Cour d'appel: Arrêt du 25 mai 2010 (Bruxelles). RG RG : 2008/AR/1043
- Section :
- Jurisprudence
- Source :
- Justel F-20100525-6
- Numéro de rôle :
- RG : 2008/AR/1043
Résumé :
En se référant au texte précité, si l'on doit admettre qu'en fixant son prix dans son offre de « vente ou achat », chacune des parties ignore le prix fixé par l'autre partie et que, partant tant le prix auquel devra se faire la sortie d'indivision que la détermination de celui qui aura - aux termes de la comparaison des deux offres, la faculté d'acheter ou de vendre, dépendent du hasard au sens de l'article 1169 du Code civil. En revanche, en se référant toujours au texte précité, celui qui a indiqué le prix le plus élevé, a la faculté d'acheter ou de vendre (au prix fixé par son co-indivisaire), et de décider unilatéralement s'il s'oblige à payer le prix ou à céder l'avion (ou la moitié indivise). Dès lors que l'obligation de vendre ou d'acheter l'avion (ou la moitié indivise) - certes à un prix résultant du hasard - dépend de la seule volonté de celui qui s'oblige ainsi à payer le prix ou à céder l'avion (ou la moitié indivise), l'obligation est purement potestative et donc nulle au sens de l'article 1174 du Code civil.
Arrêt :
La COUR D'APPEL DE BRUXELLES, 7ème CHAMBRE,
après avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
N° 2010/
En cause de:
Monsieur André D., domicilié à
appelant,
représenté par Maître Carole De Ruydt, avocat, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, rue Gachard, 88/8,
Contre :
Monsieur Jean X., domicilié à,
intimé,
représentée par Maître Rodolphe Horion, avocat, dont le cabinet est établi à 1060 Bruxelles, rue Defacqz, 78,
Vu les pièces de la procédure, et notamment,
- le jugement prononcé contradictoirement le 29 février 2008 par le tribunal de première instance de Bruxelles, décision dont il n'est aps produit d'acte de signification,
- la requête d'appel déposée le 15 avril 2008 au greffe de la cour,
- l'appel incident formé par conclusions déposées le 15 septembre 2009 au greffe de la cour et soutenu par de nouvelles conclusions additionnelles et de synthèse déposées le 13 mars 2010 au greffe de la cour.
LES FAITS ET LES ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE :
En 2003, André D. et Jean X. ont acquis, en indivision, chacun pour moitié, un avion « Piper Apache Geronimo » immatriculé N109M.
A cette occasion, ils ont conclu, le 21 juillet 2003, une convention réglant les modalités de leur indivision.
Dans le courant de l'année 2005, Jean X. a exprimé le souhait de sortir d'indivision en procédant à la vente de l'avion, telle que cela avait été convenu par les parties.
Après discussion, les parties se sont néanmoins accordées pour mettre fin à l'indivision en attribuant la pleine propriété de l'avion à l'une d'elle ;
Le 9 septembre 2005, chacune des parties a fait - selon un modèle commun, préalablement établi (dont le texte est reproduit ci-après) - une offre de « vente ou achat », André D. mentionnant le prix de 23.000,02 euro tandis que Jean X. a mentionné le prix de 100.000,00 euro .
A la suite de l'examen de ces offres de « vente ou achat » respectives, Jean X., considérant qu'il était devenu plein propriétaire de l'avion, a adressé le même jour à André D. le courriel suivant :
« Veux-tu me communiquer ton n° de compte et rassembler mes classeurs Jeppesen que je t'ai prêtés il y a près de deux ans maintenant, ainsi que les papiers, log books de l'avion + clé, le tout à remettre à Guido Pinoy.
Tu peux également m'envoyer le décompte en tenant compte que j'ai payé pour la société aux USA 2 ans à $ 255,- par an, soit $ 510,- dont ¼ à ta charge = $ 127,5 à 1,2 de moyenne = euro 106,25 »,
lui faisant parvenir ultérieurement, outre la somme de 1.189,62 euro selon decompte, la somme de 11.500,01 euro pour prix de sa part indivise dans l'avion.
En revanche, André D. a soulevé une contestation quant à la sortie d'indivision dont se prévalait Jean X. et, aucune solution amiable n'étant intervenue entre les parties, celles-ci ont déposé le 9 mai 2006 un procès-verbal de comparution volontaire devant le tribunal de première instance de Bruxelles pour que celui-ci tranche leur différend.
Entre-temps, Jean X. a, par convention du 22 décembre 2005, vendu l'avion pour le prix de 54.000,00 USD.
Devant le tribunal :
· André D. sollicitait :
« à titre principal :
de condamner M. X. à s'acquitter d'un montant en principal de 11.500, 01 euro à augmenter des intérêts au taux de 15 % sur 11.501,01 euro à dater du 16 septembre 2005 et jusqu'au parfait paiement ;
à titre subsidiaire :
de condamner M. X. à payer à M. D. la moitié de la valeur de vente de l'avion en 2005 ;
en toute hypothèse :
de condamner M. X. au paiement de sa part dans les frais de l'avion telle que détaillée [en conclusions], soit la somme de 2.338,71 euro augmentée des montants éventuellement non justifiés par M. X. et des intérêts au taux de 15 % à dater du 16 septembre 2005 jusqu'au parfait paiement ;
de condamner M. X. à s'acquitter des frais de conseil à concurrence de 2.500,00 euro provisionnel sous réserve d'augmentation en cours d'instance ;
de condamner M. X. aux entiers frais et dépens de l'instance, en ce comprise l'indemnité de procédure » ;
· Jean X. sollicitait :
« quant aux demande de Monsieur D. :
de déclarer la demande principale de Monsieur D. recevable mais non fondée en tant qu'elle excède la somme non contestée de 1.189,62 euro
en conséquence,
débouter Monsieur D. de sa demande principale en ce qu'elle excède 1.189,62 euro
quant à la demande formée par Monsieur X. :
de déclarer la demande [...] recevable et fondée,
en conséquence, dire pour droit que la vente intervenue entre les parties le 9 septembre 2005 est parfaite et qu[‘il] est le seul et unique propriétaire de l'avion [...]pour avoir acquis la quote-part indivise de Monsieur D. au prix de 11.500,01 euro ,
condamner Monsieur D. au paiement d'une somme évaluée ex æquo et bono à 2.500,00 euro , sous réserve de majoration ou de diminution en cours d'instance, à titre d'indemnité de procédure comprenant le remboursement des frais de conseil ;
dire pour droit que, le cas échéant, il y a lieu d'opérer une compensation entre les sommes mises à la charge respective des parties et condamner Monsieur D. à payer [...] la somme de 1.310,38 euro (correspondant à la différence entre le montant précité de 2.500,00 euro sollicité [...] et la somme de 1.189,62 euro dont il reste redevable à Monsieur D. ;
condamner Monsieur D. aux entiers frais et dépens de l'instance ;
déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision, nonobstant tous recours et sans caution ».
Aux termes du jugement attaqué, le premier juge a :
- dit pour droit que la vente intervenue le 9 septembre 2005 est parfaite et que Jean X. est seul et unique propriétaire de l'avion ;
- condamné Jean X. à payer à André D. la somme de 1.189,00 euro , majorée des intérêts au taux de 15 % à partir du 16 septembre 2006 ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes respectives,
- condamné chacune des parties à la moitié des dépens.
Devant la cour :
· André D. poursuit la réformation du jugement attaqué et sollicite :
« à titre principal :
de déclarer nulle et non avenue la convention de sortie d'indivision convenue entre les parties,
de condamner M. X. à s'acquitter d'un montant en principal de 15.000,00 euro à augmenter des intérêts au taux légal depuis le 22 décembre 2005,
de condamner M. X. au paiement de sa part dans les frais de l'avion tel que détaillé [en conclusions] soit la somme de 2.338,71 euro augmentée des intérêts au taux légal depuis le 22 décembre 2005,
à titre subsidiaire :
de condamner M. X. à [lui] payer la somme de 11.500,00 euro à augmenter des intérêts au taux de 15 % à partir du 16 septembre 2005 ;
de condamner M. X. aux entiers frais et dépens des deux instances en ce compris l'indemnité de procédure,
de condamner M. X. au paiement de sa part dans les frais de l'avion telle que détaillées [en conclusions] soit la somme de 2.338,71 euro augmentée des intérêts au taux de 15 % à partir du 16 septembre 2005 tel que prévu à la convention » ;
· Jean X. conclut :
« déclarer l'appel interjeté par Monsieur D. non fondé et, en conséquence l'en débouter,
déclarer l'appel formé par Monsieur X. recevable et fondé,
en conséquence,
après avoir confirmé le jugement a quo en tant qu'il considère que la vente intervenue entre les parties le 9 septembre 2005 était parfaite et avait été pleinement exécutée par Monsieur X. par le paiement de la somme de 11.500,01 euro , réformer le jugement a quo en ses autres dispositions et, faisant ce que le premier juge eût dû faire :
donner acte à Monsieur X. de ce qu'il [se] reconnaît redevable à Monsieur D. d'un montant de 1.189,62 euro correspondant à sa quote-part dans les frais de l'avion,
condamner Monsieur D. aux entiers frais et dépens de première instance, en ce compris, en [sa] faveur, une indemnité de procédure de première instance fixée à 2.500,00 euro correspondant au montant maximum prévu par l'arrêté royal du 26 octobre 2007,
ordonner la compensation entre le montant de 2.500,00 euro dû par Monsieur D. à titre d'indemnité de procédure et le montant de 1.189,62 euro dont Monsieur X. propose le paiement et, par conséquent, condamner Monsieur D. à payer [...] une somme de 1.310,38 euro [...],
condamner Monsieur D. aux entiers frais et dépens de l'instance d'appel en ce comprise une indemnité de procédure d'appel en [sa] faveur fixée actuellement au montant de base de 1.100,00 euro [...] ».
DISCUSSION :
1. Quant à la convention de sortie d'indivision de l'avion :
Il est constant qu'en s'accordant sur le texte similaire que, sous réserve du nom du signataire, de la signature et du montant qu'elles y mentionneraient, les parties devaient s'échanger le 9 septembre 2005, elles ont conclu une convention pour sortir de l'indivision dans laquelle elles se trouvaient depuis l'acquisition de l'avion en 2003.
Le texte en question est le suivant :
« Je soussigné ... m'engage à acheter ou à vendre l'avion N109M pour le montant de ... euros et accepte que ce choix d'acheter ou de vendre au prix de l'offre la plus basse soit accordé de manière irrévocable à celui qui a indiqué le montant le plus élevé des offres mises par chacun sous enveloppe fermée et ouverte par M. Pinoy. Par ailleurs, les comptes de l'avion seront faits et viendront en déduction ou en augmentation du prix final.
Celui qui vendra l'avion remettra à l'acheteur tous les documents, clés et autres objets de N109M qui forment la copropriété. L'acheteur remettra au vendeur le montant en cash dans un délai maximum de 7 jours ouvrables sous peine d'un intérêt de retard de 15 % ».
La cour doit constater qu'en ce qui concerne le prix qu'il appartenait aux indivisaires de mentionner dans leur offre de « vente ou achat », le texte est manifestement ambigu, dès lors que l'on peut aussi bien comprendre qu'il s'agit d'un prix total de l'avion que du prix de la moitié indivise (en ce qu'il émane d'un indivisaire et s'adresse à l'autre). Mais cette question est sans incidence sur la solution du litige, ainsi qu'il ressort de ce qui est dit ci-après.
André D. soutient en substance que la convention de sortie d'indivision, en ce qu'elle repose sur l'échange entre les parties de leurs offres respectives exprimées selon le texte précité, est nulle et de nulle effet au motif qu'elles seraient affectées d'une condition purement potestative.
En se référant au texte précité, si l'on doit admettre qu'en fixant son prix dans son offre de « vente ou achat », chacune des parties ignore le prix fixé par l'autre partie et que, partant tant le prix auquel devra se faire la sortie d'indivision que la détermination de celui qui aura - aux termes de la comparaison des deux offres, la faculté d'acheter ou de vendre, dépendent du hasard au sens de l'article 1169 du Code civil.
En revanche, en se référant toujours au texte précité, celui qui a indiqué le prix le plus élevé, a la faculté d'acheter ou de vendre (au prix fixé par son co-indivisaire), et de décider unilatéralement s'il s'oblige à payer le prix ou à céder l'avion (ou la moitié indivise).
Dès lors que l'obligation de vendre ou d'acheter l'avion (ou la moitié indivise) - certes à un prix résultant du hasard - dépend de la seule volonté de celui qui s'oblige ainsi à payer le prix ou à céder l'avion (ou la moitié indivise), l'obligation est purement potestative et donc nulle au sens de l'article 1174 du Code civil.
La convention de sortie d'indivision étant nulle, il est inutile d'examiner si elle a été exécutée ou non de bonne foi.
Par ailleurs, en raison de cette nullité, il convient de remettre les parties dans la situation qui était la leur au 9 septembre 2005.
Toutefois, l'avion ayant été vendu (peu de temps après cette date), et ce, pour un prix qui ne fait l'objet d'aucune contestation, il en découle que, alors qu'il n'est pas contesté que les parties entendent mettre fin à l'indivision ayant existé entre elles, les parties ont chacune droit à la moitié de ce prix et que, ayant encaissé le prix de vente de 54.000 USD, Jean X. en doit la moitié à André D., soit 27.000 USD ou (les parties ne contestant pas la parité entre le dollar et l'euro) 27.000,00 euro dont à déduire la somme de 11.500,00 euro payée en septembre 2005 (cf. conclusions d'appel de synthèse d'André D., point 6, P. 11) , soit 15.500,00 euro augmentée des intérêts à dater du 9 mai 2006 (date du dépôt du procès-verbal de comparution volontaire devant le premier juge).
2. Quant aux frais relatifs à l'avion :
Il ressort des documents soumis à la cour que, si elles sont d'accord sur le principe selon lequel Jean X. reste devoir un montant à André D. à titre de solde des frais exposés pour l'avion, elles ne sont pas d'accord sur le montant.
En effet, André D. réclame 2.338,71 euro tandis que Jean X. admet rester devoir 1.189,62 euro .
André D. établit sa créance comme suit (cf. ses conclusions d'appel de synthèse étant toutefois relevé que, selon ces conclusions, le solde est de 1.754,34 euro et non de 2.338,71 euro ):
a. assurance prise le 06.12.04 707,62 euro
b. complément d'assurance le 30.04.05 380,00 euro
c. facture EBAW (Deurne) 128,27 euro
d. facture B.P. essence 346,07 euro
c. GPS portable 681,00 euro
2.242,96 euro
dont à déduire
e. supplément d'assurance 191,07 euro
f. société USA 297,55 euro
- 488,62 euro
total 1.754,34 euro
Jean X. ne conteste pas sérieusement les postes ci-dessus sub a, b, c et e, les ayant acceptés in tempore non suspecto ainsi qu'il ressort de son courriel du 12 septembre 2005 (pièce 13 du dossier d'André D.).
En revanche, alors que c'est à André D. qu'incombe la charge de justifier le montant de la créance dont il réclame le paiement (articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire), force est de constater que les explications qu'il donne ne reposent pas sur des éléments probants suffisants. Plus particulièrement en ce qui concerne le GPS, s'il ressort de son courriel du 12 septembre 2005 (pièce 13 du dossier de Jean X.) que Jean X. admet que l'appareil faisait partie de l'avion, et du courriel de B. 27 février 2006 (pièce 32 du dossier d‘André D.) que le GPS a été donné par Jean X. à un tiers, André D. n'établi pas que cette donation eu la moindre incidence sur le prix de l'avion, lors de sa vente ou même qu'elle lui aurait causé le moindre préjudice de telle sorte que sa réclamation quant au prix de l'appareil n'est pas fondée.
Il en découle que le montant des frais relatifs à l'avion, dû à André D. par Jean X. doit être limité à celui que ce dernier reconnaît devoir augmenté des intérêts à dater du 9 mai 2006 (date du dépôt du procès-verbal de comparution volontaire devant le premier juge) et non au taux de 15 % l'an puisque, ainsi qu'il ressort de ce qui est dit ci-dessus, la convention relative à la sortie d'indivision est nulle et de nulle effet.
3. Quant aux dépens :
Les parties sont d'accord de voir fixer le montant de l'indemnité de procédure d'appel à celui de l'indemnité « de base », soit 1.100,00 euro .
Jean X., formant sur ce point un appel incident, sollicite une indemnité majorée de 2.500,00 euro à charge d'André D., à titre d'indemnité de procédure de première instance. Toutefois, l'examen de cette demande est sans objet d ès lors qu'il ressort de ce qui est dit ci-dessus que la demande originaire d'André D. est fondée et que, partant, les dépens de première instance doivent être mis à charge de Jean X. (article 1017 du Code judiciaire).
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant contradictoirement,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,
Dit les appels recevables,
Dit l'appel principal seul fondé dans la mesure ci-après,
En conséquence, met le jugement attaqué à néant, sauf en ce qu'il a reçu les demandes et liquidés les dépens ,
Dit pour droit qu'est nulle et de nul effet la convention intervenue entre les parties tendant à la sortie d'indivision de leur avion « Piper Apache Geronimo » immatriculé N109M,
Condamne Jean X. à payer à André D. les sommes de 15.500,00 euro et 1.189,62 euro , augmentées des intérêts à dater du 9 mai 2006 jusqu'au jour du parfait paiement,
Condamne Jean X. aux dépens des deux instances, les dépens d'appel étant liquidés à 186,00 euro + 1.100,00 euro pour André D. et à 1.100,00 euro pour Jean X..
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique de la 7e chambre de la cour d'appel de Bruxelles, le 25 MAI 2010
où étaient présents:
- M. Franklin HUISMAN, Conseiller,
- M. Jan VAN DEN BOSSCHE Greffier,
J. VAN DEN BOSSCHE F. HUISMAN