Cour d'appel: Arrêt du 20 octobre 1998 (Bruxelles). RG 96/AR/1913

Date :
20-10-1998
Langue :
Français
Taille :
3 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-19981020-2
Numéro de rôle :
96/AR/1913

Résumé :

Le dépositaire porte en principe la charge de la preuve de la cause extérieure qui l'empêche de restituer l'objet déposé. Il ne lui suffit pas de prouver la force majeure invoquée pour se libérer de son obligation de rendre identiquement la chose même qu'il a reçue mais il faut en plus que le dépositaire n'ait commis aucune faute ou négligence dans la garde de la chose déposée Même si le dépôt n'est pas explicitement salarié et n'est qu'un accessoire de l'obligation principale du garagiste, le garagiste dépositaire doit répondre aux exigences rigoureuses de l'article 1928 CC. Il lui appartient donc de prendre toutes les dispositions utiles pour prévenir le vol du véhicule en manière telle qu'il puisse être conclu que le vol n'a pas été rendu possible par son fait.

Arrêt :

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Vu les pièces de la procédure et plus particulièrement le jugement rendu contradictoirement par le tribunal de première instance de Bruxelles le 23 février 1996, décision qui aurait été signifiée le 4 juin 1996 et contre laquelle il est interjeté appel par requête déposée au greffe de la cour d'appel le 12 juin 1996; que l'appel est introduit régulièrement et dans le délai légal;
LES FAITS;
Attendu que les faits de la cause peuvent être résumés comme suit :
Le 23 novembre 1992 monsieur ...X... déposa sa voiture, une Lancia Dedra TDS, pour réparations chez la S.A. LAPORTA FRANZESE, première appelante (ci-après dénommée " le garagiste "), assurée par la seconde appelante.
Après avoir effectué les réparations, les préposés du garage entreposèrent le véhicule de monsieur ...X... sur le parking à ciel ouvert attenant au garage, selon le garagiste en ayant pris soin de fermer le véhicule et de déposer les clefs au bureau du garage.
En date du 26 novembre 1992, vers 8 heures du matin, on constata le vol du véhicule en question, ce qui a donné lieu à une information pénale.
Dans sa déclaration de vol du 6 décembre 1992 monsieur ...X... indiquera que les jeux de clés ne sont plus en sa possession : " les originaux ont été remis au garagiste et les doubles se trouvaient dans le véhicule au moment du vol ". Interrogé par la S.A. AG 1824, deuxième appelante, assureur de la responsabilité civile pour l'exploitation du garage, le garagiste attestera le 2 février 1993 que le véhicule était fermé et " qu'il possède les deux clefs qui lui ont été remis par le client le jour du dépôt du véhicule ". Dans ses conclusions additionnelles, déposées devant le premier juge le 26 septembre 1995, le garagiste répétera qu'il est toujours en possession des clefs de la voiture, ce qui n'a pas été contesté par la S.M.A.P., intimée, assureur contre le vol du véhicule, qui s'est limité à la réflexion que comme aucune trace d'effraction n'a été constatée " les clefs en possession du garagiste ont bien été dérobées au moins momentanément pendant l'entreposage du véhicule " (conclusion additionnelles de la S.M.A.P. du 26 septembre 1995, p. 2, alinéa 4). La S.M.A.P. plaidera pour la première fois devant la cour " l'impossibilité (pour le garagiste) de restituer les clefs ", ce qui a amené le garagiste à montrer un jeu de clefs à l'audience de plaidoiries.
La S.M.A.P., indemnisa son assuré ...X... le 16 mars 1993 à concurrence d'un montant de 595.079,- frs. (principal : 463.063,- frs.; TVA : 115.760, frs.; radio : 16.250,- frs.).
Le véhicule fut retrouvé à Schaerbeek, sans plaque d'immatriculation. Il était accidenté et les portières étaient toutes fermées à clé. Ni les serrures portières, ni le contact, ni le verrou de blocage de la direction étaient forcés.
Le 30 juillet 1993 la S.M.A.P. récupéra le véhicule, moyennant paiement des frais de dépannage à concurrence de 14.424,- frs. et le vendit, avec l'accord de la S.A. AG 1824, pour un montant de 163.000,- frs.
LES DEMANDES - PROCEDURE A QUO.
Attendu que par procès-verbal de comparution volontaire du 26 septembre 1995 la S.M.A.P. sollicita le remboursement de ses débours s'élevant à 446.497,- frs. se décomposant comme suit :
principal 463.063,- frs.
TVA 115.760,- frs.
radio 16.250,- frs.
deux dépannages (6.780 + 7.644) 14.424,- frs.
vente de l'épave - 163.000,- frs.
TOTAL : 446.497,- frs.
Attendu que le premier juge a estimé que le vol " avec effraction " de la voiture ne représentait pas dans le chef du garagiste un cas fortuit et a condamné la S.A. LAPORTA-FRANZESE et la S.A. A.G. 1824 au remboursement des débours de la S.M.A.P.,
Attendu que les appelantes ont interjeté appel pour entendre déclarer la demande originaire non fondée;
Attendu que l'intimée conclut au non fondement de l'appel;
EN DROIT.
QUANT AUX RESPONSABILITES.
1. Attendu que le garagiste qui s'est vu confier un véhicule pour y effectuer des réparations s'engage (entre autres) à restituer le véhicule (voir les articles 1915 et suivants C.C.);
Attendu que l'article 1927 C.C. stipule que le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose qui lui déposée, les mêmes soins, qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent; que cette règle est appliquée avec plus de rigueur si le dépositaire a stipulé un salaire pour la garde du dépôt ou si le dépôt a été fait uniquement pour l'intérêt du dépositaire (voir : l'article 1928 C.C.);
Attendu que le dépositaire n'est tenu, en aucun cas, des accidents de force majeure (art. 1929 C.C.);
Attendu qu'il ressort des règles mentionnées ci-dessus : que le dépositaire porte en principe la charge de la preuve de la cause extérieure qui l'empêche de restituer l'objet déposé; qu'il ne lui suffit pas de prouver la force majeure invoquée pour se libérer de son obligation de rendre identiquement la chose même qu'il a reçue (voir l'art. 1932 C.C.); qu'il faut en plus que le dépositaire n'ait commis aucune faute ou négligence dans la garde de la chose déposée;
Attendu que le vol (et les dégradations causées par le voleur); non contesté, de la voiture constitue en soi une cause extérieure, susceptible de libérer le garagiste de son devoir de restitution; qu'en l'occurrence la preuve est apportée que le garagiste n'a pas fermé la voiture à clef au moment où elle a été entreposée sur le parking à ciel ouvert attenant au garage étant donné que la voiture retrouvée ne portait aucune trace d'effraction;
Attendu que même si le dépôt n'est pas explicitement salarié et n'est qu'un accessoire de l'obligation principale du garagiste, le garagiste dépositaire doit répondre aux exigences rigoureuses de l'article 1928, 2ème alinéa du Code Civil (cf. TPR, 1985, Overzicht rechtspraak bijzondere overeenkomsten, nr. 148);
Attendu que le garagiste doit donc prendre toutes les dispositions utiles pour prévenir le vol du véhicule, en manière telle qu'il puisse être conclu que le vol n'a pas été rendu possible par son fait (cf. Simont et De Gavre, Chronique de jurisprudence - Les contrats spéciaux, RCJB, 1976, 445 et RCJB, 1986, 372); que la première disposition utile pour prévenir le vol de la voiture entreposée au parking extérieur du garage, non surveillé et librement accessible pendant les heures de travail, est de fermer le véhicule à clefs, ce qui in casu n'a pas été le cas; qu'une telle mesure de sécurité peut être raisonnablement attendue du garagiste;
Attendu que in casu le garagiste doit répondre de sa négligence;
2. Attendu qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que le garagiste n'aurait pas entreposé les clefs de la voiture au bureau du garage, au contraire (voir " les faits " et le p.v. du 26 novembre 1992 : " modus operandi ");
Attendu que la police a constaté au moment où la voiture fat retrouvée que ni le contacteur ni le verrou de blocage de la direction n'avaient été forcés; qu'il faut déduire de ce fait et du fait que le garagiste est resté en possession d'un jeu de clefs, que le ou les voleurs ont mis le véhicule en marche et ont déverrouillé le blocage de direction en utilisant les clefs que monsieur ...X... avait laissé dans son véhicule à l'insu du garagiste;
que le fait d'avoir laisser un jeu de clefs à l'intérieur du véhicule a assurément facilité la tâche du ou des voleurs; que le vol a été rendu possible par le fait de monsieur ...X... ;
que monsieur ...X... avait certes l'obligation d'informer le garagiste-dépositaire de la présence d'un deuxième jeu de clefs dans la voiture; qu'en gardant le silence au moment du dépôt du véhicule, monsieur ...X... a, à l'insu du garagiste, alourdi son devoir de garde;
qu'un tel manquement dans le chef de monsieur ...X... est également cause du dommage;
Attendu que sans les négligences commises par le garagiste et par monsieur ...X... , le vol n'aurait pas eu lieu; qu'aussi bien le garagiste que l'assuré de la S.M.A.P. sont responsables, et dans la même mesure, du dommage causé par le vol du véhicule;
QUANT AU PREJUDICE.
Attendu qu'il n'est pas contesté que le préjudice s'élève à la somme de 446.497,- frs., majorée des intérêts compensatoires à dater du 16 mars 1993;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant contradictoirement;
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;
Dit l'appel recevable et partiellement fondé;
Met le jugement entrepris à néant et le réformant :
Condamne la S.A. LAPORTA-FRANSEZE et la S.A., A.G. 1824 in solidum à payer à la S.M.A.P. la somme de (446.497,- frs./2 =) 223.248,50- frs., majorée des intérêts compensatoires à dater du 16 mars 1993, et les intérêts judiciaires;
Condamne la S.A. LAPORTA-FRANSEZE et la S.A. A.G. 1824 d'une part et la S.M.A.P. d'autre part aux dépens des deux instances, chacune pour la moitie;
Liquide ces dépens à (3.300 + 12.000 + 16.400 =) 31.700 francs pour la S.M.A.P., (12.000 + 7.500 + 16.400 + 2.050 =) 37.950 francs pour la S.A. AG 1824 et (16.400 + 2.050 =) 18.450 francs pour la S.A. Laporta Franzese.