Cour du Travail: Arrêt du 18 janvier 2010 (Mons (Mons)). RG 2007/AM/20768

Date :
18-01-2010
Langue :
Français
Taille :
49 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20100118-8
Numéro de rôle :
2007/AM/20768

Résumé :

Seules les personnes disposant d'un pouvoir hiérarchique sur les membres du personnel, appartenant à la direction de l'entreprise et/ou assumant la responsabilité d'un ou de plusieurs services de celui-ci tout comme les personnes habilitées à poser seules des actes importants engageant la responsabilité de l'entreprise sont considérées comme des personnes investies d'un poste de direction ou de confiance les excluant du bénéfice de la loi du 16 mars 1971 sur la durée du travail. L'article 19 alinéa 2 de la loi du 16 mars 1971 impose de considérer comme temps de travail le temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l'employeur sans qu'il soit permis de distinguer selon que des prestations soient effectivement accomplies ou non : en effet, seul un arrêté royal peut développer de façon particulière et pour certaines branches d'activité limitativement énumérées une définition spécifique du temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l'employeur. En l'espèce, le temps de garde assumé par Monsieur S.C. en sa qualité d'employé d'une entreprise de pompes funèbres, effectué aussi bien à domicile qu'au sein de l'entreprise, doit être considéré comme du temps de travail et faire l'objet d'une rémunération et d'un sursalaire dès le moment où le travailleur pouvait être appelé à tout moment par la clientèle et ce de manière inattendue. L'employeur qui a délibérément et en poursuivant un même objectif à savoir celui de réaliser des économies, omis de verser pendant toute la période d'exécution des relations de travail la rémunération due à Monsieur S.C. a commis un délit continué qui autorise Monsieur S.C. à réclamer les arriérés de rémunération dus depuis le début des relations contractuelles.

Arrêt :

Ajoutez le document à un dossier () pour commencer à l'annoter.

COUR DU TRAVAIL DE MONS

ARRET

AUDIENCE PUBLIQUE DU 18 JANVIER 2010

R.G. 2007/AM/20768

2ème Chambre

Contrat de travail d'employé-

Arriérés de rémunération réclamés en raison de gardes assurées par un travailleur employé par une entreprise de pompes funèbres -

Fondement délictuel donné à la demande -

Travailleur à la disposition de l'employeur pour toute la durée de la garde dès lors qu'il doit répondre à tout appel imprévu émanant de la clientèle de son employeur -

Violation par l'employeur des lois des 16/3/1971 et 12/4/1965 -

Réunion des éléments constitutifs de l'infraction déduite du non-paiement de la rémunération et des sursalaires dus aux échéances prévues par la réglementation -

Délit continué commis par l'administrateur-délégué de la société étant la personne physique par l'entremise de laquelle l'infraction a pu se réaliser -

Droit pour le travailleur de prétendre à l'ensemble des arriérés de rémunération et des sursalaires dus pendant l'exécution des relations contractuelles et ce, par application de la prescription quinquennale visée à l'article 26 du Titre préliminaire du Code d'instruction criminelle.

Article 578, 7° du Code judiciaire.

Arrêt contradictoire, définitif.

EN CAUSE DE :

S.C., domicilié à .......

Appelant, comparaissant en personne, assisté de son conseil, Maître E. CARLIER, avocat à Bruxelles ;

CONTRE :

La S.A. « LES POMPES FUNEBRES M. », dont le siège social est établi à .....,

Intimée, comparaissant par ses conseils Maître C. VERGAUWEN et Maître M.P. GOMREE, avocates à Bruxelles ;

*******

La Cour du travail, après en avoir délibéré, rend ce jour l'arrêt suivant :

Vu, produites en forme régulière, les pièces de la procédure légalement requises, et notamment la copie conforme du jugement entrepris ;

Vu, l'appel interjeté contre le jugement prononcé contradictoirement le 4 mai 1994 par le Tribunal du travail de Bruxelles, appel formé par requête reçue au greffe de la Cour du travail de Bruxelles le 6 juillet 1994 ;

Vu les arrêts prononcés par la Cour du travail de Bruxelles les 30 avril 1996 et 4 mars 1997 ;

Vu le pourvoi en cassation et l'exploit de sa signification remis au greffe de la Cour de cassation le 18 septembre 1997 dirigé contre l'arrêt rendu le 4 mars 1997 par la Cour du travail de Bruxelles ;

Vu l'arrêt prononcé le 12 octobre 1998 par la 3ème chambre de la Cour de cassation qui a cassé l'arrêt attaqué en ce qu'il a décidé que « l'action était prescrite sur le seul fondement de l'article 15 de la loi du 3 juillet 1978 », réservé les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond et renvoyé la cause devant la Cour du travail de Liège ;

Vu l'acte de signification en date du 29 décembre 1998 de l'arrêt de la Cour de cassation avec citation à comparaître devant la Cour du travail de Liège ;

Vu l'arrêt prononcé le 16 octobre 2003 par la Cour du travail de Liège qui, après avoir dit l'appel et la demande nouvelle recevables, « déclara l'appel en ce qu'une base contractuelle était donnée à l'action originaire, d'ores et déjà non fondé » et avant de statuer sur le surplus, ordonna une réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de débattre des conséquences du fondement délictuel donné par l'appelant à l'objet de sa demande ;

Vu l'arrêt prononcé le 17 août 2004 par la Cour du travail de Liège qui déclara l'appel, en ce qu'une base délictuelle était donnée à l'action originaire, également non fondé, confirma le jugement déféré et déclara la demande reconventionnelle non fondée ;

Vu le pourvoi en cassation et l'exploit de sa signification remis au greffe de la Cour de cassation le 28 janvier 2005 dirigé contre les arrêts prononcés les 16 octobre 2003 et 17 août 2004 par la Cour du travail de Liège ;

Vu l'arrêt prononcé le 23 octobre 2006 par la Cour de cassation, toutes chambres réunies, qui cassa l'arrêt attaqué du 17 août 2004 et celui du 16 octobre 2003 en tant qu'il statue sur la prescription de l'article 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le Titre préliminaire du Code de procédure pénale, rejeta le pourvoi pour le surplus, condamna le demandeur en cassation (Mr S.) à la moitié des dépens, réserva le surplus de ceux-ci pour qu'il y soit statué par le juge du fond et renvoya la cause, ainsi limitée, devant la Cour du travail de Mons qui se conformera à la décision de la Cour sur le point de droit jugé par elle à l'examen du second moyen en sa deuxième branche ;

Vu l'acte de signification en date du 27 juin 2007 de l'arrêt de la Cour de cassation avec citation à comparaître devant la Cour de céans ;

Vu les conclusions de synthèse, pour l'appelant, reçues au greffe le 3 juin 2008 ;

Vu les conclusions de synthèse, pour l'intimée, reçues au greffe le 25 juin 2008 ;

Vu l'arrêt prononcé le 1er décembre 2008 par la Cour de céans lequel, après avoir déclaré la demande originaire de Monsieur S. recevable en tant que fondée sur l'existence alléguée d'une infraction commise par Monsieur R. M. en sa qualité de mandataire de l'intimée, mais avant de statuer quant au fondement de la requête d'appel, ordonna, par application de l'article 992 du Code judiciaire, la comparution personnelle des parties soit Monsieur R. M. en sa qualité d'administrateur-délégué de la S.A. POMPES FUNEBRES M. et Monsieur C. S. auxquels la Cour de céans entendit poser toutes les questions utiles et nécessaires portant, notamment, sur :

- la nature exacte des fonctions exercées par Monsieur S. au service de l'intimée tant dans le cadre du régime normal de travail auquel il était soumis que dans le cadre du service de garde qu'il accomplissait ;

- l'étendue concrète des contraintes auxquelles Monsieur S. était confronté (aux côtés de son épouse) durant l'accomplissement de ses services de garde et la charge de travail qui était la sienne durant ses périodes de garde ;

- le niveau de rémunération convenu verbalement entre parties au moment de l'engagement initial et celui des avantages en nature octroyés par l'intimée en exécution du contrat de travail avenu entre parties ;

Vu le procès-verbal de comparution personnelle du 12/2/09 ;

Vu, pour l'appelant, les conclusions additionnelles et de synthèse après comparution personnelle des parties déposées au greffe le 15/7/09 ;

Vu, pour l'intimée, les conclusions additionnelles et de synthèse après comparution personnelle des parties déposées au greffe le 14/9/09 ;

Vu l'absence de conciliation entre parties ;

Entendu les conseils des parties, en leurs dires et moyens à l'audience publique du 19 octobre 2009 ;

Vu les dossiers des parties ;

* * *

ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE

Monsieur S., né le ...., a été engagé dans les liens d'un contrat de travail d'employé conclu verbalement à durée indéterminée le 15/11/1972 avec la S.A. POMPES FUNEBRES M., ci-devant l'intimée.

Monsieur S. a été reconnu en incapacité de travail à partir du 22/9/1989.

En date du 24/6/1991, Monsieur S. a rompu le contrat de travail avenu entre parties pour motif grave dans le chef de l'intimée reprochant à cette dernière d'avoir retenu indûment des régularisations de salaire imposées par l'inspection des lois sociales.

Monsieur S. a dirigé contre l'intimée une première citation, par exploit d'huissier du 2/8/1991. Il a réclamé à cette occasion le paiement d'arriérés de rémunération pour un total de 42.913 BEF ainsi que la somme de 2.015.970 BEF à titre de dommages et intérêts.

Il n'est pas contesté que cette procédure ne fut pas diligentée.

Monsieur S., par une deuxième citation du 6/10/1992, a réclamé à l'intimée la somme de 18.296.785 BEF, qualifiée dans le dispositif de la citation « d'arriérés de rémunération ». La cause fut introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles à l'audience du 20/10/1992.

Aucune exception de prescription ne fut soulevée par l'intimée.

La demande fut déclarée recevable mais non fondée au terme d'un jugement prononcé le 4/5/1994 par le tribunal du travail de Bruxelles.

Le tribunal fit en effet valoir, d'une part, que la garde à laquelle Monsieur S. tait soumis (et qui avait fondé sa demande de paiement d'heures supplémentaires) lui permettait de vaquer à ses occupations domestiques de telle sorte qu'elle ne correspondait pas à la notion de « disponibilité inconditionnelle de travailler » telle que prévue par la loi et, d'autre part, qu'il restait en défaut d'établir qu'à un moment quelconque des 17 ans d'exécution du contrat, les prestations fournies pendant ses heures de garde, c'est-à-dire les travaux urgents effectués au-delà de la simple accessibilité téléphonique à domicile, ont dépassé en durée mensuelle ce qui lui était alloué sous forme de congé compensatoire jusqu'en 1976 et, à partir de cette date, ont dépassé en importance l'ensemble des avantages qui lui étaient concédés c'est-à-dire à la fois le congé de récupération de + 15 heures par mois et l'allocation d'une indemnisation financière représentant + 20/70èmes de sa rémunération mensuelle.

Monsieur S. interjeta appel par requête déposée au greffe de la Cour du travail de Bruxelles le 6/7/1994.

Le dispositif de cette requête tendait à entendre déclarer la demande originaire recevable et fondée.

L'intimée a soulevé le moyen déduit de la prescription quinquennale conformément à l'article 26 du Code d'instruction criminelle et fit valoir que les seuls montants éventuellement dus dans l'hypothèse où la preuve de prestations effectivement accomplies lors des gardes serait rapportée et qui pourraient être prises en considération étaient ceux relatifs à la période du 6/10/1987 au 22/09/1989, date du début de l'incapacité de travail de Monsieur S..

Monsieur S. répliqua à cet argument en faisant observer qu'en l'espèce le non-paiement de la rémunération à laquelle il prétendait avoir droit constituait une infraction continuée de telle sorte que la prescription quinquennale prenait cours à dater du dernier fait délictuel.

L'intimée fit, toutefois valoir qu'en l'espèce, l'élément moral de l'infraction (volonté de commettre ce comportement ou cette omission coupable) faisait défaut.

La Cour du travail de Bruxelles prononça le 30/04/1996, un premier arrêt au terme duquel elle invita les parties à s'expliquer « sur l'application éventuelle de l'article 15 de la loi du 3/7/1978 ».

Au terme d'un second arrêt prononcé le 4/3/1997, la Cour du travail de Bruxelles fit valoir que « l'article 15 de la loi du 3/7/1978 s'appliquait indéniablement au présent litige relatif à un contrat de travail de telle sorte que l'action introduite le 6/10/1992, soit plus d'un an après la rupture des relations de travail (24/06/1991) était prescrite ».

Monsieur S. se pourvut en cassation contre cet arrêt.

La première branche du moyen de cassation qu'il a alors soumis à la Cour de cassation énonçait que l'arrêt du 30 avril 1996 constatait expressément que son action tendait au paiement d'heures supplémentaires et que d'ailleurs l'actuelle intimée invoquait à titre subsidiaire l'article 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, de sorte que l'arrêt ne pouvait, sans violer ledit article 26, décider d'appliquer la prescription prévue par l'article 15 de la loi du 3 juillet 1978.

Le moyen a été accueilli en cette branche, par l'arrêt prononcé le 12 octobre 1998 par la Cour de cassation, dans les termes suivants :

"Attendu que l'arrêt du 30 avril 1996 constate que l'action du demandeur (Mr S.) a pour objet la condamnation de la défenderesse au paiement de "rémunérations (pour récupération d'heures supplémentaires) "; que dans ses conclusions d'appel le demandeur s'est fondé sur l'infraction de non-paiement de rémunérations prévues par une convention collective de travail rendue obligatoire par arrêté royal et a expressément invoqué l'application de la prescription quinquennale instaurée par l'article 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale ; attendu que l'arrêt qui décide que l'action est prescrite sur le seul fondement de l'article 15 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail viole les dispositions légales indiquées au moyen."

La cause fut renvoyée à la Cour du travail de Liège.

Dans les conclusions de synthèse qu'il a déposées devant la juridiction de renvoi, Monsieur S.a notamment énoncé (conclusions, p. 12) ce qui suit :

"L'action tendant au paiement de la rémunération restant due au moment de la rupture est fondée sur une disposition pénale qui sera prescrite après cinq années révolues à compter du jour où l'infraction a été commise. Cette prescription est d'ordre public et doit être invoquée d'office par le juge. En l'espèce, il n'est pas contestable que le montant réclamé est calculé notamment sur base d'une convention collective rendue obligatoire par arrêté royal. La présente action étant rémunératoire, c'est le délai de prescription de cinq ans qui paraît applicable. La question de savoir si le concluant peut rattacher la prescription de la présente action à l'article 26 du titre préliminaire du Code d'instruction criminelle et non à celle de l'article 15 de la loi du 3 juillet 1978 est celle de savoir si l'action visée est, ou non, assortie d'un élément intentionnel."

Monsieur S. faisait également valoir, dans l'hypothèse de l'application du délai d'un an prescrit par l'article 15 de la loi du 3 juillet 1978, que cette prescription avait été valablement interrompue par la citation du 2 août 1991 :

`La citation du 2 août 1991 parle du "retard mis à régulariser la rémunération et d'autres actes de harcèlement, tels que la fourniture de renseignements erronés à l'administration fiscale" pour aboutir à réclamer plus de deux millions de dommages et intérêts sous toutes réserves (d'augmentation ou de minoration en cours d'instance) ; il paraît peu crédible de soutenir que "cette première citation n'avait nullement trait à une réclamation portant sur des arriérés de salaire" sauf à considérer que "régulariser une rémunération " ne doit pas s 'entendre comme "régulariser des arriérés de salaires" ; en toute hypothèse, la seconde citation porte notamment expressément sur le non-paiement d'heures supplémentaires."

Monsieur S. énonçait ensuite (les mêmes conclusions, p. 21) :

"3. Calcul de l'indemnité. Le concluant s'en réfère, pour le calcul de l'indemnité compensatoire d'heures supplémentaires ou d'absence de repos compensatoire normalement rémunéré aux conclusions prises devant les premiers juges et au décompte présenté au dossier."

Monsieur S. faisait ensuite valoir ( les mêmes conclusions, p. 29) :

"7. Prescription quinquennale. L'intimée soutenait devant le premier juge que le non-paiement de la rémunération est une infraction instantanée et non continue et en déduit que le délai de prescription ne prendrait pas cours à la date du dernier fait délictuel mais bien cinq ans avant l'acte introductif d'instance, pour limiter la période du 6 octobre 1987 au 22 septembre 1989(...). Le concluant pour sa part considère qu'il s 'agit d'une infraction continuée, la prescription civile quinquennale prenant alors cours à dater du dernier fait délictuel."

Le dispositif des mêmes conclusions (p. 50) tendait à entendre condamner l'actuelle intimée à payer à Monsieur S.:

- à titre principal : 425.362, 72 euro

- à titre subsidiaire : 127.603, 42 euro

- à titre plus subsidiaire, délit instantané : 63.331,98 euro

Dans ses conclusions de synthèse devant la juridiction de renvoi, Monsieur S. avait notamment énoncé (ses conclusions, p. 8) que la prescription annale avait été interrompue par la citation du 2 août 1991.

L'actuelle intimée fit valoir en réplique que la citation du 2 août 1991 ne pouvait avoir la moindre influence sur la prescription de l'action mue le 6 octobre 1992, cette première citation ayant pour objet des chefs de réclamation totalement étrangers à ceux qui étaient formulés dans le cadre de la deuxième citation (idem p. 9).

Elle énonçait ensuite (les mêmes conclusions, p. 10) :

"2 ° quant à l'application du délai de prescription de l'article 26 du Code d'instruction criminelle. Attendu que l'appelant ne peut pas non plus invoquer valablement d'autres délais de prescription plus longs en se fondant sur le caractère infractionnel des griefs formulés à l'encontre de la concluante".

Elle déduisait cette thèse de l'absence d'élément intentionnel caractérisant l'infraction qui lui était reprochée.

La Cour du travail de Liège prononça le 16 octobre 2003 le premier arrêt attaqué.

Cet arrêt examina successivement la base contractuelle et la base délictuelle de l'action.

Statuant sur la base contractuelle, il considéra que sur cette base l'action était prescrite au motif qu'aucun effet d'interruption ou de suspension de la prescription annale ne pouvait s'attacher à la citation du 2 août 1991.

Statuant ensuite sur la base délictuelle de l'action, l'arrêt énonça que si Monsieur S. donnait un fondement délictuel à son action en se basant sur l'infraction alléguée de non-paiement de la rémunération, invoquant ainsi la prescription de cinq ans fondée sur l'article 26 du Titre préliminaire du Code d'instruction criminelle, il continuait néanmoins à réclamer le paiement de la rémunération pour les heures supplémentaires, c'est-à-dire l'exécution d'une obligation contractuelle et non la réparation du dommage subi par l'infraction invoquée.

Se fondant sur les arrêts prononcés par la Cour de cassation les 13 juin 1994 (Bull., 1994, p. 580), 2 octobre 1998 (Bull., 1998, p. 1024) et 9 septembre 1992 (J.T.T., 2002, p. 457), l'arrêt énonça que le juge ne pouvait faire application de l'article 26 de la loi du 17 avril 1878 formant titre préliminaire du Code d'instruction criminelle à une action qui, née du contrat de travail, tendait à l'exécution d'obligations contractuelles.

L'arrêt ordonna la réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de débattre des conséquences du fondement donné par Monsieur S. à l'objet de sa demande dès lors que tout en donnant un fondement délictuel à son action, il continuait à réclamer à l'actuelle intimée le paiement de la rémunération pour les heures supplémentaires qu'il prétendait avoir prestées, c'est-à-dire qu'il entendait poursuivre l'exécution d'obligations contractuelles.

Au terme de ses conclusions après réouverture des débats, Monsieur S. fit valoir « qu'il ne s'était jamais battu sur deux bases juridiques distinctes (indemnisation ou rémunérations) mais uniquement sur base d'un montant indemnitaire ; le dommage résultant de l'infraction de non-paiement de la rémunération ou du non-octroi de congés compensatoires sera intégralement réparé par l'allocation de dommages et intérêts correspondant à la contre-prestation qu'un employeur respectueux de la loi eût donné (heures supplémentaires et congés compensatoires) » (ses conclusions, p. 5).

Dans ses conclusions après réouverture des débats, l'actuelle intimée précisa que Monsieur S., conscient sans doute des conséquences liées aux demandes formulées par lui, tentait, sur réouverture des débats, de modifier le fondement de celles-ci en soutenant qu'il agissait ex delicto, et non sur une base contractuelle, en réparation d'un dommage résultant d'une infraction.

Elle a ensuite fait valoir (ses conclusions, p. 7) que "C'était pour la première fois sur réouverture des débats que (le demandeur) tentait de modifier l'objet de sa demande en soutenant qu'il sollicitait la réparation d'un prétendu dommage résultant d'une prétendue infraction qu'aurait commise la (défenderesse) ".

Elle a en substance souligné que l'objet de la réouverture des débats étant limité à la contestation relative au fondement de la demande, cette réouverture des débats ne pouvait pas porter sur l'objet de celle-ci.

Elle a maintenu la thèse selon laquelle l'objet de la demande portait exclusivement sur le paiement de montants contractuellement dus.

Le second arrêt attaqué, prononcé le 17 août 2004, déclara la demande de Monsieur S. non fondée en prétendant pouvoir s'appuyer sur l'enseignement de la Cour de cassation selon lequel « le juge ne pouvait faire application de la prescription quinquennale prévue à l'article 26 du Titre préliminaire du Code d'instruction criminelle à son action qui, née du contrat de travail, tendait à l'exécution d'obligations contractuelles ».

Monsieur S. se pourvut en cassation contre les arrêts prononcés les 16/10/2003 et 17/8/2004 par la Cour du travail de Liège.

« « «

ENSEIGNEMENT A DEDUIRE DE L'ARRET DE RENVOI PRONONCE LE 23 OCTOBRE 2006 PAR LA COUR DE CASSATION TOUTES CHAMBRES REUNIES

Au terme de l'arrêt de renvoi prononcé le 23/10/2006 toutes chambres réunies (la Cour de cassation a, en effet, considéré que la décision de l'arrêt attaqué du 17/8/2004 que critiquait la deuxième branche du second moyen était inconciliable avec l'arrêt de renvoi du 12/10/1998, le moyen en cette branche ayant la même portée que celui qui fut accueilli par cet arrêt, de telle sorte que le pourvoi devait, dès lors, être examiné par les chambres réunies de la Cour), la Cour de cassation cassa ces deux arrêts et renvoya la cause devant la Cour de céans qui, conformément au prescrit de l'article 1120 du Code judiciaire, est tenue de se conformer au point de droit jugé par elle à l'examen du second moyen en sa deuxième branche à savoir que : « L'article 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige, s'applique à toute demande tendant à une condamnation qui se fonde sur des faits révélant l'existence d'une infraction, alors même que ces faits constituent également un manquement aux obligations contractuelles du défendeur et que la chose demandée consiste en l'exécution de ces obligations. Il ressort de l'arrêt attaqué du 16/10/2003 que l'action du demandeur avait pour objet la condamnation de la défenderesse au paiement « d'arriérés de rémunération pour heures supplémentaires » et que le demandeur a « donné un fondement délictuel à son action en se basant sur la (prétendue) infraction de non-paiement de la rémunération » invoquant, à cet effet, la prescription quinquennale prévue à l'article 26 de la loi du 17/4/1878.

L'arrêt attaqué du 17/8/2004 qui refuse d'examiner la prescription de la demande au regard dudit article 26 au motif que le demandeur persiste « à réclamer [...] l'exécution d'obligations contractuelles et non la réparation du dommage subi par l'infraction invoquée » viole cette disposition légale.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé », conclut la Cour de cassation.

La portée de l'enseignement issu de l'arrêt de renvoi prononcé toutes chambres réunies le 23/10/2006 peut être résumée comme suit : à partir du moment où les faits invoqués par le salarié sont susceptibles de révéler l'existence d'une infraction, son action est considérée comme trouvant son fondement dans un délit et elle ne peut plus être considérée comme constitutive d'une action contractuelle.

Cette action est soumise à la prescription de l'action publique relative à cette infraction et ce même si le demandeur invoque à l'appui de sa demande la violation du contrat de travail avenu entre parties et même si tant ce contrat que l'infraction peuvent en constituer la demande.

Pour que la prescription pénale soit applicable, il faut qu'une infraction soit la cause du dommage dont la réparation est demandée.

* * *

ENSEIGNEMENT A DEDUIRE DE L'ARRET PRONONCE PAR LA COUR DE CEANS LE 1er DECEMBRE 2008

Au terme de son arrêt prononcé le 1er décembre 2008, la Cour de céans a constaté, sur base de l'enseignement dispensé par la Cour de cassation par son arrêt de renvoi prononcé le 23 octobre 2006 toutes chambres réunies et sur base des faits invoqués par Monsieur S. susceptibles, le cas échéant, de révéler l'existence d'une infraction pénale commise par Monsieur R. M., en sa qualité de mandataire de l'intimée, que Monsieur S. était habilité à donner un fondement délictuel à sa demande sur pied des dispositions de l'article 26 du Titre préliminaire du Code d'instruction criminelle de telle sorte que sa demande originaire telle qu'introduite par citation du 6 octobre 1992 devrait été qualifiée de recevable dès lors qu'elle avait été introduite avant l'expiration du délai de prescription (22/09/1994).

La Cour de céans fit, également, valoir que la requête d'appel de Monsieur S. formulée à l'encontre du jugement querellé, devait, également, être déclarée recevable dès lors qu'elle avait été introduite dans les formes et délais légaux.

Néanmoins, la Cour de céans estima, s'agissant de l'analyse du fondement de la requête d'appel de Monsieur S., qu'en l'état actuel du débat judiciaire, elle ne disposait pas de tous les éléments lui permettant d'asseoir pleinement sa conviction ce qui la conduisit à ordonner la comparution personnelle des parties, seule mesure d'instruction susceptible de lever les « zones d'ombre » entourant ce dossier et ce grâce au débat interactif qu'elle impliquait, les parties étant invitées à débattre contradictoirement, sur base des pièces des dossiers soumis à leur réflexion, des questions portant notamment sur :

- la nature exacte des fonctions exercées par Monsieur S. au service de l'intimée tant dans le cadre du régime normal de travail auquel il était soumis que dans le cadre du service de garde qu'il accomplissait ;

- l'étendue concrète des contraintes auxquelles Monsieur S. était confronté (aux côtés de son épouse) durant l'accomplissement de ses services de garde et la charge de travail qui était la sienne durant ses périodes de garde ;

- le niveau de rémunération convenu verbalement entre parties au moment de l'engagement initial et celui des avantages en nature octroyés par l'intimée en exécution du contrat de travail avenu entre parties.

Monsieur S. soutient que l'arrêt dont question prononcé le 1/12/08 constitue une décision mixte en ce qu'il comporte tant des dispositions définitives (couvertes par l'autorité de chose jugée en ce qu'il a définitivement tranché la question de la recevabilité de son action) que des dispositions avant dire droit en ce qu'il a décidé d'ordonner la comparution personnelle des parties.

Il est incontestable que l'arrêt du 1er décembre 2008 constitue une décision mixte mais Monsieur S. procède à une lecture erronée des motifs décisoires de cet arrêt : en effet, contrairement à ce que prétend Monsieur S., la Cour de céans ne s'est évidemment pas prononcée sur l'existence des éléments constitutifs de l'infraction alléguée par ses soins déduite du non-paiement par l'intimée de congés compensatoires normalement rémunérés ou rémunérés sous forme de « sursalaires ».

La Cour de céans s'est simplement bornée, à ce stade du débat judiciaire, à vérifier la qualification des faits lui soumis aux fins d'examiner s'ils étaient susceptibles, le cas échéant, de constituer une infraction pénale, ce qui était le cas en l'espèce, situation qui conduisit la Cour à déclarer la demande de Monsieur S. recevable dès lors qu'elle présentait un fondement délictuel. Pareil constat impliquait, toutefois, l'obligation dans le chef de Monsieur S. de prouver tous les éléments constitutifs de l'infraction alléguée à savoir tant l'élément matériel (à savoir le non-respect d'une disposition sanctionnée pénalement) que s'il y a lieu l'élément moral mais, également, l'imputabilité de l'infraction à Monsieur R. M. (personne physique par l'entremise de laquelle l'intimée aurait commis l'infraction alléguée) en démontrant l'inexistence des moyens de non imputabilité qui seraient soulevés par Monsieur R. M., personne physique qui a assuré, durant la période litigieuse, la gestion journalière des établissements appartenant à l'intimée.

Certes, la Cour a évoqué la notion de responsabilité pénale en droit social mais elle n'a pas, à ce stade du débat judiciaire, appliquer ces principes au cas d'espèce lui soumis dès lors qu'elle n'a pas abordé l'examen du fondement de la demande formée par Monsieur S., les questions relatives tant à l'examen de l'élément matériel de l'infraction alléguée que, le cas échéant, celles portant sur l'analyse de l'élément moral mais, également, celles ayant trait à la problématique de l'imputabilité de l'infraction relevant du fond du litige.

Il convient, en effet, de procéder à une distinction entre les conditions d'exercice de l'action civile fondée sur une infraction (soit la problématique de la recevabilité de l'action) et les conditions de fond de cette action à savoir l'analyse des éléments constitutifs de l'infraction alléguée par Monsieur S. et qui aurait été commise par Monsieur R. M., en sa qualité de mandataire de l'intimée.

* * *

PREUVE ET MESURE D'INSTRUCTION ORDONNEE PAR LA COUR DE CEANS

Lorsqu'une action en justice est fondée sur une infraction à la loi pénale, c'est au demandeur à l'action qu'incombe la preuve de l'imputabilité de cette infraction au défendeur ou de l'inexistence de la cause de justification alléguée par ce dernier, pour autant que cette allégation ne soit pas dépourvue de tout élément permettant de lui accorder crédit (Cass. 23 janvier 1981, Pas. 1981, 550 ; Cass. 11 février 1991, J.T.T. 1991, 298).

En cette hypothèse, le demandeur est placé dans la même situation qu'en matière répressive où le prévenu n'a aucune preuve à fournir et où il appartient à la partie publique ou à la partie civile d'établir l'inexactitude des allégations du prévenu si celles-ci ne sont pas dénuées de tout élément de nature à leur donner crédit (voyez note 2 signée E.L. sous Cass., 10/12/1981, Pas., 1982, I, p.496).

Selon l'enseignement constant de la Cour de cassation, en matière répressive, lorsque la loi n'établit pas un mode spécial de preuve, le juge apprécie, en fait, et, dès lors, souverainement la valeur probante des éléments de la cause que les parties ont librement pu contredire, pour autant qu'il ne viole pas la foi due aux actes qui lui sont soumis (Cass., 15/09/1981, 05/01/1982 et 22/06/1982, Pas., 1982, I, pp. 78, 565 et 1234).

Ainsi, pour statuer sur l'existence de l'infraction alléguée, la juridiction peut, comme le ferait une juridiction répressive connaissant de l'action publique, prendre en considération comme présomption de fait, au demeurant non soumise aux conditions de l'article 1353 du Code civil, tous les éléments qui lui sont régulièrement soumis, que les parties ont pu contredire et dont la crédibilité lui paraît suffisante pour fonder sa conviction (voyez : Cass., 18/06/1985, Pas., I, p. 1335).

Ainsi, apparaissent inapplicables en matière civile, s'agissant d'une action « ex delicto », comme ils sont inapplicables en matière répressive, l'article 870 du Code judiciaire au terme duquel chacune des parties a la charge de prouver les faits qu'elle allègue et l'article 1315 du Code civil selon lequel, notamment, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait extinctif de l'obligation, disposition dont l'article 870 n'est que la généralisation. (Cass., 10/12/1981, précité et C.T. Mons, 27/2/03, RG 17334, inédit)

Il sied, à cet effet, de rappeler les règles propres à l'administration de la preuve en matière pénale (voyez à cet effet : M. FRANCHIMONT, A. MASSET et A. JACOBS « Manuel de procédure pénale », 2ème éd., 2006, p. 1010 à 1017) : « (...) Le principe est celui de la liberté dans l'administration de la preuve qui constitue un contrepoids au principe de la charge de la preuve qui incombe à la partie poursuivante ... Le juge peut asseoir sa conviction sur tous les éléments régulièrement obtenus et que les parties ont pu librement contredire. Le fondement rationnel du principe de la liberté dans l'administration de la preuve résulte dans le souci de rechercher la vérité en ne limitant pas les moyens qui peuvent la révéler...Dès lors, en dehors des procès-verbaux et des témoignages auxquels fait référence le Code d'instruction criminelle, il existe de multiples moyens de preuves, et notamment : l'aveu du prévenu, les déclarations recueillies au cours de l'information et de l'instruction, les écrits et documents, les constatations et les indices qui peuvent faire l'objet éventuellement d'une expertise par les hommes de l'art, les présomptions de l'homme, les déclarations faites au cours de l'information préparatoire par des coprévenus ou des coauteurs de l'infraction... » précisent ces auteurs.

Sur base de cet enseignement, la Cour de céans a estimé indispensable à la manifestation de la vérité judiciaire d'ordonner la comparution personnelle des parties.

Sans exclure la possibilité d'ordonner d'autres mesures d'instruction, la Cour de céans estime que la comparution personnelle des parties constitue à l'instar de l'instruction d'audience menée par une juridiction pénale, la mesure d'instruction la plus appropriée pour asseoir sa conviction et ce au regard de la complexité du dossier lui soumis, les déclarations et commentaires des parties enregistrés dans le cadre d'un débat contradictoire au départ des questions leur posées par la Cour de céans sur base des éléments produits à l'appui de leur dossier respectif constituant des présomptions de l'homme dont il appartient à la Cour d'en apprécier la valeur probante en rapport avec les autres éléments de la cause. Partant, l'intimée est en droit, après l'audience de comparution personnelle, de soumettre à la Cour de nouveaux documents ou témoignages complémentaires voire de solliciter de nouveaux devoirs d'instruction.

En effet, les parties sont évidemment libres de fournir à la Cour tout autre élément de nature à lui apporter des informations complémentaires sur les questions ayant fait l'objet de la comparution personnelle, la Cour de céans disposant bien entendu de la liberté d'en apprécier la pertinence et la valeur probante au regard des enseignements qu'elle a pu déduire de l'interrogatoire contradictoire des parties auquel elle a procédé dans le cadre de leur comparution personnelle.

Il résulte des développements qui précédent que Monsieur S. supporte la charge de prouver qu'il relève du champ d'application de la loi du 16/03/1971 sur le travail et qu'il n'est, dès lors, pas visé par l'arrêté royal du 10/02/1965 désignant les personnes investies d'un poste de direction et de confiance, ce constat étant nécessaire pour pouvoir réclamer la condamnation de l'intimée au payement des congés compensatoires normalement rémunérés ou rémunérés sous forme de « sursalaires » après que Monsieur S. ait établi tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée à Monsieur M. (personne physique par l'entremise de laquelle l'intimée aurait commis l'infraction alléguée consistant en la violation de la loi du 16/03/1971) à savoir tout élément matériel (non-respect d'une disposition sanctionnée pénalement ) que s'il y a lieu l'élément moral mais, également, l'imputabilité de l'infraction à Monsieur M. en démontrant l'inexistence des moyens de non-imputabilité qui seraient soulevés par Monsieur R. M., personne physique, qui a assuré, durant la période litigieuse, la gestion journalière des établissements de l'intimée.

* * *

RAPPEL DES FAITS DE LA CAUSE

Il résulte des conclusions et des dossiers des parties soumis à la Cour de céans que les faits de la cause peuvent se résumer comme suit :

Monsieur S., né le ..., a été engagé par l'intimée, le 15/11/1972, dans le cadre d'un contrat de travail d'employé conclu verbalement à durée indéterminée sur base d'un régime de travail normal avec une semaine de garde par mois dans le cadre de laquelle il assurait, sous les ordres de Monsieur R. M., administrateur-délégué de l'intimée, selon un rôle auquel étaient soumis d'autres travailleurs, jour et nuit, week-end compris, comme pendant les heures normales de travail, la majorité des prestations afférentes à la gestion journalière de plusieurs succursales d'une entreprise de pompes funèbres.

Il n'est pas contesté que Monsieur S. se vit mettre à sa disposition un appartement (situé au-dessus des établissements de l'intimée) (les parties s'opposent néanmoins entre elles sur le caractère gratuit de cet avantage, Monsieur S. soutenant qu'une somme mensuelle de 2.000 BEF fut prélevée sur sa rémunération pour compenser partiellement l'avantage octroyé alors que l'intimée prétend que « cet avantage en nature a uniquement donné lieu à un retrait de salaire de 2.000 BEF/mois durant l'année 1980) mais il fit l'acquisition en 1982 d'un immeuble voisin qui sera relié au téléphone de l'entreprise.

A partir de cette date (1982), l'avantage en nature que représentait jusqu'ores la gratuité partielle de l'appartement mis à sa disposition fut converti par la prise en charge par l'intimée de sa consommation de gaz et d'électricité ainsi que par la délivrance de chèques-repas d'une valeur de 48.000 BEF.

Par courrier du 19/4/1976, l'intimée se félicita des prestations accomplies par Monsieur S., refusa de le libérer dans un premier temps le mercredi après-midi mais accepta, néanmoins, que Monsieur S. quitte son travail « lorsque le travail le permettait » pour conduire son épouse.

A partir du 1/12/1976, en raison de difficultés financières auxquelles il était confronté, Monsieur S. assurera, à sa demande, une seconde semaine de garde (il ne fut plus assisté de son épouse en qualité de téléphoniste de garde à cette occasion et perçut, en compensation, une rémunération en noir de 7.500 BEF/mois tout en continuant à bénéficier d'un après-midi de congé par semaine devant compenser la première semaine de garde). Cette seconde semaine de garde était auparavant assurée par Monsieur R. M., administrateur-délégué de l'intimée.

Faisant suite à une demande formulée par courrier du 1/3/1978, l'intimée porta cette indemnité due pour l'accomplissement de cette seconde semaine de garde à 10.000 BEF/mois et à 12.500 BEF/mois en 1980.

Par courrier du 22/9/1980, Monsieur S. qui s'inquiétait du respect à son égard de la réglementation sociale exposa à la CNE ses conditions de travail et de rémunération sans résultat tangible.

Monsieur S. effectuera la même démarche auprès de l'Inspection des lois sociales, par courrier du 3/3/1981, laquelle lui répondit par courrier du 25/3/1981.

Monsieur S. sollicita, également, en octobre 1981, un rendez-vous auprès d'un avocat bruxellois aux fins d'envisager le règlement de sa situation de travail mais cette entrevue ne fut suivie d'aucune suite concrète.

Le 1/1/1982, la rémunération pour la seconde semaine de garde fut portée à 18.500 BEF/mois et le 1/2/1984 à 20.000 BEF/mois, toujours « en noir ».

Au terme d'un courrier du 2/3/1985 adressé à Monsieur R. M., Monsieur S. confirma sa disponibilité pour assurer sa seconde semaine de garde tout en rendant son correspondant conscient des difficultés d'organisation qu'une telle garde engendrait pour sa famille dès lors que son épouse devait attendre son retour avant de pouvoir vaquer à ses occupations.

Il n'est pas contesté qu'à tout le moins, en 1980, des revenus complémentaires d'un montant de 120.000 BEF ont été déclarés au nom de l'épouse de Monsieur S. pour éviter une trop grande imposition dans son chef alors que son épouse n'avait aucun lien contractuel avec l'intimée. Le solde dû à Monsieur S. lui était versé, comme pour les autres années, « en noir ».

La même opération fut réitérée en 1981 (une fiche de rémunération 281.50 fut complétée au nom de Madame S. et l'intimée y renseigna la perception ... dans son chef d'une somme de 132.500 BEF), le solde dû à titre de prestations de garde étant versé « en noir » à Monsieur S..

En 1983, 1984 et 1985, une partie des montants dus à Monsieur S. fut versée à son beau-père, l'intimée prenant même en charge une partie des impôts dus par ce dernier pour l'année 1986 ...

Le 1/7/1985, Monsieur S. s'adressa à un conseiller spirituel à qui il dénonça l'injustice, l'exploitation et l'oppression dont sa femme et lui-même étaient victimes en raison des prestations de garde.

Il résulte, en effet, des pièces du dossier de Monsieur S., et plus précisément des rôles de garde établis pour les années 1979 à 1989 que Monsieur S. et son épouse (non liée contractuellement à l'intimée) ont assuré la permanence des services qui rentraient dans ses attributions (à savoir la gestion journalière de l'établissement de l'intimée et des diverses sociétés rachetées par cette dernière) selon un rôle de garde.

Les rôles se divisaient horizontalement en semaines et verticalement en téléphonistes de garde et gérants de garde et laissaient apparaître à de nombreux endroits le patronyme de Monsieur S. dans les deux colonnes quand son épouse assurait la garde téléphonique.

Monsieur S. tomba en dépression nerveuse le 22/9/1989 jusqu'au 24/6/1991 date à laquelle son organisation syndicale porta à la connaissance de l'intimée sa décision de rompre le contrat de travail pour motif grave reprochant à l'intimée d'avoir retenu indûment des régularisations de salaire imposées par l'Inspection des lois sociales.

Au terme de ce courrier du 24/6/1991, l'organisation syndicale de Monsieur S. réclama, également, des dommages et intérêts évalués à 2.015.970 BEF, somme correspondant, selon elle, à l'indemnité de rupture à laquelle Monsieur S. pouvait prétendre s'il avait été licencié par l'intimée qui était seule responsable de la rupture des relations contractuelles.

Par citation du 02/08/1991, Monsieur S. assigna l'intimée en paiement desdits arriérés et en dommages et intérêts pour faute grave.

Cette procédure ne fut, toutefois, pas diligentée.

Par citation du 6/10/1992, Monsieur S. assigna l'intimée en paiement de la somme de 18.296.785 BEF à titre d'indemnité compensatoire de rémunération pour l'intégralité des heures de garde prestées sans congé compensatoire normalement rémunéré.

Il s'agit de la procédure actuellement mue devant la Cour de céans.

* * *

OBJET ACTUALISE DE LA PRESENTE ACTION ET SAISINE DE LA COUR DE CEANS

La Cour de céans est saisie de l'ensemble du litige opposant les parties à l'exception de la problématique portant sur la recevabilité et le fondement de la demande reconventionnelle introduite par l'intimée devant les Cours du travail de Bruxelles et de Liège.

En effet, l'intimée a abandonné sa demande reconventionnelle portant sur le caractère « téméraire et vexatoire » de la procédure diligentée par Monsieur S. à son encontre.

La Cour de céans est, dès lors, saisie au terme de la citation (après cassation) du 27/06/07 de la demande formulée par Monsieur S. laquelle a été actualisée par celui-ci au terme de conclusions additionnelles et de synthèse après comparution personnelle des parties à savoir :

à titre principal :

- 476.239,45 euro bruts à titre d'indemnité compensatoire d'heures supplémentaires - ou d'absence de repos compensatoire - calculés au taux de 150 % (au lundi au samedi) et de 200 % (dimanche) pour toute la période infractionnelle soit du 15/11/1972 (début des relations de travail) au 24/06/91 (date de la rupture du contrat de travail) ou, subsidiairement 267.782,19 euros bruts calculés au taux de 100 % si Monsieur S. devait être considéré comme ayant occupé un poste de direction ou de confiance ;

à titre subsidiaire :

- 135.142,88 euro bruts à titre d'indemnité compensatoire d'heures supplémentaires - ou d'absence de repos compensatoire - calculés au taux de 150 % (au lundi au samedi) et de 200 % (dimanche) depuis le 24/06/1986 jusqu'à la rupture du contrat de travail le 24/06/91 ou, subsidiairement 75.379,99 euros bruts calculés au taux de 100 % si Monsieur S. devait être considéré comme ayant occupé un poste de direction ou de confiance ;

à titre plus subsidiaire :

- 88.342,43 euro bruts à titre d'indemnité compensatoire d'heures supplémentaires - ou d'absence de repos compensatoire - calculés au taux de 150 % (au lundi au samedi) et de 200 % (dimanche) depuis le 6/10/87 jusqu'à date de la rupture du contrat de travail soit le 24/06/91 ou, subsidiairement 49.663,72 euros bruts calculés au taux de 100 % si Monsieur S. devait être considéré comme ayant occupé un poste de direction ou de confiance.

Monsieur S. postule que ces montants soient majorés des intérêts compensatoires et judiciaires à capitaliser dès qu'ils portent sur une année entière.

Enfin, Monsieur S. demande, également, à la Cour de céans, que l'intimée soit condamnée aux dépens.

* * *

DISCUSSION - POSITION DE LA COUR DE CEANS

1. Analyse du fondement de la requête d'appel

1.1.Nature et importance des fonctions exercées par Monsieur S.

L'intimée soutient que Monsieur S. faisait partie du personnel de direction ou de confiance au sens de l'arrêté royal du 10 février 1965 et qu'il n'était dès lors pas soumis aux limites journalières et hebdomadaires de travail établies par ou en vertu de la loi du 16 mars 1971.

De son côté, Monsieur S. fait valoir que si la Cour de céans a décidé d'entendre les parties afin de lever certaines zones d'ombre, formulant, à cet effet, des questions portant, néanmoins, sur la nature exacte des fonctions exercées, il entend y répondre en se fondant uniquement sur les propos échangés lors de la comparution personnelle des parties et consignés dans le procès-verbal de comparution dressé le 12/02/09.

Avant d'aborder l'examen relatif à la nature des fonctions exercées par Monsieur S., aux fins de vérifier s'il était investi d'un poste de direction ou de confiance par l'arrêté royal du 10/02/65, la Cour de céans entend rappeler trois principes essentiels :

1) Les dispositions qui régissent la durée du travail sont principalement contenues dans la loi du 16/03/1971 sur le travail. Il s'agit de dispositions d'ordre public de telle sorte que toute clause du contrat de travail ou du règlement de travail qui exonérait l'employeur de ses obligations ou par laquelle le travailleur renoncerait à ses droits serait nulle (C.T. Bruxelles, 4/5/1993, R.G. 24.090, inédit).

Cela signifie aussi que ni l'aveu extra judiciaire ni l'aveu judiciaire (la reconnaissance volontaire par une partie d'un fait constitue un aveu sans qu'il soit requis que cette partie ait eu l'intention de fournir une preuve à la partie adverse (Cass, 2/5/1988, Pas., I, p. 1043) ) ne peuvent concerner des causes à propos desquelles la loi n'autorise pas de disposer ou à propos desquelles il ne peut être transigé (Cass., 13/11/2000, R.G. S.2000. 0064.N).

Tel est assurément le cas de la législation sur la durée de travail dès lors qu'elle présente un caractère d'ordre public.

2) La Cour n'est en aucune façon liée par la qualification directe que les parties ont donnée à leurs relations de travail. Si la règle est rarement exprimée sous cette forme par la Cour de cassation (Cass., 07/09/1992, Chr. D. Soc., 1993, p.13 et Cass.,15/02/1982, Bull. , 1982, p. 741), son existence ne fait aucun doute.

Pareille évidence signifie, ainsi, qu'il s'impose, dans le chef de la Cour de céans, d'examiner le contenu réel des fonctions exercées par Monsieur S. au cours de la période litigieuse (tel était pour partie l'objet de la comparution personnelle) pour ainsi qualifier légalement les prestations accomplies par Monsieur S.. La Cour de céans n'a donc pas à tenir compte des titres que les parties ont pu attribuer à Monsieur S., si les fonctions exercées réellement ne correspondent pas au contenu que la loi donne à ces titres.

3) Les travailleurs investis d'un poste de direction ou de confiance sont définis à l'article 2, I, 1) de l'arrêté royal du 10/02/1965. A cet effet, sont considérées comme des personnes investies d'un poste de direction ou de confiance, « les personnes exerçant une autorité effective et ayant la responsabilité de l'ensemble ou d'une subdivision importante de l'entreprise ».

L'arrêté royal du 10/02/1965 énumère, à cet effet, la liste des fonctions considérées comme des fonctions de direction ou de confiance.

Il n'est, toutefois, pas contesté que cette liste n'a pas été adaptée à l'évolution générale du travail et de la vie de l'entreprise.

A l'heure actuelle, cette problématique doit, cependant, être examinée à la lumière de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 04/11/03 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (J.O, L 299, 18/11/2003, p.9) qui dans sa version initiale (première directive 93/104 du 23/11/93) prévoyait, déjà, une exception pour le personnel de direction.

Tant la nouvelle directive que l'ancienne proposent un critère de détermination du personnel de direction en fonction de son pouvoir de décision autonome.

L'article 17 de ces deux directives est libellé comme suit : « Dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, les Etats membres peuvent déroger aux articles 3 à 6, 8 et 16 (limitation de la durée hebdomadaire de travail) lorsque la durée du temps de travail, en raison des caractéristiques particulières de l'activité exercée, n'est pas mesurée et/ou prédéterminée ou peut être déterminée par les travailleurs eux-mêmes et notamment lorsqu'il s'agit :

a) de cadres dirigeants ou d'autres personnes ayant un pouvoir de décision autonome. »

Il s'impose, à cet effet, d'analyser la question de l'effet direct de la norme communautaire précitée (directive 2003/88).

Dans l'affaire LIMMENTHAL (106/77 - Rec. 1978, p.629), la Cour de justice a fourni une définition remarquable de l'applicabilité directe : « L'applicabilité directe signifie que les règles du droit communautaire doivent déployer la plénitude de leurs effets d'une manière uniforme dans tous les Etats membres, à partir de leur entrée en vigueur et pendant toute la durée de leur validité. Ainsi, ces dispositions sont une source immédiate de droits et d'obligations pour tous ceux qu'elles concernent, qu'il s'agisse des Etats membres ou de particuliers qui sont parties à des rapports juridiques relevant du droit communautaire. Cet effet concerne, également, tout juge qui saisi dans le cadre de sa compétence a, en tant qu'organe d'un tel Etat membre, pour mission de protéger les droits conférés aux particuliers par le droit communautaire ».

1) Critères de l'applicabilité directe

Le caractère inconditionnel et précis de la disposition en cause est, au terme de l'évolution de la jurisprudence de la Cour, devenu le seul caractère de l'effet direct. Il n'est pas exigé que la disposition confère, de surcroît, des droits subjectifs aux particuliers (cette circonstance pourra, toutefois, être prise en compte par le juge national en vertu des règles de son droit interne pour vérifier l'intérêt à agir du particulier mais il s'agit d'une question étrangère à celle de savoir si la norme de droit communautaire en cause peut être invoquée devant le juge national).

Les critères de l'applicabilité directe sont les suivants (voir à cet effet : S. VAN RAEPENBUSCH, Droit institutionnel de l'Union et des Communautés européennes, DE BOECK Université, 1996, p.321) :

- la règle doit être claire et précise ;

- la règle doit être complète et juridiquement parfaite c'est-à-dire qu'elle ne doit être subordonnée dans son exécution ou dans ses effets à l'intervention d'aucun acte, soit des institutions communautaires, soit des Etats membres ;

- la règle doit, enfin, être inconditionnelle. Cette exigence peut recouvrir purement et simplement la précédente tout comme elle peut aussi signifier que la règle ne doit être assujettie à aucun terme ni contenir aucune réserve.

La conséquence de l'effet direct est de permettre au citoyen européen d'invoquer des dispositions directement applicables de droit communautaire à l'encontre de toute disposition de droit interne qui serait contraire. Il appartient, alors, au juge national de mettre en œuvre le droit communautaire ayant un effet direct en écartant, le cas échéant, le droit national contraire ou incompatible.

2) Portée de l'applicabilité directe en fonction des catégories de normes communautaires

La portée pratique du principe de l'effet direct varie en fonction des différentes catégories de normes communautaires (traités constitutifs, règlements, décisions adressées à des particuliers et directives et décisions adressées aux Etats).

Dans les hypothèses où une directive ou une décision est correctement mise en œuvre, ses effets atteignent les particuliers par l'intermédiaire des mesures d'application prises par chaque Etat membre concerné.

En revanche, la problématique de l'effet direct se pose lorsqu'un Etat membre ne l'a pas correctement exécutée et que, partant, un particulier a intérêt à invoquer directement à son profit le contenu de la directive non ou incorrectement exécutée.

Les dispositions précises et inconditionnelles d'une directive peuvent être invoquées par les particuliers à l'encontre non seulement de l'Etat défaillant (qui est le destinataire de l'acte) mais, également, des organismes ou entités soumis à son autorité ou à son contrôle (voyez aff. C. 221/88, BUSSENI, Rec. 1990, p.I-495 ; aff. 103/88, COSTANZO, Rec. 1989, p.1839).

A la différence des règlements et de certaines dispositions de traité, les directives et décisions ne peuvent pas produire d'effet direct horizontal c'est-à-dire qu'elles ne sont jamais opposables, en tant que telles, aux justiciables qui ne peuvent, donc, jamais, par leur effet, être obligés à l'égard de l'Etat ou à l'égard d'autres juridictions : leur caractère contraignant n'existe qu'à l'égard de tout Etat membre destinataire (voyez aff. 152/84, MARCHALL, Rec. 1986, p.723 ; aff. C. 91/92, FACCINI DORI, Rec.1994, p.I-3347).

Cependant, si elle exclut l'effet horizontal d'une directive non transposée, la Cour a, néanmoins, jugé dans son arrêt MARLEASING du 13 novembre 1990 (C.106/89, Rec. P.I-4135, point 8) que, conformément au devoir de coopération loyale des Etats membres vis-à-vis de la Communauté, énoncé à l'article 5 du traité CEE, les juridictions nationales, lorsqu'elles interprètent toute disposition de droit national sont tenues « de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive (même non transposés) pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189 du traité » (point 26) (voyez aussi l'arrêt du 16/12/1993, MIRET, C.334/92, Rec., p . I-6911, point 10).

F. KEFER et J. CLESSE considèrent, tous deux, sur base de cet enseignement que « même dans les litiges opposant les particuliers, le juge national a le devoir d'interpréter son droit national de manière à ce qu'il soit conforme à la directive et à faire tout ce qui relève de sa compétence, en écartant, le cas échéant, et si le droit national le permet, la norme interne en conflit avec la norme européenne pour empêcher en l'occurrence le dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail fixée à 48 heures par la directive » (F. KEFER et J. CLESSE, « Le temps de garde inactif, entre le temps de travail et le temps de repos », in Annales de la Faculté de droit de Liège, 2006, p. 163).

Cela étant, la Cour de céans ne pourrait pas interpréter son droit national (en l'espèce l'arrêté royal du 10/02/1965) à la lumière des directives 93/104/CE et 2003/88/CE dès lors que leur adoption par le Parlement européen et le Conseil européen est postérieure à la période litigieuse soumise à la Cour de céans.

Il incombe dès lors à la Cour de céans d'examiner, au regard de la définition des « personnes investies d'un poste de direction ou de confiance » telle que prescrite par l'arrêté royal du 10/02/1965, disposition réglementaire qui doit faire l'objet d'une interprétation restrictive (C.T.Mons, 23/03/2004, J.T.T. 2004, p. 429), si Monsieur S.a, durant la période d'exécution de son contrat de travail, été investi d'un poste de direction ou de confiance, en se référant pour ce point à la description de ses fonctions, au niveau de la rémunération convenue, aux responsabilités lui attribuées ainsi qu'à l'autorité effective dont il disposait dans l'exercice de ses fonctions.

1.1.a) Nature des fonctions exercées par Monsieur S.

Dans le cadre de la comparution personnelle des parties tenue le 12/02/2009 et du débat contradictoire qu'elle a permis de susciter, Monsieur S.a déclaré avoir été engagé dans le cadre d'un contrat de travail verbal pour occuper les fonctions d'employé administratif c'est-à-dire organiser les funérailles.

Outre son horaire normal de travail, Monsieur S. accomplissait une semaine de garde par mois dès son entrée en service (le 15/11/1972) ce qui impliquait l'obligation d'assurer une permanence téléphonique en dehors des heures de bureau (soit de 12 à 14 heures et de 18 heures à 8 heures le lendemain) et le week-end (jour et nuit), d'accomplir certaines démarches administratives (déclaration des décès aux administrations communales et/ou contact avec le clergé) et de rendre visite aux familles des défunts (3ème et 5ème feuillets du procès-verbal de comparution personnelle des parties du 12/02/09).

Il n'est, d'autre part, pas contesté que Monsieur S.a assuré, à sa demande, une seconde semaine de garde à partir de décembre 1976.

S'agissant de l'organisation de la société, Monsieur M. a déclaré en substance ce qui suit : « La société fonctionne grâce à quatre collaborateurs principaux qui ont le titre de gérant octroyé par mes soins dans la mesure où ils occupent une fonction essentielle au sein de la société à savoir celle d'aller rendre visite aux familles des défunts. Ce sont ces quatre gérants qui organisent les funérailles et l'agenda du quotidien. Ils donnent, également, des directives aux chauffeurs et aux maîtres de cérémonies. En dehors des quatre gérants, il n'y avait pas d'autres membres employés du personnel si ce n'est des pensionnés qui étaient chargés de la permanence téléphonique en remplacement du gérant appelé dans les familles pendant sa période de garde téléphonique ainsi qu'un comptable. Les quatre gérants assuraient le travail généré par l'ensemble des sociétés du groupe » (4ème et 5ème feuillets du PV).

Comme l'observe à bon droit Monsieur S., le titre de gérant a été attribué unilatéralement par Monsieur M. à l'ensemble de ses employés (à l'exception du comptable).

Cette qualification ne peut, dès lors, être retenue si elle ne correspond pas à une tâche de « gestion », à la réalité de la relation de travail exercée par les parties.

D'autre part, il est symptomatique de relever que l'ensemble du personnel employé (à l'exception du comptable) s'est vu octroyer le titre de « gérant ».

Or, il est évidemment improbable que la majorité des membres du personnel d'une société (qui occupe depuis toujours entre 3 et 5 employés et environ 4 ouvriers (porteurs et chauffeurs)) soit considéré comme appartenant au personnel de direction ou de confiance au sens de l'arrêté royal du 10/02/1965.

La Cour de céans relève néanmoins que Monsieur S.a contesté le titre de « gérant » lui attribué par Monsieur M. se considérant seulement comme employé de la société « dès lors :

- qu'il ne disposait pas du pouvoir de signature susceptible d'engager la société et pas davantage d'un pouvoir décisionnel au sein de la société ;

- qu'il ne pouvait pas réceptionner un colis recommandé devant à chaque fois en référer à Monsieur M. ou à Monsieur M. ;

- qu'il ne pouvait pas donner d'injonction aux membres du personnel de la société présents lors des cérémonies (chauffeurs + maîtres de cérémonie). »

La Cour observe que ces éléments de fait n'ont pas été contredits par Monsieur M. lors de la comparution personnelle des parties alors que le débat contradictoire qui s'est noué l'autorisait à contester le contenu des déclarations de Monsieur S..

La Cour de céans s'est également attachée à soumettre aux parties la pièce 45 du dossier de Monsieur S. étant un tableau de service reprenant les tâches à accomplir lors de chaque cérémonie de funérailles.

Si les cinq premières colonnes de ce tableau constituent la retranscription des souhaits émis par la famille du défunt, par contre, la sixième colonne était intitulée « personnel » et il revenait, à cet effet, à l'intimée de décider du personnel affecté à l'organisation des funérailles.

A cet effet, Monsieur M. a prétendu, lors de son audition, qu'en qualité de « gérant », Monsieur S. avait la responsabilité de la rédaction de ces tableaux, en ce compris de la sixième colonne (personnel) de sorte que Monsieur S. ne pouvait nier avoir détenu un pouvoir décisionnel au sein de la société.

La Cour ne peut, toutefois, tenir pour vérité établie la déclaration de Monsieur M. en raison des contradictions suivantes :

- dans un premier temps, Monsieur M. soutient que : « c'était chaque gérant qui déterminait l'identité des personnes affectées aux funérailles » (5ème feuillet du PV) ;

- dans un second temps, lorsque la Cour lui soumet le tableau de service (pièce 45 du dossier de Monsieur S.), Monsieur M. fait valoir les commentaires suivants : «Ce n'est même plus moi qui m'en occupe à l'heure actuelle. On n'a pas le choix, on a du personnel et il faut le répartir en fonction des tâches fixées » (6ème feuillet du PV) ;

- néanmoins, lorsque Monsieur S. affirme que le choix du personnel relevait de la compétence exclusive de Monsieur M., ce dernier répliqua : « qu'il lui semble normal de surveiller la composition des équipes affectées aux cérémonies de funérailles » et « qu'il lui est indispensable de modifier la composition d'une équipe qui aurait été proposée par le gérant » (6ème feuillet du PV) ;

- par contre, lorsqu'il fut interpellé par le conseil de Monsieur S., Monsieur M. déclara que « chaque gérant pouvait envoyer le tableau de service directement aux ouvriers et maîtres de cérémonies sans son approbation ».

Monsieur M. n'est, dès lors, pas crédible lorsqu'il affirme dans un premier temps qu'il disposait seul du pouvoir de vérifier la composition des équipes affectées aux funérailles puis, par après, lorsqu'il est interpellé par le conseil de Monsieur S. de soutenir péremptoirement que chaque gérant pouvait envoyer sans son approbation le tableau de service directement aux ouvriers et maîtres de cérémonies.

1.1.b)Etendue des contraintes auxquelles Monsieur S. était soumis

Il n'est contesté par aucune des parties que l'intimée avait conditionné l'engagement de Monsieur S. à l'occupation à ses côtés de son épouse sans que celle-ci ne soit , toutefois, liée par contrat de travail avec l'intimée.

En effet, Monsieur M. avait émis le souhait d'engager un couple aux fins d'assurer de manière ininterrompue une permanence téléphonique lors de la semaine de garde : il convenait, en effet, de procéder au remplacement de l'employé parti rendre visite à la famille du défunt, ce rôle ayant été dévolu à Madame S. du 15/11/1972 au 30/11/1976 pendant la première semaine de garde assurée par son mari.

Il appert de la comparution personnelle des parties que la garde supposait les prestations suivantes :

- assurer la permanence téléphonique,

- effectuer certaines démarches administratives (déclaration de décès aux administrations communales et/ou prise de contact avec le clergé),

- rendre visite à la famille du défunt.

Il ressort des déclarations des parties qu'il avait été convenu que lors de l'entrée en service de Monsieur S., ce dernier, secondé par son épouse non rétribuée, devait assurer une semaine de garde par mois.

Cependant, à partir du 01/12/1976, Monsieur S.a repris, à sa demande, la semaine de garde assurée par Monsieur M., cette seconde semaine de garde, consécutive à la première, exigeant le même niveau de prestations et la même charge de travail que la première à cette nuance près que la permanence téléphonique était assurée par un autre employé.

S'agissant de la comptabilisation du temps consacré par Monsieur S. à la visite de la famille des défunts, Monsieur M. a déclaré que deux décès étaient enregistrés en moyenne par jour « de telle sorte que les samedis et dimanches de garde, Monsieur S. devait quitter son appartement de fonction pendant une période de quatre heures par jour durant lesquelles son épouse assurait son remplacement », situation qui le conduisait, partant, à prester au domicile de la famille des défunts huit heures par week-end (2 X 4 heures) soit la moitié de celui-ci.

1.1.c) Niveau de rémunération perçu par Monsieur S.

La Cour a souhaité entendre les parties sur la problématique de la rémunération perçue par Monsieur S..

Il résulte de la comparution personnelle des parties que, selon Monsieur S., « il n'a pas négocié le niveau de rémunération qui devait lui être accordé mais que cette rémunération a été fixée unilatéralement par Monsieur M., administrateur-délégué de l'intimée. Monsieur S. ignore à quel barème de rémunération exact sa rémunération correspondait. Il signale que « chaque fois que la nécessité s'en faisait ressentir (difficultés financières de la famille), il s'adressait à Monsieur M. qui lui octroyait une augmentation salariale qui ne correspondait pas nécessairement à ce qu'il aurait souhaité » (3ème feuillet du PV du 12/02/2009).

Monsieur M. a, quant à lui, précisé ce qui suit : « Le niveau de la rémunération qui a été proposé à Monsieur S. correspondait à celui dévolu à un cadre supérieur tel que prévu par les conventions collectives applicables au sein de la commission paritaire à laquelle ressortit la société ».

La Cour relève, toutefois, que l'intimée n'a jamais produit les barèmes applicables au sein de la commission paritaire des pompes funèbres, à supposer qu'ils existent, dès lors que cette dernière n'a été instituée que par l'arrêté royal du 20/09/1974 (M.B., 26/10/74).

S'agissant de la rémunération couvrant les périodes de garde assurées par Monsieur S., ce dernier a précisé « qu'une fois engagé, il s'est vu proposer de tenir une semaine de permanence téléphonique au titre de service de garde (...) et qu'en compensation à cette semaine de garde, il n'a obtenu aucun avantage matériel si ce n'est un demi-jour de congé par semaine de 14 heures à 17 heures 30' » (4ème feuillet du PV du 12/02/2009). Cette déclaration n'a pas été contredite par Monsieur M..

En ce qui concerne la période débutant le 01/12/1976, Monsieur S.a déclaré en substance ce qui suit (6ème et 7ème feuillets du PV du 12/02/2009 : « (...) A sa demande, il a accepté d'assurer une seconde semaine de garde et à cette occasion, Monsieur M. lui a octroyé une rémunération de 7.500 francs par mois maintenant le demi-jour de congé par semaine pour la première semaine de garde comme cela lui avait été accordé depuis l'origine des relations contractuelles ».

Il convient, également, de préciser que des revenus ont été alloués à Madame S. en 1980 et 1981 (pièces 2,14,24, 31 et 32 de Monsieur S.).

Monsieur M., lors de la comparution personnelle des parties, a, toutefois, déclaré « n'avoir aucun souvenir de ce qui a pu se produire et qu'en ce qui le concerne, il n'a jamais donné aucune injonction au comptable de la société pour que Madame S. se voie attribuer des revenus personnels qui, en principe, devaient être alloués à Monsieur S.» (7ème feuillet du PV du 12/02/2009).

Pourtant, en 1980, un montant de 120.000 francs a été versé au nom de Madame S.(pièces 2, 25 et 30 du dossier de Monsieur S. et pièce 14 de l'intimée) et, en 1981, une somme de 132.500 francs lui fut allouée (pièce 32 de Monsieur S. et pièce 14 de l'intimée).

Ce versement d'argent à une personne tierce à la relation de travail ne saurait être, en soi, contesté dès lors qu'à tout le moins pour l'année 1981, une fiche fiscale 281.50 fut établie par l'intimée et qu'en outre, Monsieur M. a signé les bilans de la société (ce qu'il a reconnu lors de son audition), l'annexe de ceux-ci reprenant les montants faisant l'objet d'une fiche 281.50 de sorte que la Cour se doit de constater que contrairement à ce qu'il a déclaré lors de son audition, Monsieur M. n'a pas dit la vérité lorsqu'il a prétendu « n'avoir aucun souvenir de ce qui a pu se produire » sur le plan de l'octroi d'une « rémunération » à Madame S..

1.2. Application au cas d'espèce des enseignements à déduire de la comparution personnelle des parties ordonnée par la Cour de céans aux fins de vérifier si Monsieur S. était investi d'un poste de direction ou de confiance au sens des dispositions de l'arrêté royal du 10/02/1965

Pour rappel, les dispositions de la loi du 16/03/1971 sur la durée du travail ne sont pas applicables aux travailleurs désignés par le Roi comme étant investis d'un poste de direction ou confiance.

L'article 2 I, 1) de l'arrêté royal du 10/02/1965 énumère les personnes qui, dans tous les secteurs, doivent être considérées comme investies d'un poste de direction ou de confiance.

La notion ne doit pas être confondue avec celle de cadre. Bien que fréquemment utilisée, la notion de cadre ne connaît, du reste, pas de définition légale en droit du travail si ce n'est dans la législation sur les élections sociales (article 14 § 1, 3° de la loi du 20/09/1948 portant organisation de l'économie).

S'il est patent que l'énumération visée par cet arrêté royal est quelque peu obsolète, certaines de ces dispositions de portée générale ont, néanmoins, permis aux Cours et Tribunaux de l'adapter à l'évolution technologique et sociale sans pour autant violer le principe d'interprétation restrictive de cette réglementation. En effet, cette réglementation permet de déroger aux limites légales en matière de durée de travail fixées par la loi sur la durée du travail, législation d'ordre public dès lors qu'elle est assortie de sanctions pénales.

Du reste, les travaux parlementaires ont, à cet effet, exclu la possibilité pour les employeurs de désigner eux-mêmes les personnes investies d'un poste de direction ou de confiance (Doc. Parl., Ch., n°476/12 du 05/03/1964).

Les dispositions de l'arrêté royal du 10/02/1965 mentionnent, dès lors, que sont investies d'un poste de direction ou de confiance les personnes exerçant une autorité effective et ayant la responsabilité de l'entreprise ou d'une subdivision importante de celle-ci, ainsi que celles, pouvant, sous leur responsabilité, engager l'entreprise vis-à-vis des tiers. Il s'en suit que toute personne investie d'un poste de direction rentre dans l'exception sans que le titre précis qui est le sien ne doive être mentionné dans la liste (B. DENDOOVEN « La durée du travail » A.E.B., Contrats de travail, Kluwer, 2008, p.3).

Dans leur appréciation, les Cours et Tribunaux s'attachent :

1) à la place du travailleur dans la hiérarchie et dans l'organigramme de l'entreprise (C.T.Mons, 23/03/2004, J.T.T., 2004, p. 429) ;

2) au descriptif et au contenu des fonctions ;

3) au nombre de personnes placées sous les ordres du travailleur et à l'exercice de l'autorité sur celle-ci ;

4) à l'importance de la rémunération (C.T.Mons, 02/06/06, R.G. 17.782, inédit) ;

5) à l'absence d'horaire de travail consigné au sein du contrat de travail (C.T.Mons, 02/06/06, précité).

En clair, les personnes disposant d'un pouvoir hiérarchique sur les membres du personnel, appartenant à la direction de l'entreprise et/ou assumant la responsabilité d'un ou plusieurs services de celui-ci tout comme les personnes habilitées à poser seules des actes importants engageant la responsabilité de l'entreprise sont considérées comme des personnes investies d'un poste de direction ou de confiance, ce qui n'a jamais été le cas de Monsieur S..

Il va évidemment de soi que sous peine de vider l'arrêté royal du 10/02/1965 de sa substance, tout travailleur susceptible de pouvoir poser des actes juridiques au nom et pour compte de la société c'est-à-dire tout mandataire de celle-ci ne peut être considéré comme investi d'un poste de direction ou de confiance. La Cour a égard tout particulièrement à la situation des vendeurs (tous secteurs confondus) qui sont habilités, en raison de leurs fonctions spécifiques liées à la vente de produits commercialisés par la société qui les emploie, à engager la société lorsqu'ils apposent leur signature au bas du contrat de vente. Il est évident que ces travailleurs qui engagent la société dans le cadre de l'exécution d'actes de vente qui peuvent parfois porter sur des sommes importantes (pensons à la vente de véhicules automobiles) ne peuvent être considérées comme investies d'un poste de direction ou de confiance alors que la nature même de leurs prestations repose sur une relation de confiance les liant à leur employeur : ils occupent, au sein de l'entreprise, une fonction relativement subalterne qui les conduit, de par la nature des tâches leur confiées, à poser des actes répétitifs et banals relevant de l'objet social de la société excluant, partant, toute possibilité de les considérer comme investis d'un poste de direction ou de confiance.

Enfin, l'arrêté royal du 10 février 1965 vise, également, (article 2, I,4) « les gérants qu'ils aient ou non du personnel sous leur autorité ».

Comme l'observe avec pertinence Monsieur S., en l'absence de définition légale explicite d'un terme, il s'impose d'avoir égard à son sens usuel, « soit la personne physique qui dirige et administre pour le compte d'autrui en ayant reçu mandat ou non (gérant d'affaire) (Voyez définition du Larousse illustré de 2007) : il s'agit d'une personne jouissant d'une autorité certaine dans l'exercice de ses fonctions dès lors qu'elle est appelée à diriger et à administrer une entreprise ou un établissement, fonction que n'a jamais remplie Monsieur S..

A cet égard, la Cour de céans estime que les attestations produites par l'intimée après l'audience de comparution personnelle des parties pour dénier toute valeur aux déclarations formulées par Monsieur S. lors de la comparution personnelle des parties sont sans pertinence aucune et doivent toutes, dans leur ensemble, être rejetées des débats.

En effet, au terme de son arrêt du 1er décembre 2008, la Cour de céans a apprécié souverainement l'opportunité de recourir à une mesure d'instruction spécifique à savoir la comparution personnelle des parties eu égard à la pertinence des faits allégués et aux zones d'ombre que contenait le dossier lui soumis, cette mesure d'instruction lui apparaissant être l'outil de plus adéquat pour découvrir la vérité judiciaire : elle impliquait en effet un débat oral interactif entre les parties au litige dans le strict respect du contradictoire et des droits de la défense, chaque partie se voyant, ainsi, offrir la possibilité de contester la pertinence et la véracité des déclarations de son adversaire.

Sans nier aucunement le droit reconnu à l'intimée de compléter son dossier par des attestations rédigées par des tiers au litige (essentiellement des membres de son personnel encore en activité et d'autres admis au bénéfice de la pension de retraite) (en effet, la nature et l'étendue des fonctions exercées par Monsieur S. constituent un élément de fait qui peut être prouvé par toutes voies de droit en ce compris par présomptions même contre un écrit mais non par la dénomination que les parties ont entendu donner à leurs relations (Cass., 10/03/1980, R. W, 1980-81, p.419)) ou en sollicitant une enquête par témoins, la Cour de céans estime néanmoins qu'il n'y a pas lieu d'avoir égard aux attestations produites après la comparution personnelle des parties (il s'agit des pièces 17, 18, 21 et 22 du dossier de l'intimée) et qu'il ne s'impose pas davantage de réserver suite à l'offre de preuve par témoins sollicitée par l'intimée (alors qu'en l'espèce, c'est Monsieur S. qui supporte la charge de la preuve de ses prétentions). La Cour de céans s'estime, en effet, suffisamment éclairée par les déclarations des parties enregistrées dans le cadre du débat oral contradictoire conduit par ses soins, les faits devant être prouvés par Monsieur S. étant établis par les déclarations enregistrées des parties au départ des pièces de leurs dossiers constitués avant la comparution personnelle des parties.

Ces déclarations sont constitutives d'autant de présomptions qualifiées de probantes dans la mesure où elles apportent à la Cour la certitude du fait recherché à savoir que Monsieur S. n'appartenait pas à la catégorie des « personnes investies d'un poste de direction ou de confiance ».

D. MOUGENOT (Droit des obligations : « La preuve », Larcier, 2002, p.284) résume, ainsi, les conditions d'admissibilité des présomptions de l'homme sur base de l'enseignement de la Cour de cassation :

- un seul indu suffit pour emporter la conviction du juge s'il lui paraît suffisamment probant ;

- le juge peut déduire sa conviction d'un ensemble d'éléments même si chacun pris isolément n'est pas suffisamment précis et pertinent ;

- si le juge retient plusieurs indices qui s'épaulent, ils doivent être concordants. Il ne faudrait pas qu'ils soient sans lien entre eux ;

- il n'est nullement nécessaire que les indices retenus soient des manifestations de la volonté de la personne contre laquelle la présomption est invoquée ;

- le juge ne peut déduire la preuve par présomption d'un fait incertain et ne peut, par ailleurs, retenir que des faits aboutissant à la certitude du fait recherché.

En effet, la Cour de cassation a considéré que « le juge ne pouvait admettre les présomptions de l'homme que lorsqu'elles lui apportaient la certitude quant à l'existence du fait recherché qu'il déduit d'un fait connu » (Cass., 22/12/1986, Pas., 1987, I, 501).

Enfin, si la Cour de cassation reconnaît le pouvoir souverain d'appréciation du juge, elle contrôle, néanmoins, ce dernier aux fins de vérifier « s'il n'a pas méconnu ou dénaturé la notion légale de « présomptions de l'homme » et si, notamment, il n'a pas déduit des faits constatés par lui des conséquences qui seraient sans aucun lien avec eux ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification » (Cass., 06/11/1992, Pas., I, 240).

A cet effet, la jurisprudence a considéré que pouvait être retenu à titre de présomption le simple défaut de dénégation par une partie d'un fait articulé par l'autre : s'il ne constitue en règle un aveu ou un acquiescement que s'il est accompagné de circonstances lui conférant ce caractère, le juge peut, toutefois, retenir cette circonstance à titre de présomption de l'homme (Mons, 04/09/1993, Dr. Circul., 1994, p.187) tout comme des affirmations réitérées, non contestées, d'une partie (Cass., 12/10/1962, Pas., 1963, I, p.192).

En l'espèce, Monsieur S. ne peut donc être considéré comme ayant occupé un poste de direction ou de confiance pour les raisons suivantes :

a) Il est acquis à la lumière du débat contradictoire mené dans le cadre de la comparution personnelle des parties qu'il n'a jamais occupé la fonction de directeur, de sous-directeur ou toute autre fonction lui permettant d'exercer une autorité effective sur les autres travailleurs occupés par l'intimée et lui attribuant la responsabilité de l'ensemble ou d'une subdivision importante de l'entreprise.

En effet, Monsieur M. ne conteste pas qu'il disposait et dispose toujours d'un bureau au siège social de l'intimée de telle sorte que la Cour aperçoit difficilement comment Monsieur S. pouvait être considéré comme directeur, sous-directeur ou ayant exercé une fonction assimilée dès lors que le patron de droit de l'intimée était quotidiennement présent au siège de la société et qu'il n'y avait, dès lors, nul besoin de le remplacer ou d'exercer un pouvoir d'autorité lui revenant exclusivement.

En outre, Monsieur S. ne disposait d'aucun pouvoir décisionnel au sein de la société comme le démontre les éléments de fait suivants :

- si la sixième colonne du tableau de service (mentionnant l'identité du personnel chargé des funérailles) était établie par Monsieur S., ce choix devait être approuvé par Monsieur M. qui vérifiait quotidiennement ces tableaux (cfr. 6ème feuillet du PV d'audition du 12/02/09) ;

- les rôles de garde étaient établis par Monsieur M. ;

- le choix des cercueils commercialisés par l'intimée relevait de la compétence exclusive de Monsieur M. (cfr. 5ème feuillet du PV d'audition du 12/02/09).

b) Monsieur S. n'engageait pas, sous sa responsabilité, l'entreprise vis-à-vis des tiers mais était au contraire une personne de contact au sein des établissements de l'intimée.

Monsieur S. ne disposait pas du pouvoir de signature susceptible d'engager la société ni même celui de réceptionner un colis recommandé pour lequel il devait s'en référer à Monsieur M. ou à Monsieur M. (5ème feuillet du PV d'audition du 12/02/09).

S'il est établi que des devis ou des annonces de prix ont été rédigés par Monsieur S., il appert, toutefois, que le rôle de Monsieur S. se bornait à reproduire purement et simplement la liste des prix fixés unilatéralement par Monsieur M. en fonction des options choisies par la famille du défunt, Monsieur S., au même titre que tout « vendeur », ne disposant évidemment pas de la faculté de convenir librement avec son cocontractant des prix des services et articles commercialisés par la société au service de laquelle il prestait.

D'autre part, s'il est établi que Monsieur S.a été amené à acquitter des factures, à encaisser des sommes d'argent pour le compte de la société, à accuser réception des sommes reçues ainsi qu'à tenir des carnets de caisse ou livres comptables, tout comme les autres employés de l'intimée (pièce 64 du dossier de Monsieur S.), cette responsabilité était intrinsèquement liée à la nature de ses fonctions mais n'impliquait en aucune manière qu'il aurait été investi d'un poste de direction ou de confiance : au même titre qu'un livreur de pizzas ou une caissière de supermarché assure la responsabilité de sa caisse, Monsieur S. était responsable de l'exactitude des flux et mouvements d'argent que ses fonctions le conduisaient à gérer sans pour autant relever de la catégorie du personnel de direction ou de confiance.

Au demeurant, la tenue régulière de ces opérations de caisse était soumise à la vérification opérée par le comptable de l'intimée.

c) Monsieur S. n'était pas revêtu de la qualité de gérant.

En effet, Monsieur S .n'a ni dirigé ni administré les établissements de l'intimée pour le compte de Monsieur M. de sorte qu'il ne peut être qualifié de gérant.

S'il est vrai qu'il n'est pas requis qu'un gérant ait du personnel sous son autorité pour être considéré comme gérant au sens de l'arrêté royal du 10/2/1965, encore faut-il qu'il dispose d'un certain degré d'autonomie ce qui en l'espèce n'était évidemment pas le cas.

Comme la Cour de céans a eu l'occasion de le préciser supra, la qualification que les parties ont pu donner à leur relation de travail est absolument indifférente à ce sujet et ne lie aucunement la Cour invitée à apprécier la situation en fait et, partant, à vérifier si le statut de gérant correspond ou non à la manière dont a été exécutée la relation de travail.

Il en va bien évidemment de même de la dénomination (employé, délégué de direction) sous laquelle Monsieur S. fut repris en qualité de « fondateur » lors de la rédaction de l'acte de constitution de la société montoise de crémation tout comme de la réponse de Monsieur S. à l'offre d'emploi qui se concrétisa par son engagement au service de l'intimée le 15/11/1972, offre d'emploi dans le cadre de laquelle il présenta sa « candidature de délégué de direction ».

Il paraît évident qu'à défaut pour l'intimée de produire l'offre d'emploi qu'il inséra dans le journal « Le Soir », il est impossible d'apprécier la portée de la lettre de candidature de Monsieur S. si tant est qu'il faille examiner la manière dont Monsieur S. entendait se présenter aux yeux de son futur employeur, quod non, dès lors que la dénomination des fonctions postulées est parfaitement irrelevante pour vérifier si Monsieur S. relève d'une des catégories visées par l'arrêté royal du 10/02/1965.

Conclusions :

La Cour de céans considère que Monsieur S.a clairement démontré que les tâches liées à l'exercice de ses fonctions au service de l'intimée ne permettent pas de conclure qu'il a été investi d'un poste de direction ou de confiance au sens visé par l'arrêté royal du 10/02/1965.

En effet, les pièces des dossiers des parties constitués avant l'audience de comparution personnelle des parties ainsi que les propos échangés entre parties dans le cadre de la comparution personnelle des parties ordonnée par la Cour de céans ne permettent pas de prétendre que Monsieur S. aurait assumé des responsabilités telles qu'il puisse être considéré comme ayant été investi d'un poste de direction ou de confiance au sens de l'arrêté royal du 10/02/1965.

Il s'en suit que Monsieur S. est soumis à la loi du 16/03/1971 sur la durée du travail et est en droit de prétendre légitimement au bénéfice de congés compensatoires normalement rémunérés au rémunérés sous forme de sursalaires s'il prouve n'avoir pas perçu une rémunération en adéquation avec les prestations accomplies dans le cadre du régime de garde assuré par ses soins.

1.2 Monsieur S. relève incontestablement du champ d'application de la loi du 16/03/1971 sur la durée du travail

1.2.1. Quant à la détermination des congés compensatoires normalement rémunérés ou rémunérés sous forme de sursalaires auxquels Monsieur S .est en droit de prétendre

1.2.1.1. La définition du temps de travail

a) Le code juridique européen actuel

L'article 19 alinéa 2 de la loi du 16/03/1971 sur le travail définit la durée du travail comme « le temps pendant lequel le personnel est à la disposition de l'employeur ».

Selon les travaux préparatoires précédant la loi du 15/07/1964 (cette loi a remplacé la référence à la notion de travail effectif contenu dans la loi du 12/06/1921), « le sens à donner aux mots « durée du travail » est le suivant : le travailleur est considéré comme effectuant un travail lorsqu'il est aux ordres de l'employeur c'est-à-dire lorsqu'il met son activité à la disposition de ce dernier.

Est donc exclu du temps de travail le temps de présence dont le travailleur peut disposer librement sans avoir à attendre un appel imprévu dont la possibilité continuelle le maintiendrait sans interruption à la disposition de l'employeur ou sans avoir à exercer une besogne accessoire (par exemple : surveillance) ». (Doc. Parl., Sén., sess. ord. 1963-1964, n°287, p.19)

Le législateur a, en tout état de cause, abandonné ce concept au pouvoir judiciaire (voyez à cet effet l'Exposé des motifs, Doc. Parl., Ch. Rep., sess. ord. 1962-1963, n° 476/1, p.5) et la Cour de cassation y décèle une notion relevant de l'appréciation souveraine du juge de fond (Cass., 22/09/1971, Pas., 1972, I, p.73).

F. KEFER et J. CLESSE isolent fort opportunément, quant à eux, deux types de garde : « d'une part, la garde impliquant une présence physique dans l'entreprise : elle peut comporter des moments de repos où le travailleur vaque librement à un certain nombre d'occupations (lire, regarder la télévision, jouer aux cartes voire dormir) ; d'autre part, la garde en régime d'accessibilité : le travailleur n'est pas présent dans les locaux de l'entreprise mais doit pouvoir être joint en permanence pour une éventuelle intervention (...) » (F. KEFER et J. CLESSE « Le temps de garde inactif entre le temps de travail et le temps de repos », Revue de la Faculté de Droit de Liège, 2006, p.157).

C'est autour de la conception dite de « la mise à disposition » qu'ont été conçues les deux directives européennes à savoir la directive 1993/104/CE du 23/11/93 et la norme actuellement en vigueur, à savoir la directive 2003/88/CE du 04/11/2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ainsi que l'interprétation de ces directives livrée actuellement par la Cour de justice des Communautés européennes au terme de quatre arrêts prononcés sur la problématique des « gardes dormantes » et des gardes en « régime d'accessibilité ».

Au terme d'un premier arrêt rendu le 9 septembre 2003 en cause JAEGER (aff. C.151/02), la Cour de Justice des Communautés européennes (C.J.C.E.), répondant à quatre questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 (aujourd'hui, la norme actuellement en vigueur est la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail) a considéré que « la dite directive devait être interprétée en ce sens qu'il convenait de considérer un service de garde (« Bereitschaftsdienst ») qu'un médecin effectuait selon le régime de la présence physique dans l'hôpital comme constituant dans son intégralité du temps de travail au sens de cette directive alors même que l'intéressé était autorisé à se reposer sur son lieu de travail pendant les périodes où ses services n'étaient pas sollicités en sorte que celle-ci s'opposait à la réglementation d'un Etat membre qui qualifierait de temps de repos les périodes d'inactivité du travailleur dans le cadre d'un tel service de garde »

La Cour s'est prononcée dans le même sens au terme d'un arrêt subséquent rendu le 1er décembre 2005 (aff. C. 14/04 - DELLAS) mais a, toutefois, entendu préciser que « la dite directive se bornait à réglementer certains aspects de l'aménagement du temps de travail en sorte qu'en principe elle ne trouvait pas à s'appliquer à la rémunération des travailleurs » (voir arrêt DELLAS, point 38).

La même réserve a été énoncée par la CJCE au terme de l'arrêt VOREL prononcé le 11 janvier 2007 (aff. C. 437/05, J.T.T., 2007, p.197) et de l'arrêt ALONSO prononcé le 13 septembre 2007 (aff. C.307/05), ces deux arrêts ayant, toutefois, analysé de manière plus approfondie l'incidence du régime protectionnel institué par les directives 93/104 et 2003/88 sur le niveau des rémunérations perçues par les travailleurs concernés.

La CJCE a, en effet, considéré que « les directives 93/104 et 2003/88 ne s'opposent pas à l'application par un Etat membre d'une réglementation qui, aux fins de la rémunération du travailleur et s'agissant du service de garde effectué par celui-ci sur son lieu de travail, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles les prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n'est accompli pour autant qu'un tel régime assure intégralement l'effet utile des droits conférés aux travailleurs par les dites directives en vue de la protection efficace de la santé et de la sécurité de ces derniers ».

L'enseignement de la Cour de justice relatif à la problématique des « gardes dormantes » peut être résumé comme suit :

1. Le temps de garde avec présence physique sur les lieux du travail est, dans son intégralité, du temps de travail au regard du droit communautaire de telle sorte qu'une réglementation d'un Etat membre qui qualifierait «de temps de repos les périodes d'activité du travailleur dans le cadre d'un tel service de garde dormante serait en conflit avec la directive si cette qualification aboutit au dépassement de la durée maximale du travail prévu par le droit communautaire à savoir 48 heures par semaine (C.J.C.E., 09/09/1993, arrêt JAEGER, point 71).

2. L'article 15 de la directive 93/104 permet expressément l'application ou l'introduction de dispositions nationales plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Lorsqu'un Etat membre recourt à cette faculté, le respect des règles énoncées par cette directive doit être vérifié par rapport aux seules limites fixées par celle-ci, à l'exclusion des dispositions nationales plus protectrices des travailleurs (CJCE, 01/12/05, arrêt DELLAS, point 52).

3. Les heures de présence du travailleur dans l'établissement de son employeur pendant les services de garde, qui comprennent des périodes d'inactivité, ne peuvent pas être prises en compte partiellement, sur base de coefficients de nature forfaitaire, dès lors que ces heures de présence doivent être comptabilisées intégralement en tant qu'heures de travail pour la détermination des durées maximales de travail (arrêt DELLAS, cité, point 57).

4. Les directives 93/104/CE et 2003/88/CE s'opposent à la réglementation d'un Etat membre en vertu de laquelle les services de garde dormante qu'un travailleur accomplit selon le régime de la présence physique sur le lieu même du travail mais au cours desquels il n'exerce aucune activité réelle ne sont pas considérés comme constituant dans leur intégralité du temps de travail. Par contre, elles ne s'opposent pas à l'application par un Etat membre d'une réglementation qui, aux fins de la rémunération du travailleur et s'agissant du service de garde effectué par celui-ci sur son lieu de travail, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n'est accompli, pour autant qu'un tel régime assure intégralement l'effet utile des droits conférés aux travailleurs par les dites directives en vue de la protection efficace de la santé et de la sécurité de ces derniers (arrêt VOREL, 11/01/2007, dispositif).

Par contre, selon la Cour, il en va différemment de la situation dans laquelle un travailleur doit être accessible en permanence sans pour autant être obligé d'être présent dans l'entreprise.

Même s'il est à la disposition de son employeur dans la mesure où il doit pouvoir être joint, il peut gérer son temps avec moins de contraintes et se consacrer plus librement à ses propres intérêts. Dans ces conditions, la Cour de justice estime que seul le temps lié à la prestation effective de service doit être considéré comme du temps de travail au sens de la directive (C.J.C.E., 9/9/2003, JAEGER, dispositif et point 65 ; F. KEFER et J. CLESSE, op. cit., p.160).

Il est à noter, toutefois, que les décisions rendues par la Cour de justice concernant les gardes effectuées par les travailleurs sur le lieu de travail ont conduit la Commission à différencier les types de présence sur le lieu de travail puisque, dans sa version actuelle, la directive 2003/88/CE ne prévoit pas une notion intermédiaire entre la notion de temps de travail et celle de temps de repos.

La proposition du Conseil vise à inscrire un article 2 bis tendant à exclure du temps de garde la période considérée comme inactive de celui-ci sauf si la législation nationale, une convention collective ou un accord entre partenaires sociaux en disposent autrement (Commission 2004/0209 COD) (Voyez le site www.europa.eu).

Cela étant, il n'y a toutefois pas lieu de vérifier si le droit belge est conforme aux deux directives 1993/104/CE et 2003/98/CE telles qu'elles ont été interprétées jusqu'ici par la Cour de Justice dès lors que la période litigieuse soumise à la Cour de céans (15/11/1972-22/11/1989) est antérieure à l'entrée en vigueur de la première directive 93/104/CE du 23/11/93 codifiée par la directive 2003/88/CE avec effet au 02/08/2004 et conclue à l'époque sur base de l'article 187 du Traité instituant la Communauté européenne (suite à l'incorporation de la charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs par le Traité d'Amsterdam, l'Union Européenne tire dorénavant sa compétence des articles 137 et suivants du Traité instituant de l'Union Européenne).

Il s'impose, dès lors, à la Cour de céans de régler le litige soumis au regard du seul droit belge.

b) Le cadre juridique belge applicable au litige

Pour rappel, l'article 19 alinéa 2 de la loi du 16/03/1971 sur la durée de travail définit la durée du travail comme étant « le temps pendant lequel le personnel est à la disposition de l'employeur. Ce libellé est celui qui était déjà contenu dans la loi du 15/07/1964 qui a entendu remplacer la référence à la notion de travail effectif contenue dans la loi du 14/06/1921.

Selon les travaux parlementaires précédant la loi du 15/07/1964 « le travailleur est considéré comme effectuant un travail lorsqu'il met son activité à la disposition de ce dernier. Est donc exclu du temps de travail, le temps de présence dont le travailleur peut disposer librement sans avoir à attendre un appel imprévu dont la possibilité continuelle le maintiendrait sans interruption à la disposition de l'employeur ou sans avoir à exercer une besogne accessoire (par exemple, la surveillance) ». (Doc. Parl., Sénat, 1963-1964, n°287,p.9)

Le législateur a abandonné la définition de ce concept au pouvoir judiciaire (à cet effet, le Conseil d'Etat, au terme de son avis rendu le 5/10/1962 (Doc. Parl., Chambre, 1962-1963, n°475-1,p.20) avait considéré que pouvait être supprimé de la définition de la durée du travail le terme « effectif » car la notion de la durée de travail telle qu'interprétée jusqu'ores par la doctrine et la jurisprudence englobait également la période durant laquelle le travailleur n'accomplissait pas effectivement des prestations de travail pour autant que, durant cette période, il ne disposait pas du temps comme il l'entendait devant répondre aux ordres lui transmis par l'employeur) et la Cour de cassation y a vu une notion relevant de l'appréciation souveraine du juge de fond (Cass., 22/09/1971,Pas., 1972, I , p.73).

En d'autres termes, le temps de travail ne coïncide pas nécessairement avec la notion de temps de travail effectif de telle sorte que le temps de travail peut être supérieur à la durée du travail réellement prestée (M. DAVAGLE « La notion de temps de travail », Ors., n°7, septembre 2009, p.3).

L'article 19 alinéa 2 de la loi du 16/03/1971 impose, donc, de considérer comme temps de travail le temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l'employeur sans qu'il soit permis de distinguer selon que des prestations soient effectivement accomplies ou non ; en effet, seul un arrêté royal peut développer de façon particulière et pour certaines branches d'activités (limitativement énumérées à savoir les entreprises de transport, les travailleurs occupés à des travaux de transport et les travailleurs occupés à des travaux essentiellement intermittents) une définition spécifique du temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l'employeur.

En l'espèce, le Roi a rendu obligatoires, les 10/01/1984 et 16/01/1989, les conventions collectives de travail des 08/12/1982 et 25/06/1987 conclues au sein de la commission paritaire des pompes funèbres concernant les conditions de travail et de rémunération (M.B., 29/04/1984 et 28/02/1989).

Ces conventions prévoient d'une part qu'après 1984, la durée hebdomadaire de travail effective peut être supérieure à 38 heures et est compensée par des jours de vacances et d'autre part, qu'un service de garde peut être instauré au sein des entreprises ressortissant à la compétence de la commission paritaire des entreprises de pompes funèbres sur base des modalités suivantes :

« Un service de garde peut être instauré au sein des entreprises après les heures normales ou pendant les dimanches ou jours fériés sans rémunération ni sursalaire. Ce service de garde est établi de commun accord entre l'employeur et le travailleur.

Par service de garde, il y a lieu de comprendre la situation dans laquelle le travailleur se place pour pouvoir être rapidement atteint par son employeur et ainsi répondre immédiatement à tout appel pour fournir des prestations urgentes inhérentes au métier.

Cette garde ne donne pas lieu à une quelconque rémunération ni sursalaire.

En cas de prestations effectives durant cette période de garde, la durée de celle-ci doit être effectivement accordée endéans les deux semaines suivant ces prestations à titre de congé compensatoire normalement rémunéré ».

Cependant, ces conventions collectives sont inapplicables à Monsieur S. car illicites dans la mesure où le Roi a outrepassé l'habilitation lui offerte par le législateur en déterminant la durée du travail dans le secteur des pompes funèbres.

En effet, Le Roi n'était autorisé à sanctionner, par arrêté royal, que les conventions collectives de travail applicables dans trois secteurs précis dont ne font pas partie les pompes funèbres.

La doctrine est, à cet égard, unanime (Voyez : M. DAVAGLE « Travailler : être à la disposition de l'employeur », Ors., 2000, p.12 ; JAMOULE M., GEERKENS E., FOXHAL G, KEFER F. et BREDAEL S., « Le temps de travail - Transformation du droit et des relations collectives de travail », Bruxelles, CRISP, 1997, p.207 ; TRUYENS E. , « Un travailleur dormant » : pourtant, sa durée du travail peut courir », Ors., 1993, p.207 ; BOSLY M. et SARTEAU-THIRION Ch. , « Interprétation de la notion de durée du travail en cas de garde de nuit », Ors., 1982, p.12).

Le Roi n'est donc pas autorisé, s'agissant du personnel des entreprises de pompes funèbres, à déterminer le temps pendant lequel il doit être considéré comme étant à la disposition de l'employeur.

Partant, seule la définition générale de la durée du travail inscrite à l'article 19 alinéa 2 de la loi du 16/03/1971 doit être appliquée.

b) 1) Analyse de l'interprétation jurisprudentielle de la notion de « durée du travail » au regard des seules dispositions de l'article 19 alinéa 2 de la loi du 16/03/1971

Une partie de la doctrine et de la jurisprudence a longtemps soutenu que le temps de garde dormante ne pouvait être considéré comme du temps de travail se fondant, à cet effet, sur deux arguments essentiels :

1) Le temps de présence obligatoire sur les lieux du travail ne constitue par nécessairement du temps de travail ;

2) Le temps de « garde dormante » est, par contre, un moment où le travailleur ne travaille pas (C.T.Liège, 15/06/95, J.T.T., 95, p.34 ; C.T. Bruxelles, 21/03/1988, Chr. D. Soc., 1989, p.46 ; C.T.Gand, 04/10/1979, J.T.T. 1980, p.272 ; T.T. Bruxelles, 27/04/1993, J.T.T. 1994, p.327 ; C.T.Liège, 23/03/1999, RG 5153/95 ; C.T.Bruxelles, 21/03/1988, J.J.T.B.,1988, p. 207 ; T.T.Bruxelles, 27/04/1993, J.T.T. 1994, p.327 ; T.T.Bruxelles, 11/03/1991, J.D.S., 1991, p.32).

Une autre partie de la jurisprudence et de la doctrine a, quant à elle, estimé que le travailleur était, durant toute sa période de garde dormante, à la disposition de l'employeur et que cette période devait être considérée comme du « temps de travail » (M. DAVAGLE « Travailler : être à la disposition de l'employeur », Ors. , 2000, p. 13 ; M. DE GOLS « Les temps de travail », Bruxelles, De Boeck, 1990, p.38 ; J. PETIT, « Arbeidsuur » in Arbeidsrecht, Brugge, Die Keure, 1991, n°37 ; E. TRUYENS, art. cit., p.208 ; C.T.Anvers, 04/01/1994, Chr. D. Soc. , 1994, p. 355 ; C.T.Bruxelles, 20/02/1993, J.J.T.B., 1990, p. 235 ; T.T.Louvain, 24/12/96, Chr. D. Soc., 1997, p.246 ; C.T.Mons, 21/03/2005, J.T.T., 2005, p.453).

Selon ces auteurs et cette jurisprudence, la notion de temps de travail englobe les services de garde dès que le travailleur doit s'attendre à répondre à un appel imprévu dont la possibilité continuelle le maintient à la disposition de l'employeur.

Ce courant s'appuie sur une lecture des travaux parlementaires de la loi du 15/07/1964 (dont la notion de durée de travail fut intégralement reprise dans la loi du 16/03/1971 qui constitue une coordination de la législation antérieure) selon laquelle la possibilité de recevoir un appel imprévu doit être continuelle pour considérer que le travailleur est à la disposition de l'employeur (Doc. Parl. , Sénat, 1963-1964, n°287, p.11).

La Cour de céans approuve ce second courant et considère, à cet effet, que le critère essentiel à prendre en considération pour déterminer si le temps de garde doit être considéré comme du temps de travail porte sur la disponibilité par le travailleur du temps comme il l'entend : le travailleur se trouve-t-il ou non en permanence à la disposition de l'employeur c'est-à-dire à sa disposition, soumis à son pouvoir, en attendant à tout moment ses ordres, prêt à y répondre ?

A cet effet, la Cour de céans estime qu'il n'y pas lieu, en l'espèce, de procéder à la distinction entre une garde dormante (accomplie sous les lieux du travail) et une garde à domicile (dans le cadre d'un régime dit « d'accessibilité » pour paraphraser la Cour de Justice des Communautés européennes) dans la mesure où l'intimée a imposé à Monsieur S. de demeurer en un lieu précis (à savoir, dans un premier temps, dans un appartement situé sur les lieux du travail et, dans un second temps, dans un immeuble directement contigu aux lieux du travail) situation indispensable à la nature même de l'activité lui imposée dans le cadre du régime de garde : en effet, l'intimée a fait relier l'appartement occupé par Monsieur S.(puis l'immeuble contigu acheté par Monsieur S.) à la ligne téléphonique de l'entreprise aux fins de lui permettre d'assurer l'effectivité de cette permanence téléphonique qui était soit imposée à Monsieur S. personnellement (du 15/11/1972 au 01/12/1976) ou dont il devait assurer le suivi lorsque cette permanence fut tenue par un tiers, à partir du 01/12/76, c'est-à-dire pendant la seconde semaine de garde assumée par Monsieur S..

1.2.1.2. Quant à la disponibilité de Monsieur S. durant ses périodes de garde

Pendant ses semaines de garde, Monsieur S .était contraint d'être physiquement présent au lieu déterminé par l'intimée (soit de 1972 à 1982, au n°191 de la Rue........., appartement mis à sa disposition au-dessus des locaux abritant le siège social des établissements gérés par l'intimée et à partir de 1982 au n°193 de la même rue dans un immeuble directement contigu aux locaux professionnels de l'intimée relié par une ligne téléphonique à ces derniers) et de s'y tenir à sa disposition et plus précisément à celle de ses clients.

Il n'est pas contesté que durant les périodes de garde attribuées à Monsieur S.(soit tous les jours de la semaine de 12 heures à 14 heures et de 18 heures à 8 heures le lendemain et 24/24 h. le week-end), ce dernier pouvait être appelé à tout moment pour se rendre au sein de la famille d'un défunt. Il en résulte qu'il assumait des prestations effectives durant sa garde même si ses prestations étaient irrégulières, cette irrégularité étant inhérente à la nature même des activités de son employeur.

La fréquence des gardes (2 semaines par mois) ressort clairement des nombreuses pièces produites au dossier (pièces 2, 5, 6 et 11 de Monsieur S. et 12 et 25 de l'intimée) et des déclarations de Monsieur M. (pages 7 et 8 du PV de comparution personnelle).

Dans le cadre de la comparution personnelle des parties, Monsieur M. a déclaré en substance ce qui suit : « Il y a en moyenne deux décès par jour de telle sorte que les samedis et dimanches de garde, Monsieur S. devait quitter son appartement de fonction pendant une période de 4 heures par jour durant lesquelles son épouse assurait son remplacement ».

Cette affirmation contredit les attestations de Messieurs M.et M. (rédigées en 1995 - pièce 8 dossier intimée) qui relativisent, quant à eux, simplement la lourdeur des prestations imposées à Monsieur S. dès lors qu'ils font observer que le « bip » mis à la disposition des gérants leur permettait le week-end de vaquer à leurs occupations et de pratiquer les activités de leur choix, le téléphoniste de permanence étant, selon eux, avisé de leurs périodes d'indisponibilité.

Quand bien même faudrait-il considérer que ces deux gérants disposaient d'un régime de garde confortable, aucun élément du dossier ne permet de prétendre que tel fut le cas de Monsieur S.!

En effet, interrogé sur la nature des prestations imposées à Monsieur S. durant son régime de garde, Monsieur M. a précisé sans ambages que Monsieur S. devait quitter son appartement de fonction pendant quatre heures par journée le week-end : il ne lui était donc pas offert la possibilité de postposer ses visites du week-end durant la semaine sous peine d'alourdir considérablement sa charge de travail, chaque journée enregistrant son lot de décès impliquant obligatoirement une visite auprès de chaque famille du défunt.

S'il est vrai qu'à partir des années 80, Monsieur S. a pu disposer d'un sémaphone, il n'en demeurait pas moins que cet appareil n'a pas remplacé la personne présente à la permanence téléphonique (voyez déclaration de Monsieur M. -7ème feuillet du procès-verbal d'audience de comparution personnelle des parties du 12/02/09), sa seule utilité consistant à pouvoir, durant la seconde semaine de garde dans le cadre de laquelle il n'assurait pas de permanence téléphonique, être contacté, le cas échéant, en dehors de son domicile pour pouvoir répondre aux appels lui adressés par la clientèle et ayant transité par la centrale téléphonique mais l'usage de cet appareil ne dispensait pas Monsieur S. d'assurer le suivi effectif de l'appel lui lancé : tout ou plus, comme l'a précisé Monsieur S. lors de la comparution personnelle, le sémaphone lui permettait « d'être contacté en cours de route et lui évitait de devoir revenir inutilement à son point de départ lorsqu'il devait se rendre au sein d'une autre famille » (7ème feuillet du procès-verbal d'audition du 12/02/09).

Quoiqu'il en soit, à supposer même que les gardes n'étaient pas aussi pénibles que l'affirme Monsieur S. et qu'il disposait d'une prétendue liberté qu'autorisait l'usage du sémaphone, il n'en demeurait pas moins que Monsieur S. devait demeurer à la disposition de son employeur (et plus particulièrement de la clientèle de ce dernier) pendant toute la période de garde soit 24h /24h de telle sorte qu'il importe peu de quantifier les prestations effectivement accomplies ou non pendant ces périodes.

Partant, toute la durée des gardes assurées par Monsieur S. doit être considérée comme du temps de travail et rémunérée par l'octroi d'un sursalaire ce que la Cour de cassation a confirmé au terme d'un arrêt prononcé le 30/01/1984 (R.G. 4097 inédit et disponible uniquement sur commande auprès du greffe de la Cour de cassation) : « Le temps de garde effectué aussi bien à domicile qu'au sein de l'entreprise doit être considéré comme du temps de travail dès le moment où le travailleur peut être rappelé à tout moment et ce de manière inattendue ».

1.3. Quant à la détermination des sommes auxquelles Monsieur S. s'estime en droit de prétendre à la suite de l'accomplissement de ses périodes de garde durant l'exécution des relations contractuelles (15/11/1972-22/11/1989)

Monsieur S. réclame le paiement des heures supplémentaires qu'il a effectuées à l'occasion de ses gardes (dès le 15/11/1972 : 1 semaine par mois et à partir du 01/12/1976, deux semaines par mois) ou le paiement du repos compensatoire normalement rémunéré non accordé faisant valoir que les sommes d'argent ou les jours de congé lui attribués « ne sont pas en adéquation avec les prestations fournies ».

Aux fins de vérifier si Monsieur S.a perçu une rémunération en adéquation avec la disponibilité offerte par ses soins durant ses périodes de garde, il s'impose de dresser un tableau détaillant année par année, les jours de congé attribués et la rémunération perçue :

Année Gardes/mois Jour de congé Rémunération perçue

1972 1 semaine de garde ½ après-midi de congé / sem RIEN

1973 1 semaine de garde ½ après-midi de congé / sem RIEN

1974 1 semaine de garde ½ après-midi de congé / sem RIEN

1975 1 semaine de garde ½ après-midi de congé / sem RIEN

1976 1 semaine de garde+ 1 semaine suppl. en décembre 1976 ½ après-midi de congé / sem 1 x 7.500 BEF pour la 2ème semaine de garde effectuée en décembre 1976

1977 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 82.500 BEF/an

1978 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 105.000 BEF/an

1979 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 110.000 BEF/an

1980 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 137.500 BEF/an

1981 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 142.500 BEF/an

1982 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 222.000 BEF/an

1983 Idem Idem Idem

1984 Idem Idem Idem

1985 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 238.500 BEF/an

1986 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 240.000 BEF/an

1987 Idem Idem Idem

1988 Idem Idem Idem

1989 2 semaines de garde ½ après-midi de congé/sem 150.000 BEF

total Jusqu'au 22/9/89 2.359.500 BEF(58.490,48 EUR)

Pour prouver que Monsieur S.a perçu une « rémunération » en adéquation avec la disponibilité dont il a fait preuve au cours de sa période de garde, il s'impose exclusivement d'avoir égard aux montants figurant sur les fiches de paie et les comptes individuels établis au cours de la période litigieuse et produits aux dossiers des parties qui attestent de la rémunération officiellement accordée à Monsieur S. en contrepartie de l'exécution des prestations de travail, ces sommes devant être mises en parallèle avec les jours de congé normalement rémunérés ainsi que la rémunération en noir allouée en compensation des prestations accomplies durant les périodes de garde.

A cet effet, la Cour de céans estime que la note de calcul actualisée figurant à la pièce 63 du dossier de Monsieur S. apparaît juste et bien vérifiée dès lors qu'elle répertorie adéquatement la rémunération à laquelle est en droit de prétendre Monsieur S. à titre d'absence de repos compensatoire normalement rémunéré laquelle a été fixée à la somme de 476.239,45 euros après déduction de la rémunération correspondant à l'après-midi de congé et à celle versée en noir relatif à la seconde semaine de garde.

A. Détermination du nombre d'heures supplémentaires prestées

1. 52 semaines (1 an) - 4 semaines (congés légaux) = 48 semaines ;

2. en compensation de la 1ère semaine de garde : le mercredi après-midi de congé, soit 168 h./an (= 48 x 3,5 h./an) ;

3. heures supplémentaires : (24h/jour x 7) - 40 h/sem. = 128 h. suppl./sem.

4. 1 semaine de garde toutes les 4 semaines du 01.12.1972 au 30.11.1976, soit 12 semaines par an (= 48/4)

Par an : (128 h x 12) - (3,5 h x 48 sem.) = 1.368 heures suppl.

5. 2 semaines de garde toutes les 4 semaines du 01.12.1976 au 22.09.1989, soit 24 semaines par an (= 48/2)

Par an : (128 h x 24) - (3,5 h x 48 sem.) = 2.904 heures suppl.

B. Détermination de la rémunération de base horaire (BEF)

Année pièce Rém. brute/an Rém. brute/mois Rém. brute/sem. Rém. brute/horaire

1972 62.1 30.000,00 8.955,22 2.066,59 51,66

1973 62.2 271.988,00 19.638,12 4.531,87 113,30

1974 62.3 329.550,00 23.794,22 5.490,97 137,27

1975 62.4 367.450,00 26.530,69 6.122,47 153,06

1976 62.5 410.990,00 29.674,37 6.847,93 171,20

1977 62.6 481.904,00 34.794,51 8.029,50 200,74

1978 62.7 559.822,00 40.420,36 9.327,78 233,19

1979 62.8 666.623,00 48.131,62 11.107,30 277,68

1980 25 948.727,00 68.500,14 15.807,73 395,19

1981 24 910.051,00 65.707,65 15.163,30 379,08

1982 23 851.176,00 61.456,75 14.182,33 354,56

1983 22 865.735,00 62.507,94 14.424,91 360,62

1984 21 903.683,00 65.247,87 15.057,20 376,43

1985 20 929.677,00 67.124,69 15.490,31 387,26

1986 19 938.781,00 67.782,02 15.642,00 391,05

1987 18 938.781,00 67.782,02 15.642,00 391,05

1988 17 941.318,00 67.965,20 15.684,28 392,11

1989 16 70.521,00 16.274,08 406,85

C. Tarif applicable aux heures supplémentaires

1. Lundi au samedi : 150 % et dimanche : 200 %

2. 1 semaine de garde par mois correspond à 1.368 heures par an

Sur 1 année de travail - dont 1 semaine de garde - combien de dimanche de garde ?

24 h x 12 sem. = 288 heures par an rémunérées à 200 %

Sur 1 année de travail - dont 1 de garde - combien de lundi à samedi de garde ?

1.368 h. - 288 h. = 1.080 heures par an rémunérées à 150 %

3. 2 semaines de garde par mois correspondent à 2.904 heures par an

Sur 1 année de travail - dont 2 semaines de garde - combien de dimanche de garde ?

24 h x 24 sem. = 576 heures par an rémunérées à 200 %

Sur 1 année de travail - dont 1 de garde - combien de lundi à samedi de garde ?

2.904 h. - 576 h. = 2.328 heures par an rémunérées à 150 %

D.Détermination de la rémunération pour les heures supplémentaires pour la période du 15.11.1972 au 22.09.1989

Année Sem. G/an Rém. brute/hor. Rém. heur. Supp.à 200% Rém. heur. Supp.à 150% Rém. totale due pour heures supp. Rém. correspo à l'AM de congé Rém. perçue pour la 2ème semaine

1972 1 (déc) 51,66 2.479,91 11.159,59 13.639,49 723,31 00

1973 12 113,30 65.258,99 183.540,92 248.799,91 19.033,87 0,00

1974 12 137,27 79.070,04 222.384,48 301.454,51 23.062,09 0,00

1975 12 153,06 88.163,51 247.959,87 336.123,38 25.714,36 0,00

1976 13(12+1) 171,20 106.827,73 314.320,04 421.147,76 28.761,31 7.500,00

1977 24 200,74 231.249,68 700.975,60 932.225,29 33.723,91 82.500,00

1978 24 233,19 268.639,94 814.314,81 1.082.954,75 39.176,66 105.000,00

1979 24 277,68 319.890,18 969.667,11 1.289.557,29 46.650,65 110.000,00

1980 24 395,19 455.262,50 1.380.014,45 1.835.276,95 66.392,45 137.500,00

1981 24 379,08 436.703,17 1.323.756,49 1.760.459,67 63.685,88 142.500,00

1982 24 354,56 408.451,02 1.238.117,16 1.646.568,18 59.565,77 222.000,00

1983 24 360,62 415.437,40 1.259.294,62 1.674.732,02 60.584,62 222.000,00

1984 24 376,43 433.647,38 1.314.493,63 1.748.141,01 63.240,24 222.000,00

1985 24 387,26 446.121,04 1.352.304,39 1.798.425,43 65.059,32 238.500,00

1986 24 391,05 450.489,74 1.365.547,04 1.816.036,78 65.696,42 240.000,00

1987 24 391,05 450.489,74 1.365.547,04 1.816.036,78 65.696,42 240.000,00

1988 24 392,11 451.707,17 1.369.237,35 1.820.944,51 65.873,96 240.000,00

1989 24 406,85 468.693,42 1.420.726,92 1.889.420,33 68.351,12 150.000,00

TOTAL (BEF) 22.431.944,06 860.992,37 2.359.500,00

(EUR) 556.073,37 21.343,44 58.490,48

Total 19.211.451,69 BEF

Restant dû : 476.239,45 EUR

Il n'y a pas lieu de prendre en compte, pour le calcul théorique des heures supplémentaires dues en raison de l'absence de repos compensatoire normalement rémunéré, les éléments suivants :

a) la « rémunération » versée à l'épouse de Monsieur S. en compensation des prestations accomplies par Monsieur S. en 1978, 80 et 81, Madame S. n'étant évidemment pas partie au litige et ayant été contrainte de justifier tant au regard de l'administration fiscale que de l'INASTI la perception par ses soins de revenus mentionnés sur une fiche 281.50 alors qu'elle n'était pas liée par contrat vis-à-vis de l'intimée ;

b) la prise en charge par l'intimée d'une partie de la dette d'impôt du beau-père de Monsieur S.( !) (La Cour ignore le fondement légal de pareille intervention) ;

c) les avantages en nature déduits de la mise à disposition d'un appartement ou de la prise en charge de tout ou partie des frais de chauffage et d'électricité à tout le moins jusqu'en 1982 : en effet, la valeur des avantages en nature ne peut être considérée comme une rémunération au sens des dispositions de la loi du 12/04/1965 lorsque la partie de la rémunération qui est payée en nature n'a pas été préalablement évaluée par écrit et portée à la connaissance du travailleur ( Cass., 14/04/1986, Pas., I, p.989 ; Cass. , 15/03/2004, Pas., I , p. 430), obligations non respectées en l'espèce ;

d) les titres-repas octroyés à Monsieur S.. L'intimée ne prouve pas que l'octroi des titres-repas a été opéré dans le respect des dispositions de l'article 19bis de l'arrêté royal du 28/11/1969. Des avantages tels que des titres-repas ne peuvent être octroyés en lieu et place d'une rémunération de base mais doivent être accordés en sus de celle-ci ;

e) de même, l'intimée ne prouve pas que son intervention pour les frais de voiture exposés par Monsieur S.a excédé les frais réels engendrés par son usage dans le cadre de l'exécution de ses prestations professionnelles.

D'autre part, toute comparaison de situation entre Monsieur S. et d'autres membres du personnel, tel Monsieur M. ( pièce 14 du dossier de l'intimée) est absolument irrelevante dès lors que d'une part, rien n'indique que ce collaborateur exerçait la même fonction avec la même charge de travail (régime de garde) que celle imposée à Monsieur S. et, d'autre part, que s'agissant d'une rémunération individuellement convenue, la Cour n'a pas à examiner le régime rémunératoire accordé à d'autres membres du personnel.

Enfin, faut-il rappeler à l'intimée que même si Monsieur S. n'a pas contesté sa situation au cours de l'exécution des relations contractuelles (quod non, cependant vu les demandes d'augmentation régulièrement introduites par Monsieur S. auprès de Monsieur M.), on ne pourrait dénier le droit à Monsieur S. de faire valoir en justice sa prétention au bénéfice d'une indemnité compensant l'absence de congés normalement rémunérés ?

La théorie dite de la « rechtsverwerking » n'énonce pas un principe général de droit (Cass., 17/05/90, Pas., I, p. 1001) : en effet, la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation (Cass., 09/12/1971, Pas., 1972, I, p. 351 ; Cass., 07/02/1979, Pas, I, p. 654). Il en va de même de la déchéance d'un droit.

1.4. Quant aux éléments constitutifs de l'infraction pénale alléguée à charge de Monsieur M., mandataire de l'intimée

La loi pénale peut ériger en infraction le non-respect de la réglementation sans toutefois exiger de l'agent qu'il agisse en étant mu par une intention particulière. En réalité, la sanction répressive s'attache à la violation matérielle de la disposition incriminée et ce même si l'agent ignorait la caractère délictueux de son comportement (voyez : F. KUTY « Principes généraux du droit pénal belge - La loi pénale », Larcier, 2007, p.476 et 477 et les nombreuses références citées ).

Au terme d'un arrêt prononcé le 27/09/05 (Pas, I, p.1751), la Cour de cassation a rappelé que les principes généraux du droit pénal qui requièrent un élément moral pour chaque infraction dont la charge de la preuve incombe à la partie poursuivante et éventuellement à la partie civile, ne font pas obstacle au fait que pour certaines infractions, en raison du caractère propre de l'acte punissable, la preuve selon laquelle l'auteur a commis sciemment et volontairement le fait résulte de la contravention à la prescription même sous l'unique réserve que l'auteur ne peut être tenu pour responsable lorsque la force majeure, l'erreur invincible ou une autre cause exclusive de peine est démontrée ou, à tout le moins, n'est pas dépourvue de crédibilité.

Les infractions dites réglementaires requièrent, dès lors, la preuve d'un élément moral à savoir une faute (voyez Cass., 03/10/94, Pas., I, 788 et les conclusions de J.F. LECLERCQ selon lesquelles la transgression matérielle d'une disposition légale ou réglementaire en matière de cotisations de sécurité sociale pour travailleurs salariés constitue en soi une faute qui entraîne la responsabilité civile de son auteur à condition que cette transgression soit commise librement et concurremment), quand bien même cette dernière peut se déduire de la seule circonstance que le fait a été matériellement commis, sans qu'il soit nécessaire que l'agent ait agi intentionnellement (Cass., 31/01/1989, Pas., I, p.577) pour autant que ce dernier ne puisse se justifier (Cass., 08/10/2002, Pas, I, p. 1862) (Voyez : O. MICHIELS « Les interactions entre la prévisibilité du dommage et l'élément moral des infractions », J.T., 2009, p.561).

La majorité de la doctrine et de la jurisprudence considère que l'élément intentionnel caractérisant l'infraction d'omission (comme en l'espèce, le non-paiement de la rémunération due aux échéances prévues par la réglementation) existe lorsque l'acte infractionnel a été commis librement c'est-à-dire lorsque son auteur ne peut exciper avec vraisemblance d'une cause de justification comme l'erreur invincible, l'état de nécessité ou la force majeure qui auraient annihilé son comportement (F. KEFER « L'erreur invincible de l'employeur ou l'infraction imputable comme condition d'application de la prescription quinquennale de l'action « ex delicto » Chr. D. Soc., 2000, p.257 et ss. et spécialement p.260 ; F. LAGASSE et M. PALUMBO « Action civile naissant d'un délit, délai de prescription et Cour de cassation », J.T.T. 2007, p.473).

En l'espèce, il appartient à Monsieur S. de prouver la réunion de deux éléments à savoir, d'une part, l'élément matériel déduit de la violation des dispositions de la loi du 16/03/1971 sur le travail ainsi que de celle du 12/04/65 concernant la protection de la rémunération et, d'autre part, l'imputabilité de l'infraction à l'intimée qui a agi par l'intermédiaire d'une personne physique, Monsieur M. en sa qualité d'administrateur-délégué de l'intimée, l'élément moral se confondant avec la transgression matérielle des dispositions légales en cause de telle sorte que cet élément ne doit pas être démontré par Monsieur S..

a) Quant à l'élément matériel

Le non-paiement de la rémunération due à un salarié (ou plutôt, comme en l'espèce, l'absence de congé compensatoire normalement rémunéré ou rémunéré sous forme de « sursalaires ») constitue une infraction pénale.

Si certaines incriminations de droit pénal social visent des rémunérations spécifiques (à titre d'exemples, les sursalaires visés à l'article 53, 3° de la loi du 16/03/1971 sur le travail), elles sont, toutefois, chapeautées par la disposition générale de l'article 42 de la loi du 12/04/1965 qui punit l'employeur, ses préposés ou mandataires en défaut de payer la rémunération au sens donné à ce terme de l'article 2 de ladite loi et ce quelle que soit la source de l'obligation de payer.

La Cour de cassation a, en effet, jugé que le non-paiement de la rémunération due aux intervalles réguliers prévus par l'article 9 de la loi du 12/04/65 impliquait qu'il n'y avait pas eu de paiement aux époques fixées, ce non-paiement étant punissable en vertu de l'article 42,1° de cette loi (Cass., 17/06/1996, J.T.T. 1996, p. 331, note C. WANTIEZ).

Ainsi, l'élément matériel se déduit purement et simplement de la violation des dispositions de la loi du 16/03/1971 sur le travail ainsi que de celle de la loi du 12/04/1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs.

b) Quant à l'imputabilité

Le fait fautif doit évidemment être imputable à Monsieur M., personne physique par l'entremise de laquelle, l'intimée a transgressé les obligations légales lui imposées.

Monsieur M. doit, pour que l'infraction ne lui soit pas imputable, établir l'existence d'une cause de justification tels l'erreur invincible, l'état de nécessité ou la force majeure.

L'erreur invincible est celle que commettrait, en raison d'un événement externe, une personne normalement pensante et avisée (Cass., 15/03/94, Pas., I , p.261 ; Cass., 21/09/94, Pas., I, p.750) replacée dans les mêmes circonstances (Cass., 08/02/08, www.juridat.be).

La force majeure est la situation visée par l'article 71 du Code pénal à savoir lorsque « l'accusé ou le prévenu... a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ».

Quant à l'état de nécessité, il suppose l'existence d'un conflit entre deux valeurs : d'une part, une valeur dont le non-respect est sanctionné pénalement et, d'autre part, une valeur qui est jugée plus fondamentale, qui est soumise à un péril grave et imminent et dont la sauvegarde justifie que l'on y sacrifie la première (voyez : J. VERMAEGEN « L'acte de sauvegarde inadéquat et ses conséquences pénales et civiles » note sous Cass., 21/03/1979, R.C.J.B., 1982, p. 141 et ss.).

En l'espèce, Monsieur M. estime pouvoir, à titre infiniment subsidiaire, invoquer le bénéfice de la cause de justification résultant de son ignorance invincible « à savoir n'avoir jamais été informé par Monsieur S. ou d'autres tiers de ce que l'on pouvait contester son statut de personnel de direction ou de confiance et/ou que les accords passés entre les parties pouvaient eux-aussi être contestés ».

Ce moyen de défense ne résiste pas à l'analyse : l'intimée ne peut raisonnablement soutenir que toute personne normalement prudente et diligente, placée dans les mêmes circonstances aurait agi comme elle l'a fait.

A supposer même que l'intimée ignorait la manière de rémunérer les heures supplémentaires accomplies par Monsieur S., elle avait l'obligation de s'informer de l'étendue de ses obligations quant à ce.

En outre, s'il est incontestable que l'absence de réclamation d'un travailleur ne peut constituer une erreur invincible au sens de la loi, il n'en demeure, toutefois pas moins, qu'il se déduit des pièces du dossier que l'intimée avait connaissance du mécontentement de Monsieur S. portant tant à la fois sur la modicité de la rémunération allouée en compensation des gardes effectives (que ce soit sous forme de demi-jours de congé rémunérés ou sous forme d'une rémunération accordée en noir pour la seconde semaine de garde) ainsi que sur la lourdeur de la charge de travail pesant sur Monsieur S. et son épouse (voyez à cet effet les courriers des 01/03/78 et 02/03/1985 adressé par Monsieur S. à Monsieur M. et dépourvus de la moindre ambiguïté quant à leur contenu).

Monsieur M. est dès lors de mauvaise foi lorsqu'il prétend n'avoir jamais été avisé par Monsieur S. ou par un tiers (à cet effet, Madame S. se vit, elle aussi, contrainte de dénoncer entre autres auprès de Monsieur M. ses « conditions de travail » l'empêchant de pouvoir promener ses enfants le mercredi après-midi ce qui engendra le 19/04/1976 une réponse toute empreinte de cynisme de la part de Monsieur M....) des conditions de travail pénibles et de la faiblesse de la rémunération accordée en contrepartie des prestations accomplies en régime de garde.

La Cour de céans ne peut que rejeter le moyen de défense déduit de l'erreur invincible invoqué par Monsieur M. pour valoir à titre de cause de justification subjective.

Monsieur M. ne s'est à aucun moment interrogé sur l'existence d'une quelconque législation régissant les heures de travail et la manière dont les travailleurs chargés d'assurer une garde devaient être rémunérés alors qu'il lui incombait, en tant qu'administrateur-délégué de l'intimée, de vérifier la législation applicable et de prendre les dispositions qui s'imposaient.

Monsieur M. n'a été animé que d'un seul mobile à savoir celui de réaliser des économies aux fins d'accroître la rentabilité financière de ses établissements.

c) Délit continué et prescription

Est continuée l'infraction composée d'une série continue d'infractions instantanées (telles le non-paiement de la rémunération) qui procèdent de la même intention infractionnelle. Sa prescription ne prend cours qu'après la dernière infraction instantanée commise (F. KEFER et J. CLESSE « La prescription extinctive en droit du travail » in « Les prescriptions et les délais », Actes du Colloque organisé par la Conférence libre du Jeune barreau de Liège le 25/5/07, Ed. Jeune Barreau de Liège, 2007, p. 119 et ss. et spécialement p.162 et la jurisprudence citée).

La jurisprudence considère que le non-paiement de la rémunération constitue une infraction continuée s'il n'y a pas d'interruption dans l'enchaînement des infractions. Inversement, l'existence d'un seul paiement correct de la rémunération au milieu de la période infractionnelle suffit à interrompre la « chaîne » des paiements insuffisants (Voyez F. LAGASSE et M. PALUMBO, art. cit. p.478).

De plus, les diverses infractions constituant la « chaîne » doivent être reliées entre elles par une unité d'intention propre c'est-à-dire la volonté de l'auteur de l'infraction de répéter cette infraction pendant une période continue. Celle-ci est souverainement appréciée par le juge de fond (J. CLESSE et F. KEFER « La prescription extinctive en droit du travail » J.T.T. 2001, pp. 201 et ss. et pp. 205 et ss.)

L'entrée en vigueur, le 31/7/1994, du nouvel article 65 du Code pénal a conduit certains auteurs à considérer que la notion de délit continué avait vécu.

Le nouveau texte légal est rédigé comme suit :

« Lorsque le même fait constitue plusieurs infractions ou lorsque différentes infractions soumises simultanément au même juge du fond constituent la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, la peine la plus forte sera seule prononcée.

Lorsque le juge de fond constate que des infractions ayant antérieurement fait l'objet d'une décision définitive et d'autres faits dont il est saisi et qui, à les supposer établis, sont antérieurs à ladite décision et constituaient avec les premiers la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse, il tient compte, pour la fixation de la peine, des peines déjà prononcées. Si celles-ci lui paraissent suffire à une juste répression de l'ensemble des infractions, il se prononce sur la culpabilité et renvoie dans sa décision aux peines déjà prononcées. Le total des peines prononcées en application de cet article ne peut excéder le maximum de la peine la plus forte ».

F. LAGASSE et M. PALUMBO (art. cit. p. 478) résument comme suit le raisonnement développé par les auteurs considérant que l'article 65 précité a mis fin à la théorie du délit continué :

« - l'infraction continuée constitue une fiction juridique ;

- la nouvelle disposition légale prévoit des règles particulières pour la détermination de la peine lorsque plusieurs infractions identiques, constituent les unes avec les autres la manifestation successive et continue de la même intention délictueuse ;

- les autres conséquences de la fiction du fait unique doivent, logiquement, disparaître pour les manquements commis à partir du 31 juillet 1994.

La conséquence en serait que, chaque fois qu'une infraction instantanée (comme le non-paiement de rémunération) est commise, le délai de prescription afférent à cette infraction prend cours le jour où elle a été commise, et non plus, à la date à laquelle la dernière infraction résultant de la même intention délictuelle a été commise. Une partie de la jurisprudence a adopté cette interprétation ». (Voyez à cet effet : C.T. Gand, 8/9/2000, Chr. D. Soc. 2002, p.444)

Cette lecture du nouvel article 65 du Code pénal est, toutefois, condamnée par la Cour de cassation : au terme d'un premier arrêt prononcé le 2/2/04 (Chr. D. Soc., 2004, p. 437), la Cour de cassation a rappelé que le nouvel article 65 du Code pénal concernait uniquement la détermination de la peine lorsque le juge constatant que le fait dont il était saisi constituait un délit qui avait déjà fait l'objet d'une décision coulée en force de chose jugée ajoutant que cette disposition légale laissait, par contre, intacte la règle selon laquelle en cas d'unité d'intention délictueuse, la prescription de l'action courait à partir du dernier fait commis avec la même intention.

La Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence au terme de deux arrêts subséquents prononcés les 12/2/07 (J.T.T. 2007, p. 213) et 7/4/08 (www.juridat.be), la motivation adoptée par la Cour de cassation au terme de ce dernier arrêt étant rédigée comme suit :

« La modification apportée à l'article 65 du Code pénal par l'article 45 de la loi du 11/07/94 (...) est sans effet sur la règle selon laquelle si plusieurs faits délictueux sont l'exécution successive d'une même résolution criminelle et ne constituent, ainsi, qu'une seule infraction, celle-ci est entièrement consommée et la prescription de l'action publique ne prend cours, à l'égard de l'ensemble des faits, qu'à partir du dernier de ceux-ci, pourvu qu'aucun d'entre eux ne soit séparé du suivant par un temps plus long que le délai de prescription applicable, sauf interruption ou suspension de la prescription.

En refusant d'appliquer cette règle pour considérer comme prescrite la demande se rapportant à des faits antérieurs aux cinq dernières années précédant la date où il tient la prescription pour interrompue, l'arrêt viole l'article 65 du Code pénal. »

En l'espèce, la Cour de céans considère que l'intimée qui a, délibérément et en poursuivant un même objectif à savoir celui de réaliser des économies, omis de verser pendant toute la période d'exécution des relations de travail la rémunération due à Monsieur S.a commis un délit continué.

L'ensemble des faits délictueux commis s'étendant du 15/11/1972 au 22/09/1989 constitue l'exécution successive d'une même intention infractionnelle de telle sorte que cette unique infraction n'a été entièrement consommée qu'à dater du dernier fait fautif, soit le 22/09/1989.

d) Conclusions

La responsabilité pénale de l'intimée est incontestablement établie dès lors que :

- Monsieur S.a effectué durant ses deux périodes de garde par mois des heures supplémentaires qui n'ont pas fait l'objet de jours de repos compensatoires normalement rémunérés (sauf 3 x ½ jour par semaine) ni de sursalaires en violation tant de la loi du 16/03/1971 sur le travail que de la loi du 12/04/1965 sur la protection de la rémunération, dispositions légales sanctionnées pénalement ;

- Le paiement d'heures supplémentaires ou l'octroi de repos compensatoire normalement rémunéré constitue une obligation qui s'imposait à Monsieur M. en sa qualité d'administrateur-délégué de l'intimée ;

- Monsieur M. a posé l'acte répréhensible en dehors des causes de justification et d'excuse prévues par le Code pénal ;

- L'infraction telle qu'établie est imputable personnellement à Monsieur M., soit la personne physique par l'entremise de laquelle l'intimée a commis l'infraction matérielle lui reprochée à savoir le non-paiement de la rémunération due aux échéances prévues par la réglementation ;

- Les infractions commises durant l'exécution des relations contractuelles constituent un délit continué, chacun des actes posés par Monsieur M. ayant pris une place déterminée dans le système développé par ses soins pour échapper à ses obligations et, partant, accroître la rentabilité financière de ses établissements au détriment de Monsieur S.;

- Dès l'instant où la Cour de céans conclut à l'unité d'intention délictueuse dans le chef de Monsieur S., le délai de prescription n'a commencé à courir que le 22/09/1989, soit au jour de la suspension des relations contractuelles en raison de l'état d'incapacité de travail de Monsieur S., et a été utilement interrompu par la citation signifiée le 6/10/1992. Monsieur S. est, dès lors, en droit de récupérer les arriérés de rémunération dus depuis le 15/11/1972, le point de départ de la prescription étant fixé à la date du dernier fait délictueux (Cass., 2/5/2006, www.juridat.be).

- Monsieur S. est en droit de prétendre à charge de l'intimée à la somme de 476.239,45 euros bruts à titre d'indemnité compensatoire d'heures supplémentaires ou d'absence de repos compensatoire calculés au taux de 150 % (du lundi ou samedi) et de 200% (dimanches et jours fériés) pour toute la période infractionnelle soit du 15/11/1972 au 22/09/1989, sous déduction des retenues sociales et fiscales, les montants nets étant augmentés des intérêts compensatoires calculés à partir de la date moyenne du 1/1/1983 jusqu'au 30/06/05 et sur les montants bruts dus à partir du 1/7/05 jusqu'à parfait paiement.

La capitalisation des intérêts (cette demande n'a pas suscité la moindre réaction dans le chef de l'intimée) est acquise à Monsieur S. dès lors que les intérêts sollicités par ce dernier portent sur une année entière à partir du 27/06/07 (date de la citation après cassation). Les conditions de l'article 1154 du Code civil sont assurément réunies :

- les intérêts sont bien échus au sens de la disposition susvisée ;

- il portent sur plus d'une année ;

- ils ont été explicitement réclamés par Monsieur S. au terme de sa citation devant la Cour de céans après l'arrêt de la Cour de cassation prononcé le 23/10/06 et postulés, également, au terme de conclusions de synthèse après comparution personnelle des parties prises par Monsieur S. le 15/7/09.

La requête d'appel de Monsieur S. est entièrement fondée et le jugement dont appel doit être réformé en toutes ses dispositions.

1.5. Quant à la demande d'enquêtes formulée à titre subsidiaire par l'intimée

Au risque de se répéter, la Cour de céans entend rappeler que cette demande ne peut être rencontrée dans la mesure où les faits soumis à preuve n'apparaissent pas pertinents à la solution du litige.

En effet, la Cour de céans a eu l'occasion de préciser que la mesure d'instruction ordonnée par ses soins au terme de l'arrêt prononcé le 1er décembre 2008 lui a permis d'asseoir sa conviction sur le fondement des prétentions développées par Monsieur S.: la comparution personnelle des parties et le caractère contradictoire du débat qu'elle a suscité éclairé par les pièces des dossiers des parties soumises à leurs commentaires a, en effet, permis d'évacuer les zones d'ombre de ce dossier de telle sorte que toute autre mesure d'instruction apparaît inutile.

1.6. Quant aux dépens

1.6.1. Dépens dus pour les procédures antérieures

L'entrée en vigueur de la loi du 21/4/07 n'emporte pas application du nouveau tarif des indemnités de procédure afférentes aux procédures antérieures, ces dernières étant réglées par la législation en vigueur lors de la clôture des débats (voyez : Mons, 26/2/2008, J.L.M.B. , 2008 p.1138 ; C.T. Liège, 15/4/08, J.T.T. 2008, p.369 et dans le même sens : H. BOULARBAH « Appel et répétibilité des frais et honoraires de première instance » obs. sous Civ. Bruxelles, 17/4/08, J.T. 2008, p. 374)

Monsieur S. ne peut, dès lors, prétendre qu'au bénéfice de l'indemnité de procédure prévue par l'arrêté royal du 30/11/1970 fixant pour l'exécution de l'article 1022 du Code judiciaire le tarif des dépens recouvrables en ce qui concerne la limitation de ses dépens pour les procédures antérieures à la présente instance.

Dès lors que Monsieur S. obtient gain de cause dans le cadre de la présente procédure mue après le second arrêt de la Cour de cassation devant la Cour de céans, l'intimée doit être condamnée au paiement des dépens fixés par la Cour du travail de Liège au terme de son arrêt du 17/8/04 (1ère instance : (Tribunal du travail de Bruxelles) + appel devant la Cour du travail de Bruxelles + appel après cassation) soit un montant total de 560,94 euros.

D'autre part, par arrêt du 23/10/06, la Cour de cassation a condamné « le demandeur (Monsieur S.) à la moitié des dépens (...). Les dépens ont été taxés à la somme de 178,33 euros envers Monsieur S. et à la somme de 132,47 euros envers la SA POMPES FUNEBRES M. ».

Dès lors que Monsieur S. obtient gain de cause devant la Cour de céans, l'intimée doit être condamnée à supporter la moitié des dépens taxés envers Monsieur S. ans le cadre de l'instance mue devant la Cour de cassation soit la somme de 89,16 euros.

1.6.2. Dépens dus pour la procédure mue devant la Cour de céans

La répétibilité des frais et honoraires d'avocat est réglementée par la loi du 21 avril 2007 et l'arrêté royal du 26 octobre 2007.

Elle est intégrée dans le droit judiciaire (à savoir le nouvel article 1018,6° du Code judiciaire qui dispose que « les dépens comprennent l'indemnité de procédure visée à l'article 1022 du Code judiciaire) et non plus dans celui de la responsabilité civile.

Auparavant, les dépens comprenaient une indemnité de procédure définie comme « une rémunération tarifée d'une partie des prestations de l'avocat pour l'accomplissement de certains actes matériels en qualité de mandataire ad litem » (G. DE LEVAL, Eléments de procédure civile, 2ème éd., Bruxelles, Larcier, 2005, p.458, 5341).

Désormais, le nouvel article 1022 du Code judiciaire définit l'indemnité de procédure comme « une intervention forfaitaire dans les frais et honoraires d'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause ». Il précise d'ailleurs « qu'aucune partie ne peut être tenue au paiement d'une indemnité pour l'intervention de l'avocat d'une autre partie au-delà du montant de l'indemnité de procédure ».

Les dispositions de l'arrêté royal du 26 octobre 2007 fixant le tarif des indemnités de procédure visées à l'article 1022 du Code judiciaire et fixant la date d'entrée en vigueur des articles 1er et 13 de la loi du 21 avril 2007 relative à la répétibilité des honoraires et frais d'avocat sont applicables aux affaires en cours à dater du 1er janvier 2008, ce qui est le cas en l'espèce, la notion « d'affaires en cours » recouvrant toute cause non encore jugée lors de l'entrée en vigueur des dispositions nouvelles (Cass., 27.10.1977, Pas., 1978, I, p.252).

Conformément aux dispositions de la loi du 21/4/2007, le montant de la demande est calculé sur base des principes édictés par les articles 557 à 562 du Code judiciaire relatifs à la détermination de la compétence et du ressort c'est-à-dire qu'il s'entend du montant réclamé dans l'acte introductif d'instance à l'exclusion des intérêts judiciaires et de tous dépens ainsi que des astreintes. Cependant, lorsque la demande a été modifiée en cours d'instance, le ressort sera déterminé par la somme demandée dans les dernières conclusions (article 618 du Code judiciaire - Cass., 19/2/2004, www.juridat.be).

Monsieur S. est en droit de bénéficier d'une indemnité de procédure d'appel fixée entre les minima et les maxima visés par l'article 2 de l'A.R. du 26/10/2007 sur base des quatre critères arrêtés par l'article 1022 du Code judiciaire.

L'indemnité de procédure est celle reprise comme montant de base dans le tableau applicable au litige (article 1022, alinéa 3 du Code judiciaire).

Le juge ne peut retenir un autre montant que dans les conditions suivantes :

- au moins une des parties le demande (demande éventuellement formulée sur interpellation par le juge - nouvel article 1022, alinéa 3 C.J. tel que modifié par la loi du 28/12/2008, M.B. 12/1/2009) ;

- le jugement est spécialement motivé sur ce point ;

- le montant retenu est compris entre les montants maxima et minima du tableau ;

- un ou plusieurs des critères suivants sont pris en compte :

1. la capacité financière de la partie succombante (uniquement pour diminuer le montant de l'indemnité) ;

2. la complexité de l'affaire ;

3. les indemnités contractuelles convenues pour la partie qui obtient gain de cause ;

4. le caractère manifestement déraisonnable de la situation.

En l'espèce, Monsieur S. sollicite la condamnation de l'intimée à l'indemnité de procédure de base (10.000 euros) prévue dans la tranche comprise entre 500.000 euros et 1.000.000 euros et ce au motif, selon lui, qu'il s'impose d'avoir égard au montant de la demande réclamé dans les dernières conclusions augmenté des intérêts légaux, somme totale qui excède 500.000 euros.

Comme rappelé supra, Monsieur S. ne peut inclure les intérêts légaux dans le montant de la demande : la Cour ne peut avoir égard qu'à la somme postulée dans les dernières conclusions, soit 476.239,45 euros, de telle sorte que l'indemnité de procédure de base due dans la cadre de l'instance mue devant la Cour de céans doit être celle visée dans la tranche comprise entre 250.000 et 500.000 euros, soit la somme de 7.000 euros.

Il est à noter que l'intimée n'a pas sollicité la réduction de l'indemnité de procédure de base postulée par Monsieur S..

* * *

PAR CES MOTIFS,

La Cour du travail,

Statuant contradictoirement,

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, notamment l'article 24,

Déclare la requête d'appel de Monsieur S. entièrement fondée ;

Réforme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

Condamne la S.A. POMPES FUNEBRES M. à verser à Monsieur S. la somme de 476.239,45 euros bruts à titre d'indemnité compensatoire d'heures supplémentaires ou d'absence de repos compensatoire, calculés au taux de 150 % (du lundi au samedi) et de 200 % (le dimanche) pour toute la période infractionnelle soit du 15/11/1972 au 22/9/1989, sous déduction des retenues sociales et fiscales, ces sommes devant être augmentées des intérêts légaux dus sur les montants nets du 1/1/1983 (date moyenne) jusqu'au 30/6/2005 et sur les montants bruts à partir du 1/7/2005 jusqu'à parfait paiement (art. 10 de la loi du 12/4/1965 sur la protection de la rémunération) ;

Condamne la S.A. POMPES FUNEBRES M. à la capitalisation des intérêts échus dès qu'ils portent sur une année entière à dater du 27/06/07 (date de la citation après cassation), cette demande ayant été renouvelée après comparution personnelle des parties au terme des conclusions de synthèse de Monsieur S. déposées le 15/07/09 ;

Condamne la S.A.POMPES FUNEBRES M. aux frais et dépens des différentes instances taxés par la Cour de céans à la somme de 7.650,10 euros se ventilant comme suit :

- dépens taxés par l'arrêt de la Cour du travail de Liège du 17/08/04 : 560,94 euro ,

- dépens devant la Cour de cassation (arrêt du 23/10/06) : 89,16 euro ,

- dépens devant la Cour du travail de Mons : 7.000,00 euro

Ainsi jugé et prononcé, en langue française, à l'audience publique du 18 janvier 2010 par le Président de la 2ème Chambre de la Cour du travail de Mons composée de :

Monsieur X. VLIEGHE, Conseiller présidant la Chambre ;

Madame M. DISCEPOLI, Conseiller social au titre d'employeur,

Monsieur Cl. CHARON, Conseiller social au titre de travailleur employé,

Monsieur S. BARME, Greffier.

qui en ont préalablement signé la minute.