Tribunal du Travail: Jugement du 4 juin 2008 (Liège). RG 372.450

Date :
04-06-2008
Langue :
Français
Taille :
9 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20080604-7
Numéro de rôle :
372.450

Résumé :

Le tribunal constate que l'employé engagé sous contrat à temps plein, ayant réduit ses prestations à mi-temps dans le cadre du crédit-temps est relativement mal protégé contre le risque de licenciement par la législation en vigueur, telle qu'interprétée par la Cour de cassation, et considérée comme non discriminatoire par la Cour Constitutionnelle (interprétation selon laquelle, en cas de licenciement, tant l'indemnité de préavis que l'indemnité de protection doivent être calculées sur base de la rémunération à mi-temps). Face à cette réalité juridique, judiciaire et constitutionnelle, le tribunal estime qu'il convient d'être particulièrement attentif lors de l'examen d'un licenciement pour motif grave d'un employé survenu dans un tel cas de figure, en particulier lorsqu'il s'agit d'apprécier le lien de causalité entre la faute reprochée et l'impossibilité immédiate et définitive de poursuivre les relations professionnelles.

Jugement :

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N° 3ème CHAMBRE JUGEMENT DU 4 JUIN 2008

TRIBUNAL DU TRAVAIL DE LIEGE

R.G. N°: 372.450

Répertoire N°

EN CAUSE :

A M...;

Partie demanderesse comparaissant personnellement et assistée par Me KERSTENNE, avocat;

CONTRE :

A.S.B.L. F ET S S ... ;

Partie défenderesse comparaissant par Me BENEDETTI loco Me MERODIO, avocats;

********

Vu la législation sur l'emploi des langues en matière judiciaire ;

Vu l'absence de conciliation entre les parties , telle que visée par l'article 734 du Code judiciaire;

Vu la requête contradictoire, acte introductif d'instance, déposée au greffe le 14/1/2008 ;

Vu les pièces de la procédure à la clôture des débats le 21/5/2008, notamment :

- le calendrier amiable de mise en état de la cause, annexé à la feuille d'audience du 20/2/2008 ;

- les conclusions de la partie défenderesse déposées au greffe le 28/3/2008;

- les conclusions de la partie demanderesse déposées au greffe le 23/4/2008 ;

- le courrier de la partie demanderesse adressé au greffe le 23/4/2008

- les dossiers inventoriés déposés par les parties à l'audience du 21/5/2008;

Entendu les conseils des parties à la même audience.

A) LES FAITS DE LA CAUSE :

Madame A M a été occupée par la partie défenderesse en qualité de personnel d'entretien, dans le cadre de différents contrats ;

- un premier contrat de travail de remplacement à partir du 23/10/1990 ;

- un contrat de travail à durée indéterminée (28H30 par semaine) à partir du 1/1/1993 ;

- un nouveau contrat de travail de remplacement à partir du 22/1/2001 (9H30) ;

- un avenant au CDI précise que les prestation seront de 38 heures pas semaine à partir du 11/9/2001 ;

La partie demanderesse dépose une note de plusieurs membres du personnel d'entretien (12 signatures), datée du 16/2/2005 (reproches à l'égard de madame C , leur responsable de service).

Un premier avertissement individuel sera adressé à la partie demanderesse par lettre du 6/2/2007 (non respect des consignes de travail ; les tâches ne sont pas réalisées dans des délais raisonnables).

Un second avertissement sera adressé à la partie demanderesse par lettre du 22/5/2007, envoyé par pli simple et par pli recommandé (non respect du temps de pause, remarques désobligeantes envers votre chef de service).

Par lettre du 25/5/2007, la partie demanderesse répondit de façon circonstanciée à cet avertissement.

La partie demanderesse a prolongé une interruption de carrière à mi-temps à partir du 1/8/2007 jusqu'au 31/10/2007 (s'occupant de ses parents grandement malades).

Un troisième et dernier avertissement sera adressé à la partie demanderesse par lettre du 8/8/2007, envoyé par pli simple et par pli recommandé, suite à un entretien du même jour en présence de madame C (responsable de service), et de mesdames P, V-E et D (absence de nettoyage de l'unité 1B et des bureaux dans le temps imparti ; reproches quant à l'attitude au travail ; ton arrogant).

Par lettre recommandée du 16/10/2007, la partie défenderesse a licencié la partie demanderesse pour faute grave (même si ces termes ne figurent pas expressément dans la lettre) , dans les termes suivants :

« ... Je vous confirme l'entretien de ce 16/10/2007 en présence de votre chef de service, madame J. C, ainsi que de mesdames E. P et a. W.

Au cours de cet entretien, vous avez maintenu votre refus de nettoyer le local des ambulanciers. Or, ce local fait partie intégrante du service des urgences. Vous expliquez que le temps qui vous est imparti ne vous permet pas d'effectuer cette tâche alors que vos collègues y arrivent sans peine.

Je constate donc votre refus d'exécution du travail et votre acte manifeste d'insubordination. Par conséquent, je vous signifie la rupture du contrat de travail qui vous lie à notre institution ... ».

Un document C4 lui sera adressé le 16/10/2007.

Par lettre du 5/11/2007, l'organisation syndicale (...) de la partie demanderesse contestera formellement ce licenciement pour faute grave, ajoutant que «monsieur L nous indique par ailleurs que vous avez implicitement reconnu ce fait en acceptant de faire prester un préavis à madame A M avant de revenir sur votre parole » (monsieur L , secrétaire permanent, avait adressé le 26/11/2007 un courrier en ce sens à l'Office de droit social de la F).

Le 8/11/2007, le service juridique du S adressera au Directeur de la Clinique A R d un courrier par lequel il détaille les arguments dont ils disposent pour s'opposer aux revendications de l'Office de droit social !

Sur cette base, la partie défenderesse adressera le 9/11/2007 un courrier circonstancié à l'Office de droit social de la F , répondant au courrier du 5/11/2007 (monsieur D P nie formellement les propos de monsieur L).

Contestant le motif grave et n'obtenant pas satisfaction à ses revendications, la partie demanderesse lança citation.

B) OBJET DE LA DEMANDE ET THESES DES PARTIES:

Par ses conclusions, la partie demanderesse postule condamnation de la défenderesse au paiement des sommes suivantes :

- 10.797,18 euro à titre d'indemnité compensatoire de préavis de 12 mois ;

- 285,14 euro à titre de prime de fin d'année 2007 ;

- 160,20 euro à titre de prime d'attractivité fixe ;

- 5.398,59 euro à titre d'indemnité de protection crédit-temps de 6 mois.

Elle réclame condamnation de la défenderesse au paiement des intérêts au taux légal depuis le 16/10/2007, et des dépens (elle liquide son indemnité de procédure à la somme de 1.100 euro ).

Par ses conclusions, la partie défenderesse considère la demande est non fondée.

Elle réclame condamnation de la demanderesse au paiement des dépens, et liquide son indemnité de procédure à la somme de 1.100 euro .

Les moyens et arguments des parties sont longuement développés dans leurs conclusions.

C) RECEVABILITE :

La partie demanderesse a introduit la présente action par requête contradictoire du 14/1/2008.

L'article 704, § 1er, du Code judiciaire, tel que modifiée par l'article 4 de le loi du 13 décembre 2005 portant des dispositions diverses relatives aux délais, à la requête contradictoire et à la procédure en règlement collectif de dette (entré en vigueur le 1/9/2007) énonce que :

« § 1er. Devant le tribunal du travail les demandes principales peuvent être introduites par une requête contradictoire, conformément aux articles 1034bis à 1034sexies, sans préjudice des règles particulières applicables aux comparutions volontaires, aux procédures sur requête unilatérale, et aux procédures spécialement régies par des dispositions légales qui n'ont pas été explicitement abrogées. »

La requête respecte les formes prévues par les articles 1034 bis à 1034 sexies du Code judiciaire.

L'article 15 de la loi du 3/7/1978 relative aux contrats de travail énonce que « Les actions naissant du contrat sont prescrites un an après la cessation de celui-ci ou cinq ans après le fait qui a donné naissance à l'action, sans que ce dernier délai puisse excéder un an après la cessation du contrat ».

En l'espèce, les relations contractuelles ont pris fin le 16/10/2007.

Le fondement de l'action est contractuel.

L'action est introduite dans les formes et délais requis et elle est donc recevable.

D) FONDEMENT :

1. Quant à la qualité d'employé ou d'ouvrier du demandeur:

En l'espèce, la partie demanderesse indique en termes de requête qu'elle était engagée en qualité d'employée membre du personnel d'entretien.

Cependant, elle précise par son courrier du 23/4/2008 qu'elle était plutôt liée par un contrat de travail d'ouvrier même si en fait elle bénéficiait du régime habituel des employé pour la question du préavis.

En fonction des ces données apparemment contradictoires, se pose in limine litis la question de savoir si la partie demanderesse était liée par un contrat de travail d'ouvrier ou par un contrat de travail d'employé.

1.1. En droit :

Le critère de distinction entre la qualité d'ouvrier ou d'employé est le fait de fournir un travail principalement d'ordre manuel ou principalement d'ordre intellectuel (articles 2 et 3 de la loi du 3/7/1978 relative aux contrats de travail).

Il a été jugé que :

- La qualification donnée par les parties à leur contrat ne lie pas le juge; cependant rien légalement n'interdit à un employeur de faire bénéficier un ouvrier, qui accepte, du statut d'employé, la législation sociale étant essentiellement protectrice des travailleurs et le statut d'employé étant plus favorable que celui des ouvriers.

(CT Bruxelles, 2e ch., 15/10/1987, RDS 1988, p 163) ;

- Il est loisible à l'employeur de faire bénéficier au salarié d'un régime pécuniaire plus avantageux que celui auquel sa qualification lui donne droit. Ainsi, il ne lui est pas interdit d'accorder à un ouvrier les avantages découlant du régime employés. Il est dès lors sans intérêt de rechercher si le salarié effectuait en ordre principal des tâches à caractère intellectuel ou non puisqu'aussi bien, même si le caractère de ces tâches devait faire conclure à la qualité d'ouvrier, encore est-il que l'employeur a entendu conférer à ce dernier la qualité d'employé et qu'il ne peut par la suite revenir unilatéralement sur sa décision.

(CT Bruxelles, section de Mons, 2e ch., 8/4/1978)

1.2. En fait :

Tous les documents écrits déposés ( les contrats de travail d'ouvrier ; données figurant su le document C4 (CP n°111, salaire horaire,...) ; le contenu des différentes lettres figurant aux dossiers des parties) font clairement état de l'engagement de la partie demanderesse en qualité d'ouvrière dans le cadre de prestations qui sont principalement manuelles (personnel d'entretien).

Le tribunal considère que les parties ont qualifié clairement leur relation de travail de contrat de travail d'ouvrière.

L'exécution du contrat correspondait à cette qualification.

La circonstance qu'une convention collective de travail concernant l'octroi de certains avantages du statut d'employé aux ouvriers a été conclue (pièce 10 du dossier de la partie demanderesse : la partie défenderesse ne remet pas en cause l'application de cette CCT à la relation de travail des parties), n' y change rien.

Eu égard aux éléments qui lui ont été régulièrement soumis par les parties, le tribunal considère que les prestations de la partie demanderesse consistaient en des prestations principalement manuelles et ont été exécutées dans le cadre d'un contrat de travail d'ouvrier.

D.2.Quant au licenciement pour motif grave et quant à l'indemnité compensatoire de préavis :

D2.1. Quant au respect des délais :

L'article 35 de la loi du 3/7/1978 relative aux contrats de travail contient deux règles en matière de computation des délais :

- « le congé pour motif grave ne peut plus être donné sans préavis ou avant l'expiration du terme, lorsque le fait qui l'aurait justifié est connu de la partie qui donne congé depuis trois jours ouvrables au moins » (alinéa 3) ;

- « peut seul être invoqué pour justifié le congé sans préavis ou avant l'expiration du terme, le motif grave notifié dans les trois jours ouvrables qui suivent le congé » (alinéa 4).

La Cour de cassation a jugé que : « au sens de l'article 35,alinéa 3, de la loi du 3/7/1978, le fait qui constitue le motif grave de rupture du contrat de travail est connu de la partie donnant congé lorsque celle-ci a, pour prendre une décision en connaissance de cause quant à l'existence du fait et des circonstances de nature à lui attribuer le caractère d'un motif grave, une certitude suffisant à sa propre conviction et aussi à l'égard de l'autre partie et de la justice... » (Cass.,11/1/1993, Pas., 1993,I,31).

L'article 35 de la loi relative aux contrats de travail fait peser sur l'auteur de la rupture pour motif grave la charge de la preuve du respect des délais prévus aux alinéa 3 et 4 du même article.

En l'espèce, les derniers faits énoncés à l'appui de la rupture du contrat pour motif grave se sont passés le 16/10/2007, jour de la rupture du contrat pour motif grave.

Le tribunal estime que la partie défenderesse établit avoir respecté les délais prévus par les alinéas 3 et 4 de l'article 35 de la LCT, la lettre de congé et de notification des motifs graves ayant été adressée dans les 3 jours ouvrables suivant la prise de connaissance des faits par la partie défenderesse.

D.2.2. Quant aux motifs graves :

L'article 35 de la loi du 3/7/1978 relative aux contrats de travail définit le motif grave de licenciement comme « toute faute grave qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l'employeur et le travailleur ».

La Cour de Cassation a jugé que l'article 35 n'impose point que la faute alléguée par un employeur pour justifier le licenciement d'un travailleur , pour motif grave, soit de nature contractuelle (Cass. 9/3/1987, pas. P . 815).

La Cour de cassation a précisé que « les motifs doivent être indiqués avec une précision qui permet au juge d'apprécier leur gravité et de vérifier si les motifs invoqués devant lui s'identifient avec ceux qui ont été notifiés » (Cass., 24/3/1980, pas., 1980, I, 900) et que « l'écrit de notification peut être complété par référence à d'autres éléments pourvu que l'ensemble permette d'apprécier avec certitude et précision les motifs justifiant le congé » (Cass, 2/4/1965, pas., 1965,I,827).

La Cour du travail de Liège a, par un arrêt du 25/7/2006, rappelé que le motif grave « exige la réunion de trois éléments constitutifs distincts :

1) il faut une faute,

2) celle-ci doit être intrinsèquement grave,

3) elle doit être d'une gravité telle qu'elle rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l'employeur et le travailleur, cette impossibilité étant déterminée par la perte de la nécessaire confiance qui doit exister entre les parties au contrat de travail ( V. VANNES, « La rupture du contrat de travail pour motif grave », Contrat de travail : 20ème anniversaire de la loi du 3 juillet 1978, Ed. J.B.B., 1988, p.212)... »

(CT Liège , chambre de vacations , 25/7/2006, RG n°34.181/06, inédit).

L'article 35 de la loi relative aux contrats de travail fait peser sur l'auteur de la rupture pour motif grave la charge de la preuve de ce motif.

En l'espèce,

Les faits dénoncés comme motif grave sont décrits avec précision dans la lettre de licenciement :

« ...Au cours de cet entretien, vous avez maintenu votre refus de nettoyer le local des ambulanciers. Or, ce local fait partie intégrante du service des urgences. Vous expliquez que le temps qui vous est imparti ne vous permet pas d'effectuer cette tâche alors que vos collègues y arrivent sans peine.

Je constate donc votre refus d'exécution du travail et votre acte manifeste d'insubordination. .

Même si la partie demanderesse ne conteste pas la réalité des faits dénoncés (le local n'a pas été nettoyé) comme faute grave , elle conteste cependant la qualification d'acte manifeste d'insubordination et elle estime que les faits lui reprochés ne sont pas constitutifs de motif grave.

L'article 17 de la LCT dispose notamment que :

« Le travailleur a l'obligation :

1° d'exécuter son travail avec soin, probité et conscience, au temps, au lieu et dans les conditions convenus;

2° d'agir conformément aux ordres et aux instructions qui lui sont données par l'employeur, ses mandataires ou ses préposés, en vue de l'exécution du contrat;... . » .

En l'espèce, force est de constater que la partie demanderesse s'est vue notifier successivement plusieurs avertissements ayant pour objet le même genre de reproches (non exécution du travail dans le temps imparti ; déclarations selon lesquelles elle estime impossible matériellement d'effectuer le dit travail dans le temps imparti).

a. Refus de nettoyer le local des ambulanciers :

Même si l'on peut qualifier de fautif le fait de refuser de nettoyer un local après avoir reçu plusieurs avertissements ayant un objet proche dans un délai relativement court, et de persister à affirmer que c'est impossible matériellement en fonction du temps imparti, le tribunal ne peut que constater que cette faute est très légère eu égard au contexte décrit par les parties.

Sous cet angle, ce qui est reproché à la partie demanderesse ressemble plutôt à un manque de productivité, élément qui s'éloigne de la notion de comportement du travailleur et qui s'approche plutôt du concept d'aptitude (à défaut de prouver une mauvaise volonté manifeste dans son chef).

Dans ce contexte, le tribunal estime que ce comportement légèrement fautif de la partie demanderesse n'est pas intrinsèquement grave.

b. Acte manifeste d'insubordination:

Quant à l'acte manifeste d'insubordination, il est loin d'être établi.

Les propos de madame A lors de l'entretien du 16/10/2007 , et l'arrogance dont elle aurait fait preuve, ne sont pas rapportés de façon précise, et la partie défenderesse n'offre pas de prouver cette arrogance.

Le tribunal ajoute qu'un droit de critique vis à vis de son employeur et de sa manière de gérer existe bien entendu pour le travailleur .

Il ne peut cependant s'exercer que dans les limites fixées par les dispositions légales citées ci-dessus.

Ce droit de critique doit également être examiné sous l'angle de sa diffusion vers d'autres personnes que l'employeur et sous l'angle des moyens de communication utilisés.

Comme l'indique très justement la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 8/5/1996, « le fait pour un employé d'établir par écrit une liste de griefs et de critiques à l'égard de son employeur et de certains collègues ne constitue pas un motif grave dès lors qu'il s'agit d'un document privé non destiné à être répandu » (CT Bruxelles, 8/5/1996, JTT 1996, p.443).

En l'espèce, il n'apparaît pas que la demanderesse ait exercé son droit de critique de façon disproportionnée.

c. Examen d'un motif grave dénoncé durant une période de réduction des prestations de travail (période protégée):

Pour être tout à fait complet, le tribunal constate encore que la rupture du contrat a été consommée durant une période de réduction des prestations de travail (interruption de carrière ; crédit-temps).

Par un jugement du 19/6/2007 (B.Y. c SA EVS, RG 346.409) , le tribunal de céans avait posé deux questions à la Cour constitutionnelle , relativement à d'éventuelles discriminations dont sont l'objet les travailleurs qui réduisent leurs prestations dans le cadre d'une interruption de carrière (risque de licenciement réel car protection objectivement bien légère).

Par un arrêt du 8/5/2008 (arrêt n°77/2008) , la Cour constitutionnelle a cependant répondu par la négative : « Les articles 37 et 39, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et l'article 101 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle, en cas de licenciement d'un travailleur qui réduit ses prestations de travail dans le temps, il convient de se fonder sur la rémunération en cours qui correspond aux activités réduites pour la fixation du montant de l'indemnité compensatoire de préavis et de l'indemnité de protection) » .

Sans faire le moindre procès d'intention à la partie défenderesse, le tribunal constate dans le cas d'espèce que si le licenciement pour motif grave de la partie demanderesse avait été réalisé quelques mois avant ou quelques mois plus tard (soit en dehors de la période d'interruption de carrière prise temporairement par la demanderesse), le risque-coût de ce licenciement aurait été objectivement beaucoup plus élevé pour la partie demanderesse (soit environ 22.000 euro (IR selon salaire temps plein) au lieu d'environ 17.000 euro (IR + Indemnité de protection selon un salaire mi-temps)).

Face à cette réalité juridique, judiciaire et constitutionnelle, le tribunal estime qu'il convient d'être particulièrement attentif à l'examen d'un licenciement pour motif grave lors d'une réduction de prestation dans le cadre d'un crédit-temps, et en particulier lorsqu'il s'agit d'apprécier le lien de causalité entre la faute reprochée et l'impossibilité immédiate et définitive de poursuivre les relations professionnelles.

A cet égard, le tribunal ne peut que s'étonner que les derniers avertissements donnés à la partie demanderesse l'ont été dans une période d'interruption de carrière assez courte , alors qu'elle était occupée depuis 17 ans, et semblait satisfaire aux exigences de son emploi de personnel d'entretien.

d. Examen de la gravité de la faute :

Dans le contexte très particulier de la cause (plainte de février 2005, certes ancienne, de 12 travailleurs à l'égard du chef de service et à l'organisation du travail ; ancienneté de 17 ans ; période stressante pour la partie demanderesse , qui était en interruption de carrière à mi-temps pour s'occuper de ses parents gravement malades) , le tribunal estime que les fautes reprochées à la partie demanderesse sont , pour s'essentiel, loin d'être établies et en toute hypothèse, n'étaient manifestement pas de nature à rendre définitivement et immédiatement impossible la poursuite des relations de travail.

e. Conclusion :

La licenciement pour motif grave est la sanction ultime en droit du travail et le tribunal considère, pour les différents motifs développés ci- dessus, que la partie défenderesse ne démontre pas que la faute très légère de la partie demanderesse atteignait le seuil de gravité rendant immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles.

La partie défenderesse est donc redevable du paiement des sommes telles que chiffrées par la partie demanderesse (pièce 12 de son dossier):

- d'une indemnité compensatoire de préavis calculée selon le régime des employés (3 mois par période de 5 ans d'ancienneté) (article 3, §1er, de la CCT applicable à partir du 1/1/2007, déposée en pièce 10 de son dossier);

- d'une indemnité de protection dans le cadre de l'interruption de carrière/crédit-temps (indemnité forfaitaire égale à la rémunération de 6 mois, en application de l'article 20,§4 de la CCT n°77 bis et de l'article 101 de la loi du 22/1/1985) ;

- de la prime de fin d'année (CCT du 25/9/1992, déposée en pièce 11 de son dossier). ;

- de la prime d'attractivité (CCT du 30/6/2006 , déposée en pièce 11 de son dossier).

D3. Quant aux dépens.

Quant à l'indemnité de procédure fixée conformément à la loi du 21/4/2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat et à l'arrêté royal du 26/10/2007 fixant le tarif des indemnités de procédure fixées à l'article 1022 du Code judiciaire et fixant la date d'entrée en vigueur des articles 1er à 13 de la loi du 21/4/2007 relative à la répétibilité des honoraires et des frais d'avocat:

La partie défenderesse succombe et doit être condamnée au dépens en application de l'article 1017 alinéa 1er du Code judiciaire.

La partie demanderesse liquide son indemnité de procédure au montant de 1.100 euro , soit le montant de base de l'indemnité de procédure prévue par l'article 2 de l'AR du 26/10/2007, lorsque le litige porte sur un montant situé entre 10.000,01 euro et 20.000 euro .

L'alinéa 2 de l'article 2 de l'AR précité énonce que « le montant de la demande est fixée conformément aux article 557 à 562 et 618 du Code judiciaire relatifs à la détermination de la compétence et du ressort. Par dérogation à l'article 561 du même Code, lorsque le litige porte sur le titre d'une pension alimentaire, le montant de la demande est calculé, pour la détermination de l'indemnité de procédure, en fonction de l'annuité ou de douze échéances mensuelles ».

En l'espèce, l'action principale porte sur un montant situé dans la fourchette indiquée.

La partie défenderesse ne sollicite pas la diminution du montant de base de l'indemnité de procédure.

Le tribunal considère que le montant de l'indemnité de procédure peut être fixé au montant de base, soit 1.100 euro .

PAR CES MOTIFS,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Dit l'action recevable et fondée ;

Dit pour droit que le licenciement pour motif grave du 16/10/2007 n'est pas justifié.

Condamne la partie défenderesse à payer à madame A M les sommes de :

- 10.797,18 euro à titre d'indemnité compensatoire de préavis de 12 mois ;

- 285,14 euro à titre de prime de fin d'année 2007 ;

- 160,20 euro à titre de prime d'attractivité fixe ;

- 5.398,59 euro à titre d'indemnité de protection crédit-temps de 6 mois.

Condamne la partie défenderesse au paiement des intérêts moratoires au taux légal dus de plein droit à partir de l'exigibilité de la rémunération , en application de l'article 10 de la loi du 12/4/1965 sur la protection de la rémunération, sur le montant brut de ces sommes, depuis le 16/10/2007, date de la rupture des relations contractuelles, et ce jusqu'au complet paiement ;

Quant aux dépens:

Condamne la partie défenderesse aux dépens, en application des articles 1017 alinéa 1er , 1021 et 1022 du code judiciaire, liquidés dans le chef de la partie demanderesse à la somme de :

- indemnité de procédure : 1.100 euro .

Jugé par MM. :

D. MARECHAL, Juge présidant la chambre

R. APRUZZESE, Juge social employeur ;

V. TALKO, Juge social employeur ;

M. GROMMEN, Juge social travailleur employé ;

V. GRUOSSO, Juge social ouvrier ;

et prononcé à l'audience publique de la 3ème chambre du Tribunal du Travail de

Liège, le QUATRE JUIN DEUX MILLE HUIT

par les mêmes,

assistés de M. MASSART, Greffier

Le Greffier, Les Juges Sociaux, Le Juge,