Cour du Travail: Arrêt du 13 novembre 2002 (Liège (Neufchâteau)). RG 3555/02

Date :
13-11-2002
Langue :
Français
Taille :
4 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20021113-6
Numéro de rôle :
3555/02

Résumé :

L'article 2 de l'arrêté royal du 10 janvier 1969 prévoit une compétence liée dont on parle quand la règle de droit impose à l'autorité de donner à sa décision tel contenu bien déterminé, découlant de la réunion de conditions de caractère objectif, prédéfinies. Lorsque seule la hauteur de la sanction n'est pas suffisamment motivée, seule cette hauteur doit être annulée par le juge qui peut reprendre une sanction si le pouvoir dont l'administration dispose relève de la compétence liée, ce qui est le cas des sanctions administratives.

Arrêt :

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COUR DU TRAVAIL DE LIEGE SECTION DE NEUFCHATEAU ARRET Audience publique du 13 novembre 2002 R.G. n° 3.555/02 11ème CHAMBRE EN CAUSE :
INSTITUT NATIONAL D'ASSURANCES MALADIE INVALIDITE (I.N.A.M.I.), établissement public, dont le siège est établi à 1150 BRUXELLES, avenue de Tervuren 211, APPELANT au principal et INTIME sur incident, comparaissant par Me Yves MAGEROTTE, avocat, CONTRE :
M., INTIME au principal et APPELANT sur incident, comparaissant par Me Yves DUQUENNE, loco Me Olivier BOCLINVILLE, avocats. ??? Vu en forme régulière les pièces du dossier de la procédure et notamment :
- le jugement rendu le 8 avril 2002 par la 2ème chambre du tribunal du travail de Neufchâteau ;
- la requête d'appel reçue le 15 mai 2002 au greffe de la Cour et notifiée le même jour à l'intimé ;
- les conclusions de l'intimé y reçues le 4 juin 2002 ;
Entendu les parties en leurs plaidoiries à l'audience publique du 11 septembre 2002.
Objet des appels L'appelant critique le jugement déféré en ce que les premiers juges ont annulé la décision administrative du 22 septembre 2000 par laquelle il a exclu l'actuel intimé du droit aux indemnités à concurrence de 48 indemnités journalières, et ce au titre de sanction administrative fondée sur le fait que l'intéressé, alors qu'il était en incapacité de travail indemnisée par son organisme assureur, a exercé une activité sans autorisation préalable du médecin-conseil et sans signaler cette reprise de travail à sa mutuelle aux motifs que, selon le tribunal, cette décision qui ne justifiait pas le quantum des exclusions du droit aux indemnités n'est pas adéquatement motivée au sens de la loi du 29 juillet 1991 et qu'il n'appartient pas au tribunal de se substituer à l'administration pour prononcer de nouvelles sanctions alors qu'il appartient au pouvoir judiciaire d'exercer un contrôle de pleine juridiction lorsque la décision fait l'objet d'un recours et ce, y compris en remplaçant la décision annulée sauf dans le cas où l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire, en sorte eu le tribunal devait substituer sa propre appréciation des sanctions à celle irrégulièrement émise (car non motivée) par l'appelant.
L'intimé demande à la Cour de dire l'appel principal recevable mais non fondé et forme, quant à lui, appel incident en ce que les premiers juges n'ont que partiellement réformé la décision administrative du 21 février 2000 par laquelle l'institut appelant a signifié à l'intéressé la fin de son incapacité de travail au 1er janvier 1998 après avoir constaté la reprise du travail à cette date aux motifs que, selon le tribunal, la date à laquelle il a mis fin à son incapacité de travail doit être fixée au 15 mai 1998 alors qu'il doit être considéré qu'il n'a pas mis fin à son incapacité de travail.
Recevabilité des appels Les appels principal et incident, réguliers en la forme et dans le temps, sont recevables.
Fondement de l'appel incident 1. Pour bénéficier des indemnités A.M.I., l'assuré social doit avoir cessé toute activité (article 100, § 1er, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994) et la reconnaissance de l'état d'incapacité est maintenue au profit de l'assuré social qui reprend un travail préalablement autorisé (article 100, § 2).
2. Pour l'application dudit article 100, il y a lieu d'entendre par travail toute activité à caractère productif, effectuée dans le cadre de relations sociales, même si elle est accomplie à titre de service d'amis (Cass. , 18 mai 1992, Bull., 1992, p. 821 ss., la Cour confirmant sa jurisprudence antérieure : 21 janvier 1982, Bull., 1982, p. 650 ; Cass., 23 avril 1990, J.T.T., 1990, p. 456 ; C.T. Liège, 26 novembre 1991, INAMI c/ B. & UNMS, R.G. n° 17.763/90).
3. En son arrêt du 19 octobre 1992 (C.D.S., 1993, p. 54 et Bull., 1992, p. 1167 ss.), la Cour de cassation a précisé que toute activité de ce type est prohibée même si elle est exercée en dehors d'un lien de subordination.
4. En l'espèce, il ressort clairement de l'enquête effectuée par le Service du contrôle médical de l'INAMI que l'intéressé a exercé une activité d'ouvrier en bâtiment pour le compte de l'entreprise de construction de son fils Maher, l'activité s'étant déroulée chez un particulier, le sieur Jacques J., et ayant consisté en la construction d'une terrasse et d'une palissade en planches de chêne ; il a dirigé et conseillé les ouvriers et participé lui-même au travail de façon active, ayant porté des moellons, transportant et vidant des seaux de béton ...
5. Le sieur J.J. a produit en outre la copie de reçus signés par l'intéressé, portant sur des sommes de 45.000,- F et 30.000,- F., et bien qu'interrogé par le contrôleur social, l'appelant sur incident ait contesté avoir signé les deux reçus, le dossier déposé par l'intéressé contient une déclaration écrite de Maher EL MOHOR selon laquelle la somme de 75.000,- F. a été perçue par son père, lors de la livraison de matériel sur chantier.
6. Le sieur J.J. a encore produit la copie de témoignages de 4 personnes signalant avoir vu l'intéressé au travail sur le chantier du fils et c'est en vain que celui-ci soutient que J.J. a pris l'initiative de la plainte auprès de l'inspection des lois sociales dans le cadre d'un conflit ouvert l'opposant à son fils concernant la bonne exécution du chantier : cette dernière circonstance n'est pas ne nature à énerver les éléments qui accréditent la thèse de l'intimé sur incident.
7. Dans sa déclaration au contrôleur social, l'intéressé a indiqué qu'il s'est rendu une seule fois dans le courant de l'année 1998 chez le sieur J.J. et qu'il y a transporté dans sa remorque des petits outils, en se rendant chez des amis à Harnoncourt ; qu'il admet s'être rendu chez le sieur J.J. à deux reprises en tout et pour tout : à supposer même que cette explication soit crédible, quod non, il n'en resterait pas moins qu'il s'agit d'une activité qui s'intègre dans le processus de productions de biens ou de services, sans cette activité le matériel n'ayant pas été livré et le travail sur chantier n'ayant pu s'effectuer, et qu'il a exercé dès lors, en tout état de cause, une activité soumise à l'autorisation du médecin conseil sans avoir obtenu cette autorisation.
8. Il a ainsi mis fin à son incapacité de travail et les premiers juges ont considéré que la fin de l'incapacité de travail doit être fixée au 15 mai 1998, étant celle à laquelle les travaux ont débuté chez le sieur J.J. selon ce que celui-ci a communiqué à l'auditorat du travail de Neufchâteau, l'institut n'ayant pas formé appel quant à la décision administrative notifiée le 21 février 2000 et plus précisément quant à la date du 15 mai 1998 retenue par le tribunal.
9. L'appel incident est non fondé.
Fondement de l'appel principal 1. L'article 2 de l'arrêté royal du 10 janvier 1969 déterminant les sanctions administratives applicables aux bénéficiaires du régime d'assurance obligatoire soins de santé et indemnités dispose qu'est exclu du droit aux indemnités d'incapacité de travail :
1° à raison d'une indemnité journalière au moins et de septante-cinq au plus, le titulaire bénéficiant d'indemnités d'incapacité de travail qui, dans le but de percevoir indûment des indemnités, n'a pas déclaré à son organisme assureur tout revenu professionnel (...).
4° à raison d'une indemnité journalière au moins et de trente au plus, le titulaire, bénéficiant d'indemnités d'incapacité de travail, qui a repris une activité sans y être autorisé par le médecin-conseil de son organisme assureur conformément à l'article 14 de l'arrêté royal du 31 décembre 1963 ;
6° à raison d'une indemnité journalière au moins et de septante-cinq au plus, le titulaire qui après une reprise spontanée du travail ou du chômage, n'en a pas informé son organisme assureur et a continué à percevoir des indemnités d'incapacité de travail.
2. En l'espèce, la décision administrative notifiée le 22 septembre 2000 exclut l'intéressé du droit aux indemnités d'incapacité de travail à concurrence de 21 indemnités journalières (article 2, 1°), 6 indemnités (4°) et 21 indemnités (6°).
3. Ladite décision a bien indiqué la disposition légale précitée et a fait référence aux faits constatés de sorte qu'il y a lieu de constater qu'elle a été motivée à suffisance de droit et de fait.
4. Les sanctions infligées sont par ailleurs proportionnelles à la gravité des faits : elles se situent nettement en dessous des maxima prévus par la réglementation (21 indemnités par rapport à 75 ; 6 par rapport à 30 et 21 par rapport à 75), l'institut appelant ayant dès lors tenu compte, implicitement du moins, de circonstances atténuantes.
4. Subsidiairement, pour le cas où il peut être considéré que la hauteur des sanctions n'a pas été adéquatement motivée, seule l'annulation de la hauteur des sanctions est envisageable et il sied de faire la distinction entre compétence discrétionnaire et compétence liée.
5. Le pouvoir d'appréciation discrétionnaire est le pouvoir non contrôlable - parce qu'appartenant en propre, de par la loi ou en vertu de la loi, à une autorité déterminée à l'exclusion de toute autre de choisir, parmi plusieurs solutions possibles, acceptables, juridiquement admissibles, celle qui est la plus appropriée au cas d'espèce (D. LAGASSE, " Le principe de la séparation des pouvoirs en droit de la sécurité sociale " note sous Cass., 10 juin 1996, R.C.J.B., 1997, p. 465).
6. Cette compétence discrétionnaire doit être distinguée de la compétence liée dont on parle quand la règle de droit impose à l'autorité de donner à sa décision tel contenu bien déterminé, découlant de la réunion des conditions de caractère objectif, pré-définies de telle sorte que l'administration est alors ligotée par la règle de droit (Th. WERQUIN, " Etendue et limites des pouvoirs du juge dans le contentieux de la sécurité sociale " , J.T.T., 1993, p. 338, n° 4).
7. En l'espèce, la Cour estime que l'arrêté royal susdit du 10 janvier 1969 prescrit à l'organisme de sécurité sociale de sanctionner un assuré social dès que certaines conditions sont réunies, l'article 2 énonçant d'ailleurs " est exclu du droit ... et non " peut être exclu " et qu'il s'agit dès lors d'une compétence liée.
8. Il incombait donc au tribunal, après avoir annulé la hauteur des sanctions infligées à l'intéressé, de déterminer le droit aux indemnités d'incapacité de travail de celui-ci en fonction des infractions à la législation constatées dans son chef.
19 En ce cas, il y a lieu d'infliger les mêmes sanctions administratives que celles prévues dans la décision administrative incriminée.
10. L'appel principal est fondé.
11. Les dépens d'appel sont mis à charge de l'appelant au principal en application de l'article 1017, alinéa 2, du code judiciaire.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Vu la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire, Sur avis écrit en partie conforme de Monsieur Frédéric KURZ , Substitut général, déposé au greffe de la Cour le 19 septembre 2002 auquel l'appelant au principal a répliqué par conclusions y reçues le 1er octobre 2002, Statuant contradictoirement, Dit l'appel principal recevable et fondé, Dit l'appel incident recevable mais non fondé, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a statué sur la décision administrative notifiée le 22 septembre 2000, Dit l'action originaire recevable mais non fondée et en déboute l'intimé au principal, Confirme cette décision administrative entreprise, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a statué sur la décision administrative notifiée le 21 février 2000, Condamne l'appelant au principal aux dépens des deux instances non liquidés.
Ainsi jugé par MM.
Charles MARGRAFF, Conseiller faisant fonction de Président, Guy BATHY, Conseiller social au titre d'employeur, Emile HOLTER, Conseiller social au titre de travailleur salarié, qui ont assisté aux débats de la cause, et prononcé en langue française, à l'audience publique de la ONZIEME CHAMBRE de la Cour du travail de Liège, section de Neufchâteau, au Palais de Justice de Neufchâteau, place Charles Bergh, à 6840 NEUFCHATEAU, le TREIZE NOVEMBRE DEUX MILLE DEUX, par les mêmes, en présence du Ministère public, assistés de Jacques LEGRAIN, Greffier.
Suivi de la signature du siège ci-dessus