Cour du Travail: Arrêt du 27 mars 2012 (Mons (Mons)). RG 2011/AM/217

Date :
27-03-2012
Langue :
Français
Taille :
5 pages
Section :
Jurisprudence
Source :
Justel F-20120327-1
Numéro de rôle :
2011/AM/217

Résumé :

Un licenciement pour un motif lié à l'aptitude ou à la conduite de l'ouvrier est abusif si le motif est manifestement déraisonnable. Pour soutenir sa réclamation de l'indemnité pour licenciement abusif, l'ouvrier peut notamment faire valoir que son comportement était légitime.

Arrêt :

Ajoutez le document à un dossier () pour commencer à l'annoter.

ROYAUME DE BELGIQUE

POUVOIR JUDICIAIRE

COUR DU TRAVAIL

DE MONS

ARRET

AUDIENCE PUBLIQUE DU 27 MARS 2012

R.G. 2011/AM/ 217

3ème Chambre

Contrat de travail d'ouvrier - Indemnité pour licenciement abusif.

Article 578 du Code judiciaire

Arrêt contradictoire, avant dire droit, ordonnant une mesure d'instruction (admission à preuve).

EN CAUSE DE :

N.P.,

Appelant, comparaissant par son conseil Maître Moury, avocat à Boussu ;

CONTRE :

La SA HAINAUT TRANSPORT & TRADING SA, venant aux droits et obligations de la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER,

Intimée, comparaissant par son conseil Maître Pirlet loco Maître Delporte, avocat à Bruxelles ;

*******

La cour du travail, après en avoir délibéré, rend ce jour l'arrêt suivant :

Vu les pièces de la procédure, et notamment :

- la requête d'appel déposée au greffe de la cour le 27 mai 2011, dirigée contre le jugement prononcé le 14 mars 2011 par le tribunal du travail de Mons, section de Mons ;

- l'ordonnance de mise en état judiciaire prise le 30 juin 2011 en application de l'article 747, § 2, du Code judiciaire ;

- les conclusions des parties ;

Entendu les conseils des parties en leurs plaidoiries à l'audience publique du 28 février 2012 ;

Vu les dossiers des parties ;

  

FAITS ET ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE

M. N.P. est entré au service de la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER en qualité d'ouvrier chauffeur dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée du 2 février 2001 au 20 avril 2001. Les parties ont poursuivi leurs relations de travail à l'issue de ce contrat.

M. N.P.avait notamment pour fonction de charger, transporter et décharger des marchandises et autres produits au sein de l'entreprise SA REVATECH, cliente de la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER.

Par télécopie du 11 février 2009, la SA REVATECH a écrit à la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER :

« Ce jour, nous avons pris le temps de revenir avec votre chauffeur, Philippe ..., sur les évènements regrettables liés au comportement de ce dernier.

Ce matin, après en avoir discuté calmement une nouvelle fois avec votre chauffeur, ce dernier déclare ouvertement en présence de plusieurs personnes :

• « Plus je fais chier mon monde, plus j'attends et de toute façon je suis payé » ;

• « Je gagne beaucoup plus à rester chez moi ».

Vous comprenez qu'une telle situation est inadmissible et nous vous demandons de ne plus affecter ce chauffeur au transport des REFIOM qui nous sont destinés. (...) ».

La SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER a répondu par lettre du 12 février 2009 libellée comme suit :

« Je conçois que les propos tenus par notre chauffeur ne sont pas admissibles et au nom de la société, je vous prie d'accepter nos excuses car de telles attitudes ne reflètent pas l'état d'esprit de notre entreprise et des bonnes relations commerciales et industrielles que nous avons développées durant ces dernières années.

J'ai eu l'occasion le 11 février 2009 en fin de journée, de discuter avec notre chauffeur N.P. qui avoue qu'il a tendance à s'emporter et dire des choses qu'il ne pense pas sous l'effet de la pression. J'ai convenu avec lui qu'il doit présenter ses excuses par écrit.

Afin de retrouver un peu de calme et de sérénité, nous avons décidé dans la mesure du possible d'affecter un autre chauffeur sur votre service. Toutefois, il faut reconnaître que N.P. a toujours fourni un bon travail et qu'à ce niveau-là, il ne démérite pas.

Le fonds du problème réside dans les méthodes de déchargement d'un produit réputé être nocif pour la santé et l'environnement. Je souhaite vous rencontrer afin de mieux comprendre vos difficultés et essayer ensemble de trouver une solution satisfaisante pour tout le monde. Je me permets de vous proposer le 13/02/2009 à 15 heures (...) ».

Une réunion a eu lieu le 13 février 2009 entre l'administrateur de la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER, M. A. B., et la direction de la SA REVATECH.

Le 13 février 2009, la SA REVATECH a adressé à la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER la lettre suivante :

« Comme discuté lors de notre entrevue, l'attitude et le comportement de votre chauffeur, P. N., se sont dégradés au fil du temps de façon telle que ce dernier ne respectait plus aucunes consignes propre à notre entreprise (sécurité, environnement, ...). II tenait des propos arrogants au point d'injurier les membres de notre personnel et de traiter notre directeur général de « gros porc ». II faut donc comprendre que cette situation devient inadmissible et que nous ne pouvons plus tolérer la présence de ce chauffeur sur nos lieux d'exploitation.

Nous vous demandons donc de prendre les mesures nécessaires afin que notre collaboration puisse continuer sur de bonnes bases (...) ».

La SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER a mis fin au contrat de travail par lettre recommandée du 20 février 2009 libellée en ces termes :

« Nous avons le regret de vous signifier votre licenciement. En effet, les difficultés que vous avez causées chez notre client Revatech, rendent impossible la continuité de l'exercice de votre fonction. En conséquence, je vous invite à trouver en annexe copie de la notification de rupture de contrat.

Le document C4 suivra dans le meilleur délai.

(. . . .) ».

Par lettre du 29 juillet 2009, l'organisation syndicale de M. N.P. a fait valoir que celui-ci n'avait jamais eu de problèmes avec d'autres clients et que les difficultés rencontrées avec la SA REVATECH découlaient des énormes problèmes de sécurité occasionnés par la décharge de produits dangereux, ajoutant : « C'est sous le chantage à l'emploi qu'il a toujours effectué les chargements et déchargements jusqu'au jour où il a refusé de prendre plus de risques encore pour sa santé ».

Par lettre du 6 août 2009, la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER a contesté formellement les arguments avancés par M. N.P.et a soutenu que l'intéressé était devenu incontrôlable, refusait systématiquement d'obtempérer, n'utilisait pas ses équipements de sécurité sur un site de traitement de produits dangereux et injuriait régulièrement les membres du personnel de la SA REVATECH.

Aucune solution amiable n'ayant pu être trouvée, M. N.P. a soumis le litige au tribunal du travail de Mons par requête du 12 février 2010. Sa demande avait pour objet d'entendre condamner la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER au paiement de la somme de 11.212,22 euro au titre d'indemnité pour licenciement abusif, à augmenter des intérêts légaux et judiciaires.

Par conclusions prises le 29 septembre 2010, la SA HAINAUT TRANSPORT & TRADING a repris l'instance mue originairement contre la SA TRANSPORTS ET MANUTENTION DESCHIETTER, en suite d'une scission partielle des activités de cette dernière intervenue le 11 mai 2010.

Par jugement prononcé le 14 mars 2011, le premier juge a débouté M. N.P.de sa demande.

  

OBJET DE L'APPEL

M. N.P. a relevé appel de ce jugement. Il demande à la cour de faire droit à sa demande originaire et, en ordre subsidiaire, de l'autoriser à rapporter la preuve par toutes voies de droit, témoignages compris, du fait suivant :

« Les conditions de déchargement imposées aux ouvriers de l'intimée sur les sites exploités par la Société Revatech étaient telles qu'elles étaient dangereuses tant sur le plan des protections liées au fait même du déchargement qu'en ce qui concerne l'insalubrité générée par le manque de précautions, liée aux émanations produites par le produit transporté ».

La SA HAINAUT TRANSPORT & TRADING conclut à la confirmation du jugement entrepris et, en ordre subsidiaire, sollicite l'autorisation de prouver par témoignages le fait suivant :

« Dans le courant des mois de janvier et février 2009, Monsieur N.P. a adopté une attitude systématiquement négative sur le site de la S.A. REVATECH, en refusant d'utiliser ses équipements de sécurité sur un site réputé pour traitement de produits dangereux, en injuriant régulièrement les membres du personnel et le directeur commercial ».

  

DECISION

Recevabilité

L'appel, régulier en la forme et introduit dans le délai légal, est recevable.

Fondement

1. L'article 63 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dispose qu'est considéré comme licenciement abusif, le licenciement d'un ouvrier engagé pour une durée indéterminée effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.

En cas de contestation, l'employeur a la charge de la preuve des motifs du licenciement invoqués.

L'objectif de cette disposition est de renforcer la stabilité d'emploi des ouvriers et de leur assurer une protection accrue en raison de ce que les délais de préavis qui leur sont applicables sont nettement moins longs que ceux des employés. Cette protection passe notamment par la nécessité de limiter les possibilités pour l'employeur de procéder à leur licenciement.

La Cour de cassation a, jusqu'à ses arrêts des 27 septembre 2010 et 22 novembre 2010, opté pour une interprétation littérale de la loi : n'est pas considéré comme abusif le licenciement d'un ouvrier lorsque l'employeur établit l'existence de faits liés à l'aptitude ou à la conduite de l'intéressé et le lien entre ces faits et le licenciement, et il n'y a pas lieu, lorsque ce lien est établi, de vérifier si le fait invoqué est proportionné à la décision de licenciement, ni s'il est fautif ou critiquable (Cass., 8 décembre 1986, Pas. 1987, 428 ; Cass., 17 février 1992, J.T.T. 1992, 222 ; Cass., 6 juin 1994, Bull. 1994, 562 ; Cass., 22 janvier 1996, J.T.T. 1996, 236 ; Cass., 7 mai 2001, J.T.T. 2001, 407).

Par arrêt du 27 septembre 2010, la cour de cassation a cassé un arrêt de la cour du travail de Liège qui, tout en constatant que l'ouvrier avait refusé de se prêter à une fraude à la loi, avait toutefois décidé que son licenciement n'était pas abusif car il était lié à son comportement (Cass., 27 septembre 2010, J.T.T. 2011, 7).

Par arrêt du 22 novembre 2010, la Cour de cassation a statué en ce sens que « Il ressort de la genèse de la loi que les règles en matière de licenciement abusif visent à interdire tout licenciement pour des motifs manifestement déraisonnables. Il s'ensuit qu'un licenciement pour un motif lié à l'aptitude ou à la conduite de l'ouvrier est abusif si le motif est manifestement déraisonnable. Il appartient au juge du fond d'apprécier si la conduite ou l'aptitude à l'origine du licenciement de l'ouvrier constitue un motif légitime de licenciement » (Cass., 22 novembre 2010, J.T.T., 2011, 3).

Ces deux arrêts marquent un changement de la jurisprudence de la Cour de cassation : le licenciement de l'ouvrier doit être une mesure proportionnée à sa conduite et, pour soutenir sa réclamation de l'indemnité pour licenciement abusif, l'ouvrier peut notamment faire valoir que son comportement était légitime.

2. En l'espèce, M. N.P. ne nie pas l'existence d'une altercation le 10 février 2009, mais soutient que les dirigeants de la SA REVATECH ont été irrités par le fait que, écœuré par les conditions de travail qui lui étaient imposées, conditions inacceptables sur le plan de la sécurité et de la salubrité, il les avait menacés de saisir la police de l'environnement. Il explique que, notamment dans les bassins V6 et V7, le chauffeur qui procède au déchargement du produit nocif appelé « refiom » doit installer son camion pratiquement au-dessus du bassin où n'existe pas la moindre grille de protection et veiller au bon déroulement du déchargement en s'exposant aux émanations du produit déchargé. Il ajoute qu'il s'est senti agressé par les reproches assénés par les responsables de la SA REVATECH qui le traitaient de fainéant. Il a, dès le 12 février 2009, explicité sa position de façon circonstanciée dans une lettre rédigée à l'intention de son employeur. Il produit aux débats des attestations établies par deux ex-collègues de travail qui confirment la dangerosité des conditions de travail sur le site de la SA REVATECH.

Selon la SA HAINAUT TRANSPORT & TRADING, ce n'est pas le niveau de sécurité, par ailleurs garanti dans chacune des procédures par les consignes à respecter, qui déplaisait à M. N.P., mais bien le caractère plus laborieux et contraignant de ces consignes. Elle expose avoir appris lors d'une entrevue avec la SA REVATECH que l'intéressé avait adopté une attitude systématiquement négative en n'utilisant pas ses équipements de sécurité et en injuriant régulièrement les membres du personnel. Elle fait valoir que le licenciement de M. N.P.ne peut être considéré comme étant abusif dans la mesure où il est lié à son comportement inadmissible.

Les parties étant contraires en fait sur les circonstances ayant précédé le licenciement, et donc sur les raisons réelles de celui-ci, il y a lieu, avant de statuer au fond, de les autoriser à établir par toutes voies de droit les faits cotés au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS,

La cour du travail,

Statuant contradictoirement,

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire, notamment l'article 24 ;

Reçoit l'appel ;

Avant de statuer quant à son fondement :

Autorise la SA HAINAUT TRANSPORT & TRADING à établir par toutes voies de droit le fait suivant :

Dans le courant des mois de janvier et février 2009, M. N.P. a adopté une attitude systématiquement négative sur le site de la SA REVATECH en refusant d'utiliser ses équipements de sécurité et en injuriant régulièrement les membres du personnel et le directeur commercial ;

Autorise M. N.P. à établir par toutes voies de droit le fait suivant :

Les conditions de déchargement d'un produit nocif imposées aux ouvriers de la SA HAINAUT TRANSPORT & TRADING sur les sites exploités par la SA REVATECH étaient dangereuses tant sur le plan de la sécurité que sur le plan de la salubrité ;

Admet chacune des parties à la preuve contraire desdits faits ;

Désigne Madame le Président J. BAUDART, pour tenir tant les enquêtes directes que contraires ;

Dit que la date des enquêtes ne sera fixée qu'après le dépôt au greffe de la liste des témoins par chacune des parties, et consignation de la taxe des témoins ;

Renvoie la cause au rôle particulier ;

Réserve les dépens ;

Ainsi jugé et prononcé, en langue française, à l'audience publique du 27 mars 2012 par le Président de la 3ème Chambre de la cour du travail de Mons composée de :

J. BAUDART, Mme, Président,

Ph. EVRARD, Conseiller social au titre d'employeur,

A. DI SANTO, Conseiller social au titre de travailleur ouvrier,

S. BARME, Greffier.

qui en ont préalablement signé la minute.