la défenderesse] à la commission paritaire compétente. Il s'agit en effet de vérifier si le but poursuivi se traduit concrètement par une activité d'insertion ancrée au quotidien dans les modalités d'exécution et d'organisation du travail au sein de l'entreprise, ce que démontrent en l'espèce les pièces versées aux débats.
L'ensemble des commentaires et développements repris ci-dessus apportent la démonstration que [la défenderesse] déploie en son sein et non pas ‘à côté' ou ‘en plus', mais de façon conjointe à son activité économique de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte, une activité d'insertion qui constitue, comme l'a mis en exergue [un arrêt] de la cour du travail d'Anvers, une activité spécifique de service d'insertion professionnelle.(...)
C'est dès lors à juste titre que [la défenderesse] soutient que ses activités économiques et d'insertion sont indissolublement liées et que ne pas tenir compte de la seconde revient à nier ce qui fait le cœur même de son métier en sorte que sans cette activité permanente d'insertion socioprofessionnelle, son entreprise serait dénaturée.
[Le demandeur] ne peut être suivi lorsqu'il argumente que l'activité d'insertion ne serait tout au plus qu'une fonction d'entreprise, au sens d'une activité partielle ou accessoire, du fait que ladite activité ne ferait que concourir à l'activité économique entreprise. [...]
De manière paradoxale, la direction générale des relations collectives paraît d'ailleurs admettre que l'activité d'insertion de [la défenderesse] ne constitue pas une fonction de l'entreprise qu'elle gère, si du moins l'on s'en tient au libellé de l'en-tête de l'avis litigieux décrivant comme suit l'activité de [la défenderesse] :
‘Réinsertion de personnes socialement défavorisées par, principalement, de la collecte porte-à-porte de papiers et de cartons (47 p.c. de l'emploi)'.
À prendre à la lettre l'intitulé de cet avis - dans lequel l'adverbe ‘principalement' accolé au substantif ‘collecte' exprime que ce type de collecte représente effectivement la majeure partie de l'activité de collectes de divers recyclables - ce serait plutôt l'activité de collecte de porte-à-porte de papiers et cartons qui devrait être considérée comme une fonction de l'activité d'insertion professionnelle, cette activité économique étant alors analysée comme le truchement par lequel l'activité d'insertion est réalisée.
[La défenderesse] elle-même réfute cependant cette analyse, qui consisterait à privilégier l'aspect social de son activité d'insertion sur l'aspect économique de son activité de collecte de recyclables, en faisant justement observer que ces deux activités étroitement liées sont d'égale importance et que l'une ne peut subsister sans l'autre sauf à dénaturer l'activité de cette société commerciale à finalité sociale.
En conclusion, pareil constat, dûment étayé par le dossier produit aux débats, ne peut que conduire à écarter l'appartenance de [la défenderesse] à la commission paritaire n° 121 du secteur du nettoyage du fait que l'activité de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte, quand bien même représentait-elle à l'époque de l'avis litigieux la plus importante partie de l'activité de collecte de recyclables, ne présente pas un caractère principal par rapport à l'activité d'insertion socioprofessionnelle déployée et démontrée par [la défenderesse], ladite activité de service étant consubstantielle à l'activité économique et d'égale importance.
Le critère d'exercice principal de l'activité de collecte n'étant pas établi, alors qu'il est requis par le champ de compétence de cette commission paritaire et de stricte interprétation, il ne pourrait être dit pour droit que [la défenderesse] ressortirait à la commission paritaire n° 121 du secteur du nettoyage sans violer l'arrêté royal constitutif de cette commission paritaire. [...]
Cette commission paritaire n'étant pas compétente, et aucune autre ne l'étant, c'est à la commission paritaire n° 100 que ressortit l'activité de [la défenderesse] et aux règles et conventions collectives de travail arrêtées au sein de cette commission paritaire que doit se conformer celle-ci aux fins de respecter le libre jeu de la concurrence vis-à-vis des autres entreprises relevant de la même commission paritaire n° 100 ».
Griefs
Aux termes de l'article 35 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, le Roi peut, d'initiative ou à la demande d'une ou de plusieurs organisations, instituer des commissions paritaires d'employeurs et de travailleurs ; Il détermine les personnes, la branche d'activité ou les entreprises et le cadre territorial qui sont du ressort de chaque commission.
L'arrêté royal du 9 février 1971, modifié par les arrêtés royaux des 6 juillet 1983, 30 décembre 1985 et 7 mai 2007, a institué la commission paritaire n° 121 pour les entreprises de nettoyage et de désinfection.
L'arrêt attaqué constate que le Roi a « circonscrit en ces termes le champ d'application » de cette commission paritaire à laquelle ressortissent : « les entreprises qui assurent principalement ou avec un groupe d'ouvriers clairement distinct, la collecte de porte à porte, y compris la prise en charge, le chargement ou l'acheminement jusqu'au point de déchargement des déchets en vrac et en récipient, triés ou non, tels que déchets ménagers, encombrants, papiers, cartons, emballages plastiques/métaux/cartons à boissons, organiques et autres ».
L'arrêté royal du 4 novembre 1974 a quant à lui institué une commission paritaire n° 100, dénommée commission paritaire auxiliaire pour ouvriers, compétente pour « les travailleurs dont l'occupation est de caractère principalement manuel et leurs employeurs, à savoir pour les travailleurs qui ne relèvent pas d'une commission paritaire particulière, ni de la commission paritaire auxiliaire pour le secteur non-marchand et pour leurs employeurs ».
Première branche
Comme le souligne l'arrêt attaqué, le fait que ce soit l'activité de l'entreprise qui détermine son appartenance à telle ou telle commission paritaire répond à l'un des objectifs de la loi du 5 décembre 1968 qui est « de garantir une concurrence loyale via une mise à niveau de certains coûts sociaux et une limitation de la concurrence que peuvent se livrer les entreprises d'un même secteur sur le plan des conditions de travail et de rémunération ».
L'affectation d'une entreprise à une commission paritaire déterminée ayant pour objectif de garantir une concurrence loyale avec les entreprises du même secteur, il serait contraire à cet objectif de distraire d'une commission paritaire couvrant un secteur économique (en l'espèce celui du nettoyage) une entreprise qui consacre principalement son activité économique à ce secteur au motif que la finalité de cette activité de nettoyage est la réinsertion professionnelle ou parce qu'elle exercerait conjointement une autre activité, fût-elle principale, mais qui n'est pas économique, car relevant du secteur socioprofessionnel.
L'arrêt attaqué constate que la défenderesse déploie en son sein, « de façon conjointe à son activité économique de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte, une activité d'insertion qui constitue (...) une activité spécifique de service d'insertion professionnelle » et que cette activité d'insertion professionnelle n'est pas une activité économique mais une « activité de service étant consubstantielle à l'activité économique ».
Il n'écarte l'appartenance de la défenderesse à la commission paritaire n° 121 que parce que l'activité de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte, « quand bien même représentait-elle, à l'époque de l'avis litigieux, la plus importante partie de l'activité de collecte de recyclables, ne présente pas un caractère principal par rapport à l'activité d'insertion socioprofessionnelle ».
Il reconnaît en conséquence qu'en fonction de son activité économique principale, la défenderesse doit en principe ressortir à la commission paritaire n° 121 mais qu'elle doit en être écartée dès lors que cette activité économique de collecte n'est pas principale par rapport à son activité non économique conjointe d'insertion professionnelle.
L'erreur fondamentale de l'arrêt attaqué est de considérer que la [défenderesse] exerçait une double activité, une activité selon lui principale d'insertion socioprofessionnelle et une activité « conjointe » de récolte de papiers et de cartons.
En réalité, la [défenderesse] n'a qu'une seule activité, nécessairement principale, la récolte de papiers et de cartons et cette activité est exercée par du personnel en insertion socioprofessionnelle, conformément à son but social.
Par conséquent, le fait que la [défenderesse] poursuit un but social et que son activité concourt à la réalisation de ce but social ne permet pas de dire, comme le fait l'arrêt attaqué, que l'activité de la société se confond avec son but social.
Il en résulte qu'en disant pour droit que la défenderesse ressortit à la commission paritaire n° 100 auxiliaire pour ouvriers au motif que le critère d'exercice principal de l'activité de collecte n'est pas établi, dès lors, au motif que cette activité de collecte de recyclables ne présente pas un caractère principal par rapport à son activité non économique d'insertion professionnelle, l'arrêt attaqué viole l'article 35 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires ainsi que l'arrêté royal du 9 février 1971 instituant la commission paritaire n° 121, en vertu desquels sont du ressort de cette commission paritaire les entreprises qui, comme la défenderesse, poursuivent à titre principal des activités économiques de nettoyage, quelle qu'en soit la finalité et quelles que soient les autres activités socioprofessionnelles de caractère non économiques qu'elles exercent conjointement à cette activité économique, fût-ce même à titre principal.
En décidant ensuite que la défenderesse ressortit à la commission paritaire n° 100, l'arrêt attaqué viole aussi l'arrêté royal du 4 novembre 1974 instituant cette commission paritaire n° 100, en vertu duquel celle-ci n'est compétente que pour les travailleurs dont l'occupation est de caractère principalement manuel et leurs employeurs, à savoir pour les travailleurs qui ne relèvent pas d'une commission paritaire particulière, ni de la commission paritaire auxiliaire pour le secteur non-marchand, et pour leurs employeurs.
Deuxième branche
Quand bien même l'activité d'une entreprise, au sens de la loi précitée de 1968, pourrait ne pas être une activité économique, la décision de l'arrêt attaqué de considérer que les importantes tâches d'insertion des travailleurs, qu'il constate, étaient révélatrices d'une activité d'insertion de celle-ci méconnaît l'objet social pour lequel cette société a été créée et le statut qui y est légalement attaché.
Selon l'article 1er du Code des sociétés, une société est constituée par un contrat aux termes duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun, pour exercer une ou plusieurs activités déterminées et dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect.
L'article 19 précise que toute société doit avoir un objet licite.
L'article 69, 11°, impose que l'acte constitutif des sociétés contienne la désignation précise de l'objet social et la modification de cet objet social n'est possible, en ce qui concerne les sociétés anonymes, que moyennant certaines garanties particulières imposées par l'article 559 du Code des sociétés.
L'arrêt attaqué reconnaît tout d'abord que la défenderesse est une société anonyme, ce qui implique que, en règle, elle exerce une activité en vue de réaliser un profit.
Mais il reconnaît aussi qu'il s'agit d'une société anonyme à finalité sociale régie par l'article 661 du Code des sociétés.
Or, aux termes de cet article 661, les sociétés anonymes ne sont appelées sociétés à finalité sociale que lorsqu'elles ne sont pas vouées à l'enrichissement de leurs associés et que leurs statuts, 2°, définissent de façon précise le but social auquel sont consacrées les activités visées dans leur objet social.
L'article 661 du Code des sociétés distingue donc clairement l'activité de l'entreprise et le but social qui en est la finalité. Ces activités sont celles visées dans l'objet social tel qu'il est décrit dans les statuts.
Les activités visées dans l'objet social de la défenderesse sont exclusivement « l'organisation de la collecte des papiers/cartons ou de tout autre produit » et « toute activité susceptible de favoriser la réalisation de cet objet social ».
L'activité de la défenderesse, même poursuivie en vue de favoriser le but social, n'est donc pas la réalisation de ce but social mais l'organisation de la collecte de papiers et de cartons, ce que confirme sa dénomination sociale « Recol'terre ».
Les statuts précisent ensuite que « la société a pour finalité l'aide aux personnes socialement défavorisées, qu'il s'agisse de chômeurs, handicapés ou de toute autre personne en état de marginalisation, en leur procurant un travail stable et rémunéré dans le cadre de ses activités, pour lesquelles elle pourra organiser tous les types de formation professionnelle nécessaire ».
Il en résulte que l'activité exclusive de l'entreprise est la collecte des déchets, mais que la réinsertion professionnelle n'est que la finalité de cette activité économique de l'entreprise, son but social.
En d'autres termes, la [défenderesse] n'est une société à finalité sociale au sens de l'article 661 précité que parce que, dans ses statuts, elle a déclaré consacrer son activité d'organisation de collecte de déchets à un but social d'insertion et non parce qu'elle exercerait une activité de réinsertion « conjointement » à son activité économique.
Dans le même sens, l'arrêt attaqué reconnaît que la défenderesse est une « entreprise d'insertion » au sens du décret de la Région wallonne du 20 novembre 2008 relatif à l'économie sociale.
L'article 1er de ce décret précise que, par « économie sociale », on entend les activités économiques productives de biens ou de services, exercées par des sociétés, principalement coopératives et/ou à finalité sociale.
L'article 2, § 1er, 2° et 3°, du décret du 19 décembre 2012 relatif à l'agrément et à l'octroi de subventions aux entreprises d'insertion impose un agrément aux « entreprises d'insertion » et celui-ci est subordonné à la condition que cette entreprise réponde à la condition d'avoir le statut de société civile à forme commerciale au sens de l'article 661 du Code des sociétés et qu'elle ait pour activité la production de biens et de services, tout en poursuivant, en tant que service d'intérêt économique général, un but social d'insertion durable et de qualité de travailleurs défavorisés ou gravement défavorisés.
En vertu de l'article 2, § 1er, 6° et 7°, l'entreprise doit également s'engager à compter dans les quatre ans qui suivent l'agrément, au moins 50 pour cent de travailleurs défavorisés ou gravement défavorisés et démontrer la pertinence de son activité et sa viabilité économique.
Enfin, suivant l'article 2, § 1er, 12°, l'entreprise doit respecter les conventions collectives conclues au sein de la commission paritaire compétente.
Or l'arrêté du gouvernement wallon du 31 janvier 2013 portant exécution du décret du 19 décembre 2012 précité précise, en son article 16, § 1er, que le montant des subventions qui peuvent être octroyées aux entreprises d'insertion varie selon que le travailleur relève des commissions paritaires n° 121, 124, 145 ou 302. Si le travailleur relève de la commission paritaire n° 100, aucune subvention n'est prévue.
Cette disposition confirme que le législateur a souhaité que les entreprises d'insertion, et l'arrêt attaqué reconnaît que la défenderesse en est une, relèvent de la commission paritaire compétente pour leur activité économique et que le point 12° [de l'article 2, § 1er, alinéa 1er,] du décret précité du 19 décembre 2012 vise la commission paritaire compétente pour l'activité économique de l'employeur, et non la commission paritaire n° 100 comme l'affirme l'arrêt attaqué.
En décidant que « cette disposition décrétale ne vise pas la commission paritaire en lien avec l'activité économique exercée par l'activité d'insertion », l'arrêt attaqué viole cette disposition légale.
En résumé, l'activité de la défenderesse, société commerciale à finalité sociale, n'est donc pas et ne peut légalement être la réinsertion sociale, laquelle n'est que le but social de son activité économique de collecte de déchets.
Il en résulte qu'en décidant que la réinsertion sociale est une activité de l'entreprise alors qu'elle n'est et ne peut légalement être que le but social de son activité de collecte de déchets, dont l'arrêt attaqué ne conteste pas qu'elle est bien réelle, celui-ci viole les articles 1er, 19, 69 et 661 du Code des sociétés et 16, § 1er, de l'arrêté du 31 janvier 2013 du Gouvernement wallon portant exécution du décret du 19 décembre 2012 visé en tête du moyen.
Troisième branche
Si l'arrêt attaqué ne conteste pas que la défenderesse exerce réellement son activité de collecte de déchets, il décide cependant qu'elle développe conjointement « en son sein (...) une activité d'insertion » qui « démontre l'implémentation dans l'organisation du travail au quotidien de cette entreprise d'une véritable stratégie d'insertion socioprofessionnelle de travailleurs », que « la mise en œuvre de cette stratégie mobilise, outre la direction, une part importante de son personnel salarié, sans compter les travailleurs du public-cible eux-mêmes », et qu'« il est démontré que les différentes activités d'insertion qui jalonnent le parcours de plusieurs années de ces travailleurs ont une incidence directe sur les processus de travail », de sorte que « la matérialité de l'activité d'insertion est donc bien démontrée », et qu'« il se vérifie que cette activité d'insertion implique directement une part substantielle des travailleurs salariés de l'entreprise » au point que « l'activité d'insertion concerne en définitive, quoique à des titres divers, l'ensemble des travailleurs de l'entreprise ».
Par ces considérations, l'arrêt attaqué ne constate nullement que la défenderesse est une entreprise qui a elle-même une activité d'insertion : il constate certes que cette activité concerne tous les travailleurs de celle-ci et qu'une activité spécifique d'insertion professionnelle est concrètement exercée « en son sein », mais non que l'activité de l'entreprise qu'est la défenderesse serait pour autant une activité d'insertion professionnelle conjointe à son activité de collecte, dont le caractère réel n'est pas contesté.
L'arrêt attaqué démontre certes ainsi que les travailleurs de la défenderesse consacrent une part importante de leurs activités à des tâches de réinsertion, mais il ne peut déduire de ce constat que la défenderesse exerçait pour autant elle-même une activité d'insertion, alors même que pareille activité ne faisait pas partie de l'objet de la société, selon les statuts et selon la qualification légale de cette société à finalité sociale comme « entreprise d'insertion ».
Il en résulte qu'en décidant que la défenderesse exerçait elle-même conjointement, en tant qu'entreprise, une autre activité dans un autre secteur, sur le seul constat de ce que ses travailleurs exerçaient des tâches socioprofessionnelles d'insertion, l'arrêt attaqué viole la notion légale d'activité de l'entreprise visée par l'article 35 de la loi du 5 décembre 1968 et l'arrêté royal instituant la commission paritaire n° 121.
Quatrième branche
À titre subsidiaire, le moyen, en cette branche, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que « l'activité de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte (...) ne présente pas un caractère principal par rapport à l'activité d'insertion socioprofessionnelle » de la défenderesse.
L'arrêt rendu en la cause le 6 septembre 2013 ordonne une réouverture des débats, axée tout d'abord sur « la démonstration, ou non, de l'existence d'une activité d'insertion menée au sein même de l'entreprise et dans l'affirmative, sur la question de savoir si son ampleur est telle qu'elle égale en importance l'activité économique de récolte de recyclables ».
Après avoir ainsi obtenu les éléments d'information complémentaire lui permettant « de mieux appréhender la nature et l'ampleur des activités d'insertion que [la défenderesse] soutient développer en son sein » et en avoir conclu que l'activité d'insertion « est bien réelle », l'arrêt attaqué n'établit nullement que l'activité d'insertion serait telle que « le critère d'exercice principal de l'activité de collecte ne serait plus établi » en raison de l'existence d'une autre activité (d'insertion).
L'arrêt attaqué reconnaît en effet que l'activité de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte représentait, « à l'époque de l'avis litigieux [de la direction générale des relations collectives], la plus importante partie de l'activité de collecte de recyclables » de l'entreprise. Il n'était pas contesté que, sur la base d'une prise en compte de la seule activité économique de la défenderesse, celle-ci devait nécessairement ressortir de la commission paritaire n° 121.
Comme dit plus haut, la défenderesse a pour seule activité économique, l'organisation de la collecte de papiers et de cartons (cf. ses statuts). La réinsertion sociale et professionnelle des personnes exclues des circuits traditionnels n'est pas l'objet social de la société.
Comme l'avait relevé le ministère public dans son avis précédant l'arrêt du 6 septembre 2013, elle ne constitue pas une activité déterminant le ressort de telle ou telle commission paritaire mais la finalité de l'activité de la société.
La cour du travail aurait dû, par conséquent, pour écarter l'appartenance de la [défenderesse] à la commission paritaire n° 121, démontrer que l'activité de collecte de papiers et de cartons n'est pas celle pour laquelle la [défenderesse] a été créée ou du moins que la défenderesse n'assure pas principalement une activité de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte.
Autrement dit, elle devait démontrer que l'activité spécifique d'insertion déployée au sein de cette entreprise de façon « conjointe » à son activité économique modifiait fondamentalement l'activité réelle de l'entreprise au point de ne plus pouvoir considérer que l'activité principale de celle-ci restait celle de la collecte de déchets, correspondant à son objet social statutaire et à son statut légal de société anonyme à finalité sociale et d'entreprise d'insertion.
L'arrêt attaqué n'apporte pas cette preuve. Au contraire, il reconnaît lui-même que l'activité de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte représentait « à l'époque de l'avis litigieux, la plus importante partie de l'activité de collecte de recyclables » de l'entreprise.
Autrement dit, l'arrêt attaqué reconnaît que cette activité de collecte était l'activité réelle la plus importante de l'entreprise. La circonstance que cette activité économique soit exercée « conjointement » avec une activité socioprofessionnelle « indissociable » et « d'égale importance » ne suffit pas à dénier à cette activité de collecte son caractère « d'activité principale de l'entreprise ». En effet, l'arrêt attaqué démontre tout au plus de la sorte que la défenderesse exerce deux activités d'égale importance mais non que l'activité de collecte perdrait pour autant son caractère principal par rapport à l'activité d'insertion, la circonstance que les deux activités soient d'égale importance n'empêchant pas que l'activité de collecte conserve son caractère d'activité principale de la défenderesse et l'activité d'insertion un caractère accessoire (fût-il même d'égale importance).
Il en résulte qu'en excluant la défenderesse du ressort de la commission paritaire n° 121 au motif que le critère d'exercice principal de l'activité de collecte n'est pas établi par rapport à une autre activité consubstantielle mais d'égale importance, l'arrêt attaqué viole toutes les dispositions légales visées en tête du moyen.
En résumé, l'arrêt attaqué ne pouvait décider que la [défenderesse] exerce une activité d'insertion professionnelle conjointement avec son activité économique de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte et que cette activité d'insertion professionnelle présente un caractère principal par rapport à l'activité économique de la société.
III. La décision de la Cour
Quant à la troisième branche :
L'arrêt attaqué vérifie « si le but [de la société à finalité sociale défenderesse] se traduit concrètement par une activité d'insertion [sociale et professionnelle de travailleurs défavorisés] ». Il constate que les « activités d'insertion [comportent] : la formation professionnelle [...], l'insertion proprement dite, par l'apprentissage des comportements indispensables au bon déroulement de la formation contractuelle, [et] la formation civique » ; qu' « une véritable stratégie d'insertion socioprofessionnelle de travailleurs » est mise en œuvre « dans l'organisation du travail au quotidien de cette entreprise » ; que les activités d'insertion « ont une incidence directe sur les processus de travail » et « sur l'exercice de l'activité économique de récolte de papiers et de cartons » ; que « le temps qui leur est consacré ne l'est pas directement à l'activité de collecte » ; que l'activité d'insertion « implique directement une part substantielle des travailleurs salariés de l'entreprise » et « concerne en définitive, quoique à des titres divers, l'ensemble des travailleurs de l'entreprise » et que « de nombreux travailleurs [qui ne disposeraient pas sans cela d'un accès au marché du travail] ont ainsi accédé durablement à un emploi stable ». Il conclut que « l'activité d'insertion est bien réelle ».
Par ces énonciations, l'arrêt attaqué constate, non seulement que l'activité d'insertion concerne tous les travailleurs de la défenderesse, mais que cette dernière même exerce cette activité.
Le moyen, en cette branche, fondé sur une interprétation inexacte de l'arrêt attaqué, manque en fait.
Quant à la première branche :
L'article 35 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commission paritaires dispose que le Roi détermine les personnes, la branche d'activité ou les entreprises et le cadre territorial qui sont du ressort de chaque commission paritaire.
Le ressort d'une commission paritaire est, en règle, déterminé par l'activité principale de l'entreprise concernée, sauf si un autre critère est fixé par l'arrêté qui l'institue.
L'insertion sociale et professionnelle de travailleurs défavorisés peut constituer une telle activité.
En vertu de l'article 1er, § 1er, de l'arrêté royal du 9 février 1971 instituant certaines commissions paritaires et fixant leur dénomination et leur compétence, les entreprises qui assurent principalement la collecte porte-à-porte de déchets tels que papiers et cartons relèvent de la compétence de la commission paritaire n° 121 pour le nettoyage.
Dans la mesure où il soutient que l'insertion ne peut constituer une activité déterminant le ressort d'une commission paritaire et que la commission paritaire du nettoyage est compétente pour les entreprises dont les activités de nettoyage définies à l'article 1er, § 1er, de l'arrêté royal du 9 février 1971 ne sont pas l'activité principale, le moyen, en cette branche, manque en droit.
Pour le surplus, après avoir constaté, ainsi qu'il est dit en réponse à la troisième branche du moyen, que la défenderesse exerce une activité d'insertion, l'arrêt attaqué considère que la défenderesse déploie cette activité « de façon conjointe à son activité économique de collecte de papiers et de cartons en porte-à-porte » et que les deux activités « sont indissolublement liées » et « d'égale importance ». Il en déduit que l'activité de nettoyage « ne présente pas un caractère principal par rapport à l'activité d'insertion socioprofessionnelle ».
Dans la mesure où il suppose que l'arrêt attaqué considère que l'insertion professionnelle est la finalité de l'activité de nettoyage de la défenderesse, que cette dernière doit en principe ressortir à la commission paritaire du nettoyage en fonction de son activité économique principale et que son activité se confond avec son but social, le moyen, en cette branche, est fondé sur une lecture inexacte de l'arrêt attaqué et manque, dès lors, en fait.
Dans la mesure où il critique le motif que la défenderesse exerce deux activités indissolublement liées et d'égale importance, le moyen, en cette branche, dont l'examen exigerait une appréciation des faits qui n'est pas au pouvoir de la Cour, est irrecevable.
Quant à la deuxième branche :
D'une part, aux termes de l'article 1er, alinéa 1er, du Code des sociétés, une société est constituée par un contrat aux termes duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun, pour exercer une ou plusieurs activités déterminées et dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect. L'article 19, alinéa 1er, du même code dispose que toute société doit avoir un objet licite. Suivant l'article 69, alinéa 1er, 11°, du code, l'extrait de l'acte constitutif des sociétés contient la désignation précise de l'objet social. En vertu de l'article 661, alinéa 1er, 2°, les sociétés anonymes sont appelées sociétés à finalité sociale lorsqu'elles ne sont pas vouées à l'enrichissement de leurs associés et lorsque leurs statuts définissent de façon précise le but social auquel sont consacrées les activités visées dans leur objet social.
Il ne résulte pas de ces dispositions qu'une société anonyme à finalité sociale ne peut avoir pour activité l'insertion sociale et professionnelle de travailleurs défavorisés.
D'autre part, suivant l'article 2, § 1er, 12°, alinéa 1er, du décret wallon du 19 décembre 2012 relatif à l'agrément et à l'octroi de subventions aux entreprises d'insertion, pour être agréée et utiliser la dénomination « entreprise d'insertion », l'entreprise d'insertion respecte les conventions collectives conclues au sein de la commission paritaire compétente. L'article 8 du décret autorise le gouvernement wallon à octroyer à l'entreprise d'insertion agréée une subvention selon les modalités qu'il détermine en fonction, notamment, de la commission paritaire dont dépend le travailleur de l'entreprise d'insertion. L'article 16, § 1er, de l'arrêté du gouvernement wallon du 31 janvier 2013 portant exécution du décret du 19 décembre 2012 précité fixe le montant de la subvention selon que sont appliqués au travailleur les barèmes des commissions paritaires numéros 121, 124, 145 et 302 ou de toute autre commission paritaire.
Ces dispositions sont étrangères à la détermination de la commission paritaire compétente pour les entreprises d'insertion.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la quatrième branche :
Ne constitue pas l'activité principale, déterminant la commission paritaire à laquelle ressortit l'entreprise, l'activité de nettoyage exercée conjointement avec une activité d'insertion d'égale importance.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de trois cent soixante-quatre euros cinquante-huit centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du huit juin deux mille quinze par le président de section Albert Fettweis, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body S. Geubel M. Lemal
M. Delange D. Batselé A. Fettweis