Cour de cassation: Arrêt du 6 mars 1998 (Belgique). RG C970138F

Date :
06-03-1998
Langue :
Français Néerlandais
Taille :
2 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-19980306-7
Numéro de rôle :
C970138F

Résumé :

Le jugement, qui contient des considérations contradictoires ne permettant pas de déduire avec certitude le sens de la décision, n'épuise pas la juridiction du juge qui l'a rendu.

Arrêt :

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LA COUR,
Vu l'arrêt attaqué, rendu le 6 septembre 1996 par la cour d'appel de Bruxelles ;
Sur le moyen pris de la violation des articles 149 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994, 19, 23 à 28 du Code judiciaire,
en ce que l'arrêt, ayant à statuer sur la portée du jugement rendu le 28 mars 1984 par la deuxième chambre du tribunal de première instance de Bruxelles et en particulier sur l'étendue d'une mission d'expertise ordonnée par ce jugement, reçoit l'appel mais le dit non fondé et confirme ainsi le jugement a quo qui avait décidé que "les termes formels de la mission d'expertise imposent de considérer que le tribunal a estimé que ladite improductivité constituait le seul préjudice indemnisable de (la demanderesse), accueillant ainsi l'argumentation (du défendeur) selon laquelle aucune relation causale certaine n'était établie entre la faute qui lui était imputée et les autres chefs de dommage invoqués par (la demanderesse); qu'il n'y a pas lieu de revenir sur cette décision, revêtue de l'autorité de la chose jugée" pour les motifs "qu'il doit être constaté que le premier juge, outre la question de responsabilité de l'Etat belge, était saisi des thèses opposées des parties quant à l'étendue du dommage de (la demanderesse), avant même de prononcer son jugement du 28 mars 1984, puisque (la demanderesse) argumentait déjà sur la nécessité de prendre en compte tous les frais directs, perte de frais généraux et de bénéfice, tandis que (le défendeur) contestait ces postes en soutenant en termes non ambigus 'que seule l'improductivité du terrain pendant 26 mois pourrait être imputée au premier (défendeur)'; qu'il faut constater, avec le premier juge, que le dispositif du jugement du 28 mars 1984 dont il était à nouveau débattu devant lui, en sens opposés, ordonnait certes une expertise, mais en prenant une décision formellement expresse en son dispositif sur l'étendue discutée du préjudice de (la demanderesse) '(considérant qu'il ne peut être tenu compte que de l'improductivité du terrain pendant cette période de 26 mois)'; (...) que c'est vainement que (la demanderesse) reproche au jugement entrepris de ne pas avoir tenu compte de la seule autorité de chose jugée qui s'attacherait au dernier attendu du jugement du 28 mars 1984 '(attendu que l'improductivité du terrain pendant 26 mois constitue la principale source du préjudice de la demanderesse)' par lequel il serait acquis, positivement, qu'elle a subi un préjudice, autre que celui résultant de l'improductivité, dès lors que le dispositif de ce jugement, même en ordonnant une expertise, tranchait de façon décisoire un point litigieux; que dans ces conditions le jugement frappé d'appel n'a pas méconnu sa compétence ou l'étendue de sa saisine en considérant qu'il ne pouvait pas remettre en question ce point tranché",
alors que l'autorité de la chose jugée s'attache à ce que le juge a décidé sur un point litigieux quelle que soit la place de cette décision dans le jugement ou l'arrêt mais ne s'étend pas à des décisions dont le sens ne peut être déterminé avec certitude; qu'en l'espèce, le jugement du 28 mars 1984, comme l'indique l'arrêt en sa motivation, décidait, d'une part, "que l'improductivité du terrain pendant 26 mois constitue la principale source de préjudice de (la demanderesse)", ce qui impliquait que cette improductivité ne constituait pas la seule source du dommage subi par la demanderesse;
que le même jugement désignait, d'autre part, un expert avec pour mission "d'évaluer la perte subie par (la demanderesse) ensuite du refus de l'octroi du permis de bâtir en 1974 et de son octroi en janvier 1976, considérant qu'il ne peut être tenu compte que de l'improductivité du terrain pendant cette période de 26 mois", ce qui impliquait que le préjudice subi par la demanderesse se limite à cette improductivité, ce qui est en contradiction avec le motif repris ci-avant; que, dès lors qu'il y a sur l'étendue du dommage de la demanderesse contradiction entre le dispositif et un motif du jugement du 28 mars 1984, il ne peut être déterminé avec certitude ce qui a été décidé, en manière telle qu'aucune autorité de la chose jugée ne peut s'attacher à une telle décision et que, donc, l'arrêt avait à trancher lui-même le litige qui lui était soumis, sans pouvoir invoquer l'autorité de chose jugée du jugement du 28 mars 1984; de sorte que l'arrêt viole l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du 28 mars 1984 du tribunal de première instance de Bruxelles en lui attribuant une autorité qu'il n'a pas (violation des articles 19, 23 à 28 du Code judiciaire) :
Sur la fin de non-recevoir opposée par le défendeur au moyen en tant qu'il invoque la violation des articles 149 de la Constitution, 23 à 28 du Code judiciaire, étrangers au grief allégué :
Attendu que le moyen reproche à l'arrêt d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, refusé de trancher lui-même la question de l'étendue du préjudice de la demanderesse ;
Attendu que les articles 149 de la Constitution, 23 à 28 du Code judiciaire sont étrangers à ce grief ;
Que la fin de non-recevoir est fondée ;
Attendu que l'arrêt constate que le jugement du 28 mars 1984 considère, d'une part, en ses motifs, "que l'improductivité du terrain pendant 26 mois constitue la principale source du préjudice de la demanderesse" et, d'autre part, en son dispositif, "qu'il ne peut être tenu compte que de l'improductivité du terrain pendant cette période de 26 mois" ;
Attendu que, de ces considérations contradictoires, le sens de la décision du premier juge ne peut être déduit avec certitude ;
Que pareil jugement n'est pas de nature à épuiser la juridiction du juge qui l'a rendu ;
Qu'en décidant "que le jugement frappé d'appel n'a pas méconnu sa compétence ou l'étendue de sa saisie en considérant qu'il ne pouvait pas remettre en question ce point tranché", l'arrêt viole l'article 19 du Code judiciaire ;
Que, dans cette mesure, le moyen est fondé ;
PAR CES MOTIFS,
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liège.