Cour du Travail: Arrêt du 24 décembre 2002 (Mons (Mons)). RG 17615

Date :
24-12-2002
Langue :
Français
Taille :
9 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20021224-2
Numéro de rôle :
17615

Résumé :

La demande de régularisation ne modifie donc en rien la nature illégale du séjour. La non exécution provisoire et conditionnée d'une mesure d'expulsion qu'elle soit inscrite ou non dans une loi, est sans incidence sur le contenu de ladite mesure ni non plus sur l'analyse de la qualification d'illégalité du séjour. La Cour ne voit d'ailleurs pas sur quelle base il pourrait être établi que le séjour de l'intimé est en l'occurrence légal. L'article 57 de la loi du 8 juillet 1976 ne prévoit en effet que deux branches à l'alternative. Il était en outre impossible de préjuger en 1976 de ce que la loi du 22 décembre 1999 allait prévoir. Cette circonstance a eu pour conséquence de créer une situation de non droit. D'autre part, l'absence de recours à la procédure prévue à destination du ministre de l'Intérieur ne rend pas non plus le séjour légal. L'intimé étant dès lors en séjour illégal sur le territoire belge, l'article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 est d'application en l'espèce.

Arrêt :

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AUDIENCE PUBLIQUE SUPPLEMENTAIRE
DU 24 DECEMBRE 2002
R.G. 17.615 - 6ème Chambre supplémentaire
Aide sociale
Procédure en régularisation
Loi du 22 décembre 1999
Responsabilité des pouvoirs exécutif et législatif
Article 580, 8° du Code judiciaire
Arrêt contradictoire, définitif.
EN CAUSE DE :
LE CENTRE PUBLIC D'AIDE SOCIALE DE CHARLEROI, représenté par son Président Monsieur M. Wilgaut, dont le siège est établi à 6000 Charleroi, Boulevard Joseph II, n&§61616; 13,
Appelant, comparaissant par Maître Delepierre, avocat à 6000 Charleroi ;
CONTRE :
1°) M. T. H.,
Intimé, comparaissant en personne assisté de son conseil Maître Dizier loco Maître Hoc, avocat à 6061 Montignies-sur-Sambre ;
2°) L'ETAT BELGE, représenté par Monsieur le Ministre de l'Intérieur, dont les bureaux sont établis rue Royale, 60-62 à 1000 Bruxelles,
Intimé, comparaissant par Maître Drumel loco Maître F. Motulsky, avocat à 1060 Bruxelles ;
3°) L'ETAT BELGE, représenté par Monsieur le Ministre de l'Intégration Sociale, dont les bureaux sont établis rue Royale, 180 à 1000 Bruxelles,
Intimé, comparaissant par Maître Cordier, avocat à 7000 Mons ;
La Cour du travail après en avoir délibéré, rend ce jour l'arrêt suivant :
Vu, en original, l'acte d'appel, établi en requête, reçu au greffe de la Cour le 30 juillet 2001 et visant à la réformation d'un jugement contradictoirement prononcé par le tribunal du travail de Charleroi le 4 juillet 2001 ;
Vu les pièces de la procédure légalement requises et notamment la copie conforme du jugement déféré;
Vu les conclusions de l'Etat belge (Ministère de l'Intérieur) reçues au greffe le 3 septembre 2001 ;
Vu les conclusions principales, additionnelles et secondes additionnelles de l'Etat belge (Ministère de l'Intégration sociale) reçues au greffe le 9 janvier 2002 ;
Vu les conclusions de l'intimé reçues au greffe le 29 mars 2002 ;
Vu les conclusions du C.P.A.S. de Charleroi reçues au greffe le 29 mai 2002 ;
Vu le dossier du troisième intimé ainsi que celui du premier intimé et sa note de frais et dépens, déposés à l'audience du 24 septembre 2002 ;
Ouï les parties, par leur conseil, en leurs dires et moyens à cette même audience ;
Ouï le Ministère public en son avis écrit lu et déposé à l'audience du 22 octobre 2002 ;
Attendu que l'appel, introduit dans les formes et délais légaux, est recevable ;
Attendu que les faits et antécédents de la cause peuvent être ainsi résumés :
Attendu que le premier intimé, de nationalité congolaise (ex-zaïroise), serait arrivé, avec sa famille (une épouse et quatre enfants) en Belgique en 1995.
Qu'il a demandé le statut de réfugié qui lui a été refusé en 1996.
Le 28 août 1998, il a introduit une demande de régularisation fondée sur l'article 9, § 3 de la loi du 15 décembre 1980.
Qu'il sollicita l'intervention du C.P.A.S. le 20 octobre 1998 ; qu'une décision de refus intervint le 4 novembre 1998 ; qu'il forma recours contre cette décision et que le tribunal du travail de Charleroi lui donna gain de cause par jugement du 9 mars 1999.
Attendu que le 19 janvier 2000, in introduisit une demande de régularisation fondée sur la loi du 22 décembre 1999.
Que le 30 mars 2000, il sollicita l'intervention du C.P.A.S.
Qu'une décision du 12 avril 2000 notifiée le 19 avril rejeta la demande.
Qu'une requête du 8 mai 2000 contesta le refus de demande d'aide sociale et revendiqua la reconnaissance du droit à l'aide sociale à partir du 30 mars 2000.
Le jugement déféré octroya notamment le droit à l'aide sociale équivalente au minimex " ménage " à partir du 30 mars 2000.
Attendu que la disposition légale qui est d'application en l'espèce est l'article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 tel que modifié par la loi du 15 juillet 1996 d'application le 10 janvier 1997.
Que dès lors, à l'égard d'un étranger en séjour illégal sur le territoire, l'obligation de dispenser l'aide due par la collectivité prévue par l'article 57, § 1er est limitée à l'aide médicale urgente.
Qu'il avait, par ailleurs, été relevé que cette disposition déroge au principe fondamental du droit à l'aide sociale reconnu par l'article 1er de la loi organique du 8 juillet 1976 en la conditionnant à la légalité du séjour lorsque le bénéficiaire est un étranger (Doc. Ch. des représentants, 364/7 95/96, p. 128).
Attendu qu'en l'espèce, il n'est pas contestable que la partie M. T. se trouvait en séjour illégal.
Qu'en effet, doit être considéré comme tel, le séjour sans autorisation d'entrée, de séjour ou d'établissement ou sans se trouver dans une des catégories d'étrangers admis de plein droit à séjourner (S. MOUREAUX et J.-P. LAGASSE, Le statut des étrangers, Commentaire de la loi du 15 décembre 1980, pp. 228 à 230).
Attendu que la Cour d'Arbitrage, comme le rappelle judicieusement le Ministère public, a considéré le principe d'un traitement inégal compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec l'article 191 de la Constitution et l'article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (J.T.T., 1994, p. 469).
Que dans son arrêt n°80/99 du 30 juin 1999, cette même Cour a jugé compatibles avec l'article 23 (nouveau) de la Constitution, sans qu'il y ait besoin d'examiner la portée des principes qui y sont contenus, les dispositions prises par le législateur compétent en matière d'aide sociale, dès lors que le constituant confie expressément au législateur la tâche de préciser l'étendue des droits qu'il garantit (M.B. 24 novembre 1999).
Que par l'arrêt n°43/98 du 22 avril 1998, la Cour d'arbitrage a jugé que le nouvel article 57, § 2, troisième et quatrième alinéas, de la loi organique des centres publics d'aide sociale violait les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il s'appliquait à l'étranger qui a demandé à être reconnu comme réfugié, dont la demande a été rejetée et qui a reçu un ordre de quitter le territoire, tant que n'ont pas été tranchés les recours qu'il a introduits devant le Conseil d'Etat contre la décision du commissaire général aux réfugiés et aux apatrides prise en application de l'article 63/3 de la loi précitée du 15 décembre 1980 ou contre la décision de la commission permanente de recours des réfugiés.
Que l'annulation, prononcée par cet arrêt, porte donc uniquement sur les alinéas 3 et 4 de l'article 57, § 2, de la loi organique des C.P.A.S. en tant qu'ils ont trait aux étrangers ayant demandé à être reconnus comme réfugiés.
Que la Cour d'Arbitrage a ajouté, en son arrêt n°80/99 du 30 juin 1999, que la mesure prévue par l'article 57, § 2, violait également les articles 10 et 11 de la Constitution si elle s'appliquait à des personnes qui, pour des raisons médicales, se trouvent dans l'impossibilité absolue de donner suite à l'ordre de quitter le territoire.
Que sous cette double réserve l'article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976 doit s'appliquer en l'espèce.
Que, dans un arrêt récent du 14 février 2001, la Cour d'Arbitrage rappelle en effet que lorsqu'un Etat qui entend limiter l'immigration constate que les moyens qu'il emploie à cet effet ne sont pas efficaces, il n'est pas déraisonnable qu'il ne se reconnaisse pas les mêmes devoirs face aux besoins de ceux, d'une part, qui séjournent légalement sur son territoire (ses nationaux et certaines catégories d'étrangers), et des étrangers, d'autre part, qui s'y trouvent encore après avoir reçu l'ordre de quitter le territoire, (Arrêt n°17/2001 JTT 2001, p. 268).
Attendu que par ailleurs si certains relèvent l'existence de normes internationales qui devraient, selon eux, s'appliquer en l'occurrence, il y a lieu de rappeler que pour pouvoir être directement applicable en droit interne, la norme d'un traité international doit être suffisamment précise et complète.
Que si elle n'est pas suffisamment précise et complète pour avoir des effets directs, une norme de droit conventionnel international impose à l'Etat une obligation de faire que le législateur doit observer mais qui ne saurait être invoquée comme source de droits subjectifs et d'obligations pour des particuliers (Cass., 10.05.1985, Bull. Cass. n° 542 et note 1).
Attendu qu'en l'état du dossier, il n'a nullement été vanté ni établi l'existence d'une norme de droit conventionnel international susceptible d'écarter l'application de l'article 57, § 2, alinéa 1er , de la loi du 8 juillet 1976.
Attendu qu'en ce qui concerne l'effet de la demande de régularisation sur le droit à l'aide sociale, la Cour fait sienne l'argumentation du Ministère public qu'il résume en trois points :
1. La demande de régularisation introduite et instruite en application de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Royaume n'ouvre pas en soi un droit de séjour dans le chef du demandeur; la situation de séjour de ce dernier n'est en rien modifiée par l'introduction de la demande.
La procédure se clôturera par une instruction donnée par le Ministre de l'Intérieur à l'Office des étrangers de délivrer une autorisation de séjour à durée illimitée.
Les personnes qui n'ont pas reçu d'ordre de quitter le territoire au moment de l'introduction de leur demande s'en verront en principe notifier un, dans le cas éventuel d'un refus (circulaire ministérielle du 6 janvier 2000 M.B. 10 janvier 2000, p.614).
2. Hormis les mesures d'éloignement motivées par l'ordre public ou la sécurité nationale, ou à moins que la demande ne réponde pas manifestement aux conditions de l'article 9 de la loi, il ne sera pas procédé matériellement à un éloignement entre l'introduction de la demande et le jour où une décision négative est prise (article 14 de la loi).
Dans les travaux préparatoires de l'article 14 précité, la portée de cette disposition est précisée comme suit :
"Cet article consacre le principe selon lequel il ne sera pas matériellement procédé à un éloignement des demandeurs pendant la période d'examen de leur demande. Autrement dit, lorsqu'une mesure d'éloignement a été décidée, celle-ci subsiste, mais il est simplement veillé à ce qu'elle ne soit pas exécutée matériellement jusqu'au jour de la décision négative éventuelle" (Doc. parl. , Chambre, 1999-2000, exposé des motifs, doc. 50, 0234/001, p.18).
3. La loi n'a pas pour objectif d'ouvrir le droit à l'aide sociale pour ceux qui n'en bénéficient pas autrement.
Il s'agit seulement de créer une possibilité d'obtenir un séjour légal (projet de loi du 8 novembre 1999 exposé des motifs Doc. 50-0234/001 Chambre des représentants).
Ainsi que le relève la Cour d'arbitrage dans son arrêt n°32/2001 du 1er mars 2001, au cours des mêmes travaux préparatoires, la question s'est posée de savoir si les personnes qui introduisent une demande de régularisation ont droit à une aide sociale.
L'opinion selon laquelle une demande de régularisation n'ouvre pas le droit à l'aide sociale a été exprimée à plusieurs reprises au cours des travaux préparatoires mais n'a pas fait l'objet d'une disposition législative (Doc. parl., Chambre, 1999-2000, rapport, doc. 50, 0234/005, p. 60; Ann. Chambre, 1999-2000, 24 novembre 1999, HA 50 plen 17, pp. 7,8,18 et 31-32; Doc. parl., sénat, 1999-2000, rapport, n°2-202/2, p.23) (M.B.
du 20 mars 2001, p. 8269, B.3.2).
C'est précisément pour cette raison qu'une réglementation visant à l'accès au travail des candidats à la régularisation est intervenue (circulaires de la Ministre de l'Emploi et du Travail des 6 avril 2000 et 6 février 2001 prises en exécution de la loi du 30 avril 1999 relative à l'occupation de travailleurs étrangers).
Selon le commentaire donné par la Ministre :
"Il est important de faciliter cet accès : la plupart des candidats à la régularisation n'ayant pas droit à l'aide sociale, l'accès, à un travail représente pratiquement pour les intéressés la seule possibilité d'insertion sociale ainsi que de pouvoir bénéficier de moyens financiers pour vivre dignement".
(site Web du Ministère de l'Emploi et du Travail - Rubrique Politique de la Ministre).
Attendu que la demande de régularisation ne modifie donc en rien la nature illégale du séjour.
Que la non exécution provisoire et conditionnée d'une mesure d'expulsion qu'elle soit inscrite ou non dans une loi, est sans incidence sur le contenu de ladite mesure ni non plus sur l'analyse de la qualification d'illégalité du séjour.
Que la Cour ne voit d'ailleurs pas sur quelle base il pourrait être établi que le séjour de l'intimé est en l'occurrence légal.
Que l'article 57 de la loi du 8 juillet 1976 ne prévoit en effet que deux branches à l'alternative.
Qu'il était en outre impossible de préjuger en 1976 de ce que la loi du 22 décembre 1999 allait prévoir.
Que cette circonstance a eu pour conséquence de créer une situation de non droit.
Que d'autre part, l'absence de recours à la procédure prévue à destination du ministre de l'Intérieur ne rend pas non plus le séjour légal.
Attendu que l'intimé étant dès lors en séjour illégal sur le territoire belge, l'article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 est d'application en l'espèce.
Attendu que par ailleurs, il n'a pas été établi à suffisance que la partie M. T. est donc dans l'impossibilité totale de rejoindre son pays d'origine, les éléments produits dans le dossier ne permettant nullement de juger de la réalité des circonstances.
Que dès lors, le législateur a voulu réserver un traitement identique en ce qui concerne l'octroi de l'aide sociale à deux catégories distinctes d'étrangers en séjour illégal :
-ceux qui peuvent se voir ordonner de quitter le territoire, cet ordre étant susceptible d'être exécuté par la contrainte,
-ceux qui, ayant introduit une demande de régularisation, sont protégés d'une telle mesure par l'article 14 de la loi du 22 décembre 1999.
Attendu que, par ailleurs, la question de la compatibilité de ce traitement indifférencié avec le principe d'égalité et de non-discrimination inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution a fait l'objet de nombreuses questions préjudicielles posées à la Cour d'arbitrage.
Que celle-ci a tranché en un arrêt du 30 octobre 2001, premier d'une longue série, en considérant que :
- L'article 57, §2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, modifié par les lois des 30 décembre 1992 et 15 juillet 1996, interprété en ce sens que le droit à l'aide sociale de l'étranger séjournant illégalement sur le territoire et qui a introduit une demande de régularisation de séjour sur la base de la loi du 22 décembre 1999 est limité à l'aide médicale urgente aussi longtemps que son séjour n'est pas régularisé, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec les articles 23 et 191 de la Constitution, avec l'article 11.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. (Arrêt n°131/2001- J.T. 2002, p . 236).
Attendu qu'en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat, le Centre Public d'Aide Sociale a cité en intervention l'Etat belge en la personne des Ministres de l'Intérieur et de l'Intégration sociale :
- d'une part, en vue de le garantir de toutes sommes auxquelles ils pourrait être condamné envers la partie demanderesse au titre de l'aide sociale qu'elle réclame,
- d'autre part, en vue de l'indemniser du dommage subi à raison des fautes commises par le pouvoir exécutif dans le cadre de l'interprétation donnée à un texte légal par voie de circulaires ayant à son endroit force obligatoire.
Attendu que cette procédure est recevable.
Qu'en effet, aux termes de l'article 564 de ce Code, le juge saisi de la demande principale et compétent pour en connaître, voit sa compétence prorogée pour connaître non seulement de toute action en garantie, mais de toute demande en intervention.
Attendu que la prorogation de compétence s'étend donc à une intervention tendant à faire prononcer une condamnation à des dommages et intérêts en raison de la responsabilité extra-contractuelle (Cass. 14 novembre 1977, Pas. 1978, I, 295).
Attendu que d'autre part, la Cour fait sienne la motivation des premiers juges en ce qui concerne la mise en œuvre des mécanismes de remboursement institués par la loi du 2 avril 1965 en son article 15.
Que la Cour de céans est sans compétence à ce titre, s'agissant d'un litige au sujet du remboursement d'aides accordées judiciairement à charge d'un C.P.A.S. en application de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 dès qu'un arrêté ministériel exclut l'intervention de l'Etat lorsque l'aide a été accordée " en violation " de cette disposition.
Que le Conseil d'Etat est compétent en l'occurrence.
Attendu que par ailleurs, en ce qui concerne le moyen soulevé par le C.P.A.S. visant la responsabilité de l'Etat, ce moyen comporte différents aspects.
Attendu que le C.P.A.S. considère d'une part que le législateur aurait manqué à l'obligation générale de prudence lors de l'adoption de la loi du 22 décembre 1999 en ne tenant pas compte des observations du Conseil d'Etat et en négligeant ainsi de légiférer sur le droit à l'aide sociale des étrangers en séjour illégal, demandeurs en régularisation.
Attendu que sur le plan théorique, le principe de la responsabilité civile de l'Etat à raison d'une faute commise par l'un de ses pouvoirs, doit lui être appliqué.
Que ce qui vaut pour des actes matériels ou des actes juridiques d'un organe de l'Etat vaut tout aussi bien pour l'abstention fautive du pouvoir exécutif de prendre un acte réglementaire ou pour l'exercice maladroit ou dangereux dans le chef de ce même pouvoir de sa fonction réglementaire (cf. Cass. 23 avril 1971, et Cass. 20 juin 1974, Pas. I, 1083).
Que la Cour de cassation considère d'ailleurs qu'aucune disposition constitutionnelle ou légale ne soustrait le pouvoir exécutif, dans l'exercice de ses missions et de ses activités réglementaires à l'obligation, résultant des articles 1382 (et suivants) du Code civil, de réparer le dommage qu'il cause à autrui par sa faute, notamment par son imprudence ou sa négligence (Cass. 20 juin 1974, Pas, I, 1083).
Que le critère d'appréciation de la faute dans le chef de la puissance publique est le même qui s'impose à tous, à savoir le devoir général de prudence.
Que l'arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1991 admettant dans certaines limites, la responsabilité de l'Etat du chef d'un acte dommageable du pouvoir judiciaire, réaffirme en effet :
-qu'en attribuant aux cours et tribunaux la connaissance exclusive des contestations qui ont pour objet des droits civils, l'article 92 de la Constitution met sous la protection du pouvoir judiciaire tous les droits civils,
-qu'en vue de réaliser cette protection, le Constituant n'a eu égard ni à la qualité des parties contendantes ni à la nature des actes qui auraient causé une lésion de droit, mais uniquement à la nature du droit faisant l'objet de la contestation,
- que l'Etat est, comme les gouvernés, soumis aux règles de droit, et notamment à celles qui régissent la réparation des dommages découlant des atteintes portées par des fautes aux droits subjectifs et aux intérêts légitimes des personnes (Bull. Cass. 1992, n°215).
Attendu que d'autre part, le principe de la responsabilité s'étend également au législateur.
Que l'omission du législateur de se conformer à des normes supérieures de droit conventionnel international auxquelles l'Etat a adhéré en ratifiant un traité est, à tout le moins d'un point de vue théorique, susceptible d'engager la responsabilité de ce dernier si un dommage s'ensuit de manière non douteuse dans le chef d'une personne de droit public ou privé.
Que la Cour de justice des Communautés européennes rappelait comme " inhérent au système du traité " le principe de la responsabilité de l'Etat membre et de l'Etat-législateur en particulier en cas de violation d'une disposition de droit communautaire.
" Selon le cas d'espèce, une action en réparation par équivalent apparaît comme étant subsidiaire ou complémentaire aux autres moyens d'action, telle la mise en œuvre de l'effet direct ou du principe de l'interprétation, dont peut disposer le particulier pour obtenir le résultat prévu par le droit communautaire "( Claire DOYEN, Approche sur le plan du droit communautaire de la responsabilité de l'Etat membre, dans le Droit de la responsabilité, Formation permanente C.U.P., volume X, 13.09.96, p. 135).
Attendu que toutefois, saisi d'une action en responsabilité fondée sur la non-conformité d'une disposition légale ordinaire à une disposition supérieure dont le contrôle est dévolu à la Cour d'arbitrage et qui n'a pas été annulée par celle-ci, les cours et tribunaux ne peuvent constater eux-mêmes l'irrégularité.
Attendu que dès lors, dans ces limites, la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat du chef d'un acte dommageable du pouvoir législatif n'est ni contraire à des dispositions constitutionnelles ou légales ni inconciliable avec le principe de la séparation des pouvoirs ou avec un principe général de droit (cour d'appel de Liège 25 janvier 1994, Pas. 1993, II, p. 50).
Attendu que la Cour renvoie à l'arrêt de la Cour d'Arbitrage du 30 octobre 2001 en ce qui concerne la solution à la demande introduite contre l'Etat belge législateur.
Qu'à la lumière de cet arrêt, la demande n'a pas de fondement.
Attendu que par ailleurs, le C.P.A.S. met en cause une prétendue faute de l'exécutif qui d'une part refuse de le rembourser des sommes auxquelles il a été condamné, et d'autre part refuse de prendre de nouvelles dispositions qui règleraient ce problème.
Attendu qu'à ce titre, il y a lieu de constater qu'une proposition de loi complétant l'article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publiques d'aide sociale a été déposée le 20 mars 2000 sous la signature d'un député élu d'un parti de la coalition gouvernementale visant à compléter cette disposition par une dérogation en faveur des étrangers en séjour illégal ayant reçu un ordre de quitter le territoire et qui ont introduit une demande de régularisation, et ce jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur leur demande,. (Doc. Ch. 50/0520/001).
Que cette proposition n'a pas connu de suites.
Attendu que l'argumentation développée par le CPAS de Charleroi ne semble guère démonstratrice d'une faute dans le chef des deux ministres mis à la cause.
Qu'au contraire, leurs circulaires ont clairement mis en exergue le fait que l'introduction de la demande de régularisation n'avait pas pour effet de supprimer le caractère illégal du séjour et qu'elle n'avait pas en soi pour conséquence d'ouvrir le droit à l'aide sociale.
Que les Ministres de l'Intérieur et de l'Intégration sociale ont donc sans ambiguïté exprimé le refus du législateur de modifier sur ce point l'article 57 § 2 alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976.
Que le respect de cette disposition s'impose à eux comme elle s'impose aux centres publics chargés d'instruire les demandes d'aide sociale.
Que sur ce point, la demande est manifestement sans fondement telle qu'avancée.
Attendu que d'autre part, les dommages dont fait état le C.P.A.S. correspondent en réalité au risque habituel subi par tout organisme chargé de payer une prestation sociale dont la décision est contestée par celui qui prétend en être bénéficiaire ; que ce risque n'a pas été anormalement accru par la loi du 22 décembre 1999 ou la circulaire d'application ;
Attendu qu'en termes de conclusions, le C.PA.S. entend étendre sa demande de condamnation de l'Etat belge en sa qualité de pouvoir judiciaire au paiement de la somme de 1.250 Euros à titre de dommages et intérêts dans la mesure où il a été amené par un jugement exécutoire nonobstant tout recours et sans caution à servir une aide sociale qui en définitive se révélerait non due.
Qu'il échet de relever, s'agissant de la mise en exergue de la responsabilité civile de l'Etat à raison d'une faute, éventuelle, d'un organe du pouvoir judiciaire, que c'est au Ministre de la Justice qu'il revient de représenter l'Etat dans le débat judiciaire.
Que les articles 42 et 705 du Code judiciaire imposent l'obligation pour introduire pareille demande d'une citation de l'Etat au cabinet du Ministre de la Justice.
Attendu que statuant en l'état, la Cour considère que l'extension de demande initiée par le C.P.A.S. n'est pas recevable au regard des dispositions de l'article 807 du Code judiciaire dès lors qu'elle n'est pas fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation en intervention au cours de la procédure d'instance mais sur un fait ou un acte postérieur, soit le jugement prononcé au terme de cette instance.
PAR CES MOTIFS,
La Cour du travail, statuant contradictoirement,
Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, notamment l'article 24 ;
Entendu Monsieur Dominique Hautier, Substitut de l'Auditeur du travail à Mons, délégué par ordonnance du 9 septembre 2002 (prorogeant celles du 10 décembre 2001 et 27 mars 2002) de Monsieur le Procureur général pour exercer les fonctions de Substitut général près la Cour du travail de Mons du 1er octobre au 31 décembre 2002, en son avis écrit conforme qu'il a lu et déposé à l'audience du 22 octobre 2002 ;
Dit l'appel du C.P.A.S. de Charleroi fondé en ce qui concerne le droit à l'octroi d'une aide sociale ;
Réformant, dit qu'aucune aide sociale n'est due à la partie M. T. H. ;
Dit par conséquent la demande en intervention et garantie non recevable à défaut d'objet ;
Dit n'y avoir pas lieu de condamner l'Etat belge à des dommages et intérêts ;
Déboute le C.P.A.S. quant à la contestation à l'encontre de l'Etat belge ;
Se dit incompétente en ce qui concerne le mécanisme de remboursement de sommes payées par le C.P.A.S.
Dit non recevable la demande du C.P.A.S. en dommages et intérêts évalués à 1.250 € ;
Délaisse aux parties les frais de leur action sauf en ce qui concerne les frais et dépens pour la partie M. T. H. ;
Condamne le C.P.A.S. de Charleroi aux frais et dépens de l'instance d'appel liquidés par la partie M.
T. à la somme de 130,89 € ;
Ainsi jugé et prononcé, en langue française, à l'audience publique supplémentaire du 24 décembre 2002 par la 6ème Chambre de la Cour du travail de Mons, où siégeaient Messieurs :
J. RUSSE, Président,
P. MORTIAUX, Conseiller social au titre d'employeur,
M. VANBAELEN, Conseiller social au titre de travailleur ouvrier,
S. BARME, Greffier adjoint principal, Greffier.