Cour d'appel: Arrêt du 10 janvier 2012 (Mons (Mons)). RG 2010/RG/206 (2em chambre)

Date :
10-01-2012
Langue :
Français
Taille :
8 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20120110-4
Numéro de rôle :
2010/RG/206 (2em chambre)

Résumé :

L'article 9 C.E.D.H. garantit le libre exercice du droit à la liberté de religion. L'obligation de neutralité et d'impartialité interdit à l'Etat de porter une appréciation sur la légitimité des croyances religieuses ou sur la façon dont elles se manifestent dans le cadre du principe de l'autonomie personnelle des croyants. Il n'appartient pas à la cour d'en faire le procès par le biais de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination à défaut d'éléments suffisamment précis et concrets apportés aux débats permettant de présumer l'existence d'une quelconque discrimination à l'égard de J.L.

Arrêt :

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COUR D'APPEL DE MONS - Deuxième Chambre

NUMERO : 2010/RG/206

EN CAUSE DE :

L.J., domicilié à 4122 PLAINEVAUX,

Appelant comparaissant personnellement à l'audience,

assisté par Maître EYBEN Cédric, avocat à 1030 BRUXELLES, Boulevard Lambermont 360;

CONTRE :

ASBL CONGREGATION CHRETIENNE DES TEMOINS DE JEHOVAH, dont le siège social est sis à 1950 KRAAINEM, rue d'Argile 60, inscrite à la BCE sous le numéro 411.002361,

intimée,

représentée par Maître LEJEUNE Albert-Dominique et Me VERITER Vanessa, avocats à 4000 LIEGE, rue Simonon, 13 ;

La Cour, après en avoir délibéré, prononce l'arrêt suivant :

Vu les pièces de la procédure prescrites par la loi, notamment :

- la citation après cassation signifiée par J. L. à l'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah le 10 février 2010 déposée au greffe de cette Cour le 25 février 2010

- la copie certifiée conforme de l'arrêt prononcé le 18 décembre 2008 C.06.0351.F/1 par la Cour de Cassation

- les conclusions de synthèse et dossiers de pièces des parties appelante et intimée ;

Entendu les parties à l'audience du 18 octobre 2011 à laquelle les débats ont été déclarés clos et la cause prise en délibéré ;

I. Faits et antécédents de procédure

Le litige porte sur la discrimination dont se prétend victime J.L., ancien témoin de Jéhovah, exclu du mouvement le 20 novembre 2002, suite aux consignes interdisant formellement à ses anciens coreligionnaires, sous peine d'exclusion, de continuer à le fréquenter, ce qui, selon lui, lui cause un grave préjudice équivalent à une mort sociale dont il demande réparation.

La procédure a été introduite par requête déposée par J. L. contre l'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah, le 23 août 2004, devant Monsieur le Président du tribunal de première instance de Liège siégeant comme en référé, en application de l'article 19 de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination, sollicitant de :

• Entendre dire pour droit que l'attitude prônée par l'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah constitue une consigne de discrimination visée à l'article 2, §§ 1er, 2 et 7 de ladite loi

• Ordonner la diffusion dans le corps même de la plus prochaine édition pour la Belgique du « Ministère du Royaume » et de « La Tour de Garde » de l'information suivante : « L'attitude prônée par la Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah vis-à-vis des exclus et de ceux qui se retirent constitue une discrimination interdite par la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination. Le fait que Monsieur J.L. ne soit plus membre de la Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah ne peut conduire à aucune discrimination ni à aucune modification du comportement à son encontre. »

• Ordonner la condamnation de la défenderesse au paiement d'une astreinte de 250 EUR par jour dans l'hypothèse où cette information ne serait pas diffusée dans les trois mois de la signification de l'ordonnance à intervenir

• Ordonner la publication de l'ordonnance à intervenir dans « La Tour de Garde » (édition française pour la Belgique) et dans les quotidiens LE SOIR et LA MEUSE dans les dix jours - trois mois en ce qui concerne La Tour de Garde - de la signification de l'ordonnance à intervenir, faute de quoi une astreinte de 250 EUR par jour sera due.

Par ordonnance rendue le 27 septembre 2004 (RG 04/3646/A), Monsieur le Président du tribunal de première instance de Liège siégeant comme en référé a dit l'action recevable, mais non fondée et en a débouté le demandeur, au motif que les consignes ne sont pas propres à J. L., mais identiques pour tous les exclus, de telle sorte qu'il ne peut se plaindre d'être victime d'une discrimination et que la loi du 25 février 2003 ne trouve dès lors pas à s'appliquer.

J. L. a interjeté appel de cette ordonnance par requête déposée au greffe de la cour d'appel de Liège le 19 novembre 2004.

Par arrêt rendu le 6 février 2006, la cour d'appel de Liège a reçu l'appel et confirmé le dispositif de la décision entreprise.

J. L. a formé un pourvoi en cassation par requête déposée le 2 juillet 2006.

Par arrêt du 18 décembre 2008, la Cour de cassation a cassé l'arrêt attaqué, réservé les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond et renvoyé la cause devant la cour d'appel de Mons.

II. GRIEFS

- L'appelant, J.L., demande de dire son appel recevable et fondé et de mettre à néant l'ordonnance a quo.

Il considère que c'est à tort qu'elle décide qu'il est en défaut d'expliquer de quelle discrimination il se plaint.

Il fait valoir qu'en réalité, les comportements de l'intimée tombent sous le champ d'application des articles 4, 7° et 9° de la loi du 10 mai 2007 abrogeant et remplaçant la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination et sont constitutifs de discrimination justifiant l'application de la loi du 10 mai 2007 et l'obligation pour le juge de mettre un terme à ces agissements.

Il soutient que la situation de discrimination dont il s'estime victime s'est poursuivie après l'entrée en vigueur de la loi du 10 mai 2007 qui peut dès lors être invoquée en l'espèce.

En conséquence, il modifie, devant la cour, le fondement juridique et l'objet de sa demande originaire, sollicitant dans ses conclusions de synthèse de :

• Dire pour droit que l'attitude prônée par l'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah à l'égard des exclus en général, et

de J. L. en particulier, constitue une discrimination directe ou indirecte, un harcèlement, ou une injonction de discriminer contraire à l'article 14 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination

• Dire pour droit que l'attitude prônée par l'intimée constitue une violation de la loi du 24 mai 1921 garantissant la liberté d'association

• Dire pour droit que l'attitude prônée par l'intimée contrevient aux droits fondamentaux de Jacques LEJEUNE

• Dire pour droit que l'attitude prônée par l'intimée à l'égard de Jacques LEJEUNE constitue une pratique dommageable fautive qui entraîne sa responsabilité à son égard

• Désigner avant dire droit pour le surplus, un expert médecin avec la mission d'évaluer les séquelles qu'il conserve à la suite de son exclusion de la Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah, le 20 novembre 2002, et d'investiguer plus en avant afin de déterminer , autant que faire se peut, les séquelles vécues au moment de celle-ci

• Condamner l'intimée au paiement d'une provision de 2.500 EUR à valoir sur un dommage évalué, sous toutes réserves, à 25.000 EUR

• Ordonner la diffusion dans le corps même de la plus prochaine édition pour la Belgique du « Ministère du Royaume » et de « La Tour de Garde » de l'information suivante : « L'attitude prônée par la Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah vis-à-vis des exclus et de ceux qui se retirent constitue une pratique dommageable fautive. Le droit d'exclure ne peut aller au-delà des activités organisées par la congrégation. Il ne peut justifier une quelconque consigne relative à la vie privée portant atteint à la dignité humaine, telle que l'incitation à ne plus saluer ou à ne plus fréquenter un ancien membre. Une telle mesure est illégale, que l'exclusion ou le retrait soit temporaire ou définitif

• Ordonner la condamnation de la défenderesse au paiement d'une astreinte de 250 EUR par jour dans l'hypothèse où cette information ne serait pas diffusée dans les trois mois de la signification de l'arrêt à intervenir

• Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans « La Tour de Garde » (édition française distribuée en Belgique), éventuellement par l'insertion d'un encart, et dans les quotidiens LE SOIR et LA MEUSE dans les dix jours - trois mois en ce qui concerne La Tour de Garde - de la signification de l'arrêt à intervenir, faute de quoi une astreinte de 250 EUR par jour de retard sera due

• Condamner l'intimée à l'ensemble des dépens exposés jusqu'ores liquidés à titre provisoire à la somme de 9.302,84 EUR

• Réserver à statuer sur le préjudice subi par Jacques LEJEUNE

• A titre infiniment subsidiaire : prononcer l'annulation de son baptême.

A l'audience du 18 octobre 2011, les parties se sont accordées pour limiter les débats à l'application des lois du 25 février 2003 et du 10 mai 2007, à l'exclusion de la demande de dommages et intérêts et d'expertise médicale, ainsi que de celle relative à l'annulation du baptême de l'appelant.

- L'intimée, l'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah, demande de déclarer l'action de J.L. irrecevable et, à tout le moins, non fondée, de confirmer le jugement dont appel et de condamner l'appelant à l'ensemble des dépens liquidés dans son chef à la somme de 2.554,49 EUR.

Elle forme, par conclusions, un appel incident quant à l'irrecevabilité de la demande originaire.

III. DISCUSSION

1. Portée de l'arrêt de la Cour de cassation du 14 septembre 2009

La Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 6 février 2006 pour les motifs suivants :

Suivant l'article 19, § 3, de la loi du 25 février 2003 précitée, lorsque la victime de la discrimination (...) invoque devant la juridiction compétente des faits (...) qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, la charge de la preuve de l'absence de discrimination incombe à la partie défenderesse.

Il ressort des termes de cette disposition que la victime et (...) sont seulement tenus d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination et qu'il incombe à la partie défenderesse, lorsqu'une telle présomption existe, de prouver qu'il n'y a pas discrimination.

En décidant que « le justiciable doit prouver qu'une discrimination a eu lieu à son égard » et que la discrimination directe dont se plaint le demandeur « repose sur une justification dont le caractère objectif et raisonnable existe à défaut pour (celui-ci) de démontrer le contraire », l'arrêt viole l'article 19,§ 3 précité.

La cassation étant totale et non partielle, il appartient à la cour de statuer, tant en fait qu'en droit, sur l'ensemble des mérites de l'appel principal interjeté par J.L. par requête du 19 novembre 2004, ainsi que sur l'appel incident formé par conclusions par l'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah quant à l'irrecevabilité de la demande originaire introduite en application de l'article 19 de la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination.

2.Recevabilité des appels

L'appel principal, régulier en la forme et introduit dans le délai légal à défaut de production d'un exploit de signification est recevable, ce que l'intimée ne conteste d'ailleurs pas.

L'appel incident formé par voie de conclusions quant à l'irrecevabilité de la demande originaire est également recevable.

3.Recevabilité de la demande originaire

L'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah soutient que la demande dirigée contre elle est irrecevable au motif qu'elle est étrangère au litige.

Elle allègue que c'est la congrégation des témoins de Jéhovah d'Esneux, à laquelle appartenait J.L., qui est seule responsable de son exclusion et de ses suites.

Elle affirme que ce n'est pas elle qui a donné à ses membres les consignes dont se plaint l'appelant, ce qui justifierait, selon elle, l'irrecevabilité de la demande.

Force est de constater que l'intimée se méprend sur les conditions de recevabilité de la demande lesquelles doivent s'apprécier dans le chef de la partie demanderesse et non de la partie défenderesse.

A supposer que le demandeur se soit trompé de défendeur, comme l'affirme l'intimée, sa demande devrait être déclarée non fondée, et non irrecevable, ce moyen touchant au fondement même de la demande.

Cette argumentation sera donc rencontrée dans le cadre de l'examen du fond du litige.

Aucun moyen d'irrecevabilité n'est valablement soulevé par l'intimée dans le chef de J.L., demandeur originaire, qui a manifestement qualité et intérêt pour agir afin de faire valoir ses droits.

Partant c'est à bon droit que le premier juge a dit l'action recevable.

4.Application de la loi dans le temps

J.L. fonde actuellement sa demande sur la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, entrée en vigueur le 9 juin 2007, abrogeant la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination, alors que sa demande a été introduite le 23 août 2004.

L'article 2 du code civil énonce : La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif.

Cette disposition consacre explicitement le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle, mais aussi implicitement celui de son effet immédiat.

En effet, en matière de droit transitoire, la loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets futurs de situations nées sous l'empire de la loi antérieure.

Or, à les supposer établis, les griefs de J.L. relatifs aux conséquences de son exclusion en 2002 des témoins de Jéhovah et au caractère discriminatoire des consignes données à ses membres qui lui causeraient préjudice se prolongent dans le temps et il continue, selon lui, à en subir les effets actuellement, en sorte que le litige doit être examiné au regard de la loi du 10 mai 2007.

5. Existence d'une discrimination au regard de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination.

L'appelant précise que la question même de son exclusion des témoins de Jéhovah n'est pas remise en cause par la présente action, ni quant à ses causes, ni quant à la régularité de la procédure, mais qu'en revanche, il entend voir sanctionner le comportement discriminatoire dont il s'estime la victime suite aux consignes excessives données à ses anciens coreligionnaires de ne plus le fréquenter, lui parler, ni même le saluer, en ce compris au sein même de sa propre famille.

L'existence même de ces consignes qui invitent les témoins de Jéhovah à adopter certaines règles de conduite à l'égard des « exclus » afin de protéger la « pureté » du mouvement contre les anciens membres qui n'en ont pas respecté les règles ne peut être raisonnablement contestée.

De même le fait que ces consignes sont bien imputables à l'A.S.B.L. Congrégation chrétienne des témoins de Jéhovah qui doit en assumer la responsabilité ne peut être sérieusement remise en cause, l'intimée étant bien la représentante officielle du culte des témoins de Jéhovah en Belgique, quels que soient l'éditeur responsable des différentes revues publiées par le mouvement en Belgique et à l'étranger et la localisation de la communauté régionale à laquelle J.L. appartenait.

La liberté du culte ne fait pas obstacle à l'application de la loi du 10 mai 2007 dès lors que des comportements adoptés dans le cadre ou sous couvert de l'exercice de ce culte sont susceptibles de créer une discrimination sanctionnée par la loi.

Il reste cependant à examiner si, en l'espèce, il y a discrimination au sens de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et partant matière à sanction.

La loi du 10 mai 2007 prévoit notamment :

Art. 4. Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par :

(...)

3° dispositions : les actes administratifs, les clauses figurant dans des conventions individuelles ou collectives et des règlements collectifs, ainsi que les clauses figurant dans des documents établis de manière unilatérale;

4° critères protégés : l'âge, l'orientation sexuelle, l'état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, [1 la conviction syndicale,]1 la langue, l'état de santé actuel ou futur, un handicap, une caractéristique physique ou génétique, l'origine sociale;

5° Centre : le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme, créé par la loi du 15 février 1993;

6° distinction directe : la situation qui se produit lorsque sur la base de l'un des critères protégés, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre personne ne l'est, ne l'a été ou ne le serait dans une situation comparable;

7° discrimination directe : distinction directe, fondée sur l'un des critères protégés, qui ne peut être justifiée sur la base des dispositions du titre II;

8° distinction indirecte : la situation qui se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner, par rapport à d'autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l'un des critères protégés;

9° discrimination indirecte : distinction indirecte fondée sur l'un des critères protégés, qui ne peut être justifiée sur la base des dispositions du titre II;

10° harcèlement : comportement indésirable qui est lié à l'un des critères protégés, et qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité de la personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant; (...)

Art. 5. §. 1er. A l'exception des matières qui relèvent de la compétence des Communautés ou des Régions, la présente loi s'applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, en ce compris aux organismes publics, en ce qui concerne :

(...)

8° l'accès, la participation et tout autre exercice d'une activité économique, sociale, culturelle ou politique accessible au public.

Art. 14. Dans les matières qui relèvent du champ d'application de la présente loi, toute forme de discrimination est interdite. Au sens du présent titre, la discrimination s'entend de :

- la discrimination directe;

- la discrimination indirecte;

- l'injonction de discriminer;

- le harcèlement; (...)

Art. 28. § 1er. Lorsqu'une personne qui s'estime victime d'une discrimination, le Centre ou l'un des groupements d'intérêts invoque devant la juridiction compétente des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination fondée sur l'un des critères protégés, il incombe au défendeur de prouver qu'il n'y a pas eu de discrimination

§ 2. Par faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe fondée sur un critère protégé, sont compris, entre autres, mais pas exclusivement :

1° les éléments qui révèlent une certaine récurrence de traitement défavorable à l'égard de personnes partageant un critère protégé; entre autres, différents signalements isolés faits auprès du Centre ou l'un des groupements d'intérêts; ou

2° les éléments qui révèlent que la situation de la victime du traitement plus défavorable est comparable avec la situation de la personne de référence.

§ 3. Par faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination indirecte fondée sur un critère protégé, sont compris, entre autres, mais pas exclusivement :

1° des statistiques générales concernant la situation du groupe dont la victime de la discrimination fait partie ou des faits de connaissance générale; ou

2° l'utilisation d'un critère de distinction intrinsèquement suspect; ou

3° du matériel statistique élémentaire qui révèle un traitement défavorable.

Le renversement de la charge de la preuve n'est prévu que dans l'hypothèse visée à l'article 28 et n'est pas automatique.

Il convient donc de vérifier si J.L. invoque devant la cour des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, de harcèlement ou d'une injonction de discriminer.

Tel n'est pas le cas.

Les témoignages vantés - lesquels ne sont que de simples attestations d'anciens membres dont la plupart ne concernent pas J.L. - et les faits personnels concrets invoqués - faits isolés à caractère strictement privé : absence d'invitation au mariage d'un neveu en 2004 et 2011 - ne sont pas suffisamment pertinents ni relevants pour établir une possibilité de discrimination et constituer une présomption en ce sens.

Le fait qu'un mouvement religieux édicte à l'égard de ses membres et publie dans ses revues des règles de comportement à adopter vis-à-vis des anciens membres régulièrement exclus - la régularité de cette exclusion ne faisant pas ici débat -, lesquelles se limitent à éviter de les fréquenter, de leur parler voire de les saluer, ne permet pas de présumer l'existence d'une quelconque discrimination.

Pour autant que les limites de la légalité ne soient pas franchies, toute personne est libre de suivre ou non les préceptes de la religion qu'elle a choisie, en ce compris à l'égard des membres de sa propre famille.

L'article 9 C.E.D.H. garantit le libre exercice du droit à la liberté de religion.

L'obligation de neutralité et d'impartialité interdit à l'Etat de porter une appréciation sur la légitimité des croyances religieuses ou sur la façon dont elles se manifestent dans le cadre du principe de l'autonomie personnelle des croyants.

Même si le mouvement religieux des témoins de Jéhovah fait l'objet de certaines critiques ou mises en garde (voir notamment rapport du C.I.A.O.S.N. Centre d'information et d'avis sur les organisations sectaires nuisibles - pièce 44 du dossier de l'appelant), il n'est pas repris en Belgique dans la liste des sectes.

Il n'appartient pas à la cour d'en faire le procès par le biais de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination à défaut d'éléments suffisamment précis et concrets apportés aux débats permettant de présumer l'existence d'une quelconque discrimination à l'égard de J.L.

Même s'il est vraisemblable que J.L. a été blessé par son exclusion des témoins de Jéhovah et sa mise à l'écart par ses anciens coreligionnaires, il n'en résulte pas pour autant ipso facto une récurrence de traitement défavorable et une présomption de discrimination.

J.L. se retrouve dans une situation comparable à celle de toute personne régulièrement exclue d'un groupe ou d'une association.

Il peut librement fréquenter toutes les personnes extérieures à ce groupe et adopter toute autre religion de son choix, ce qu'il a d'ailleurs fait en devenant protestant.

Aucun fait pertinent permettant de présumer l'existence d'une discrimination n'étant invoqué par l'appelant, la charge de la preuve n'a pas été renversée en sorte qu'il n'incombe pas à l'intimée de prouver qu'il n'y a pas eu discrimination.

Aucune violation de l'interdiction légale de discrimination n'est établie par les éléments déposés aux débats par l'appelant.

Partant, sa demande doit être déclarée non fondée en ce qu'elle se fonde sur la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination (ou sur la loi antérieure du 25 février 2003 tendant à lutter contre la discrimination dont les dispositions étaient largement similaires) qui ne trouve pas à s'appliquer.

6.Autres fondements de la demande

Après cassation, J. L. a également invoqué d'autres fondements juridiques à sa demande : violation de la loi du 24 mai 1921 garantissant la liberté d'association, violation des droits fondamentaux garantis par la C.E.D.H., violation des articles 1382, 1383 et 1384 alinéa 3 du code civil.

Il a formé, à titre infiniment subsidiaire, une demande d'annulation de son baptême.

De l'accord des parties, il convient de réserver à statuer quant à ce.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant contradictoirement, en degré d'appel, dans les limites de sa saisine, après renvoi de la Cour de cassation,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935, relative à l'emploi des langues en matière judiciaire;

Donnant acte aux parties de leurs dires, dénégations et réserves, rejetant comme non fondées toutes conclusions plus amples ou contraires,

Reçoit les appels principal et incident ;

Dit l'appel incident non fondé ;

Confirme l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a reçu la demande ;

Statuant par voie de dispositions nouvelles pour le surplus ;

Dit la demande non fondée et en déboute J.L. en ce qu'elle se fonde sur la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ;

Réserve à statuer sur le surplus de la demande et sur les dépens ;

Rouvre les débats quant à ce et renvoie la cause au rôle particulier.

Ainsi signé et prononcé en audience publique, à la deuxième chambre de la Cour d'appel de Mons, le 10 janvier 2012 par Mesdames Béatrice COMPAGNION, Conseiller présidant les débats, Françoise THONET et Catherine KNOOPS, Conseillers, qui ont délibéré de la cause et par Béatrice BRANTEGHEM, Greffier.