Cour du Travail: Arrêt du 27 juin 2002 (Liège (Namur)). RG 3.898/90

Date :
27-06-2002
Langue :
Français
Taille :
10 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20020627-8
Numéro de rôle :
3.898/90

Résumé :

Le contractuel engagé dans un service public est en droit de percevoir la rémunération correspondant à celle à laquelle il a droit en fonction du contrat et non de l'activité effectivement exercée. Lorsque l'objet de la demande porte sur la hauteur de la rémunération, la question de la qualification du contrat (ouvrier ou employé) est sans intérêt sur la solution du litige.

Arrêt :

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Droit judiciaire - Autorité de chose jugée - Code judiciaire, art. 23 Contrat de travail - Service public - Engagement sous contrat de travail - Rémunération - Barèmes applicables - Qualification contractuelle d'ouvrier - Incidence de l'exercice de fonctions autres de type intellectuel - Loi 3/7/1978, art. 2 et 3 ; A.R. 4/4/1975 COUR DU TRAVAIL DE LIEGE SECTION DE NAMUR ARRET Audience publique du 27 juin 2002 R.G. n° 3.898/90 13ème Chambre EN CAUSE DE :
L'ETAT BELGE, représenté par Monsieur le Ministre des FINANCES, Administration du Cadastre, Rue Royale 12-14 à 1000 BRUXELLES appelant, comparaissant par Me Bénédicte Humblet loco Me Chantal Detry, avocats.
CONTRE :
B.
intimé, comparaissant personnellement assisté par Me Jean-Pierre Lothe, avocat.
Vu l'arrêt contradictoirement rendu en la cause en date du 23 février 1993, arrêt par lequel la Cour ordonne un expertise confiée à M. MERVEILLE, Vu le rapport déposé par l'expert le 2 octobre 2001, Vu l'ordonnance du 19 octobre 2001 redistribuant la cause à la 13ème chambre, Vu l'ordonnance prononcée le 20 février 2002 sur base de l'article 747 du code judiciaire aménageant les délais pour conclure et fixant la date de plaidoiries au 23 mai 2002, Vu les conclusions après expertise déposées par l'appelant au greffe le 16 avril 2002, Vu les conclusions principales et additionnelles après expertise de l'intimé reçues au greffe respectivement les 19 décembre 2001 et 16 mai 2002, Vu les dossiers déposés par les parties à l'audience du 23 mai 2002 à laquelle elles ont été entendues en l'exposé de leurs moyens, l'examen de la cause ayant été repris ab initio compte tenu de l'impossibilité de reconstituer le siège antérieur.
Attendu que la Cour a déjà statué sur divers points en litige ;
Que compte tenu de ce que la cause a dû être reprise ab initio et de ce que l'appelant avance des arguments sur lesquels l'intimé invoque l'autorité de la chose jugée, il convient de rappeler les faits ainsi que la procédure avant de faire le point sur les litiges soumis actuellement à la Cour ;
1. Les faits.
Attendu que les faits peuvent être résumés comme suit :
- Le 16 octobre 1980, M. B., ci-après l'intimé, obtient le diplôme de géomètre-expert immobilier.
- Le 1er octobre 1981, il entre au service de l'Etat belge sous contrat de travail pour effectuer la fonction d'auxiliaire (personnel saisonnier) à l'administration du Cadastre sous contrat d'ouvrier.
- Il est rémunéré à l'échelle 42/3 correspondant à l'agent statutaire de niveau 4 avec la qualification de métreur (ouvrier qualifié B) du fait qu'il est porteur (au moins) du certificat constituant la réussite de la première épreuve technique de l'examen de géomètre-expert immobilier.
- Il est affecté à la direction des " Grands Levers et Plans Généraux ", section provinciale, contrôle de Ciney II.
- Le cadre se compose d'un contrôleur en chef, de deux géomètres, d'un vérificateur, de trois dessinateurs et de trois auxiliaires. Tous sont répartis en trois équipes de terrain. Le contrôleur en chef dirige son équipe et effectue le suivi technique des deux autres équipes (cf. rapport de l'expert, pp. 4 et 5) dirigées par les deux géomètres (id., p.7).
- Le 24 décembre 1987, l'intimé est licencié pour motif grave.
- Le 17 mai 1990, il satisfait au concours de recrutement pour géomètre organisé pour le Ministère des Finances.
2. La demande.
Par citation du 28 décembre 1988, l'actuel intimé réclame à l'actuel appelant :
- une indemnité compensatoire de préavis de 6 mois (297.396 FB).
- des pécules de sortie sur la base de 14% de la rémunération : 76.750 FB.
- des arriérés de rémunération évalués à 780.000 FB calculés en fonction de la différence entre la rémunération payée (comme ouvrier, échelle barémique 42/3) et celle due sur la base de l'exercice d'une activité de géomètre-expert immobilier (statut d'employé, 4ème catégorie de la C.P.N.A.E.).
Par conclusions déposées le 27 septembre 1989, l'intimé majore sa demande en vue de l'obtention d'une indemnité pour abus de droit de licenciement (200.000 FB).
3. Les jugements.
Le 12 décembre 1989, le tribunal ordonne une réouverture des débats afin que le dossier soit plaidé devant un siège complété vu la contestation portant sur la qualification (ouvrier-employé) du contrat de travail.
Le 6 février 1990, le tribunal admet que l'activité exercée par l'intimé est une activité de type intellectuel et non manuel. Il considère que les barèmes de la C.P.N.A.E. sont d'application au personnel non statutaire et fait droit à la demande d'arriérés de rémunération.
Par contre, il déclare prescrites les autres demandes portant sur l'indemnité compensatoire de préavis et l'indemnité pour abus de droit.
Il omet de statuer sur les pécules de vacances.
4. L'appel et la procédure en appel.
Le 17 avril 1990, l'appelant relève appel :
- contestant la qualification d'employé au lieu de celle d'ouvrier de l'intimé ;
- s'opposant à la référence faite aux barèmes de la C.P.N.A.E. non applicables aux personnes occupées par l'Etat ;
- n'admettant que la seule référence à l'A.R. du 4 avril 1975 portant statut pécuniaire du personnel des ministères.
L'intimé relève appel incident en vue d'obtenir les indemnités liées à la rupture ainsi que les pécules de sortie.
Par arrêt du 28 avril 1992, la Cour, autrement composée, :
- confirme le jugement en ce qu'il écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription pour ce qui concerne les arriérés de rémunération ;
- réforme le jugement en ce qu'il admet l'application des conventions collectives de travail conclues au sein de la C.P.N.A.E. alors que la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires ne s'applique pas aux personnes occupées par l'Etat, même sous contrat de travail ;
- considère dès lors que la rémunération doit être fixée en ayant égard non aux C.C.T. mais à l'A.R.
du 4 avril 1975 fixant les échelles de traitements des grades particuliers du Ministère des Finances ;
- invite l'appelant à fournir une description aussi détaillée que possible des fonctions d'auxiliaire du cadastre et de géomètre du cadastre ;
- invite l'intimé à préciser sa prétention à une régularisation de traitement dans le cadre de l'article 8 de son contrat et de l'arrêté royal du 4 avril 1975 ;
- confirme le jugement en ce qu'il admet la prescription de l'action pour les indemnités compensatoire de préavis et d'abus de droit de licenciement ;
- réforme le jugement en ce qu'il ne statue pas sur les pécules mais sursoit à statuer sur ce chef de demande lié à la détermination de la fonction occupée.
Par arrêt du 23 février 1993, la Cour constate que les parties sont en total désaccord tant sur la qualification que sur la détermination de l'échelle barémique correspondante. La Cour désigne en conséquence un expert afin de :
- délimiter les périodes au cours desquelles l'intimé a exercé la fonction d'auxiliaire du cadastre en ordre principal et celle où il a exercé la fonction de géomètre en ordre principal ;
- calculer la rémunération due en fonction de l'article 8 du contrat et de l'A.R. du 4 avril 1975.
L'expert qui disposait de 3 mois pour déposer son rapport va le déposer le 2 octobre 2001.
Ses conclusions sont les suivantes :
" Des rapports rédigés par (l'intimé), j'estime que si des prestations de type manuel ont été régulièrement effectuées sur le terrain comme elles le sont généralement par tout géomètre normalement actif, celui-ci a effectué des travaux d'une qualification supérieure à celle d'auxiliaire du cadastre sans cependant atteindre ceux du profil de Géomètre du Cadastre qui comporte des prestations de chef d'équipe.
D'après les profils de dessinateur et de vérificateur du Cadastre, j'estime que les prestations de (l'intimé) se classent entre celles de dessinateur et celles de vérificateur, en effet ces dernières impliquent - comme pour le géomètre du Cadastre - aussi la conduite de l'équipe terrain.
La durée de l'engagement a fait perdre la qualification de saisonnier à celui-ci.
Compte tenu de la qualification de (l'intimé) (déjà diplômé géomètre expert immobilier), ses prestations ont naturellement dérivé vers une qualification supérieure à celle d'un manœuvre sans aucune qualification ou formation particulière.
Conclusions sur la délimitation des périodes Eu égard à ce que :
1. d'octobre (à) novembre 198 (lire 1981), il s'agit d'initiation, 2. à partir de décembre 1981 : il ne s'agit déjà plus de travaux principalement manuels, 3. il n'y a aucun état des travaux effectués qui fasse état de direction d'équipe, j'estime que (l'intimé) a commencé dès le 1er décembre 1981 des prestations à caractère principalement intellectuel sous l'autorité d'un supérieur hiérarchique représentant l'employeur.
Cependant, il ne ressort d'aucun état des travaux effectués qu'il ait jamais dirigé l'équipe et dès lors j'estime aussi qu'il n'a pas fait fonction de géomètre du Cadastre en ordre principal.
J'estime par contre, compte tenu d'une part des profils fournis de dessinateur et de vérificateur du Cadastre et d'autre part des échelles barémiques (voir page 20 ci-après) et vérificateur du Cadastre (? ?), qu'il a rempli des fonctions assimilables à celles d'opérateur.
Conclusions quant aux rémunérations Suivant ce qui précède immédiatement, les documents communiqués (..), j'estime les montants indexés des rémunérations corrélativement dues à (l'intimé) de la manière suivante :
Traitement : 297.984 FB ; Pécule de vacances : 5.944 FB ; Primes de fin d'années : 16.135 FB. Total :
320.063 FB.
Toutefois, si le choix ne portait qu'entre la fonction d'auxiliaire et celle de géomètre du Cadastre, et que la Cour estime que (l'intimé) a rempli celle-ci en considérant que la mission de direction n'est pas essentielle, j'ai aussi calculé suivant les mêmes modalités les montants indexés des rémunérations corrélativement dues à (l'intimé) de la manière suivante :
Traitement : 736.055 FB ; Pécule de vacances : 6.916 FB ; Primes de fin d'année : 18.774 FB. Total :
761.745 FB ".
5. Fondement.
Attendu qu'après le dépôt du rapport de l'expert, - l'appelant conclut en considérant que :
- l'intimé a été engagé en qualité d'auxiliaire sous le statut d'ouvrier et ne peut, même s'il a exercé des fonctions autres que celles pour lesquelles il a été engagé, revendiquer un statut et un barème relatifs à une autre fonction ;
- l'intimé a exercé des fonctions d'auxiliaire du Cadastre et non de géomètre, même s'il a occasionnellement effectué des travaux d'une qualification supérieure ;
- l'intimé conclut en demandant que :
- la qualification d'employé (et non d'ouvrier) lui soit reconnue ;
- la qualité d'employé géomètre du Cadastre soit attribuée aux fonctions exercées et que soit retenue non la qualification donnée mais la nature des prestations accomplies avec la rémunération correspondante ;
- soit écarté le moyen nouveau invoqué par l'appelant selon lequel il y a lieu de s'en tenir à la convention des parties et ce du fait que l'autorité de la chose jugée liée aux arrêts précédents s'y oppose ;
que l'intimé a aussi, verbalement à l'audience (cf. procès-verbal actant cette modification), modifié l'objet de la demande en réclamant, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, non plus de la rémunération mais des dommages et intérêts équivalents à la rémunération non payée compte tenu du fondement donné à son action ;
Attendu que la Cour doit tout d'abord examiner le point de savoir si l'appelant est recevable à invoquer le moyen tiré de ce que, même si l'intimé a exercé d'autres fonctions que celles d'auxiliaire, il ne peut revendiquer un traitement supérieur à celui convenu ;
5.1. Quant à l'autorité de chose jugée.
En droit.
Attendu que " l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet de la décision.
Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité " (art. 23 du Code judiciaire) et que si ces conditions sont réunies, " l'autorité de la chose jugée fait obstacle à la réitération de la demande " (cf. art. 25 du même code) ;
Que l'autorité de la chose jugée est limitée à ce qui a fait l'objet des points litigieux débattus par les parties devant le juge ; qu'il n'est pas question de soumettre au juge deux fois la même question de fait ou de droit, la question litigieuse étant tout point qui a été contradictoirement débattu devant le juge et tranché par lui (cf. J. Van Compernolle, " Considérations sur la nature et l'étendue de l'autorité de la chose jugée en matière civile ", note sous Cass., 10 septembre 1981, R.C.J.B., 1984, 236) ;
Que l'autorité de la chose jugée s'attache non seulement à ce qu'un jugement décide expressément sur un point litigieux mais aussi à tout ce qui, en raison de la contestation portée devant le juge et soumise à la contradiction des parties, constitue, fût-ce implicitement, le fondement nécessaire de la décision (cf. J. van Compernolle, o.c., p. 265 ; Cass., 24 avril 1981, Pas., I, 957) ;
Qu'elle ne peut porter que sur l'objet de la contestation ; qu'ainsi que l'expose le même auteur (p.268), le principe du contradictoire " conduit (de même) à ne point pouvoir reconnaître (l'autorité de la chose jugée) aux énonciations du jugement qui - fussent-elles mêmes contenues dans le dispositif - ne correspondent à aucune question effectivement débattue. Que l'étendue de la chose jugée soit limitée aux seules questions qui ont été spécialement discutées et tranchées par le juge, est ce qui ressort d'un enseignement doctrinal très ferme " ;
Que la Cour de cassation (Cass., 3ème ch., 8 octobre 2001, R.G. n°S.000113.F) vient encore d'en rappeler le principe ;
Que la Cour suprême a même considéré que " l'autorité de chose jugée d'une décision déclarant un appel recevable n'interdit pas au juge d'appel de déclarer ensuite ce même appel irrecevable sur la base d'éléments qui ne lui avaient pas été soumis et qui n'auraient pu l'être " (Cass., 15 décembre 1995, Bull. 1995, 1166) ;
En l'espèce.
Attendu que dans les deux précédents arrêts, la Cour n'a pas examiné la question de droit de savoir si un travailleur engagé par l'Etat sous contrat de travail en vue d'occuper une fonction déterminée avec une échelle barémique fixée était en droit de contester la qualification du contrat (ouvrier ou employé) et s'il pouvait revendiquer une échelle barémique supérieure à celle qui lui a été reconnue par l'Administration ;
Que si la Cour n'a pas répondu à ces questions, c'est parce qu'elles ne lui ont pas été posées comme telles et qu'il ne lui appartenait pas de les soulever d'office ;
Attendu dès lors que l'intimé ne peut se prévaloir de l'autorité liée à la chose jugée pour empêcher que la Cour y réponde ;
Attendu certes que dans l'ordre logique des choses, il eût été préférable que l'appelant commence par soulever ces questions avant d'aborder les autres ;
Que cependant, tant que la Cour n'a pas statué au fond, l'appelant est indiscutablement en droit d'invoquer un nouveau moyen ;
Que si une demande nouvelle étrangère à la demande dont est encore saisie la juridiction après une réouverture des débats ne peut être formulée (cf. Cass., 29 juin 1995, J.L.M.B. 1995, 1520), il en va différemment d'un moyen de défense nouveau présenté dans le cadre du litige dont la juridiction reste saisie après réouverture des débats et même d'un moyen nouveau portant sur un point de droit déjà tranché (cf. Cass., 15 décembre 1995, Bull. 1995, 1166 à propos de la recevabilité de l'appel remise en cause dans le cadre d'une réouverture et alors que cette recevabilité avait été admise sans que la juridiction d'appel soit mise en possession des éléments permettant de constater la non-recevabilité) ;
5.2. Quant à la remise en cause du contrat de travail conclu dans la fonction publique.
Attendu qu'avant de répondre à la double question qui oppose les parties, d'une part, celle de savoir si l'intimé peut remettre en cause la qualification professionnelle que lui donne le contrat et, de l'autre, celle de savoir s'il peut revendiquer une rémunération ne correspondant pas à l'échelle dont question dans le contrat, il s'impose d'examiner en droit la place faite, dans le droit social de la fonction publique, aux membres du personnel occupés sous contrat de travail ;
5.2.1. Examen de la question en droit.
Attendu que la Cour doit tenir compte de l'ancienneté des faits qui lui sont soumis et donc se référer aux dispositions en vigueur avant la loi du 20 février 1990 relative aux agents des administrations et de certains organismes d'intérêt public et les modifications apportées notamment à l'arrêté royal n°56 du 16 juillet 1982 remplacé depuis par la loi du 22 juillet 1993 ; qu'il ne peut non plus être fait référence à l'arrêté royal du 11 février 1991 fixant les droits individuels pécuniaires des personnes engagées par contrat de travail dans les ministères ;
Attendu que comme le relève Jean JACQMAIN (" Le contrat de travail dans les administrations de l'Etat ", Chr.D.S. 1991, 329, sous n°1.7), " la fonction publique ne s'était que fort peu souciée de codifier l'engagement contractuel et ses rapports avec l'engagement statutaire. Essentiellement, la loi du 28 décembre 1973 'relative aux propositions budgétaires 1973-1974' admettait par dérogation la possibilité d'engagements contractuels dans des cas à définir par le Roi. Ce qui a été fait, pour les ministères nationaux, par l'A.R. du 7 mars 1974 où on lit que les ministères peuvent utiliser le contrat de travail pour affecter du personnel à des tâches auxiliaires (nettoyage, réfectoires), à des emplois saisonniers ou à temps partiel et à des activités de recherche scientifique. L'arrêté royal n°56 du 16 juillet 1982, préoccupé surtout de régir la régularité des recrutements statutaires, n'avait pas apporté de grandes innovations en matière contractuelle, sinon d'imposer la rédaction d'un écrit. (...) L'opération 'statut unique' entend mettre fin à cette situation d'aimable improvisation. Cette opération prend la forme d'une loi du 20 février 1990 (qui vise notamment) à imposer l'engagement contractuel comme 'statut précaire', utilisable dans des cas déterminés : tâches auxiliaires ou spécifiques, missions exceptionnelles et limitées de l'administration, remplacement d'agents absents (renforcement de l'A.R. n°56) " ;
Que la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail peut donc trouver à s'appliquer dans les services publics mais non sans poser quelques problèmes ;
Que la question des conditions de recrutement se présente très différemment dans les secteurs public et privé (cf. Jean JACQMAIN, " Droit social de la fonction publique ", P.U.B., 1995, p.27) ;
Attendu que parmi les problèmes récurrents, il faut tenir compte de la qualification du contrat (ouvrier ou employé) ;
Qu'en effet, comme le relève à raison Jean JACQMAIN (" Le contrat de travail .. ", o.c., p.331, sous n°2.3), " la nature des prestations, appréciée à l'aide des définitions lapidaires que donnent les articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978, risque de constituer une source de contestation, dont l'enjeu se mesurera en termes de salaire garanti ou de délai de préavis, par exemple. En effet, la logique de l'engagement contractuel en services publics suppose normalement que le travailleur concerné soit rattaché à une situation statutaire ; ainsi lorsqu'il s'agit de déterminer la rémunération d'un A.C.S. (art. 98 de la loi-programme du 30 décembre 1988) ou lorsque le contractuel remplace un agent temporairement absent (art. 8, §1er, de l'A.R. n°56). Mais dans la structure hiérarchique des grades dont peuvent être investis les agents de l'Etat, la distinction entre fonctions à caractère manuel ou intellectuel n'a pas l'importance que lui accorde la loi du 3 juillet 1978 " ;
Attendu qu'un second problème peut surgir en cas de modification de fonction ; que " même si tout engagement contractuel en services publics doit être constaté par écrit, il se peut qu'un litige survienne parce qu'une des parties affirme que l'exécution du contrat s'écarte de ce qui a été convenu " (Jean JACQMAIN, " Le contrat de travail... ",o.c. , p.334, sous n°3.8) ;
Attendu que pour solutionner ces questions, il faut tenir compte des particularités propres aux services publics, tout en respectant les dispositions impératives de la loi du 3 juillet 1978 et des lois applicables aux contractuels occupés dans les services publics ;
Attendu qu'il faut tenir compte du fait que la philosophie de l'engagement dans les services publics est radicalement différente de celle en vigueur dans le secteur privé ;
Que dans la fonction publique, il faut en effet tenir compte que :
- la fonction (sans distinction entre la nature manuelle ou intellectuelle) correspond à la notion de place occupée dans le cadre et au grade correspondant à la position de l'agent dans la hiérarchie. En schématisant, il peut être résumé qu'elle dépend de la vacance d'un emploi, de l'autorisation de recrutement et du grade auquel accède l'agent à la suite d'un concours.
- jusqu'à la mise en vigueur des arrêtés royaux des 26 septembre 1994, l'administration était divisée en 4 niveaux eux-mêmes subdivisés en rangs.
- la promotion ne constitue pas un droit mais une vocation de l'agent. Elle est fonction de l'ancienneté ou, pour certaines promotions, dépend de la réussite d'un examen d'avancement , voire d'un concours d'accession à un niveau supérieur. Elle dépend donc selon les cas d'un automatisme ou d'un classement ;
que si dans le secteur privé, la détermination des salaires repose principalement sur la convention des parties pour autant qu'elle respecte les minima barémiques, la situation dans le secteur public se présente différemment ; que les traitements y sont fixés par des arrêtés royaux portant statut pécuniaire ; que l'agent bénéficie de l'échelle correspondant à son grade et à l'intérieur de l'échelle, au traitement attribué en fonction de son ancienneté pécuniaire ;
Attendu que le contractuel engagé dans les services publics est dans une situation hybride dans la mesure où bien qu'étant sous contrat, il se voit attribuer l'équivalent du traitement auquel peut prétendre l'agent qui exerce la même fonction, en ce compris les pécules et primes de fin d'année ;
Qu'il ne peut pas prétendre non plus à une promotion ; que de même, il ne peut pas être rétrogradé sans son accord supposant la conclusion d'un nouveau contrat ; que comme un agent, il est affecté à un poste déterminé équivalent à celui qui est fixé dans le cadre et au traitement duquel il a droit ; que le traitement est fonction du grade attribué par le contrat et reste fixé comme tel tant que le contractuel n'est pas nommé ou n'obtient pas un contrat lui attribuant un grade supérieur ;
Que sur ce point, la situation des agents et des contractuels est strictement identique ;
Qu'en fonction de leur grade, les contractuels sont rattachés au barèmes fixés par les arrêtés royaux sans pouvoir invoquer ni la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires (comme l'a relevé la Cour de céans dans l'arrêt du 28 avril 1992 à propos de la prescription alors invoquée), ni une disposition qui imposerait à l'Etat de verser au personnel contractuel qu'il occupe une rémunération correspondant non pas à la fonction pour laquelle ce personnel a été engagé mais à celle qu'il a remplie effectivement ;
Que cette particularité liée à la fonction publique ne peut être écartée par la référence " aux principes fondamentaux du droit du travail subordonné ", pas plus que par la référence au contrat dont l'article 8 précise seulement la rémunération applicable et ajoute qu'elle est majorée ou réduite dans la même mesure que les traitements du personnel permanent des administrations par référence à l'indice des prix ;
Qu'en l'espèce, c'est l'arrêté royal du 4 avril 1975 qui a déterminé l'échelle de traitement pour l'intimé ; que cet arrêté s'impose en ayant égard au contrat et non à la situation exacte de la personne occupée ;
Que l'intimé reste en défaut de citer une quelconque autre source de droit qui lui permettrait de revendiquer une rémunération équivalente à celle d'un agent d'un niveau supérieur à celui pour lequel il a été engagé mais correspondant aux prestations effectuées réellement ;
Qu'une personne, sous statut ou non, peut dans le secteur public occuper une fonction supérieure à celle pour laquelle elle a été nommée ou engagée sans pour autant pouvoir prétendre au traitement correspondant ;
Que c'est en ce sens que se prononce la jurisprudence invoquée par l'appelant (trib. trav. Bruxelles, 12ème ch., 3 décembre 1992, R.G. n°79.696/91 confirmé par Cour trav. Bruxelles, 3ème ch., 7 avril 1995, R.G. n°27.900) ;
Attendu que sur le plan de rupture de l'engagement, la situation est fondamentalement différente ; que le contrat de travail dans le secteur public est par essence précaire alors que le statut donne une garantie de stabilité ;
Que lors de la rupture d'un contrat de travail d'une personne engagée dans les services publics, ce sont les règles de la loi du 3 juillet 1978 qui s'appliquent (cf. Jean JACQMAIN, " Droit social de la fonction publique ", p.86) ; qu'il faut donc opérer à ce moment la distinction entre un ouvrier et un employé en ayant égard à la fonction effectivement exercée et non plus à la convention car les dispositions impératives de la loi du 3 juillet 1978 s'imposent et supplantent cette convention individuelle, même à l'égard de l'Etat ;
5.2.2. Quant au droit pour l'intimé de mettre en cause sa qualification professionnelle (ouvrier ou employé).
Attendu que c'est au regard de la fonction exercée principalement par le travailleur que sa qualification doit être déterminée; qu'il faut rechercher l'essentiel de sa fonction, c'est-à-dire la raison pour laquelle il a été engagé ou ce qui constitue l'essence de son travail même si ce n'est pas à cette tâche qu'il consacre la majorité de son temps (Cf. Cass., 7 novembre 1988, J.T.T. 1989, 91; X. Heyden, "Le critère de distinction entre employés et ouvriers dans la loi du 3 juillet 1978", J.T.T. 1993, p.21 ; Cour trav.
Liège, sect. Namur, 13ème ch., 26 mai 1998, R.G. n°5153 ; Cour trav. Liège, sect. Namur, 23 novembre 1999, Chr.D.S. 2001, 265) ;
Attendu que comme indiqué ci-dessus, la question de l'appartenance à la catégorie des ouvriers ou des employés ne présente d'intérêt que pour certaines revendications comme le droit au salaire garanti ou la fixation de la hauteur du préavis ;
Qu'en l'espèce, compte tenu du seul litige en cours portant sur la rémunération et les pécules de vacances y relatifs, cette qualification est sans le moindre intérêt dans la mesure où les barèmes applicables dans le secteur public attribuent un traitement en fonction du grade et où les pécules de vacances sont calculés comme pour les agents nommés et ne différent donc pas selon la nature de la fonction exercée ;
Attendu que si la Cour doit bien admettre avec l'expert que l'intimé a rempli des fonctions supérieures à celles pour lesquelles il a été engagé, la qualification " d'employé " y attachée n'entraîne in casu aucune conséquence quelconque en telle sorte qu'il n'apparaît pas, à ce stade, nécessaire de départager les parties sur la nature de l'activité exercée ;
5.2.3. Quant au droit pour l'intimé de mettre en cause l'échelle de traitement qui lui a été appliquée en fonction de la place qui lui a été attribuée dans le cadre.
Attendu par contre que comme indiqué ci-dessus, la remise en cause de l'échelle de traitement par un contractuel qui a effectué des tâches autres que celles pour lesquelles il a été engagé n'est pas conforme au droit social de la fonction publique ;
Qu'en signant un contrat d'auxiliaire le rattachant à l'échelle 42/3 correspondant à l'agent statutaire de niveau 4 avec la qualification de métreur (ouvrier qualifié B), l'intimé est lié par cette référence barémique ;
Que dès lors, c'est à raison que l'appelant soulève le moyen selon lequel l'intimé a été engagé en qualité d'auxiliaire sous le statut d'ouvrier et ne peut, même s'il a exercé une fonction autre que celle pour laquelle il a été engagé, revendiquer un statut et un barème correspondants à cette autre fonction ;
Que l'appel est donc fondé ;
Attendu que l'intimé doit dès lors être débouté de sa demande de paiement de rémunération ou de dommages et intérêts équivalents à la rémunération ainsi qu'aux pécules de vacances y afférents ;
Attendu que les dépens d'instance et d'appel doivent être délaissés à sa charge ;
Que cependant, l'expertise n'a été rendue nécessaire que parce que l'appelant n'a pas soulevé le moyen immédiatement ; que dès lors, les frais d'expertise auraient pu être évités ; qu'ils doivent en conséquence être mis à charge de l'appelant ;
PAR CES MOTIFS, LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement et contradictoirement, vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire et notamment son article 24 dont le respect a été assuré, les appels principal et incident ayant déjà été reçus, déclare l'appel principal fondé, réformant le jugement dont appel en toutes ses dispositions, en ce compris quant aux dépens, déboute l'intimé de son action, liquide les indemnités de procédure revenant en instance et en appel à l'appelant à 151,71 EUR et 267,73 EUR, les compléments pour réouverture des débats et expertise à deux fois 55,78 EUR et les frais de l'acte d'appel à 61,63 EUR, condamne l'appelant aux frais d'expertise liquidés par l'expert à 2.207,49 EUR sur lequel des avances de 371,84 et 444,35 EUR ont été effectuées par l'appelant, condamne l'intimé aux dépens d'instance et d'appel liquidés jusqu'ores à 592,63 EUR en ce qui concerne l'appelant.
Ainsi jugé par M. Michel DUMONT, Conseiller faisant fonction de Président, M. Jean-Luc DETHY, Conseiller social au titre d'employeur, M. Philippe LAPIERRE, Conseiller social au titre d'employeur, M. Christian PATRIS, Conseiller social au titre d'employé, M. Jean-Claude TOUCHEQUE, Conseiller social au titre d'ouvrier, qui ont assisté aux débats de la cause, et prononcé en langue française, à l'audience publique de la TREIZIEME CHAMBRE de la COUR DU TRAVAIL DE LIEGE, section de Namur, au Palais de Justice de Namur, le VINGT-SEPT JUIN DEUX MILLE DEUX par les mêmes, assistés de M. José WOTERS, Greffier.