Cour d'appel: Arrêt du 26 septembre 2002 (Bruxelles). RG 00-AR-1067

Date :
26-09-2002
Langue :
Français
Taille :
5 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20020926-4
Numéro de rôle :
00-AR-1067

Résumé :

Une caution engagée pour une durée indéterminée peut mettre fin à tout moment à son engagement de façon unilatérale. En règle, une telle résiliation ne produit d'effets que pour le futur, la caution restant garante des sommes dues par le débiteur principal au jour de la résiliation. Il peut en être autrement si le créancier accepte de libérer totalement la caution, notamment par l'effet d'une novation par changement de débiteur. Lorsque la caution fait clairement part à la banque de sa volonté de substituer à sa propre caution celle de tiers, que le préposé de la banque a visé ce document pour réception, que la banque accepte les nouvelles cautions sans faire de réserve, il s'en déduit que la banque a accepté tacitement mais certainement de libérer la première caution de ses engagements.

Arrêt :

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Vu les pièces de la procédure, notamment :
- le jugement attaqué, prononcé contradictoirement le 23 décembre 1999, par le tribunal de première instance de Bruxelles, signifié le 10 février 2000 à la S.P.R.L. BELGRAPHO et à Bernard X. et le 17 mars 2000 à Eric X. et à Jacques Y.;
- la requête d'appel, déposée au greffe de la cour le 13 avril 2000,
- l'appel incident des parties Bernard X. et Eric X., par leurs conclusions déposées au greffe de la cour le 31 août 2000;
- les plis judiciaires adressés aux parties Eric X. et S.P.R.L. BELGRAPHO sur la base des articles 803 et 804 du Code Judiciaire pour l'audience du 27 juin 2002, date à laquelle elles n'ont pas comparu ni personne en leur nom;
Attendu que le premier juge a adéquatement relaté les faits pertinents de la cause;
Qu'il suffit ici de rappeler et de préciser :
Que le 30 mai 1991, la S.A. GENERALE DE BANQUE (actuellement la S.A. FORTIS BANQUE, première intimée) a octroyé à la S.P.R.L. BELGRAPHO un crédit de caisse d'un montant de 400.000 F; qu'à cette occasion, Jacques Y., actuellement appelant, s'est porté caution solidaire et indivisible de tous engagements quelconques contractés par la S.P.R.L. BELGRAPHO en vertu de ce contrat, à concurrence de 400.000 F;
Que par convention sous seing privé du 4 novembre 1993, J. Y. a vendu les parts qu'il détenait dans la S.P.R.L. BELGRAPHO à Bernard et Eric X.;
Que suivant l'article 7 de cette convention, les cessionnaires s'engageaient à demander à la Générale de Banque de libérer le cédant de tous engagements que ce dernier avait contractés à titre personnel pour garantir les obligations de la S.P.R.L. BELGRAPHO;
Que suivant l'article 8 dé cette convention, J. Y. s'engageait à maintenir la clientèle de la société cédée et à collaborer avec la société BELGRAPHO comme responsable commercial indépendant pendant un délai de 3 ans minimum;
Que le 4 novembre 1993 également, l'assemblée générale de la S.P.R.L. BELGRAPHO prit acte de la démission de J. Y. de ses fonctions de gérant et lui donna décharge;
Que, par actes du 7 juin 1994, Bernard X. et Eric X. se portèrent chacun caution solidaire et indivisible à concurrence de 250.000 F pour toutes sommes dont la S.P.R.L. BELGRAPHO serait ou deviendrait redevable envers la GENERALE DE BANQUE;
Que ces actes furent remis à la banque sous couvert d'une note manuscrite signée par J. Y., établie sur un formulaire à entête de la banque, et qui dispose : " Veillez noter, par la présente, que les présents actes de cautionnements aux noms de Messieurs Eric et Bernard X., en annexe, remplacent la caution de Monsieur Jacques Y.. Veuillez envoyer confirmation à Monsieur Jacques Y. "; que ce document est signé pour la banque par J.P. D., délégué commercial, dans la case intitulée " visa signature ";
Que le 19 octobre 1994, la banque mit fin au crédit consenti à la S.P.R.L. BELGRAPHO avec préavis d'un mois et en avisa J. Y. ainsi que B. et E. X., en leur qualité de cautions; que le découvert s'élevait, à cette date, à 425.354 F;
Que par courrier du 24 octobre 1994, J. Y. rappelait à la banque que le nécessaire avait été fait en ce qui concernait son retrait comme caution, et que seuls étaient responsables MM. Eric et Bernard X.;
Que le 27 octobre 1994, la banque lui répondit en se référant aux termes de l'article 5 d'un engagement de caution qu'aurait signé J. Y. le 18 juillet 1991, disposant notamment que la caution peut mettre fin à ses engagements moyennant un préavis de 45 jours par lettre recommandée à la poste, mais restera néanmoins tenue des obligations du cautionné envers la banque nées antérieurement à la date d'expiration de son engagement; qu'elle concluait ce courrier en indiquant : " En conséquence, malgré le retrait de votre caution, vos obligations résultant de la signature de l'acte susvisé ne prennent nullement fin et vous restez tenu, à notre égard, dans les limites reprises ci-dessus ";
Que les cautions furent mises en demeure le 1er décembre 1994 de rembourser à la banque les sommes dues, à concurrence du montant pour lequel elles s'étaient chacune portées caution;
Que la banque assigna tant la S.P.R.L. BELGRAPHO que les trois cautions par citations des 10 et 13 avril 1995, en vue d'obtenir la condamnation :
- de la S.P.R.L. BELGRAPHO, à lui payer la somme de 433.094 F, augmentée des intérêts conventionnels;
- de B. et E. X., chacun, solidairement avec la S.P.R.L. BELGRAPHO, à lui payer la somme de 250.000 F, augmentée des intérêts conventionnels;
- de J. Y., solidairement avec la S.P.R.L. BELGRAPHO, à lui payer la somme de 400.000 F, augmentée des intérêts conventionnels;
Que la S.P.R.L. BELGRAPHO fut déclarée en faillite le 11 septembre 1995; que cette faillite fut clôturée pour insuffisance d'actif le 13 novembre 1995;
Que, statuant sur la demande principale, le dispositif de la décision attaquée est libellé comme il suit :
" Sur la demande principale :
La déclare recevable et fondée dans la mesure précisée ci-après;
Condamne la S.P.R.L. BELGRAPHO, Messieurs Bernard et Eric X. solidairement à payer à la demanderesse :
- la somme de 250.000 F;
- la somme de 24.347 F;
- les intérêts à 13,75 % du 1er avril 1995 jusqu'au paiement de la somme de 250.000 F;
Condamne la S.P.R.L. BELGRAPHO et Monsieur Jacques Y. solidairement à payer à la demanderesse :
- la somme de 400.000 F,
- les intérêts judiciaires sur ladite somme;
Renvoie la demande dirigée contre la S.P.R.L. BELGRAPHO seule, au rôle particulier;
Condamne les défendeurs aux dépens, liquidés à (...) "
Que le premier juge a par ailleurs déclaré recevable mais non fondée la demande incidente en garantie dirigée par J. Y. contre les autres parties défenderesses, qui tendait à entendre condamner la S.P.R.L.
BELGRAPHO ainsi que B. et E. X. à le garantir de toute condamnation qui serait prononcée à sa charge;
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Attendu que J. Y. relève appel de cette décision et demande :
- à titre principal, de dire la demande originaire de la S.A. FORTIS BANQUE non fondée en tant que dirigée contre lui et de condamner la S.A. FORTIS BANQUE aux dépens;
- à titre subsidiaire, de condamner B. et E. X., solidairement ou l'un à défaut de l'autre, à le tenir indemne de toute condamnation qui viendrait à être prononcée à sa charge en principal, intérêts et frais;
Que la S.A. FORTIS BANQUE conclut au non fondement de l'appel et à la confirmation du jugement attaqué en toutes ses dispositions;
Que B. et E. X. forment appel incident en ce que le jugement a quo a refusé leur demande de termes et délais et demandent d'être autorisés à s'acquitter de leur dette par versements mensuels de 5.000 F;
qu'ils demandent également de réduire la somme principale postulée ainsi que les intérêts conventionnels proportionnellement à la responsabilité de la banque et de condamner l'appelant aux dépens de l'appel;
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Attendu que J. Y. soutient en premier lieu qu'il incombait à la S.A. FORTIS BANQUE de poursuivre le remboursement de sa créance par priorité à l'encontre de la S.P.R.L. BELGRAPHO, débiteur principal, par application de l'article 2021 du Code civil;
Attendu cependant que par son engagement du 30 mai 1991, J. Y. s'est porté caution solidaire et indivisible de tous les engagements de la S.P.R.L. BELGRAPHO en vertu du contrat de crédit de caisse signé le même jour;
Attendu qu'en se portant caution solidaire en ces termes, J. Y. a renoncé au bénéfice de discussion consacré, de façon supplétive, par l'article 2021 du Code civil;
Qu'il s'ensuit que ce moyen ne peut être accueilli;
Attendu que J. Y. soutient en deuxième lieu que la S.A. FORTIS BANQUE aurait manqué de diligence en ne dénonçant le crédit de caisse que par lettre du 19 octobre 1994, alors que la limite de crédit autorisée était dépassée depuis le 26 août 1994, soit près de 3 mois auparavant, et qu'elle aurait ainsi commis une faute professionnelle;
Attendu cependant que l'historique du crédit (pièce 3.2 du dossier de la S.A. FORTIS BANQUE) montre que, si le découvert a fluctué entre le 26 août 1994 et le 19 octobre 1994, le délai de 3 mois mis par la banque pour réagir n'a pu aggraver la situation des cautions puisque le découvert final (425.354 F) s'est avéré moins important que celui qu'accusait la S.P.R.L. BELGRAPHO au 26 août 1994 (427.189 F);
Que la preuve d'une faute quelconque de la banque, à l'origine d'un quelconque dommage dans le chef de J. Y., n'est aucunement rapportée;
Attendu que J. Y. soutient encore que la banque n'aurait pas exécuté de bonne foi le contrat de cautionnement;
qu'il fait valoir que les actes de cautionnement qui furent signés par B. et E. X. le 7 juin 1994 et remis à la banque le lendemain, remplaçaient son propre engagement de caution, lequel a donc pris fin à cette date;
Attendu que contrairement aux actes de cautionnement signés par E. et B. X., l'engagement de caution que signa J. Y. le 30 mai 1991 - et non le 18 juillet 1991 comme l'écrivait erronément la S.A. FORTIS BANQUE dans sa lettre du 27 octobre 1994 en réponse à la lettre de J. Y. du 24 octobre 1994 - ne contient aucune clause particulière quant aux modalités de résiliation du contrat par la caution;
Qu'à tort par conséquent la S.A. FORTIS BANQUE voudrait tirer argument du non respect des formalités contractuelles de résiliation prévues à l'article 5 des contrats de cautionnement signés par E. et B.
X., pour en déduire que J. Y. n'aurait pas régulièrement mis fin à son engagement;
Que tout aussi vainement la S.A. FORTIS BANQUE tente de se référer au " Règlement des ouvertures de crédits " pour faire valoir que J. Y. n'aurait pas respecté les formalités de résiliation requises par ce règlement, formalités qu'elle ne précise du reste pas; que la banque ne démontre en effet pas que ce règlement, qui n'est pas produit, contiendrait de quelconques exigences à cet égard, applicables à l'engagement de caution de J. Y.;
Qu'engagé comme caution pour une durée indéterminée, J. Y. pouvait mettre fin à tout moment à son engagement de façon unilatérale, ce qu'il fit le 8 juin 1994;
Qu'en règle, une telle résiliation ne produit d'effets que pour le futur, la caution restant garante des sommes dues par le débiteur principal au jour de la résiliation (JASSOGNE, Droit Commercial, p. 554, n° 655; SIMLER, Cautionnement et garanties autonomes, Litec, 1991, p. 601 et 602);
Qu'il pourrait cependant en être autrement si le créancier acceptait de libérer totalement la caution, notamment par l'effet d'une novation par changement de débiteur;
Qu'en l'espèce, J. Y. a clairement fait part à la banque, le 8 juin 1994 de sa volonté de substituer à sa propre caution celle de B. et E. X.; que la note qu'il remit en effet à la banque indique que les actes de cautionnement de B. et E. X. " remplacent " son propre engagement de caution;
Que le préposé de la banque a visé ce document pour réception et n'y a pas réservé d'autre suite; que dans le même temps, la banque accepta les engagements de caution de B. et E. X.;
Qu'en agissant de la sorte, la banque a accepté, tacitement mais certainement, de libérer J. Y. et de substituer à son engagement de caution ceux de B. et E. X.;
Que c'est donc à tort que la banque tente d'obtenir, à charge de J. Y., qu'il garantisse les montants qui lui sont dus par la S.P.R.L. BELGRAPHO;
Que l'appel principal est, par conséquent, fondé;
Que la demande originaire de la S.A. FORTIS BANQUE doit être déclarée non fondée contre J. Y., ce qui rend sans objet la demande en garantie formulée par ce dernier à charge de E. et B. X.;
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Attendu que les parties B. et E. X. ne contestent pas être garants des engagements de la S.P.R.L. BELGRAPHO à concurrence des montants que leur réclame la S.A. FORTIS BANQUE;
Qu'ils font cependant valoir que la S.A. FORTIS BANQUE aurait engagé sa responsabilité en laissant consciemment se dégrader la situation financière de la S.P.R.L. BELGRAPHO avant de dénoncer le crédit, et en déduisent qu'il y aurait lieu de " réduire " la demande principale " proportionnellement à la responsabilité de la banque ";
Attendu que ce raisonnement ne peut être suivi;
Que B. et E. X., gérants de la S.P.R.L. BELGRAPHO, étaient en première ligne pour connaître les raisons pour lesquelles la situation financière de cette société se dégrada et, le cas échéant, pour remédier à cette situation;
Qu'ils ne démontrent d'aucune manière que le comportement de la banque aurait contribué à aggraver la situation de la société; que l'historique du crédit ne révèle aucune négligence de la part de la banque quant aux circonstances dans lesquelles elle décida d'abord de maintenir et ensuite de dénoncer le crédit consenti à la S.P.R.L. BELGRAPHO;
Attendu par ailleurs qu'à bon droit le premier juge n'a pas accueilli la demande de termes et délais formulée par B. et E. X.;
Que les pièces déposées au dossier de B. X. n'établissent d'aucune manière sa qualité de débiteur malheureux et de bonne foi, tandis que de son côté E. X. ne produit aucun dossier;
Qu'en outre, compte tenu de l'ancienneté de la dette, B. et E. X. ont eu largement le temps de la provisionner;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant contradictoirement,
Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,
Reçoit les appels;
Dit l'appel principal de J. Y. seul fondé;
En conséquence, met à néant le jugement entrepris, en tant qu'il a condamné J. Y., solidairement avec la S.P.R.L. BELGRAPHO, à payer à la S.A. FORTIS BANQUE la somme de 9.915,74 euros (400.000 F) outre les intérêts judiciaires sur ladite somme, en tant qu'il a dit non fondée la demande incidente en garantie de J. Y. contre E. et B. X. et en tant qu'il a condamné J. Y. aux dépens;
Réformant,
Dit la demande originaire de la S.A. FORTIS BANQUE contre J. Y. non fondée et l'en déboute;
Dit la demande en garantie de J. Y. contre E. et B. X. sans objet;
Condamne la S.A. FORTIS BANQUE aux dépens des deux instances de J. Y.;
Condamne E. et B. X. aux autres dépens de l'instance d'appel;
Liquide les dépens d'appel à 185,92 + 52,06 + 446,21 euros pour J. Y., à 446,21 euros pour la S.A.
FORTIS BANQUE, à 446,21 euros pour B. X. et à 0 euro pour la S.P.R.L. BELGRAPHO et pour E. X.;
Ainsi jugé et prononcé en audience civile publique de la neuvième chambre de la Cour d'Appel de Bruxelles, le 26-09-2002.