Cour d'appel: Arrêt du 26 janvier 2017 (Bruxelles). RG 2016-ar-1751

Date :
26-01-2017
Langue :
Français
Taille :
9 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20170126-5
Numéro de rôle :
2016-ar-1751

Résumé :

La personne physique identifiée peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable si elle a commis la faute sciemment et volontairement c'est-à-dire si elle a agi consciemment et sans contrainte. La faute personnelle de la gérante de la SPRL , consistant à faire exécuter des travaux par la société sans accès à la profession, pourrait être retenue en engager sa responsabilité.

Arrêt :

Ajoutez le document à un dossier () pour commencer à l'annoter.

EN CAUSE DE :

La SPRL Garage L., dont le siège social est établi à

,

Monsieur S. L, domicilié à,

appelants,

représentés par Me Frédéric GAUCHE, avocat à 1300 Wavre, Place de l'Hôtel de Ville, 15-16,

CONTRE :

Madame V. B., domiciliée à

intimée,

représentée par Me VERVA loco Me Grégory GROUWELS, avocat à 3500 Hasselt, Gouverneur Roppesingel, 131,

EN PRESENCE DE :

La SPRL Elite Conception, dont le siège social est établi à 1330 Rixensart, avenue Franklin Roosevelt, 104/29, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0825.407.345,

représentée par Me VERVA loco Me Grégory GROUWELS, avocat à 3500 Hasselt, Gouverneur Roppesingel, 131.

La cour a examiné les pièces de la procédure, dont notamment :

- le jugement dont appel, prononcé contradictoirement le 11 août 2016 par le tribunal de commerce du Brabant wallon, dont il n'est pas produit d'acte de signification,

- la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 20 octobre 2016,

- la fixation de la cause sur pied de l'article 19 al. 3 du Code judiciaire,

- l'ordonnance du 9 décembre 2016 attribuant la cause à une chambre composée de trois conseillers,

- les conclusions d'appel déposées au greffe de la cour pour les appelants le 9 décembre 2016 et pour la partie intimée le 16 décembre 2016,

- les dossiers de pièces déposés par chacune des parties appelantes et intimée.

I. Les faits et antécédents de la procédure:

1.

En sa qualité d'entrepreneur général, la SPRL Elite Concept a été chargée par M. S.L. , gérant de la SPRL Garage L. , ainsi que par celle-ci, de travaux de rénovation de toiture dans les immeubles situés à . L'immeuble du n°370 est affecté à l'activité professionnelle du Garage L. , l'autre immeuble est un bien privé.

L'offre de prix, acceptée par M. L. , est datée du 21 septembre 2014. Le début des travaux avait été fixé au 20 avril 2015.

En cours d'exécution du chantier, un désaccord est né entre les parties au contrat quant à la qualité des travaux et aux montants facturés.

Par citation du 25 janvier 2016, M. L. et la SPRL Garage L. ont cité la SPRL Elite Concept devant le tribunal de commerce du Brabant wallon afin d'obtenir, avant-dire droit sur le surplus, la désignation d'un expert architecte chargé, notamment, de décrire les vices, manquements et inachèvements affectant les travaux réalisés, de chiffrer le coût des remèdes et d'évaluer le dommage subi par les demandeurs.

Il a été fait droit à cette demande par jugement du 10 mars 2016, désignant l'expert Claudio Iodice « tous droits saufs des parties quant au fond de la demande ».

Les demandeurs sollicitaient en effet également la condamnation de l'entrepreneur à leur payer une somme évaluée sous toutes réserves à 30.000 euro , suite, soit à la nullité de la convention pour défaut d'accès à la profession de l'entrepreneur, soit à la résolution à ses torts de la convention compte tenu des manquements qui lui étaient reprochés.

2.

Le 13 juin 2016, en cours d'expertise, M. L. et la SPRL Garage L. ont cité Mme V. B. en intervention forcée, en sa qualité de gérante de la SPRL Elite Concept.

Ils soutenaient que la responsabilité aquilienne de la gérante pouvait être mise en cause dès lors qu'elle avait fait exécuter des travaux par la société qu'elle gère, sans que celle-ci dispose des accès adéquats à la profession. Outre son intervention à l'expertise, ils postulaient, au fond, la condamnation solidaire ou in solidum de Mme B. et de la SPRL Elite Concept à les indemniser à concurrence du dommage subi, évalué provisoirement à 30.000 euro .

3.

Par le jugement attaqué du 11 août 2016, les premiers juges ont dit la demande en intervention forcée recevable mais non fondée.

M. L. et la SPRL Garage L. ont été condamnés aux dépens, liquidés à l'indemnité de procédure de 1.440 euro dans le chef de Mme B..

4.

M. L. et la SPRL Garage L. relèvent appel de cette décision. Ils demandent en substance à la cour :

- de prendre acte de leur demande visant à mettre en cause la responsabilité aquilienne de Mme B. en sa qualité de gérante de la SPRL Elite Concept, à concurrence d'une somme évaluée, sous réserve de modification en cours de procédure, à 30.000 euro ;

- de déclarer commune et opposable à Mme B. la procédure en cours devant le tribunal de commerce du Brabant wallon (RG A/16/000126), en ce compris l'expertise ordonnée le 10 mars 2016 et de condamner Mme B. à y participer ;

- de renvoyer pour le surplus la cause au premier juge.

A titre subsidiaire, les appelants demandent que la cour ordonne à Mme B. d'intervenir dans la cause pendante devant le Tribunal de commerce du Brabant wallon afin que tout jugement qui sera rendu lui soit déclaré commun et opposable.

Mme B. conclut au non-fondement de l'appel. Elle conteste notamment pouvoir être tenue responsable des agissements et obligations de la société dont elle est la gérante et soutient que la société dispose des accès à la profession requis et qu'aucune infraction pénale n'est établie dans son chef. A titre subsidiaire, Mme B. réfute toute élément intentionnel, et conteste avoir sciemment et volontairement violé la réglementation en matière d'accès à la profession.

II. Discussion :

Questions de procédure

5.

Mme B. conclut à l'irrecevabilité de la demande originaire au motif qu'elle n'est pas partie au contrat liant la SPRL Elite Concept à M. L. et au garage L. .

Sa responsabilité étant recherchée sur pied de l'article 1382 du Code civil, la circonstance qu'elle ne soit pas partie à la convention liant les appelants à la SPRL Elite Concept est sans incidence sur la recevabilité de la demande. Il s'agit d'une question de fond, qui sera examinée ci-dessous.

6.

Mme B. s'opposait également à la fixation de la cause devant la cour sur pied des articles 735 et/ou 1066 du Code judiciaire.

La cause a été fixée devant la cour sur pied de l'article 19 al. 3 du Code judiciaire. Celui-ci permet au juge d'ordonner, à tout stade de la procédure, et avant dire droit, une mesure préalable destinée, soit :

- à instruire la demande,

- à régler un incident portant sur une telle mesure,

- à régler provisoirement la situation des parties dans l'attente d'une décision au fond.

Il s'agit d'assurer la protection des intérêts de toutes les parties en cause et dans ce cadre, de procéder à un contrôle prima facie du bien-fondé de la demande principale (en ce sens, voir notamment H. Boularbah, « Les mesures avant dire droit à tout stade de la procédure », in Actualités en droit judiciaire, CUP n°122, Anthemis 2010, p. 68 et ss.).

Les débats sont limités à la mesure avant dire droit sollicitée par les appelants. Contrairement à ce que soutient l'intimée, la cour n'est pas saisie du fond du litige mais uniquement de la demande en ce qu'elle porte sur la participation de celle-ci à l'expertise, voire, subsidiairement, à la cause pendante devant le tribunal de commerce.

Il en allait de même devant les premiers juges, bien que le dispositif de la citation en intervention forcée ait pu laisser croire que la saisine portait également sur la demande de nullité du contrat d'entreprise.

A l'audience du 10 novembre 2016, un calendrier d'échange de conclusions fixé de l'accord des parties, a été acté par la cour. Contrairement à ce qu'elle allègue, Mme B. a donc pu organiser sa défense, comme elle avait pu le faire devant les premiers juges.

Intervention à l'expertise

7.

Mme B. soutient que la demande en intervention forcée, dirigée contre elle à raison d'une faute commise dans le cadre de ses fonctions d'organe de la SPRL Elite Concept, n'est ni recevable ni fondée.

Pour qu'il puisse être fait droit à la demande des appelants, ceux-ci doivent démontrer le caractère fondé, prima facie, de leur demande justifiant la condamnation de celle-ci à participer à l'expertise.

Les accès à la profession

8.

Les appelants sollicitent l'intervention de Mme B. à l'expertise car ils lui reprochent le fait que l'entreprise Elite Concept ne disposait pas des accès à la profession requis pour réaliser les travaux qu'elle a effectués dans leurs immeubles, que ce soit au moment de la conclusion du contrat d'entreprise ou lors de l'exécution de ceux-ci. Ils mettent en cause, pour ce motif, sa responsabilité aquilienne.

Mme B. conteste la faute qui lui est reprochée, en soulignant que la SPRL Elite Concept disposait de divers accès à la profession depuis les 27 avril 2010 et 23 janvier 2013, dont la construction générale de bâtiments, et qu'elle dispose d'une autorisation pour les travaux de toiture et d'étanchéité depuis le 3 octobre 2016.

9.

L'accès à la profession est régi par la loi-programme pour la promotion de l'entreprise indépendante du 10 février 1998, qui interdit l'exercice d'une profession réglementée lorsque les conditions requises ne sont pas réunies.

Elle dispose que « Toute PME, personne physique ou personne morale, qui exerce une activité professionnelle pour laquelle la compétence professionnelle est fixée, doit prouver qu'elle dispose de cette compétence professionnelle (article 5) ».

L'article 9 de la même loi dispose que : « l'inscription dans la Banque-Carrefour des Entreprises en tant qu'entreprise commerciale ou artisanale constitue la preuve qu'il a été satisfait aux exigences en matière de capacité entrepreneuriale, sauf preuve du contraire ».

L'entrepreneur qui, lors de travaux de construction ou de rénovation, est amené à exécuter diverses activités règlementées, doit justifier non pas d'un accès à la profession de manière générale, mais d'un accès spécifique pour chaque activité (en ce sens, Bruxelles, 29 mai 2009, L'Entreprise et le Droit, 2010, p. 454 suivi d'une note de C. Wijnants, « Nullité du contrat d'entreprise pour violation des règles d'accès à la profession : rappel des principes » ).

L'inscription auprès de la BCE pour diverses activités, inscrites dans les renseignements relatifs à l'entreprise sous la rubrique « Activités TVA Code Nacebel version 2008 », ne démontre pas que l'activité a bien été déclarée au guichet de l'entreprise et que l'entreprise bénéficie de l'accès à la profession relativement à ces activités.

L'exercice d'une activité professionnelle sans disposer des connaissances de gestion de base et/ou de la compétence professionnelle requise est sanctionné pénalement par les articles 14 et suivants de la loi-programme.

10.

Il résulte des pièces soumises à la cour que la SPRL Elite Concept disposerait, depuis le 23 janvier 2013, d'un accès à la profession pour les travaux de gros œuvre et, depuis le 20 mai 2010, des connaissances de gestion de base. Par contre, ces pièces n'établissent pas qu'elle disposait, au moment de la conclusion du contrat d'entreprise et de son exécution, d'un accès à la profession pour les travaux de toiture sur lesquels portaient ce contrat. Les autres compétences professionnelles auxquelles se réfère Mme B. sont en effet reprises sous la rubrique « Activités TVA Code Nacebel version 2008 », dont ne se déduit pas la preuve qu'il a été satisfait aux exigences en matière de capacité entrepreneuriale.

Prima facie, le caractère sérieux du manquement reproché, à savoir, le défaut d'accès à la profession, est établi.

La responsabilité des organes d'une personne morale

11.

L'existence dans le chef de la SPRL Elite Concept des accès à la profession requis pour l'exécution du contrat d'entreprise n'étant, prima facie, pas établie, il y a lieu d'examiner si le fondement juridique invoqué par les appelants pour mettre en cause la responsabilité de Mme B. en sa qualité de gérante de la société pourrait, le cas échéant, justifier sa condamnation à intervenir à l'expertise en cours.

12.

C'est à juste titre que Mme B. rappelle le principe contenu dans l'article 61 du Code des sociétés, suivant lequel « Les sociétés agissent par leurs organes (...). Les membres de ces organes ne contractent aucune responsabilité personnelle relative aux engagements de la société ».

Ainsi, un contrat signé au nom de la société par son conseil d'administration n'engage pas personnellement les membres de ce dernier et la faute de l'organe dans l'exercice de ses fonctions engage la responsabilité de la personne morale elle-même. C'est une conséquence de la théorie de l'organe en vertu de laquelle celui-ci s'identifie à l'être moral (en ce sens, voir notamment O. Caprasse, « La responsabilité extracontractuelle des dirigeants de sociétés », J.L.M.B., 2003/29, p. 1290 et ss.).

13.

La responsabilité de la personne morale n'exclut toutefois pas la responsabilité personnelle de son organe, bien que ceux-ci bénéficient d'une large immunité.

Sa responsabilité peut ainsi le cas échéant être retenue lorsqu'une infraction pénale a été commise (en ce sens, voir notamment R. H. Samii, « La responsabilité des administrateurs de sociétés en matière d'urbanisme et d'environnement et ses aspects pénaux », Jurim. Pratique, 2010/1, p. 9 et ss. et références citées).

L'article 5 alinéa 1er du Code pénal prévoit que « Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte ».

La loi exclut en principe le cumul des responsabilités pénales : « Lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée » (art. 5 al. 2 du Code pénal). Cette disposition crée une cause d'excuse absolutoire au profit de la personne qui a commis la faute la moins grave. Le juge devra donc déterminer, dans chaque cas, qui, de la personne morale ou de la personne physique, a eu un rôle déterminant dans la commission de l'infraction.

L'article 5 al. 2 in fine prévoit toutefois la possibilité d'un cumul de responsabilités de la personne morale et de la personne physique, lorsque celle-ci a été identifiée et que la faute a été commise sciemment et volontairement : « Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable » (art. 5, al. 2 in fine du Code Pénal).

La personne physique identifiée peut donc être condamnée en même temps que la personne morale responsable si elle a commis la faute sciemment et volontairement, c'est-à-dire si elle a agi consciemment et sans contrainte. Cette disposition s'applique, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation à laquelle la cour se rallie, tant aux délits intentionnels qu'aux délits commis par négligence (voir notamment, en ce sens, Cass. 4 mars 2003, Pas., 2003, I, n°149 ; Cass. 8 novembre 2006, Rev. dr. pén. crim., 2007, p. 273 ; Cass. 3 février 2015, Pas., I, n°255).

La Cour de cassation précise encore à juste titre à cet égard, en ce qui concerne l'action civile exercée contre l'auteur de la faute pénale, que le juge ne doit pas subordonner la condamnation civile à la constatation que ce dernier a commis sciemment et volontairement la faute jugée en relation causale avec le sinistre, puisque toute faute, si légère soit-elle, oblige celui qui l'a commise à réparer le dommage qui en est résulté (Cass. 22 octobre 2014, Pas., I, n°2313).

Certains auteurs estiment que les règles du concours de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité aquilienne de l'organe d'une personne morale devraient également s'appliquer en cas de nullité rétroactive du contrat (en ce sens, voir X. Dieux, « La responsabilité des administrateurs ou gérants d'une personne morale à l'égard des tiers : derniers développements ? », Rev. not. Belge 2006/5, n°2997, p. 276). Il y a lieu de souligner à cet égard qu'en tout état de cause, lorsque la faute contractuelle constitue également une infraction pénale, la victime peut exercer une action aquilienne contre son cocontractant sans être tenue d'apporter la preuve d'une faute et d'un dommage étrangers au contrat. Le dommage causé par un fait légalement punissable ne peut en effet être considéré comme un dommage de nature exclusivement contractuelle par le seul motif qu'il a été causé en suite de la mauvaise exécution d'une obligation contractuelle (en ce sens, Y. De Cordt et D. Philippe, Responsabilité des dirigeants de personnes morales, La Charte 2007, p. 145 ; Y. De Cordt, « Observations sous Cass 20 juin 2005 — Chronique d'une valse-hésitation : la responsabilité aquilienne des organes de société », R.P.S., 2005, p. 183 et références citées, notamment Cass. 26 octobre 1990, Pas., 1991, I, p. 216 ; Trib Comm Mons, 6 novembre 2002, J.L.M.B., 2003/29, p. 1285 et ss).

Mme B. ne peut dès lors être suivie lorsqu'elle soutient que les appelants devraient démontrer que le dommage subi à raison de l'inexécution du contrat par la société est différent de celui qui résulte de la faute qui lui est reprochée (voir notamment à cet égard Cass. 7 nov. 1997, Pas., I, p.1146 ; Cass. 20 juin 2005, R.P.S., 2005, p.183 ; Trib. Commerce Mons, 6 novembre 2002, J.L.M.B., 2003/29, p. 1285 et ss.).

Enfin, la responsabilité des administrateurs et gérants peut encore être renforcée lorsque la société qu'ils gèrent est déclarée en faillite. Suivant l'article 530 du Code des sociétés, « En cas de faillite de la société et d'insuffisance de l'actif et s'il est établi qu'une faute grave et caractérisée dans leur chef a contribué à la faillite, tout administrateur ou ancien administrateur, ainsi que toute autre personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société, peuvent être déclarés personnellement obligés, avec ou sans solidarité, de tout ou partie des dettes sociales à concurrence de l'insuffisance d'actif » (sous réserve, dans certains cas, d'une responsabilité plus limitée pour les SPRL, prévue par l'article 265, al. 2 du Code des sociétés).

14.

Sur la base des principes qui précèdent, la faute personnelle de Mme B., gérante de la SPRL Elite Concept, consistant à faire exécuter des travaux par la société sans accès à la profession, pourrait le cas échéant être retenue et entraîner sa responsabilité.

Une telle faute dépasserait en effet le cadre de la faute de gestion simple et constituerait également une infraction pénale, ce dont il se déduit que la responsabilité aquilienne de Mme B. pourrait être engagée par le maître de l'ouvrage sans que celui-ci doive démontrer l'existence d'une faute et d'un dommage étrangers au contrat. Le lien causal entre cette faute et le dommage subi par les appelants devrait en outre être établi.

Le respect des droits de la défense lors de l'intervention à une expertise en cours

15.

Dès lors que, prima facie, l'existence dans le chef de la SPRL Elite Concept des accès à la profession requis pour l'exécution du contrat d'entreprise est douteuse, et que la responsabilité personnelle de Mme B. pour des fautes commises dans ses fonctions de gérante de la société pourrait le cas échéant être mise en cause, il y a lieu d'examiner s'il convient de faire droit à la demande de condamnation de celle-ci à intervenir à l'expertise en cours.

16.

Quant à la sauvegarde des droits de la défense de Mme B., l'article 812 du Code judiciaire autorise l'intervention à l'expertise en précisant que les actes d'instruction déjà ordonnés ne peuvent nuire aux droits de la défense de la partie citée en intervention.

Le simple fait que l'expert a déjà été désigné ne constitue pas d'office, à lui seul, un motif de rejet de la demande en intervention (en ce sens, voir notamment D. Mougenot, « Le nouveau droit de l'expertise », in Le droit judiciaire en mutation, CUP, 2007, vol.95, p.103).

L'article 981 du Code judiciaire prévoit que « L'expertise est inopposable à la partie appelée en intervention forcée après l'envoi de l'avis provisoire de l'expert, sauf si cette partie renonce au moyen de l'inopposabilité. Le tiers intervenant ne peut pas exiger que des travaux déjà réalisés soient recommencés en sa présence, à moins qu'il ne justifie de son intérêt à leur égard ».

A la fin de ses travaux, l'expert envoie en effet un « avis provisoire » aux parties et fixe le délai dans lequel elles doivent formuler leurs observations. Après réception de ces observations, si l'expert estime que de nouveaux travaux sont indispensables, il en sollicite l'autorisation auprès du juge (art. 976 du Code judiciaire). A défaut de conciliation, le rapport final est ensuite déposé par l'expert, après avoir pris en considération les observations des parties (art. 978 du même code).

Il convient de vérifier, dans ce cadre, les circonstances concrètes de l'espèce pour déterminer si l'intervention nuit au respect des droits de la défense de Mme B..

17.

En l'espèce, l'expert Iodice n'a pas encore rendu d'avis provisoire sur les responsabilités : des constats sur place ont eu lieu et les chapitres 1, 2 et 3 des préliminaires de son rapport d'expertise ont été clôturés le 29 avril 2016 et communiqués aux parties à l'expertise. Il y précise notamment que les préliminaires ont pour but de susciter le dialogue et de permettre la réflexion des intervenants à l'expertise et qu'il ne s'agit pas d'avis arrêtés.

Par ailleurs, d'une part Mme B. a participé à toutes les opérations d'expertise en sa qualité de gérante de la SPRL Elite Concept, représentant celle-ci à l'expertise et, d'autre part, dès la première réunion technique, tenue sur place le 19 avril 2016, le conseil des appelants a précisé qu'il envisageait de mettre en cause la responsabilité personnelle de Mme B. en tant que gérante (point 2.3.1. des préliminaires).

La circonstance que les travaux auraient entretemps été poursuivis et achevés est sans incidence sur l'examen de la question de la participation de Mme B. à l'expertise, d'autant qu'il n'est pas contesté qu'en tant que gérante de la SPRL Elite Concept, elle devait connaître l'état des travaux avant leur poursuite.

Il résulte de ce qui précède qu'une intervention forcée de Mme B. dans l'expertise en cours ne porterait pas atteinte à ses droits de la défense.

La demande originaire, en tant qu'elle vise à contraindre Mme B. à participer à l'expertise en cours, est, par conséquent, fondée.

Poursuite de l'expertise devant les premiers juges

18.

L'article 1068 al. 1er du Code judiciaire dispose que tout appel d'un jugement définitif ou avant dire droit saisit du fond du litige le juge d'appel, et ce dans les limites de l'appel formé par les parties. L'effet dévolutif de l'appel doit en effet se concilier avec les limites de la saisine du juge d'appel, déterminée par les parties par l'appel principal et, le cas échéant, par l'appel incident.

Ce n'est qu'à titre dérogatoire que le second alinéa de l'article 1068 impose le renvoi de la cause au premier juge, s'il confirme, même partiellement, une mesure d'instruction ordonnée par le jugement entrepris.

L'obligation de renvoi constitue une exception au principe de l'effet dévolutif de l'appel, dont le but est de décharger les juridictions d'appel des devoirs découlant de l'exécution des mesures d'instruction ordonnées par le premier juge dès lors que ces mesures sont confirmées en leur principe par le juge d'appel (en ce sens, A. Decroës, « Le point sur l'effet dévolutif de l'appel et le jugement ordonnant une mesure d'instruction », J.T., 2010, p. 462).

La matière est d'ordre public. Le renvoi au premier juge n'est dès lors pas une faculté ; le juge d'appel ne peut par conséquent entériner un accord des parties qui serait contraire aux règles applicables en la matière (voir notamment, en ce sens, A. Decroës, « Le point sur l'effet dévolutif de l'appel et le jugement ordonnant une mesure d'instruction », op.cit. ; F. Georges « Développements récents relatifs aux voies de recours ordinaires», in Actualités en droit judiciaire, CUP, 2010, vol. 122, p. 219). Il n'est, en tout état de cause, pas tenu par cet accord.

En l'espèce, l'appel ne concerne que la demande en intervention formée contre Mme B.. La mesure d'expertise ordonnée dans le cadre de la demande principale n'a fait l'objet d'aucun appel, en sorte que ce volet du litige n'est concerné ni par l'effet dévolutif, ni par un renvoi éventuel devant le premier juge (en ce sens, S. Dufrene, « Questions actuelles relatives à l'appel », J.T., 2004, p. 565 et ss, n°28 et ss.).

La cour réforme la décision des premiers juges en faisant droit à la demande d'intervention dirigée contre Mme B.. Cette décision, par laquelle la cour a vidé sa saisine, a certes une influence sur l'expertise ordonnée par les premiers juges en ce qui concerne la qualité des parties qui y participeront mais le point de départ de la mesure d'instruction ordonnée n'est pas modifié (en ce sens, voir notamment S. Dufrene, « Questions actuelles relatives à l'appel », op. cit.). L'expertise se poursuivra donc devant ceux-ci, en tenant compte de l'autorité de chose jugée de la décision de la cour quant aux parties à l'expertise.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant contradictoirement, dans les limites de l'appel,

Vu les articles 24, 37 et 41 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Dit l'appel recevable et fondé ;

Met à néant le jugement entrepris ;

Prend acte de la demande des appelants visant à mettre en cause la responsabilité aquilienne de l'intimée Mme B. en sa qualité de gérante de la SPRL Elite Concept, à concurrence d'une somme évaluée, sous réserve de modification en cours de procédure, à 30.000 euro ;

Déclare commune et opposable à Mme B. la procédure en cours devant le tribunal de commerce du Brabant wallon (RG A/16/000126), en ce compris l'expertise ordonnée le 10 mars 2016 et condamne Mme B. à y participer ;

Condamne Mme B. aux dépens des deux instances, liquidés dans le chef des appelants aux indemnités de procédure de 1.440 euro chacune et non liquidés pour le surplus à défaut de relevé ;

Renvoie pour le surplus et le suivi de l'expertise la cause au tribunal de commerce du Brabant wallon.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique civile de la 2ème chambre de la cour d'appel de Bruxelles le 26 janvier 2017.

Où étaient présents :

-Mme R. COIRBAY, président f.f.,

-Mme A.S. FAVART, conseiller,

-M. J. VAN MEERBEECK, magistrat délégué,

-M. C. WILLAUMEZ, greffier.

WILLAUMEZ VAN MEERBEECK

FAVART COIRBAY