Cour d'appel: Arrêt du 10 septembre 2009 (Bruxelles). RG 2007 AR 2644

Date :
10-09-2009
Langue :
Français
Taille :
4 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20090910-9
Numéro de rôle :
2007 AR 2644

Résumé :

Le législateur a adopté l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 suivant lequel, « nonobstant le fait que le commandement constitue le premier acte de poursuites directes au sens des articles 148 et 149 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, le commandement doit être interprété comme constituant également un acte interruptif de prescription au sens de l'article 2244 du Code civil, même lorsque la dette d'impôt contestée n'a pas de caractère certain et liquide ». Certes, l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, n'est pas une loi interprétative. Toutefois, comme cela ressort des travaux préparatoires de cette loi, en qualifiant la disposition légale d' « interprétation de l'application de l'article 2244 du Code civil en matière d'impôts sur les revenus », le législateur a voulu expressément lui donner le caractère rétroactif qui résulte en pratique, d'une loi interprétative, de manière à neutraliser l'effet rétroactif de la règle jurisprudentielle dégagée par les arrêts précités de la Cour de cassation. C'est à ce titre que l'article 49 de la loi-programme du 4 juillet 2004 « doit être considéré comme applicable aux faits qui n'ont pas encore donné lieu à une décision judiciaire passée en force de chose jugée » (Cour d'arbitrage, 1er février 2006, n° 20/2006, B.13.1). Les consorts G.-L. soutiennent vainement que l'effet rétroactif de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 serait contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention en ce qu'il permettrait au législateur d'influencer l'issue de procédures judiciaires en cours sans justifier du respect d'un juste équilibre entre l'intérêt général et les droits fondamentaux des individus. L'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'empêche pas, en effet, toute ingérence des pouvoirs publics dans une procédure judiciaire pendante à laquelle ils sont parties. L'intervention du législateur peut être admise lorsqu'elle répond à des motifs impérieux d'intérêt général. La Cour européenne des droits de l'homme permet ainsi au législateur, comme ce fut le cas en l'espèce, d'intervenir pour empêcher l'effet d'aubaine qui consiste à exploiter les failles de la législation, apparues à la suite de décisions de justice, au détriment des finances publiques (C.E.D.H., National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society, 23 octobre 1997, n° 112).

Arrêt :

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COUR d'APPEL de BRUXELLES

Sixième chambre fiscale

N° de la cause : 2007/AR/2644

Audience publique du

EN CAUSE DE :

1. Monsieur Clive G., domicilié au Grand Duché de Luxembourg, à

2. Madame Hélène L., domiciliée à

appelants,

représentés par Me Dominique Lambot, avocat, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, rue Vilain XIIII, 17,

CONTRE :

L'ETAT BELGE, SPF FINANCES, en la personne de Monsieur le Ministre des Finances, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, rue de la Loi 12 et en la personne de Monsieur le Receveur des contributions directes d'Ottignies, dont les bureaux sont établis à 1348 Ottignies-Louvain-La-Neuve, Espace Esope, traverse d'Esope, 6,

intimé,

représenté par Me Pascal Duquesne, avocat, dont le cabinet est établi à 1480 Tubize, chaussée d'Hondzocht, 71.

***

La Cour, après délibéré, prononce en audience publique l'arrêt suivant :

Vu :

· le jugement prononcé contradictoirement le 7 août 2007 par le tribunal de première instance de Nivelles, décision dont il n'est pas produit d'acte de signification ;

· la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 1er octobre 2007 ;

Faits et antécédents

1.

Deux suppléments de cotisations à l'impôt des personnes physiques des exercices d'imposition 1992 et 1993 ont été établis à la charge des consorts G.-L. sous les articles 748.969.789 et 756.680.287 des rôles formés pour la commune de Lasne. La date d'envoi mentionnée sur les avertissements-extrait de rôle afférents à ces suppléments de cotisations est respectivement le 25 novembre 1994 pour l'exercice d'imposition 1992 et le 14 septembre 1995 pour l'exercice d'imposition 1993.

Monsieur G. a introduit une réclamation contre ces suppléments de cotisations auprès du directeur régional des contributions directes de Namur le 23 mai 1995 (exercice d'imposition 1992) et le 12 décembre 1995 (exercice d'imposition 1993). Le montant de l'incontestablement dû a été fixé à « néant » pour ces deux suppléments de cotisations.

Un commandement a été signifié aux consorts G.-L. le 14 mai 1996 et le 2 mai 2001.

Les réclamations introduites contre ces suppléments de cotisations ont été partiellement rejetées par une décision du 1er mars 2002 du directeur régional des contributions directes de Namur. Les consorts G.-L. ont introduit contre ces suppléments de cotisations, l'action prévue par l'article 1385decies du Code judiciaire. Cette cause-là, qui concerne l'établissement des impôts, est toujours pendante devant le tribunal de première instance de Nivelles.

2.

Par une citation signifiée le 9 janvier 2004, les consorts G.-L. ont introduit une autre action devant le tribunal de première instance de Nivelles, tendant à entendre constater, dans le chef de l'Etat belge, la prescription de l'action en recouvrement des suppléments de cotisations litigieux.

Ils soutenaient que les commandements en cause n'ont pas pu produire d'effet interruptif de la prescription en l'absence d'impôt incontestablement dû (Cass., 10 octobre 2002, C01.0067.F ; Cass., 21 février 2003, C01.02.87.N ; Cass., 12 mars 2004, C02.0596.F) et que l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 ne peut recevoir d'effet rétroactif sous peine de violer la Convention européenne des droits de l'homme.

Jugement entrepris

Le premier juge a débouté les consorts G.-L. de leur demande parce que la rétroactivité de la disposition légale précitée est justifiée par des motifs impérieux d'intérêt général et ne les prive pas du droit de contester les suppléments de cotisations litigieux devant la juridiction compétente.

Objet de l'appel

Les consorts G.-L., qui ont relevé appel de ce jugement, en poursuivent la réformation sauf en tant que le premier juge a reçu leur demande et a liquidé les dépens. Ils réitèrent devant la cour leur demande originaire.

Pour sa part, l'Etat belge sollicite la confirmation du jugement entrepris.

Discussion

1.

Dans les trois arrêts précités, la Cour de cassation a décidé qu'un commandement signifié en l'absence d'incontestablement dû n'est pas valable et n'a pas d'effet interruptif de la prescription du recouvrement d'une cotisation contestée.

En réaction à cette jurisprudence, le législateur a adopté l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 suivant lequel, « nonobstant le fait que le commandement constitue le premier acte de poursuites directes au sens des articles 148 et 149 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, le commandement doit être interprété comme constituant également un acte interruptif de prescription au sens de l'article 2244 du Code civil, même lorsque la dette d'impôt contestée n'a pas de caractère certain et liquide ».

Certes, l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, n'est pas une loi interprétative. Toutefois, comme cela ressort des travaux préparatoires de cette loi, en qualifiant la disposition légale d' « interprétation de l'application de l'article 2244 du Code civil en matière d'impôts sur les revenus », le législateur a voulu expressément lui donner le caractère rétroactif qui résulte en pratique, d'une loi interprétative, de manière à neutraliser l'effet rétroactif de la règle jurisprudentielle dégagée par les arrêts précités de la Cour de cassation.

C'est à ce titre que l'article 49 de la loi-programme du 4 juillet 2004 « doit être considéré comme applicable aux faits qui n'ont pas encore donné lieu à une décision judiciaire passée en force de chose jugée » (Cour d'arbitrage, 1er février 2006, n° 20/2006, B.13.1).

2.

Les consorts G.-L. soutiennent vainement que l'effet rétroactif de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 serait contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et à l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention en ce qu'il permettrait au législateur d'influencer l'issue de procédures judiciaires en cours sans justifier du respect d'un juste équilibre entre l'intérêt général et les droits fondamentaux des individus.

L'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'empêche pas, en effet, toute ingérence des pouvoirs publics dans une procédure judiciaire pendante à laquelle ils sont parties. L'intervention du législateur peut être admise lorsqu'elle répond à des motifs impérieux d'intérêt général. La Cour européenne des droits de l'homme permet ainsi au législateur, comme ce fut le cas en l'espèce, d'intervenir pour empêcher l'effet d'aubaine qui consiste à exploiter les failles de la législation, apparues à la suite de décisions de justice, au détriment des finances publiques (C.E.D.H., National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society, 23 octobre 1997, n° 112).

Il est exact que l'action des consorts G.-L. a été introduite devant le tribunal de première instance de Nivelles le 27 janvier 2004, soit à un moment où la solution à donner au litige ne faisait aucun doute à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation. Si le premier juge avait statué à ce moment, il aurait, en principe, constaté la prescription du recouvrement des suppléments de cotisations en cause, de sorte que par l'adoption de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, le législateur est intervenu dans une procédure en cours pour modifier la solution à donner au litige.

Il est cependant manifeste que l'intervention du législateur pour sauvegarder l'éventuel recouvrement de créances fiscales contestées à la suite de la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux commandements fiscaux répondait à un motif impérieux d'intérêt général. La perception des impôts est en effet essentielle au fonctionnement des services publics dont l'Etat a la charge et relève de ce fait de l'intérêt général.

3.

En l'espèce, les consorts G.-L. n'ont au demeurant pas contesté la validité des commandements qui leur ont été signifiés mais ont introduit devant le premier juge une demande qui avait pour objet de constater la prescription de l'action en recouvrement des suppléments de cotisations en cause le 9 janvier 2004 après que la Cour de cassation se soit prononcée à plusieurs reprises sur l'absence d'effet interruptif de la prescription d'un commandement signifié en l'absence d'incontestablement dû.

Ils ont entendu de la sorte bénéficier de la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation au moment de l'introduction de leur demande sans avoir auparavant contesté la validité des commandements qui leur ont été signifiés.

Or, l'introduction de l'article 443ter du CIR 1992 par la loi-programme du 22 décembre 2003 manifeste la volonté du législateur de remédier à la jurisprudence précitée de la Cour de cassation. Cette disposition prévoit que toute instance en justice ainsi que la réclamation et la demande de dégrèvement suspendent le cours de la prescription. Il résulte des travaux préparatoires de cette loi que le législateur considérait qu'elle était applicable aux instances en cours, mais que le Conseil d'Etat a émis des doutes en ce qui concerne les dettes fiscales déjà prescrites avant son entrée en vigueur (Chambre, Doc. 51 0473/001, p. 464). C'est à la suite de cet avis que l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 a été adopté.

Ainsi, au moment où les consorts G.-L. ont introduit leur demande devant le premier juge, le législateur était déjà intervenu pour régler le sort de la prescription du recouvrement des créances fiscales contestées et ils devaient dès lors s'attendre à ce que le législateur veille, le cas échéant, à parfaire son oeuvre de manière à empêcher la prescription des créances fiscales contestées pour lesquelles un commandement avait été signifié afin d'en permettre l'éventuel recouvrement ultérieur.

Il en résulte que l'application de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 à la demande en justice introduite par les consorts G.-L. n'est pas contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme puisqu'au moment d'introduire cette demande, ils devaient nécessairement s'attendre à l'intervention législative en question. Les consorts G.-L. ne peuvent donc se prévaloir d'une quelconque atteinte à la sécurité juridique dans leur chef.

4.

Pour les mêmes motifs, les consorts G.-L. ne peuvent davantage se prévaloir de la violation de l'article 1er, alinéa 2, du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, concernant le respect des biens.

Cette disposition ne porte en effet pas atteinte « au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le payement des impôts ». L'ingérence de l'Etat dans le droit au respect des biens doit, d'une part, ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les droits fondamentaux des particuliers et, d'autre part, respecter un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (C.E.D.H., Lecarpentier, 14 février 2006).

La mesure d'ingérence que constitue l'application de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 aux commandements signifiés aux consorts G.-L. repose sur un juste équilibre entre la sauvegarde de l'intérêt général que poursuit cette mesure et le droit au respect de leurs biens. Il n'est en effet pas disproportionné en l'espèce, de faire prévaloir la sauvegarde de l'éventuel recouvrement des suppléments de cotisations en cause, qui relève de l'intérêt général, sur le droit au respect des biens des consorts G.-L. qui ont voulu tirer parti de la jurisprudence de la Cour de cassation, sans jamais avoir contesté auparavant les commandements qui leur ont été signifiés. Cette mesure est en l'espèce proportionnée au but poursuivi par le législateur qui ne pouvait être atteint que par la rétroactivité de la disposition légale précitée (adde : Cour d'arbitrage, 1er février 2006, n° 20/2006, B.14.10).

5.

Enfin, à supposer qu'il faille avoir égard à la violation du droit à ce que les réclamations des consorts G.-L. soient traitées dans un délai raisonnable, ils ne prouvent pas que le délai raisonnable a été violé en l'espèce. Le seul fait que le traitement de leurs réclamations ait mis plus de sept ans ne suffit pas à rapporter cette preuve dans la mesure où la propre attitude des consorts G.-L., concernant notamment leur collaboration à l'instruction de leurs réclamations, doit être prise en considération pour apprécier le délai raisonnable dans chaque cas d'espèce.

En conséquence, l'appel sera déclaré non fondé.

6.

Quant aux dépens d'appel, qui se résument en la présente cause à des indemnités de procédure, les parties conviennent de les liquider à 1.200,00 euros de part et d'autre, ce qui correspond au montant de base pour les affaires non évaluables en argent (arrêté royal du 26 octobre 2007, art. 3).

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Reçoit l'appel de Monsieur Clive G. et de Madame Hélène L. mais le dit non fondé;

Les condamne aux dépens d'appel, liquidés à 1.200,00 euros tant dans leur chef que dans le chef de l'Etat belge.

Ainsi jugé et prononcé en audience publique de la sixième chambre fiscale de la cour d'appel de Bruxelles, le

où étaient présents et siégeaient :

- M. Remion, conseiller ff. président,

- S. Geubel conseiller,

- M. Moris, conseiller,

- C. De Nollin, greffier.

C. De Nollin M. Moris

S. Geubel M. Remion