Cour d'appel: Arrêt du 11 juin 2014 (Bruxelles). RG 2011-ar-3103
- Section :
- Jurisprudence
- Source :
- Justel F-20140611-8
- Numéro de rôle :
- 2011-ar-3103
Résumé :
I/ L'examen des faits a établi que la créance dont se prévaut la société X est certaine, liquide et exigible et que la compensation légale a opéré entre celle-ci et la créance détenue par la société Y , et ce antérieurement à la notification de la cession de créance en manière telle que l'action est éteinte, la compensation légale étant constatée par la cour. II/ La charge de la preuve de l'envoi de la facture incombe au créancier. Cette preuve peut être rapportée par toutes voies de droit, s'agissant d'un fait matériel. Une présomption d'envoi peut ainsi se déduire du facturier du commerçant, créancier de la facture. III/ La preuve de la réception et de l'acceptation de la facture incombe également au commerçant qui l'a établie. Elle peut se déduire de l'absence de protestation et du silence prolongé de son destinataire. Si la facture porte sur une vente ou des prestations commerciales, son acceptation par l'acheteur constitue, conformément à l'article 25, alinéa 2 du Code de commerce, la preuve légale de l'existence de la convention telle qu'elle ressort des mentions figurant sur la facture.
Arrêt :
EN CAUSE DE :
La société de droit autrichien Verag Spedition AG, dont le siège social est établi à Suben, 15, A-4975 SUBEN (AUTRICHE) ;
Appelante
représentée par Maître KEPPENS Delphine loco Maître KOCKS Christoph, avocat à 1050 BRUXELLES, Avenue Legrand, 41,
CONTRE :
La SA Partransa, BCE n° 0427.903.028, dont le siège social est établi à 1370 JODOIGNE, Place Saint-Rémy-Geest, 3 ;
intimée
représentée par Maître VIAENE Pieter, avocat à 8610 KORTEMARK, Torhoutstraat, 10,
Vu les pièces de la procédure, et notamment :
- le jugement dont appel, prononcé contradictoirement le 8 mars 2011 par le tribunal de commerce de Nivelles, dont il n'est pas produit d'acte de signification,
- la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 15 décembre 2011,
- les conclusions de synthèse déposées par l'appelante au greffe de la cour le 3 décembre 2012,
- les conclusions additionnelles et de synthèse déposées par l'intimée au greffe de la cour le 5 février 2013,
- les dossiers de pièces déposés par les parties.
I. Circonstances de fait de la cause :
Les principaux éléments de fait de la cause peuvent être résumés comme suit :
Durant l'année 2008, la société de droit roumain Axiad-Com a effectué divers transports de marchandises par route pour le compte de la SA Partransa (ci-après : Partransa).
Le 10 octobre 2008, Partransa a signé un contrat de collaboration avec la société Axiad-Com, en vue de l'exécution par celle-ci d'ordres de transport au moyen de semi-remorques que Partransa mettait à sa disposition.
L'article 8 de la convention prévoit que les factures d'Axiad-Com sont payables à 90 jours.
Celle-ci a émis trois factures les 6, 14 et 21 septembre 2008, pour un montant total de 9.179,88 euro .
Il n'est pas contesté que les frais de carburant, avancés et facturés par Partransa à concurrence de 2.077,56 euro , doivent être déduits du montant dû à Axiad-Com, d'où un solde de 7.102,32 euro .
Partransa et Axiad-Com ont mis fin au contrat de collaboration vers la fin du mois de décembre 2008.
Cette dernière a cédé ses créances le 27 mars 2009 à la société de droit autrichien Verag Spedition AG (en abrégé : Verag).
La cession de créance du montant de 9.179,88 euro a été notifiée à Partransa le 2 avril suivant.
Après avoir été mise en demeure, par courrier du même jour, de payer les trois factures restant dues, Partransa a invoqué, par courrier du lendemain, 3 avril 2009, la compensation entre ces factures et d'autres factures adressées à Axiad-Com en août et en octobre 2008, avant la notification de la cession de créance.
Ces factures, dont une copie était annexée à ce courrier, concernent des frais de réparation de deux remorques et d'un camion, ainsi qu'une amende, soit au total 18.287,20 euro .
Aucune de ces factures n'a été contestée.
Ce n'est que par courrier du 5 mai 2009 que Verag a informé Partransa que la société Axiad-Com contestait, de façon générale, les factures de réparations au motif que Partransa devait récupérer les sommes auprès de la compagnie d'assurance. Verag n'acceptait la compensation qu'à concurrence des frais de carburant de 2.077,56 euro .
Par télécopie officielle du 29 juillet 2009 en réponse à la mise en demeure du conseil de Verag du 9 juillet 2009, le conseil de Partransa l'a informé que toutes les factures d'Axiad-Com non encore réglées à celle-ci avaient fait l'objet d'une compensation à due concurrence et qu'après avoir fait les comptes entre parties, il restait dû par Axiad-Com un solde de 11.184,88 euro en faveur de Partransa.
II. Procédure :
Par exploit d'huissier signifié le 2 avril 2010, Verag a cité Partransa devant le tribunal de commerce de Nivelles afin d'obtenir sa condamnation au paiement du montant de 7.102,32 euro , augmenté des intérêts moratoires au taux légal depuis l'échéance des factures, puis des intérêts ‘judiciaires' et des dépens.
La citation tendait également à la condamnation de Partransa au paiement des frais de recouvrement, s'élevant à 856,53 euro .
Celle-ci a opposé l'extinction de l'action par compensation, et, subsidiairement, par prescription.
Par le jugement attaqué du 8 mars 2011, les premiers juges ont débouté Verag de sa demande au motif que les montants des factures litigieuses étaient dus mais que la compensation légale avait opéré avant la cession de créance.
Verag a été condamnée aux dépens, liquidés pour Partransa à 900 euro .
Celle-ci a relevé appel de cette décision.
Elle demande à la cour de lui allouer l'intégralité de sa demande originaire et de condamner Partransa aux dépens des deux instances.
Partransa conclut au non-fondement de l'appel.
III. Discussion :
La compensation.
1.
Il n'est pas contesté que le contrat de collaboration est soumis au droit belge, en application de l'article 13 de la convention.
2.
Partransa soutient que la demande originaire n'est pas fondée dès lors qu'elle s'estime en droit de compenser la créance d'Axiad-Com, non contestée en son principe, avec le montant des factures qu'elle lui a adressées en août et octobre 2008, outre les frais de carburant.
D'après Patransa, Axiad-Com lui serait encore redevable de 18.287, 20 euro - 7.102,32 euro = 11.184,88 euro . Elle ne sollicite toutefois pas le paiement de ce montant.
3.
La cour rappelle que la compensation, qu'elle soit légale ou judiciaire, est soumise à la réunion de plusieurs conditions :
• l'existence de deux dettes réciproques,
• existant entre les mêmes personnes agissant en la même qualité,
• fongibles, liquides et exigibles (art. 1291 du Code civil).
Pour être liquides, les dettes doivent être certaines quant à leur existence.
Lorsqu'une cession de créance a été notifiée au débiteur ou reconnue par lui, il ne peut plus invoquer la compensation des créances se réalisant postérieurement à la cession (art. 1295 du Code civil).
4.
La facturation d'Axiad-Com pour ses prestations de transport n'est pas contestée.
Quant aux factures établies et émises par Patransa, si elles sont actuellement contestées par Verag, elles ne l'ont pas été en temps utile, ainsi qu'il sera démontré ci-après.
Ces factures concernent le coût de la réparation de deux semi-remorques, respectivement de 8.874 euro (facture du 24 octobre 2008) et de 8.310,70 euro (facture du 31 août 2008), le coût de la réparation d'un camion d'un montant de 1.050 euro (facture du 27 octobre 2008) et une amende de 52,50 euro que Partransa a avancée et facturée le 20 août 2008.
5.
En vain, Verag objecte que les factures de Partransa auraient été «fabriquée par (Partransa) dans l'unique but de se soustraire à ses obligations contractuelles ».
Ainsi que le démontre Patransa par les pièces qu'elle produit, ces factures ont bien été inscrites dans le livre-journal des ventes des années 2008 et 2009, aux dates et sous les numéros indiqués.
Cette inscription in tempore non suspecto est suffisamment probante de l'existence des factures litigieuses.
6.
Verag objecte encore qu'Axiad-Com n'a jamais reçu les factures litigieuses et relève que Partransa ne produit aucune preuve de leur envoi.
La charge de la preuve de l'envoi de la facture incombe au créancier . Cette preuve peut être rapportée par toutes voies de droit, s'agissant d'un fait matériel.
Une présomption d'envoi peut ainsi se déduire du facturier du commerçant, créancier de la facture .
Il est en effet admis que le commerçant, titulaire de la charge de la preuve, peut apporter celle-ci par sa propre comptabilité, lorsqu'elle est régulièrement tenue, à l'encontre d'un autre commerçant pour des faits relevant de son commerce . Il peut se limiter à représenter la partie de la comptabilité se rapportant au litige .
En l'espèce, l'envoi par Partransa des factures à leurs dates respectives, avant la cession de créance, résulte, entre autres, de leur inscription dans le livre-journal des ventes en 2008 et 2009, dont des extraits sont produits .
Aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que la comptabilité de Partransa n'aurait pas été régulièrement tenue.
Par ailleurs, comme les premiers juges l'ont souligné à bon escient, l'inscription de factures dans le journal des ventes entraîne une dette envers l'administration de la TVA, en sorte que le commerçant n'a pas intérêt à cette inscription s'il n'envoie pas simultanément les factures à son débiteur.
La preuve de la réception et de l'acceptation de la facture incombe également au commerçant qui l'a établie. Elle peut se déduire de l'absence de protestation et du silence prolongé de son destinataire.
Si la facture porte sur une vente ou des prestations commerciales, son acceptation par l'acheteur constitue, conformément à l'article 25, alinéa 2, du Code de commerce, la preuve légale de l'existence de la convention telle qu'elle ressort des mentions figurant sur la facture.
En l'espèce, Partransa a envoyé, le 3 avril 2009, une copie de toutes ses factures à Verag, sans que celle-ci n'en conteste la réception par Axiad-Com en 2008.
Ce n'est que le 5 mai 2009 que Verag a fait état de la contestation par Axiad-Com de la facturation par Partransa du coût des réparations, non pas à défaut de réception des factures, mais pour le seul motif qu'il appartenait à Partransa de récupérer les sommes auprès de la compagnie d'assurance.
La prétendue non-réception des factures litigieuses a été soulevée pour la première fois par conclusions déposées devant le tribunal de commerce le 23 août 2010, in tempore suspecto.
Il s'ensuit que, n'ayant pas contesté les factures de Partransa après leur envoi, Axiad-Com est présumée les avoir acceptées.
En sa qualité de commerçante, Axiad-Com ne pouvait ignorer qu'il lui appartenait de contester les factures avant leur échéance, afin de renverser la présomption d'acceptation de celles-ci résultant de son silence, ce qu'elle est restée en défaut de faire.
La protestation est en effet la règle en matière commerciale et, compte tenu de la célérité qui doit présider à l'exécution des transactions commerciales, la contestation doit être émise à bref délai.
Les contestations actuelles sont tardives et ne sont pas de nature à énerver l'exigibilité des factures litigieuses.
Surabondamment, Partransa produit tous les justificatifs des réparations aux remorques et à un camion, dont le coût est actuellement contesté, et Axiad-Com n'établit pas avoir souscrit une assurance ‘tous risques', comme la convention l'y obligeait , démontrant que Partansa pouvait bénéficier de l'intervention d'un assureur dans le coût des réparations.
7.
Verag soutient également à tort que la facturation de Partransa ne concerne pas les obligations découlant du contrat de collaboration conclu entre celle-ci et Axiad-Com, le 10 octobre 2008.
Ces factures sont, au contraire, relatives à des frais avancés par Partransa dans le cadre de leurs relations contractuelles, comme les frais d'essence, de péage et de douane, les amendes et les frais de réparation exposés pour des dommages subis par des remorques ou camions utilisés pour le transport routier de marchandises.
Contrairement à ce que prétend Verag, ces frais ont indubitablement un caractère commercial.
Surabondamment, même si aucune facture n'avait été établie pour les frais susvisés, la non-délivrance d'une facture est dépourvue d'incidence sur l'exigibilité de la créance .
8.
Ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, les factures de réparations ont été contestées pour la première fois par Verag le 5 mai 2009.
Cette contestation est manifestement tardive.
Ces factures n'avaient jamais été contestées auparavant par Axiad-Com, ni en leur principe, ni quant à leur montant.
Verag objecte qu'Axiad-Com a mis en doute la réalité des dégâts à la remorque immatriculée QHQ 864 par courriel adressé à Partransa le 30 septembre 2008 .
Celle-ci conteste formellement avoir reçu ce courriel, qui ne mentionne curieusement pas le jour et l'heure de l'envoi.
En tout état de cause, le fait d'avoir mis en doute la réalité des dégâts à la remorque par ce courriel avant la facturation du coût des réparations, ne dispensait pas Axiad-Com de contester la facture immédiatement après sa réception.
La contestation tardive de cette facture ne peut être admise.
9.
Il suit des considérations et développements qui précèdent que la créance dont se prévaut Partransa est certaine, liquide et exigible et que la compensation légale a opéré entre celle-ci et la créance que détient Verag, et ce antérieurement à la notification de la cession de créance, le 2 avril 2009.
10.
L'extinction de l'action par compensation légale étant constatée par la cour, il est surabondant d'examiner la thèse subsidiaire de l'extinction de cette action par prescription dès lors qu'elle ne saurait amener la cour à une décision différente de celle qui résulte du moyen précédent.
11.
La créance de Verag étant éteinte, sa demande de remboursement des frais de recouvrement de 856,53 euro est non fondée.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant contradictoirement,
Vu les articles 24, 37 et 41 de la loi du 15 juin 1935,
Reçoit l'appel ; le déclare non fondé ;
Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
Condamne la société de droit autrichien Verag Spedition AG aux dépens d'appel de la SA Partransa, liquidés à 990 euro (indemnité de procédure indexée).
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique de la 16e chambre de la cour d'appel de Bruxelles, le 11 juin 2014.
où étaient présents:
- M. VAN der STEEN, président,
- Mme FAVART, conseiller,
- M. VANCAUWENBERGHE, conseiller,
- M. WILLAUMEZ, greffier.
WILLAUMEZ VANCAUWENBERGHE
FAVART VAN der STEEN