Cour de cassation: Arrêt du 22 octobre 2014 (Belgique). RG P.14.1027.F

Date :
22-10-2014
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
4 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20141022-4
Numéro de rôle :
P.14.1027.F

Résumé :

Pris indépendamment de l’écrit qui en relaterait le contenu, un film ne constitue pas, en soi, un acte revêtu de la foi due en vertu des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.

Arrêt :

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N° P.14.1027.F

I. S. G. D.

prévenu,

demandeur en cassation,

ayant pour conseil Maître Thomas Mitevoy, avocat au barreau de Bruxelles,

II. L. L.

prévenue,

demanderesse en cassation,

ayant pour conseil Maître Olivier Stein, avocat au barreau de Bruxelles,

les deux pourvois contre

S. B.

partie civile,

défendeur en cassation.

I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR

Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 21 mai 2014 par la cour d'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.

Chacun des demandeurs invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.

Le conseiller Françoise Roggen a fait rapport.

L' avocat général Damien Vandermeersch a conclu.

II. LA DÉCISION DE LA COUR

A. Sur le pourvoi de D S G :

1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de condamnation rendue sur l'action publique exercée à charge du demandeur :

Sur le premier moyen :

Le demandeur reproche à l'arrêt de violer la foi due au procès-verbal contenant l'audition de l'inspecteur F. V. W. du 29 octobre 2010.

L'arrêt énonce que ce témoin décrit l'attitude du demandeur comme très agressive alors que la seule déclaration du témoin à laquelle les juges d'appel ont pu se référer le décrit comme une personne dont le comportement n'était pas particulièrement agressif.

Pour condamner le demandeur, l'arrêt relève que :

- les deux prévenus faisaient partie des trois dernières rangées de la manifestation dont une majorité, non seulement n'entendait pas obtempérer aux injonctions des policiers, mais de plus avait la volonté arrêtée de provoquer des troubles, certains individus s'en prenant aux chevaux que d'aucuns ont excités en sautillant devant eux et que d'autres ont même frappés ;

- le demandeur a été reconnu comme l'un des meneurs sinon le meneur qui incitait d'autres manifestants à ne pas obtempérer aux injonctions des policiers ;

- les images montrent qu'à un certain moment, il se trouve près des chevaux, avant de s'en aller pour revenir quelques instants plus tard vers eux, une baguette à la main ;

- il s'est servi de cet objet, ainsi que l'a affirmé l'inspecteur M., pour donner des coups aux chevaux afin de les exciter ;

- ces coups de baguette constituent des actes de violence qui ont eu pour but et pour conséquence d'exciter les chevaux de la police, de les rendre difficilement maîtrisables et, ainsi, de mettre en danger, non seulement les cavaliers mais également toute personne proche, qu'il s'agisse de policiers ou de manifestants.

La motivation résumée ci-dessus soutient la déclaration de culpabilité même si l'énonciation critiquée ne figurait pas dans l'arrêt. Il s'ensuit que le moyen, fût-il fondé, ne pourrait entraîner la cassation et est, partant, irrecevable à défaut d'intérêt.

Sur le deuxième moyen :

Quant aux deux premières branches réunies :

Le demandeur a déposé des conclusions soutenant, sur la base des enregistrements filmés, qu'il n'a pas porté de coups avec une baguette à un cheval, et qu'il n'a pas été chercher cette baguette pour s'en prendre à la monture d'un policier.

L'arrêt relève que

- les images montrent le demandeur près des chevaux, puis s'en aller et revenir vers eux quelques instants plus tard, sa baguette à la main ;

- un inspecteur a vu le demandeur chercher le bâton de tambour et donner des coups aux chevaux ;

- le demandeur a été reconnu comme l'un des meneurs, sinon le meneur qui incitait d'autres manifestants à ne pas obtempérer aux injonctions des policiers ;

- le policier blessé se souvient que les trois manifestants à arrêter ont opposé de la résistance lors de leur interception ;

- et aux dires de l'inspecteur D. S., témoin des faits, les deux prévenus figuraient parmi ces trois personnes qui, s'opposant violemment à l'interception, ont poussé la victime, laquelle est tombée au sol près du cheval qui l'a ensuite piétinée.

Opposant aux conclusions du demandeur les éléments différents ou contraires recensés ci-dessus, les juges d'appel ont régulièrement motivé leur décision.

Le moyen manque en fait.

Quant à la troisième branche :

Le moyen fait valoir qu'il existe une contradiction entre les motifs de l'arrêt, les juges d'appel ayant successivement énoncé que l'inspecteur M. a déclaré avoir vu le demandeur hausser les bras vers les chevaux, puis qu'aucun policier n'a affirmé que les deux prévenus ont sautillé ou levé les bras devant ceux-ci.

L'arrêt ne fait pas dépendre la culpabilité du demandeur de l'existence du geste litigieux.

Le moyen est irrecevable à défaut d'intérêt.

Sur le troisième moyen :

Le moyen fait grief à l'arrêt d'imputer au demandeur un rôle de meneur qu'il soutient ne pas avoir eu, et de lui attribuer ce rôle sur la base de la seule déclaration de l'inspecteur V. W.

Le demandeur soutient que cet inspecteur ne fonde son appréciation sur aucun élément concret, donnant le sentiment d'émettre une impression personnelle.

En matière répressive, lorsque la loi n'établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie en fait la valeur probante de tous les éléments qui ont été soumis à la libre contradiction des parties et qui lui paraissent constituer des présomptions suffisantes de culpabilité, alors même qu'il existerait dans la cause des éléments en sens contraire.

En tant qu'il revient à critiquer cette appréciation souveraine, le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Pour le surplus, l'arrêt associe la qualité de meneur prêtée au demandeur au fait que, selon le témoignage d'un policier, c'est avec le prévenu que le commandant du service d'ordre a discuté pour que les manifestants quittent le centre.

Sur la base du même témoignage, l'arrêt ajoute que l'arrestation du demandeur résulte de la circonstance que c'est lui qui incitait d'autres manifestants à avoir une attitude récalcitrante à l'égard de la police.

A cet égard, le moyen manque en fait.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée contre le demandeur par B. S., statue sur

a. le principe de la responsabilité :

Le demandeur ne fait valoir aucun moyen spécifique.

b. l'étendue des dommages :

L'arrêt alloue un euro provisionnel au défendeur, ordonne une mesure d'expertise et renvoie les suites de la cause au premier juge.

Pareille décision n'est pas définitive au sens de l'article 416, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle et est étrangère aux cas visés au second alinéa de cet article.

Le pourvoi est irrecevable.

B. Sur le pourvoi de L. L. :

1. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue sur l'action publique exercée à charge de la demanderesse :

Sur le premier moyen :

L'obligation de répondre aux conclusions constitue une règle de forme étrangère à la valeur de la réponse. En outre, le juge ne doit répondre qu'aux moyens invoquant une demande, une défense ou une exception.

Il s'ensuit qu'aux conclusions de la demanderesse contestant la prévention de rébellion au motif qu'elle ne serait pas entrée en contact direct avec les trois inspecteurs qui y sont visés, l'arrêt répond par l'appréciation contraire selon laquelle la demanderesse a, en qualité d'agitatrice, posé de manière consciente un acte réfléchi de désobéissance aux injonctions données par les forces de l'ordre afin de faire respecter l'ordre public et qu'en outre, les coups de coude qu'elle a portés aux chevaux ainsi que sa résistance lors de son arrestation, constituent des actes de violence qui ont eu pour but et conséquence d'exciter les chevaux de la police, de les rendre difficilement maîtrisables et, ainsi, de mettre en danger, non seulement les cavaliers mais également toute personne proche, qu'il s'agisse de policiers ou de manifestants.

Les juges d'appel n'étaient pas tenus de rencontrer l'argument précité de la demanderesse qui ne constitue pas un moyen distinct.

La demanderesse fait encore valoir que l'arrêt contient une motivation ambigüe concernant la rébellion commise au préjudice du défendeur, qu'il viole la foi due au témoignage de ce dernier et qu'il ne répond pas à ses conclusions sur ce point.

Une décision est fondée sur des motifs ambigus lorsque ceux-ci sont susceptibles de différentes interprétations dont l'une est justifiée légalement et l'autre non.

Ne constitue pas un grief d'ambiguïté au sens défini ci-dessus, l'affirmation selon laquelle l'arrêt ne motive pas une considération ou contredit le témoignage sur lequel il s'appuie.

L'arrêt retient, des faits et gestes de la demanderesse, son objectif de rendre les chevaux difficilement maîtrisables et de mettre en danger toutes les personnes qui se trouvaient à proximité de ceux-ci.

En se fondant notamment sur le témoignage de l'inspecteur D. S., l'arrêt ajoute que, lors de la procédure d'arrestation de trois manifestants, parmi lesquels les deux demandeurs, ceux-ci se sont opposés avec violence à l'interception, poussant l'inspecteur qui est tombé près d'un cheval de la police.

Les juges d'appel ont, ainsi, régulièrement motivé leur décision.

Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le deuxième moyen :

Il est reproché à l'arrêt de considérer que le seul fait de désobéir aux injonctions données par la police à des manifestants constitue une rébellion.

Il ressort de la réponse au premier moyen que la condamnation ne repose pas exclusivement sur ce grief.

Procédant d'une lecture incomplète de l'arrêt, le moyen manque en fait.

Sur le troisième moyen :

Le moyen est pris de la violation de la foi due aux images filmées de la manifestation.

La demanderesse reproche aux juges d'appel d'avoir énoncé que ces images la montrent touchant des chevaux au niveau du poitrail, élément qu'elle dit ne pas avoir constaté en visionnant celles-ci.

Pris indépendamment de l'écrit qui en relaterait le contenu, un film ne constitue pas, en soi, un acte revêtu de la foi due en vertu des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.

Le moyen manque en droit.

Le contrôle d'office

Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.

2. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision qui, rendue sur l'action civile exercée contre la demanderesse par B. S., statue sur

a. le principe de la responsabilité :

La demanderesse ne fait valoir aucun moyen spécifique.

b. l'étendue des dommages :

L'arrêt alloue un euro provisionnel au défendeur, ordonne une mesure d'expertise et renvoie les suites de la cause au premier juge.

Pareille décision n'est pas définitive au sens de l'article 416, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle et est étrangère aux cas visés au second alinéa de cet article.

Le pourvoi est irrecevable.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette les pourvois ;

Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.

Lesdits frais taxés en totalité à la somme de cent septante-huit euros quatre-vingt-un centimes dont I) sur le pourvoi de D. S. G. : quatre-vingt-neuf euros quarante centimes dus et II) sur le pourvoi de L. L. : quatre-vingt-neuf euros quarante et un centimes dus.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le chevalier Jean de Codt, premier président, Frédéric Close, président de section, Pierre Cornelis, Gustave Steffens et Françoise Roggen, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-deux octobre deux mille quatorze par le chevalier Jean de Codt, premier président, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.

T. Fenaux F. Roggen G. Steffens

P. Cornelis F. Close J. de Codt