Cour de cassation: Arrêt du 2 novembre 1998 (Belgique). RG S980041N

Date :
02-11-1998
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
2 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-19981102-11
Numéro de rôle :
S980041N

Résumé :

Méconnait la notion d'accident du travail et viole les articles 7, 8 et 9 de la loi du 10 avril 1971, le juge qui refuse d'examiner si, le suicide de la victime, eu égard à son état psychique, constituait ou non un acte intentionnel de se donner la mort.

Arrêt :

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LA COUR,
Vu l'arrêt attaqué, rendu le 3 juin 1997 par la cour du travail d'Anvers;
Sur le moyen en sa première branche libellé comme suit : violation des articles 7, 8, 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail et 149 de la Constitution,
en ce que, après avoir constaté en fait que le 19 juin 1991, à la gare de Vilvorde, la victime s'est jetée sous l'avant d'un train circulant à vive allure et qu'elle s'est ainsi irrémédiablement donné la mort, les juges d'appel décident "que le suicide ne constitue pas en soi "l'accident", tel qu'il est défini par la loi du 10 avril 1971; qu'il constitue certes un événement soudain entraînant des lésions physiques (la mort)", mais alors dans son sens étymologique, tel qu'il est utilisé et compris dans la langue courante; que cette notion doit se distinguer clairement de la notion légale "d'accident" au sens d'accident du travail; voyez à ce propos la doctrine citée ci-après (...); que la question de savoir si ce suicide caractérisé a eu lieu ou non sur le chemin du travail et constituerait dès lors "un accident sur le chemin du travail" (comme la demanderesse qualifie la situation dans ses conclusions), n'est, dès lors pas pertinente en l'espèce, ni d'ailleurs les circonstances psychiques antérieures à ce suicide. En effet, la lésion ne constitue pas l'événement en soi, mais la conséquence exclusive de l'état interne de la victime, ce qui exclut soit l'événement soudain, soit le lien de causalité (...) Il est dès lors évident qu'il ne peut être question en l'espèce d'accident du travail et que toute autre argumentation quant à l'événement causé inconsciemment ou sous l'influence d'une force irrésistible n'est pas pertinente en l'espèce",
alors que, première branche, l'accident survenu sur le chemin du travail, au sens de l'article 8 de la loi du 10 avril 1971, requiert l'existence d'un événement soudain; qu'aux termes de l'article 9 de la même loi, lorsque la victime ou ses ayants droit établissent, outre l'existence d'une lésion, celle d'un événement soudain, la lésion est présumée, jusqu'à preuve du contraire, trouver son origine dans un accident; qu'il n'est pas exclu qu'un suicide constitue en soi un tel événement; qu'un suicide peut notamment constituer un événement soudain s'il est établi que le suicide ne constitue pas un acte intentionnel de se donner la mort mais un événement qui n'a pu être prévu ou évité par la volonté humaine; qu'en décidant que le suicide ne constitue pas un accident au sens juridique de la loi du 10 avril 1971, que les circonstances psychiques antérieures à ce suicide ne sont pas pertinentes en l'espèce et que toute autre argumentation quant à l'événement survenu consciemment ou non ou sous l'influence d'une force irrésistible ne sont pas pertinentes en l'espèce, les juges d'appel excluent que le suicide puisse être un accident du travail et ils considèrent l'existence d'un suicide comme suffisante pour renverser la présomption de l'article 9; que, dès lors, les juges d'appel violent les notions légales "d'accident", "d'événement soudain" et "de lien de causalité", à tout le moins, leur motivation ne permet pas à la Cour d'examiner la légalité de leur décision (violation des articles 7, 8, 9 de la loi du 10 avril 1971 et 149 de la Constitution) :
Attendu qu'au sens de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, est considéré comme accident du travail tout événement soudain qui survient à un travailleur dans le cours et par le fait de l'exécution du contrat de louage de travail et qui cause une lésion;
Attendu qu'en vertu de l'article 8, § 1er, de la loi du 10 avril 1971, l'événement soudain qui cause une telle lésion et qui survient sur le chemin du travail peut également être considéré comme accident du travail;
Attendu que lorsqu'un tel accident est provoqué intentionnellement par la victime, cela n'exclut pas l'existence d'un accident du travail;
Attendu que l'arrêt admet que la victime J.J. Becker "s'est intentionnellement jetée du quai, pour atterrir ainsi sous l'avant du train circulant à vive allure et se donner ainsi irrémédiablement la mort"; que l'arrêt décide que ce suicide "constitue certes un événement soudain ayant causé des lésions physiques (la mort)" mais ne constitue pas un accident au sens de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, de sorte que "la question de savoir si ce suicide caractérisé est survenu ou non sur le chemin du travail", les circonstances psychiques antérieures à ce suicide et "toute argumentation quant à l'événement provoqué consciemment ou non ou sous l'influence d'une force irrésistible" ne sont pas pertinentes en l'espèce;
Que l'arrêt refuse ainsi d'examiner si le suicide, eu égard à l'état psychique de la victime, constitue ou non un acte intentionnel de se donner la mort;
Que l'arrêt méconnaît ainsi la notion d'accident du travail et viole les articles 7, 8 et 9 de la loi du 1à avril 1971 sur les accidents du travail;
Que, dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé;
Attendu que les autres griefs ne sauraient entraîner une cassation plus étendue;
PAR CES MOTIFS,
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il statue sur la recevabilité de l'appel;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Vu l'article 68 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, condamne la défenderesse aux dépens;
Renvoie la cause, ainsi limitée, à la cour du travail de Bruxelles.